Une jeune Américaine se rend en Angleterre pour visiter la famille, parfaitement déterminée à montrer par un tempérament totalement désagréable à quel point elle est décidée à s'ennuyer. Mais elle se laisse vite aller à la douce vie de ses cousins, dont la mère diplomate n'a plus le temps de s'occuper. Et surtout il y a son cousin Eddie... Mais à l'extérieur, les choses se précipitent, le terrorisme fasciste se manifeste, et la guerre éclate.
Saoirse Ronan habite totalement son personnage d'Américaine paumée qui fait le bon choix (Rester en Angleterre) au mauvais moment (C'est l'état d'urgence, et les militaires se comportent comme des militaires, soit ils régentent, brutalisent et massacrent). Elle y est admirable, et le film, fait d'urgence post-apocalyptique matinée de poésie bucolique (Si, si...), est de ceux qui vous restent longtemps dans la tête. Et pourtant ce n'était pas gagné: trois films en un, réellement; un conte de science-fiction noir, très réussi. Une histoire d'exaltation amoureuse adolescente, ce qui peut tout donner y compris le pire. Et un conte philosophique qui prend acte du rite de passage très particulier qui va changer Daisy en une femme.
Et le film ne prend surtout pas de gants, n'invente pas de raisons ni d'excuse à la violence, ne rationalise pas à outrance... Et on y tue des chiens et des enfants. Pas de gants, je vous dis, dans ce conte d'anticipation en noir et rose...
Déja auteur de trois longs pour le cinéma (Et de trois suites pour la télé, le monsieur a du métier), une adaptation de Jane Austen (Pride and prejudice), un beau mélo en costume (Atonement) bien dans la ligne de son maitre David Lean, un mélo contemporain (The soloist) plus gauche (Et américain), le Britannique Joe Wright s'attaque au film d'action, en poussant la stylisation au maximum. Le résultat est intrigant, ressemble beaucoup à un rêve, et doit tout son punch à une actrice en état de grâce, la jeune Irlandaise Saoirse Ronan, déja vue dans Atonement, mais surtout dans le magnifique The lovely Bones de Peter Jackson.
Esthétique... Mais surtout féministe: il y est question, sans pousser trop loin le bouchon de l'explication puisque Wright a décidé de se passer de trop en dire, de fécondation expérimentale de super-soldats, mais sans qu'un quelconque rôle de géniteur soit évoqué. Et Hanna est justement un super-soldat féminin, frustrée toute sa jeunesse d'avoir grandi sans sa mère, et qui a soif de parcourir le vaste monde, en distribuant moult bourre-pifs sur tout ce qui bouge, en particulier quand ça porte des coucougnettes. Après n'avoir développé qu'une seule amitié, avec une jeune fille (Les débats existent pour déterminer si le baiser qu'elle s'échange est lesbien, ou juste un simple bisou d'amitié, au passage), elle finit par se trouver face à son ennemie, incarnée par Cate Blanchett. Les deux femmes, avant d'en venir à leur confrontation finale, ont fait le vide autour d'elles...
L'ironie de la situation est soulignée avec un certain tact par Wright, qui s'amuse beaucoup à faire se correspondre un début en forme d'énigme (Une jeune fille, en peaux de bêtes, chasse le chevreuil par moins 80° dans la toundra, décoche une flèche avant d'achever la bête... avec un automatique) et une fin digne du film noir: lieux sur-connotés (Berlin, un parc d'attractions, etc...), et un choix gonflé: il stoppe le film avant une résolution du personnage principal; Hanna n'appartient qu'à elle-même, pas au public... Quels que soient les défauts occasionnels du film (Musique électronique envahissante, montgane tape-à-l'oeil parfois redondant), ses qualités et son actrice principale (Elle ira loin) emportent l'adhésion. La mienne, du moins...
Aboutir, parvenir à quelque chose, laisser une empreinte: le but de tout humain? Si on en croit les meilleures histoires, oui. C'est l'un des grands enjeux du cinéma de Wes Anderson, comme en témoignent les égarements des personnages de Bottle Rocket, privés de direction, de but, de motivation enfin. Steve Zissou (The life aquatic with...) est en crise parce qu'il n'a abouti à rien, que son monde s'écroule, et qu'il a besoin à nouveau de croire qu'il est une source d'inspiration. Moonrise Kingdom nous montre un micro-univers en proie à une crise de direction là encore, avec ses parents déboussolés, son autorité mise à mal (Bruce Willis, mais aussi Edward Norton)... Enfin, le père de famille de The Royal Tenenbaums souhaite revenir dans la vie de ses enfants avant qu'il ne soit trop tard. A chaque fois, ces histoires sont enjolivées, enluminées par une esthétique envoûtante, calibrée et réglée au quart de poil dans un souci maniaque de tout contrôler... Et l'histoire se pare de la beauté irréelle et multicolore de la féérie. Donc The Grand Budapest Hotel ne dépare pas, au contraire: il est une affirmation toute-puissante de cette esthétique, et de cette thématique, un film superlativement réussi, dans lequel tout l'univers de Wes Anderson se retrouve encapsulé.
La narration adopte une structure familière à ceux qui auront vu le fameux film Le manuscrit trouvé à Saragosse (1965), de Wojciech Has et ses poupées russes: un narrateur raconte qu'un narrateur raconte que... Mais cette superposition ne sert essentiellement que dans le premier quart d'heure, le temps d'installer convenablement le récit dans le monde de la légende. Un auteur de la république (Fictive) de Zubrowska, maintenant décédé, est 'visité' (Du moins sa statue) par une admiratrice, qui sort d'un sac un des livres de l'écrivain, The Grand Budapest Hotel, et se met à le lire. S'ensuit un flash-back, de l'auteur vieillissant contant ses souvenirs. Puis on assiste à une scène, l'auteur jeune (Jude Law) se rend en effet au "Grand Budapest Hotel", en Zubrowka, un palace improbable juché sur une montagne, désormais vide de tout client ou presque. L'écrivain rencontre le mystérieux M. Zero Mustafa (F. Murray Abraham), le propriétaire des lieux. Il lui raconte comment il a été amené à hériter de l'hôtel, grâce à son amitié avec le concierge Gustave H., en poste au Grand Budapest lorsqu'il était un jeune aspirant groom. Et à ce moment, le format de l'image, qui oscillait entre du 1:77:1 (Le prologue autour de la statue) et un format d'écran plus large proche du cinémascope (La rencontre de l'auteur jeune avec M. Mustafa), se stabilise en 1:33:1, à la façon des années 30. On est, après tout, et ce pour l'essentiel de l'intrigue, en 1932. Le Grand Budapest Hotel, en attente de moments troublés (Une guerre fictive menace le pays inventé), est déjà un reflet surranné d'une glorieuse époque disparue, et M. Gustave (Ralph Fiennes) est l'âme même de l'établissement. Il connait chaque ficelle de l'hôtel, chaque recoin de l'établissement, et d'une certaine façon règne. Il reçoit le jeune Zero Mustafa (Tony Revolori), réfugié d'un autre pays (Fictif) du proche orient, en guerre. Il souhaite devenir "Lobby Boy", et M. Gustave va être son mentor. Mais un mentor qui a du pain sur la planche: le concierge, qui a l'habitude de coucher avec toutes les clientes fortunées, vieilles et esseulées, est en effet nommé sur le testament de Mme Céline Villeneuve Desgoffe und Taxis (Tilda Swinton), qui vient d'être assassinée. Gustave hérite d'une oeuvre d'art inestimable. Non seulement est-il le principal suspect du meurtre, il est désormais l'ennemi juré du fils de la défunte, Dmitri (Adrien Brody), et de son homme de main, le brutal, laconique et mystérieux Jolping (Willem Dafoe). Aidé de Zero et de sa petite amie Agatha (Saoirse Ronan), pâtissière à l'accent Irlandais, M. Gustave joue sa vie, sa réputation, et celle de l'établissement auquel il a consacré sa vie.
Les personnages, fidèles à l'environnement du metteur en scène, sont un mélange savant de caractérisation extrême, avec le sens du cliché monté en épingle qu'on connaît à Anderson (A ce titre, les interventions d'Edward Norton en policier 'qui ne fait que son devoir' sont savoureuses, tout comme celles de Jeff Goldblum en avocat victime des évènements), et de transgression. Dans cet univers à la Tintin, Ralph Fiennes en particulier a un talent exceptionnel pour proférer sans se départir de son flegme et de sa classe naturelle des horreurs révélatrices de ses relations privilégiées avec ses clientes... C'est que rien ne va plus dans le beau monde du Grand Budapest Hotel ou tout est si propre, en ordre, et symétrique (On connaît les habitudes de composition de Wes Anderson, et dans cet univers à la Lubitsch, qui plus est avec ce format plus carré que ses autres films, il s'en donne à coeur joie). La guerre, donc, menace, et les habitudes policées, les manières douces, n'ont plus cours. Les policiers, en marge de l'aventure rocambolesque de M. Gustave et Zero Mustafa, ont d'ailleurs tendance à se comporter en véritables rustres, à l'imitation sans doute de leurs voisins plus ou moins lointains des pays fascistes, dès qu'ils ont entre leurs mains, le 'lobby boy' d'une autre couleur... Ce qui fait à chaque fois voir rouge à M. Gustave. Une fois de plus, Anderson se sert à merveille de l'uniforme, qui a comme toujours un rôle à la fois de caractérisation facile et répétée, chaque personnage habitant son propre uniforme (Et M. Gustave passe de celui de Concierge à celui de prisonnier, puis à celui de moine, et enfin à celui de pâtissier!), mais l'uniforme est aussi un cadre dans lequel s'amuser, comme ces allées rangées si propres et ces couloirs d'hôtel si géométriquement harmonieux.
Le jeu sur le cadre renvoie, comme je le signalais, à Lubitsch et ses opérettes de 1929-1932, situées immanquablement dans des pays inventés pour l'occasion. C'est vrai que l'atmosphère 'Mitteleuropa' comme on disait alors convient à merveille à Anderson, avec son monde recréé de façon polie, mais comme chez Lubitsch, la gravité est partout. Derrière cette histoire délirante, la mort rôde, sous les traits certes caricaturaux de Willem Dafoe (Qui reprendrait presque son rôle d'un autre film de Anderson, le film d'animation Fantastic Mr Fox, s'il n'avait été dans ce dernier remplacé par une marionnette de rat!) et son pur visage de tueur. Il n'en reste pas moins que le tueur en question est très efficace, comme en témoignent les quelques intrusions de Wes Anderson dans l'horreur graphique: doigts coupés, personnage décapité... La mort, souvent présente dans ses films, prend cette fois une allure beaucoup plus tangible, provoquant de fait des sursauts de la part du public. Ce n'est pourtant pas si déstabilisant, les scènes de violence restant confinées dans le cadre ultra-maîtrisé du metteur en scène. Mais c'est un moyen comme un autre de rappeler que sur la route qui mène à la vieillesse, les embûches ne manquent pas. Et là ou le film précédent contait une aventure donnée dans un temps limité en quelques jours d'un lointain passé, The Grand Budapest Hotel est marqué dès le départ du sceau du temps révolu. On est devant une histoire qui s'est déroulée il y a longtemps, contée par un protagoniste probablement décédé, à un auteur désormais statufié, donc probablement mort, à propos d'un hôtel certainement détruit dans un pays qui n'existe plus... On est donc en pleine légende, au sens westernien du terme (Selon John Ford, bien entendu), d'où le recours attendri à un grand nombre de coups de théâtre, à une évasion spectaculaire (Et hilarante), menée par Harvey Keitel, à une poursuite à skis... et lors d'une scène, une seule, mais très importante, à du noir et blanc qui finit par cristalliser cette impression d'assister à un film des temps héroïques du cinéma. Et au passage, Anderson (Qui signe seul le script du film, une première) décoche une allusion gourmande à Michael Powell et son Colonel Blimp, lorsqu'il est annoncé que 'la guerre a commencé à Minuit' (il y a aussi une allusion fort subtile à un autre chef d'oeuvre de Powell, The red shoes, qu'il faut s'amuser à découvrir)...
Tout ce petit théâtre codifié, réglé au quart de poil, n'est pas que le refus d'un monde dépeint tel qu'il est, que la création idiosyncratique d'un monde impossible et maniaque comme on le dit parfois des films si impeccables de l'auteur de The Darjeeling Limited. Souvent situés dans des lieux surcodés qui font d'excellents titres (Moonrise Kingdom, Rushmore, Hotel Chevalier, The darjeeling Limited), ses films sont aussi et surtout des parfaites métaphores du parcours accidentés d'un être humain. Et cette fois plus que jamais, dans cette histoire ou un homme réussit à aboutir à un but qu'il osait à peine se fixer dans ses rêves les plus fous, la conclusion douce-amère du film permet de toucher à l'humanité, au sens large: The Grand Budapest Hotel est non seulement un chef d'oeuvre, c'est aussi le film le plus chaleureux que j'ai vu depuis longtemps.
Pour son troisième et dernier film de la décennie, le premier qui soit de dimensions presque modeste, Peter Jackson a reçu une volée de bois vert de la critique, et en Europe le verdict du public a été simple: personne n'a été voir ce film. Pour une fois, les Américains ont été plus courageux, le film y ayant été un relatif succès en dépit d'une sortie confidentielle. C'est que depuis Lord of the rings et King Kong, Jackson n'est pas n'importe qui, mais avec ce petit film (toutes proportions gardées), il fait son Spielberg, alternant les grands projets fédérateurs avec un film plus intimiste et bricolo. Soyons francs: oui, ce film est en apparence bricolé, inachevé, mal fichu, à la narration qui part dans tous les sens, et il n'est pas dans la même catégorie, grand public que King Kong ou Lord of the rings; mais si on se réfère à d'autres films, et notamment à The frighteners, la comédie de fantômes avec Michael J. Fox, ou le splendide Heavenly creatures, on se rend vite compte que Jackson ne se renie pas, au contraire, il revient à ses premières amours: essayer d'adapter un imaginaire gothique, mortuaire et chamarré pour le grand public, marier la poésie étrange de son imagination malade et fertile, et le clinquant d'un cinéma de grande consommation. Et de fait le film est attachant, indicible, plein de zones d'ombre qui nous donnent envie d'y retourner. Bref, c'est son meilleur film, tout bonnement.
L'histoire de cette adaptation d'un roman de 2000 concerne une adolescente (Saoirse Ronan) d'une petite communauté Américaine, en Pennsylvanie, qui se fait assassiner à un moment crucial de sa vie, par un voisin abject (Stanley Tucci) qui n'en est pas à son coup d'essai. Bien que le film ait été vendu par les bande-annonces comme un thriller à énigme (le père, Mark Wahlberg, comprendra-t-il les messages envoyés depuis l'au-delà par sa fille, et se vengera-t-il à temps sur l'horrible monstre?), l'essentiel du film est consacré au deuil, aussi bien celui de la famille, le père et la mère (Rachel Weisz) réagissant de façon diamétralement opposées, que celui de la fille elle-même, arrivée dans un purgatoire ou elle va apprendre à ne plus regarder avec envie le monde qu'elle a quitté. Il va lui falloir accepter, mais aussi trouver une opportunité, par le biais d'un personnage de médium, de satisfaire sa plus grande frustration: elle est morte deux jours avant un rendez-vous crucial pour sa vie amoureuse, et son premier (et dernier) baiser a été interrompu trop tôt...
Les pièges de ce film, nommément la tentation du thriller, avec résolution de la vengeance, ou encore le fait de prendre parti pour une punition radicale, oeil pour oeil, sont évités, Jackson les écartant sagement, mais aussi courageusement, puisque le film ne trouve de résolution que dans une dimension philosophique: accepter la mort, la sienne ou celle d'un autre, voilà le seul enjeu proposé au final. Le monstrueux humain qui a commis le meurtre, joué avec génie par Stanley Tucci, trouvera pour sa part un destin à sa mesure, mais aucune humanité n'aura trempé dans sa mort: ouf. On évite le spectre hideux de la peine de mort, qui hante un peu trop facilement les films ou il est question du meurtre d'un enfant... Plutôt que de justice, Jackson, en obsédé du cinéma, multiplie les références à l'imagerie, et les liens ténus qu'elle fait entretenir entre les êtres, par-delà la mort: films, photos, gravures, dessins... Ici, le monde dans lequel évolue le "fantôme" de Susie (Epoustouflante Saoirse Ronan) est un monde de cinéma, bigarré, ou tous les signes ont leur importance. Bref, c'est un peu un film...
L'exceptionnel don graphique de Jackson est mis en valeur par la beauté hallucinante des visions du purgatoire, à mi-chemin entre l'enfance et l'adolescence, normal: c'est un purgatoire adapté pour une fille de quatorze ans. Les images trahissent les paysages toujours aussi beaux et grandioses de la chère Nouvelle-Zélande, dont on sait que Jackson n'aime pas la quitter... Mais le monde de 1973, splendidement rendu, nous renvoie un peu à la réussite plastique de The ice storm, de Ang Lee.
En dépit du sujet, ô combien lourd de ce film, Jackson réussit aussi à y glisser de l'humour, par le biais d'une grand-mère nicotinomane et alcoolique (Susan Sarandon) qui fait un ménage absolument inefficace au son d'un classique des Hollies (Long cool woman in a black dress, histoire de me trouver d'autres arguments de satisfaction); on y verra aussi un barbu qui essaie une caméra dans un magasin... Déja vu quelque part, le barbu en question: il conduit l'un des avions à la fin de King Kong, croise Michael J. Fox dans The frighteners, et il fait partie des armes de Saroumane dans Lord of the rings. En tout cas, Jackson a bien raison de signer son film de sa présence: avec ses êtres obsessionnels, collectionneurs, dotés de hobbies envahissants (le père comme le meurtrier, d'ailleurs), et de dons paranormaux, on rejoint ici le monde étrange du chasseur de fantômes de Frighteners, du Carl Denham de King Kong, du Colin McKenzie de Forgotten silver, des deux jeunes "heavenly creatures" , du frodo de Lord of the rings, voire de Peter Jackson: des êtres exceptionnels, à part, inadaptés, sur lesquels le destin s'acharne éventuellement, mais qui vont au bout de leur trajectoire. Tant pis pour les conséquences, et tant pis si le film n'est pas suivi par le public.