Jim Warren (H.B. Warner) est condamné à mort, et l'exécution est imminente... Un reporter vient l'interviewer, et lui pose la question qu'on lui pose depuis son arrestation: est-il vraiment coupable: l'homme ne répond pas, mais se souvient... Il remonte alors 20 ans en arrière: il était un malfrat, évadé de prison, en couple avec une jeune femme enceinte (Vera Reynolds), mais leur mariage était invalide pour des raisons administratives. Devant fuir, il l'avait laissée, et n'était retourné, traqué, que 6 ans après: la petite était née, et Norma s'était mariée avec Phil Powers (Rockliffe Fellows): manifestement un brave homme... Mais pouvait-on en être sûr?
L'essentiel du film se déroule encore quinze ans après, quand la petite Norma (A nouveau Vera Reynolds) est devenue une femme que Powers s'apprête à marier avec un jeune home bien sous tous rapports; le drame se noue dans la confrontation entre Warren, revenu après quinze ans d'absence, Powers et celle qui se croit sa fille. Un maître chanteur (Raymond Hatton) va précipiter le drame entre les trois personnages...
C'est un beau film, dans lequel Julian transcende la matière théâtrale en ayant recours à une forte stylisation, et il est aidé de façon impressionnante par la photographie de Peverell Marley, qui était à l'époque le principal chef-opérateur des productions de DeMille... A ce titre, on remarquera que les acteurs eux aussi sont de premier plan, à commencer par Warner qui était à l'époque sous contrat avec DeMille lui-même pour interpréter Jésus dans King of Kings... Donc contrairement à la plupart des productions DeMille qui n'avaient pas été tournées par le maître lui-même, ce Silence était une production importante.
...D'où sans doute le job confié à Julian qui était quelle qu'ait été réellement sa contribution à The phantom of the opera, un nom de tout premier plan en raison du succès du film avec Chaney. Et comme avec the yankee clipper réalisé l'année suivante pour les films DeMille, on voit qu'il était bien un metteur en scène inspiré, pour autant qu'il ait le bon sujet. Cette intrigue bâtie sur des flash-backs, toute en tension avec la menace d'une exécution, ces intrigues aux rebondissements mélodramatiques, est passionnante. ...Et miraculée: une copie nitrate d'exportation (amputée de quelques passages et sous intrigues disponibles uniquement dans la version "domestique") a été retrouvée intacte à la cinémathèque française et présentée à San Francisco...
Au milieu du XIXe siècle, un capitaine Américain (William Boyd) reçoit la mission d'aller chercher du thé à convoyer vers les Etats-Unis, et du même coup va être amené à entrer en compétition avec un bateau Anglais: le Lord of the isles a été conçu précisément pour permettre à la reine Victoria (Julia Faye) de réaffirmer la souveraineté naturelle de l'empire britannique sur les eaux mondiales. En acceptant le défi, le capitaine prend un gros risque: son Yankee Clipper est de conception nouvelle, peut-il résister aux conditions difficiles dans lesquelles il va courir? Parallèlement, une jeune Anglaise (Elinor Fair) doit se marier avec un lord véreux (John Miljan), mais par une coïncidence malencontreuse les deux futurs époux se retrouvent coincés sur le Clipper, et le capitaine n'est pas indifférent à la jeune femme, d'autant qu'il sait que son promis est un moins-que-rien...
Deux beaux voiliers, une course amicale, un capitaine flamboyant, un enjeu sentimental, et bien sur une tempête: comment voulez-vous que ça échoue? Mais le doute est permis: on est en 1927, et l'heure est plutôt au film d'art qui rivalise de prouesses photographiques qu'au film d'aventures... Pourtant le film fait mouche, grâce à un refus de trop se prendre au sérieux. A la base, DeMille avait monté cette production pour en effectuer lui-même la réalisation, mais accaparé par d'autres projets (Nommément, The king of Kings, certainement son film le plus ambitieux jusqu'alors) a finalement choisi d'en livrer clés en mains la direction à un réalisateur chevronné sinon génial, ce brave Rupert Julian. Et celui-ci, débarrassant ses huit bobines de tous les excès qui en auraient fait un DeMille picture, se concentre sur l'essentiel: il tourne une dose raisonnable du film dans des conditions proches de l'histoire, donne à voir une Chine certes de pacotille, mais suffisamment crédible pour le coup, et joue sans exagérer la carte du mousse pittoresque (Jackie Coghlan, sur lequel l'ombre d'un autre Jackie passe parfois...), qui lui permet de dégonfler un peu la baudruche de capitaine interprété tous yeux bleus et toutes bouclettes dehors par Boyd. Le film acquiert de l'humour, garde toute son énergie, et la tempête promise vaut le détour! On attendait pas Julian aussi à l'aise sur ce terrain, même aussi à l'aise tout court, c'est donc une bonne surprise...
1925, c'est vite dit... The Phantom of the opera fait partie d'une poignée de films qui découragent la critique à bien des niveaux... trois pour être précis:
D'une part, le film est placé au centre de la carrière de Lon Chaney, dont il est la vitrine la plus emblématique, et les gens qui depuis sa première sortie en 1925 le voient, l'aiment et le revoient y sont attirés par la performance extraordinaire de l'acteur, au mépris finalement de tout le reste.
Ensuite, c'est un patchwork dont l'assemblage s'est déroulé sur plusieurs années, mobilisant plusieurs équipes et plusieurs réalisateurs (principalement Julian, mais aussi Edward Sedgwick), certains d'entre eux n'étant d'ailleurs même pas identifiés...
Enfin, ce film à l'histoire déjà passablement chargée, a survécu en deux versions, toutes deux lourdement différentes: une de 1925, correspondant à ce qui est sorti sur les écrans Américains après plusieurs previews toutes plus compliquées les unes que les autres; cette version préservée sur des copies 16mm ne rend absolument pas justice à la superproduction spectaculaire que l'on attend; et une version de 1929, correspondant à la ressortie parlante du film, qui mélangeait des portions importantes de la version de 1925 à de nouvelles scènes. Mais cette version reste muette, aucune copie parlante n'en ayant été retrouvée (Sinon sous forme fragmentaire)... Conservée en 35 mm, c'est la version la plus souvent vue, qui incorpore aussi des séquences en couleurs (Une scène en Technicolor, et deux en couleurs appliquées, selon un procédé de pochoir, qui a été restauré récemment, en plus de teintes)... Les couleurs, bien que disponibles désormais uniquement sur cette version de 1929, proviennent en droite ligne de la première version du film, qui ajoutait à ces pochoirs, ces teintes et ce Technicolor le recours au Prizmacolor dans des scènes de ballet (qui ont été retrouvées, le Eye museum d'Amsterdam en ayant publié récemment la preuve).
Et au milieu de tout ça, le film reste malgré ce pedigree en forme de puzzle, l'acte de naissance véritable de l'horreur made in Universal: sans Phantom, pas de Frankenstein, pas de Dracula, pas de Mummy... il convient donc de jeter plus qu'un coup d'oeil à ce vénérable objet.
L'histoire présentée dans le film est une adaptation simplifiée du roman de Gaston Leroux, dont les romans sont toujours un dosage de gothique mesuré, de romantisme échevelé, et d'humour décalé. Ici, l'humour est présent, mais dans une veine plus slapstick (Ce qui s'explique très facilement, voir plus bas...). Le romantisme est réduit à une portion congrue, l'habitude des scénaristes vis-à-vis de Lon Chaney était d'en faire un amoureux déçu, voire trahi; le fantôme de Leroux était, lui, aimé; Chaney ne sera que repoussant. Donc en matière de romantisme, on n'a droit qu'aux amoureux transis interprétés par Norman Kerry et Mary Philbin. Par contre, le studio s'en est donné à coeur joie au rayon gothique...
A l'opéra de Paris, un mystérieux personnage agit en coulisses qui se fait lui-même appeler "Le fantôme" et sème la terreur. Il entend imposer à la direction une jeune chanteuse, Christine Daaé, ce qui n'est pas du gout de la direction, et encore moins de la prima donna, Melle Carlotta... Mais "Erik" le fantôme met ses menaces à exécution, et ruine une représentation, avant d'enlever Christine dont il est amoureux. bien vite, il lui impose une retraite à son seul profit, et elle doit dire adieu à son soupirant, le vicomte Raoul de Chagny: celui-ci ne l'entend pas de cette oreille, et avec le concours d'un mystérieux personnage, Ledoux, il se met en quête de retrouver le fantôme et sa bonne amie...
Contrairement à d'autres adaptations, celle de Brian de Palma en particulier, le parallèle entre Faust (manifestement, le seul opéra jamais joué à Paris...) et ce fantôme de l'opéra n'est jamais exploité. L'opéra n'est finalement qu'un décor, permettant de superbes variations de décor, de composition et d'éclairage... Par moment on a le souffle coupé devant l'invention visuelle du film (A plus forte raison lorsqu'on le voit enfin en HD après tant de copies répugnantes)... au point d'avoir envie d'en créditer l'auteur, ce brave Rupert Julian. Mais chacun sait que c'est compliqué, d'une part parce que le metteur en scène autocratique (Il était tous les clichés possibles et imaginables du personnage, avec sa moustache, un humour absent, un plaisir fou à terroriser les acteurs les plus timides, comme cette pauvre Mary Philbin, et un manque de talent souvent mentionné) n'a été que le metteur en scène de la toute première version de ce film, mais aussi parce que le film est surtout une production dans laquelle Lon Chaney, de notoriété publique a été un lien entre les techniciens, et ne l'oublions pas le véritable ciment du projet. Le film ne se serait pas fait si le grand acteur n'avait pas été là pour créer ce maquillage exceptionnel. Il y a des spéculations sur le rôle de l'acteur qui aurait éventuellement pu "diriger" une partie de ce film. On sait par ailleurs que B. Reeves Eason, Edward Sedgwick et d'autres (pas toujours crédités) ont dirigé des retakes de ce film, retakes qui sont plus des séquences complètes qu'autre chose. Sedgwick (Assistant de Chaplin, puis de Keaton) aurait été responsable de nombreuses séquences burlesques dont peu restent dans le film, mais aussi de la fin sur-vitaminée telle qu'on la voit actuellement. De nombreuses scènes avec Chaney auraient été tournées en l'absence de ce brave Julian. Quant à la copie de 1929, elle comporte aussi des scènes retournées en l'absence de Chaney et de Julian... donc la notion d'auteur est ici impossible à attribuer, comme pour le Ben-Hur tourné la même année. Si le film est une fête visuelle (Les scènes de souterrain, les jeux de lumières, les ombres gigantesques...) il le doit sans doute d'abord à des chef-opérateurs qui avaient carte blanche: ils étaient trois sur la production, Milton Bridenbecker, Virgil Miller et Charles Van Enger. Remarquez, une bonne part de ces moments importants, notamment ceux montrant Chaney, ont été tournés à l'époque où Julian était encore le capitaine...
Enfin, le film tient la route surtout grâce à Lon Chaney, il est l'un de ses rôles les plus emblématiques, mais aussi les plus paradoxaux: en effet, les premières trente minutes sont une succession de petites apparitions de l'ombre de l'acteur, de sa silhouette, de ses mains, avant qu'on le voie enfin, dans toute sa splendeur... derrière un masque. Dans un réflexe publicitaire, l'acteur a délayé au maximum l'apparition de son maquillage le plus élaboré, d'autant qu'il était réputé si douloureux qu'il ne fallait pas en abuser. Mais l'effet est d'aboutir à une scène située d'ailleurs en plein milieu, durant laquelle lentement, une jeune femme effarouchée n'en revenant pas de sa propre audace lui arrachait son masque, et... le regrettait aussitôt. Regardez le film...
Bien que pas forcément extraordinaire, voire parfois médiocre dans son interprétation, ce film est l'un des plus célèbres films muets Américains, l'un des plus répandus aussi. C'est que la somme de ses qualités est finalement plus importante que ses défauts. Et puis le choix de se reposer, même partiellement, sur l'esprit feuilletoniste de Leroux, a porté ses fruits: le mystère passe, s'installe et demeure grâce à de merveilleuses scènes de pièges, de relents de tortures, de catacombes, de jeunes petits rats qui se font peur en faisant des pirouettes... tout cela a un goût de plaisirs coupables, qui sont la base d'un genre, dont tant de films importants sont ensuite sortis...
Dans la confusion qui entoure les circonstances du renvoi de Stroheim de la Universal, les commentateurs ont beaucoup fantasmé. Il est vrai que les épisodes du feuilleton sont plutôt rocambolesques; le premier coup fut l’arrêt décidé par Thalberg du tournage de Foolish Wives afin de reprendre le contrôle de la production. Pour Stroheim, c’était une déclaration de guerre, mais il a sans doute cru à sa bonne étoile, ou à la protection de Carl Laemmle, donc pour sa production suivante, The merry-go-round, il n’a rien changé à sa manière, a même accentué ce que ses producteurs considéraient comme des idiosyncrasies, et n’a pas vu le coup venir, ou n’a pas voulu l’admettre: après la prise en charge de la censure par les studios eux-mêmes, il ne pouvait plus se permettre les mêmes licences qu’avant, et Thalberg, bien décidé à superviser la production, s’est bien vite arraché les cheveux devant la lenteur du tournage, due au soin maniaque apporté par Stroheim à chaque détail, et le nombre de plus en plus grand de prises pour chaque plan, aussi insignifiant soit-il. Il y a du Stroheim (Et du Curtiz aussi) dans ce réalisateur auquel s’oppose Kirk Douglas dans The bad and the beautiful… Le résultat de tous ces évènements fut le renvoi, au tiers seulement du film, de l’auteur-réalisateur, et son remplacement par Rupert Julian. Si le renvoi est une insulte à l’artiste, le remplacement par Julian ressemble à un camouflet au public, tant les deux hommes étaient opposés, en terme de talent, comme en terme de comportement.
Ce renvoi spectaculaire ne fait qu’inaugurer une pratique qui sera courante dans les années 20, 30, 40, typique du mode de fonctionnement des studios. Si cette particulière instance est si souvent commentée, c’est aussi en raison du lien entre Stroheim et ses films : auteur, metteur en scène et inspirateur de The merry-go-round, Stroheim ne pouvait pas penser être un modeste employé d’une grande structure, il était un artiste. Il serait vain de prétendre que Thalberg a utilisé l’anecdote afin d’asseoir son pouvoir, il est plus sur qu’il ait été simplement excédé par les excès du metteur en scène. Mais l’affaire servira de jurisprudence, notamment à la MGM dans les décennies qui suivront: d’autres renvois célèbres, de Sternberg, Hawks, Borzage, Christensen, Stiller, Buchowetzki ou même Cedric Gibbons en font foi. Le renvoi fut pour les acteurs et techniciens amis de Stroheim l’occasion de montrer leur loyauté: Julian a du à son arrivée trouver un remplaçant pour Wallace Beery qui démissionna dès l’annonce du renvoi de Von, il eut aussi à faire face à une fronde et une grogne systématique des techniciens durant l’ensemble du tournage, et fut accueilli par l'acteur Norman Kerry, en pleurs, qui sans le regarder s’écroula en disant: «Oh, comme j’aimais cet homme». Il ne parlait ans doute pas de l’immortel auteur de The kaiser, beast of Berlin.
La Universal a donc pu montrer The Merry-go-round, de Rupert Julian, dont de nombreux critiques ont relevé les prouesses de mise en scène. Il a eu un grand succès, et Norman Kerry et Mary Philbin sont devenus des stars, certes de moyenne grandeur, mais appréciés.
Le scénario prévu par Stroheim était axé sur une exploration mélodramatique de l’Autriche de 1910 à 1918, pour montrer le tournant opéré sur les conventions sociales et les hiérarchies par la première guerre mondiale, permettant une nouvelle fois à l’auteur de créer la vision d’un monde malade de ses propres perversions et suffoquant sous le poids de ses conventions. Comme révélateur, Stroheim a choisi de s’intéresser à l’amour d’un aristocrate, Franzi, interprété par Norman Kerry, et d’une roturière, la foraine Mary Philbin, alors débutante. Les étapes du film l’amenaient à traiter son histoire, strictement chronologiquement, d’une façon feuilletonesque, en montrant progressivement l’évolution des sentiments des personnages. Il reste des bons moments, surtout dans la première heure qui est riche en scène réalisées par Stroheim. Les moments les plus crus (Une orgie humide - au champagne - chez la mère maquerelle interprétée par Maude George) et les plus ritualisés (Le réveil de l’officier, son bain, son habillage) portent sa marque, et Stroheim a placé ses pions: Dale Fuller, Maude George et Cesare Gravina reviennent, et un nouveau venu va faire partie de sa stock-company: Sydney Bracy, qui sera le plus souvent cantonné au rôle d’ordonnance : on le reverra donc dans The Merry Widow, et dans the Wedding March. Le film devrait souffrir d’un cruel manque de cohésion, mais passe assez bien la rampe aujourd’hui, sachant que le fonds de l’intrigue a été respecté. Mais la plupart des scènes de foire sont ratées (Je n’ai pas dit « foirées », restons sérieux), tournées manifestement après que Julian ait remplacé Beery par George Siegmann. Celui-ci n’est pas mauvais du tout, mais la mise en scène manque d’imagination. La scène du meurtre de Siegmann par un orang-outang est nulle. Bref, les occasions de briller manquent à Julian, à moins que ce ne soit le talent. La morale du film, l’abandon du titre de comte par Kerry afin de se marier avec Philbin, sert néanmoins le propos du véritable auteur, même s’il n’en a jamais tourné la fin lui-même. D'ailleurs, à l’issue de ce tournage, Stroheim, qui pouvait par contrat prétendre à une citation au générique, a refusé d’être associé au film. Il était très occupé à préparer son prochain film, et malgré son renvoi, probablement gonflé à bloc : on allait voir ce qu’on allait voir !