
Bien que la plupart du temps, c'est à Rosita de Lubitsch qu'on pense quand il s'agit d'aborder un tournant dans la carrière de Mary Pickford, le fait est que la star n'a jamais cessé d'expérimenter avec son métier d'actrice, conservant parfois, mais pas toujours, son joker: des rôles de petite fille ou de jeune adolescente, riche ou pauvre selon le script, dans des contes de fées: des rôles qui lui ont assuré une sorte d'ancrage auprès du public. Mais que ce soit dans ses films avec Cecil B. DeMille en 1917, ou dans Pride of the Clan de Maurice Tourneur, dans Rosita déjà mentionné, ou dans Sparrows, Mary Pickford s'est remise en jeu et a pris des risques. Et il y a My best girl, qui lui ne ressemble définitivement à aucun autre, et est un film formidable...
Déjà My best girl vient dans une continuité heureuse: après Little Annie Rooney (1925) et Sparrows (1926), tous les deux réalisés par William Beaudine sous l'oeil attentif de Jack et Mary Pickford, deux longs métrages qui ont placé la barre très haut. Ensuite, l'idée pour Pickford était clairement de mettre l'accent sur la comédie, en engageant le metteur en scène Sam Taylor remarqué pour sa participation aux films d'Harold Lloyd, et passé en freelance depuis, avec un excellent long métrage MGM au ton unique, Exit Smiling, dans lequel la vedette masculine aux côtés de la comédienne Beatrice Lillie, était justement Jack, le petit frère de Mary Pickford... Par ailleurs, les acteurs convoqués ici sont souvent de solides comédiens, et on reconnaîtra d'ailleurs Lucien Littlefield et Mack Swain, entre autres... Parmi les crédits du film, on notera la présence de Clarence Hannecke, un ancien de chez Hal Roach qui travaillait comme assistant du réalisateur Stan Laurel, et ici, il est "assistant à la comédie"... L'introduction du personnage de Mary Pickford dans ce film, vue par ses jambes, et dont on devine qu'elle a du mal à avancer car elle sème des casseroles sur son chemin (un plan ensuite nous confirme qu'elle en porte une vingtaine) est totalement dans l'esprit des gags introductifs des films de Lloyd, tout en permettant à Mary Pickford de donner libre cours à son talent corporel: elle joue un rôle avec les jambes et est aisément reconnaissable sans qu'on voie son visage. D'une manière générale, le film la situe d'ailleurs cinq à six années plus âgée que ses rôles habituels, avec certes des préoccupations sentimentales, mais celles-ci sont adultes: fonder une famille, vivre heureuse auprès d'un époux.
Maggie Johnson (Mary Pickford) est une modeste employée d'un magasin, qui accueille un nouvel employé, Joe Grant (Charles Buddy Rogers). Mais on apprend très vite que son vrai nom est Merrill, et qu'il vient en réalité pour travailler incognito et faire ses preuves dans l'un des magasins qui ont fait la fortune de son père (Hobart Bosworth). Le jeune homme, en effet, s'apprête à voler de ses propres ailes, quand il aura épousé la richissime Millicent (Avonne Taylor), qui plaît tant à sa maman... Et bien sûr, si "Joe Merrill" est inaccessible pour elle, Maggie tombe très vite amoureuse de "Joe Grant". Et... c'est réciproque.
Le film est intégralement situé en ville, et laisse la part belle à une comédie de situation généralement placée dans le monde du travail (le magasin où Joe et Maggie recréent une sorte d'univers à part), le cocon familial (celui des Johnson, une famille pittoresque qui contraste avec le monde policé et formellement ennuyeux, donc totalement privé de comédie, des Merrill); le suspense lié à la situation sentimentale est intéressant, et permet bien sûr une observation de tous les instants, des différences sociales entre les deux familles, qui culminent dans des scènes de rapprochement: Joe a réussi à attirer Maggie chez lui, sans qu'elle sache qui il est exactement, et le rapprochement est vécu de façon totalement différente par les personnages. Par contraste, Taylor joue la carte de la comédie pour la rencontre entre Joe et la famille de Maggie: au tribunal, sous les yeux éberlués du juge Mack Swain, Joe découvre les farfelus avec lesquels sa petite amie vit...
Mais la ville, c'est aussi une comédie urbaine que Taylor connaît bien pour l'avoir pratiquée avec Harold Lloyd, en particulier dans Safety Last. My best girl se repose beaucoup sur ce type de poésie, et nous montre des scènes tournées dans les rues au début du film (au cours desquelles Maggie et Joe entament un flirt inattendu autour d'un parcours en camionnette), puis un plan-séquence qui nous montre les deux amoureux comme seuls au monde dans une rue bondée à la circulation intense (c'était l'année de Sunrise de Murnau, et Lonesome de Paul Fejos allait venir quelques mois plus tard)... Tel un clochard (Nigel De Brulier) qui assiste avec tendresse à l'éclosion de l'amour chez les deux protagonistes du film, Sam Taylor cherche donc à placer ses personnages dans un contexte urbain qui est totalement en synchronisation avec le jazz age. D'ailleurs, dans quel autre film verrait-on Mary Pickford dire, via un intertitre, "I'm a red hot mamma", une cigarette au bec?
Voilà, je ne sais pas si c'est le meilleur film de Mary Pickford, et à ce niveau d'excellence, il n'y pas lieu de se mettre en quatre pour effectuer un classement. Mais ce film d'une année magique est une merveille de justesse, qui ne vous lâchera pas durant ses huit bobines...



