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22 octobre 2018 1 22 /10 /octobre /2018 08:17

Dans un geste pas éloigné de son séjour à Okinawa pour y tourner en plein soleil Profonds désirs des dieux, Imamura a eu carte blanche pour tourner dans des montagnes reculées, recréant au passage un village austère, dans lequel son équipe a vécu un tournage sur une année (quatre séjours prolongés, un par saison), qui fut certainement difficile. 

Dans un village, il y a deux cents ans, on survit à flanc de montagnes. Les saisons se passent, et montrent comment la petite communauté affronte la vie, entre des naissances plus ou moins désirées, et des décès qui sont souvent accompagnés: une loi dans le village impose en effet d'amener les septuagénaires en montagne afin qu'ils y meurent, permettant aux vivants d'avoir une bouche de moins à nourrir...

L'histoire s'inspire de deux contes de Schiziro Fukazawa: la plus célèbre, La ballade de Narayama, avait déjà été adaptée en 1958 par Keinosuke Kinoshita; mais Imamura avait besoin de plus de substance pour son propre film, dont il voulait qu'il montre un choc entre le conte philosophique et la peinture pittoresque d'une humanité en proie aux rigueurs de la nature, non pas face à la mort mais bien face à la vie, pour ne pas dire la survie. Les codes qui régissent le village, en effet, ne se bornent pas à cet arrêt imposé de vivre au delà de 70 ans, assorti d'un sacrifice qui rend la vieillesse doublement pénible. On voit en vigueur dans le village, des règles absurdes et effrayantes: les filles nouvelles nées vendues près quelques mois, pour faire un peu d'argent le deuxième frère de chaque maison interdit de mariage et donc d'une vie sexuelle, ou encore ce qui arrive à une famille prise en flagrant délit de vol: dépossédé, puis exterminée sans aucune pitié par tout le village... 

Tout le film est en fait situé en pleine nature, non seulement par le choix d'un tournage sans confort à même la montagne, mais aussi par le choix de Shohei Imamura de filmer les animaux, témoins muets de toutes les aventures, mésaventures, joies, peines, et bien sûr ébats (le film n'élude pas la sexualité joyeuse et débridée de tous ces gens, et nous montre un rare exemple de rapport entre un homme et... un chien, défenseur des animaux, soyez prévenus!): les animaux bien sûr (Grenouilles, hiboux, petits oiseaux, et des serpents à ne plus savoir qu'en faire) ne nous jugent pas, mais il est évident qu'ils nous regardent nous débattre avec notre humanité.

Derrière l'extraordinaire vitalité montrée par les acteurs dans un village qui semble vrai parce qu'il l'est (toutes les baraques sont, disons, aussi "fonctionnelles" qu'elles l'auraient été au XVIIe siècle, puisqu'elles sont devenues pour les besoins du tournage d'authentiques lieux de vie), derrière la bonne humeur parfois paradoxale manifestée en particulier lors du premier tiers, l'anthropologue Imamura fait peser le sens de son oeuvre dans les dernières scènes, celles qui voient le fils (Ken Ogata) accompagner sa mère (Sumi Sakamoto) vers la montagne où il va la laisser mourir. Entre les deux, un conflit séculaire est en train de se jouer, car c'est la mère qui a voulu et insisté pour partir. Comme son père trente années avant lui, Tastuhei ne veut pas, mais il s'exécute. Et toute l'humanité est résumée entre ce fils et cette mère, entre celui qui souffre de devoir tuer sa mère, et celle qui se sacrifie et donne ainsi un sens à sa vie. C'est bouleversant, comme l'est du début à la fin l'actrice, qui a donné au-delà de toute espérance pour ce beau film: elle a sacrifié ses dents...

 

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Published by François Massarelli - dans Shohei Imamura
14 décembre 2016 3 14 /12 /décembre /2016 18:41

Je suis partagé devant ce vaste film (150 minute) qui raconte avec la cruauté habituelle de Shohei Imamura le parcours d'une jeune femme qui n'a rien à elle: abandonnée par sa mère, engrossée par son patron, mariée de fait parce qu'il faut bien, et même son fils ne l'appelle pas forcément Maman, mais Sadako, et la traire comme une bonne... Un jour qu'elle est seule, elle est violée par un étudient de passage, qui ne va pas tarder à s'installer dans sa vie, car il sait que sa venue n'a pas été si dramatique pour elle... Entre les révélations d'une vie minable, les coucheries de son mari avec une collègue de travail, et les visites toujours surprises de son amant paradoxal, Sadako semble ne pas progresser des masses...

Et c'est bien ça qui me dérange, derrière ce film d'une infinie noirceur, on devine un auteur surtout soucieux de pousser le bouchon de la censure dans le cadre compliqué et compartimenté du cinéma Japonais. Et les audaces sont nombreuses, mais le film n'en est pas folichon pour autant...

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Published by François Massarelli - dans Shohei Imamura
4 septembre 2016 7 04 /09 /septembre /2016 20:30

6 août 1945, à Hiroshima, Shigematsu Shizuma (Kazuo Kitamura) et son épouse (Etsuko Ishihara) attendent avec une certaine impatience l'arrivée de leur nièce Yasuko (Yoshiko Tanaka). L'histoire familiale est bien compliquée, il a été jugé plus intéressant qu'elle vive chez eux pour le moment... Alors qu'ils attendent, un souffle impressionnant balaie l'oncle et la tante, et détruit tout autour d'eux. Pendant ce temps, sur un petit bateau, Yasuko et d'autres observent un phénomène qu'ils n'ont jamais vu, un champignon atomique, et quelques instants plus tard il pleut. Mais c'est une pluie noire, sale et collante... Quelques années plus tard, l'oncle et la tante, qui ont survécu (mais pour combien de temps?), ont bien du souci pour marier Yasuko, dont la rumeur persiste à dire qu'elle ne peut avoir échappé aux radiations... Quant à elle, elle a des doutes sur son avenir...

Ce beau film n'est pas une chronique des années d'après guerre, c'est beaucoup plus un entrecroisement de deux périodes finalement assez distinctes, celle qui suit immédiatement le bombardement, et celle située cinq années après alors que les uns après les autres, les doutes sur l'avenir finissent par l'emporter sur l'optimisme de la famille Shizuma. C'est un portrait du Japon d'après-guerre et de ses fantômes, parmi lesquels tous ces gens mutilés, calcinés, entremêlés dans une boue horrifique, qu'on aperçoit dans les séquences situées le 06 août. Mais d'autres fantômes sont là, aussi; ceux des victimes plus récentes, qui rappellent que tous ceux qui ont survécu sont en sursis, et que l'espoir de chacun est bien mince; celui de la mère de Yasuko, rendue plus vivace par le fait que la grand-mère gâteuse les confond; et celui de la guerre, incarné par le voisin qui a perdu une partie de sa tête lors des combats, et devient enragé à chaque fois qu'il entend un moteur. C'est pourtant de lui que Yasuko va se sentir la plus proche, peut-être parce qu'avec lui elle n'a pas besoin de se mentir sur le danger qui la guette...

Imamura a choisi de tourner son film dans un noir et blanc volontiers sale, qui se rapproche des vieux films en 16 mm. L'image de ces collines champêtres 'est pas belle dans ce beau film, car la vie en sursis n'est pas jolie à voir. On reconnait donc le Imamura qui nous peint la détresse humaine du Japon d'après-guerre, rendu à lui-même au prix d'un acte inhumain, dont les séquelles restent inconnues des années plus tard. Les hommes, comme souvent, s'associent aux animaux (Dans sa détresse, Shizuma se passionne pour la régulation de la population de carpe de l'étang d'à côté, préparant l'avenir de ce poisson, et de la pêche, d'une façon absurde puisqu'on se doute bien qu'il n'en profitera pas), voire finissent par leur ressembler: l'ancien soldat rampe, et impose à toutes et à tous de ramper à ses côtés... Et comme toujours, dans cette chronique douce-amère, l'humour a une place importante. Tout ceci confirme l'importance d'un cinéaste et de son merveilleux mais si triste univers...

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Published by François Massarelli - dans Shohei Imamura
4 septembre 2016 7 04 /09 /septembre /2016 09:02

Ce court métrage provient d'une anthologie produite par le Français Alain Brigand, et sortie en 2002: le principe du film est assez simple, il s'agit de laisser carte blanche à 11 réalisateurs pour réagir aux attentats du 11 septembre, mais de leur imposer une durée symbolique. Ainsi, chaque film dure exactement 11 minutes, 9 secondes, plus une image... Autour d'Imamura, on trouve donc un panel international impressionnant, composé entre autre de l'Iranienne Samira Makhmalbaf, de l'Américain Sean Penn, du Français Clade Lelouch, de l'Egyptien Youssef Chahine, etc... ce sera le dernier film d'Imamura, décédé en 2006.

L'histoire est celle d'une famille et de son embarras à la fin de la seconde guerre mondiale: un vétéran, qui s'est donc battu pour le pays et pour l'empereur, a perdu toute humanité au point de se prendre pour un serpent. La famille et les habitants de son village sont partagés entre une certaine compassion due au héros de la guerre, et l'énervement face aux ennuis qu'il apporte: il va jusqu'à mordre, et devient absolument ingérable...

C'est bien un film d'imamura, qui nous rappelle divers éléments de ses films La femme insecte, Profonds désirs des dieux, et La ballade de Narayama: le mélange d'ironie et de tendresse loufoque dans la peinture des populations rurales reculées, l'animalité des humains mise en évidence, et ce mélange de burlesque, de dégoûtant (Un homme qui rampe, un rat dans la bouche: on ne voit pas ça dans tous les films), et de tragédie. Un flash-back nous montre les derniers instants d'humanité du héros, sur un champ de bataille dévasté. Un officier s'en prend à lui, en lui demandant d'aller faire la guerre sainte. Mais... Comme le dit le message final, il n'y a pas de guerre sainte. Mais le message n'est pas univoque, car lors d'une conversation, l'un des protagonistes évoque un événement dont il a entendu parler: les Américains auraient expérimenté une nouvelle bombe, qui mettra fin à la guerre... Ce qui permet à ce court film de renvoyer à un autre long métrage du metteur en scène, le superbe Pluie noire.

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Published by François Massarelli - dans Shohei Imamura
3 janvier 2016 7 03 /01 /janvier /2016 10:28

14 années après le triomphe mérité de La ballade de Narayama, le toujours actif, toujours pétulant Imamura récidive et se paie le luxe, lui qui n'a jamais cessé de taper sur tout ce qui bouge, de se re-faire consacrer par une palme d'or, certes partagée. Et L'anguille est un bien beau film, situé dans un décor qui ne pouvait que motiver l'auteur de quelques classiques provocateurs des années 60: Yamashita (Kôji Yashuko)est sorti de prison, bien décidé à se tenir à l'écart de tout ce qui risque de le faire rechuter: il a tué sa femme qui le trompait, dans une scène graphique terrible, et on s'en doute dominée par le rouge. Donc s'il veut réussir sa libération conditionnelle, la loi exige qu'il ne commette aucun délit, aussi mineur soit-il, mais pour lui ce n'est pas suffisant: il doute de sa capacité à aimer, et à assumer le désir, compte tenu de ce qu'il a fait à la femme qu'il aimait. Dans ce qui est pour l'instant un drame lourd et psychologique, arrive donc Keiko (Misa Shimizu), un petit bout de bonne femme, en fuite (Elle a même tenté de se suicider), mais qui va s'accrocher à Yamashita, qui l'a sauvée de la mort, mais elle va surtout tomber amoureuse de lui, bien qu'elle soit enceinte d'un autre...

Le film tient essentiellement du conte loufoque, mais sous-tendu par une dimension tragique; car le crime du début du film est le chaos qu'il va falloir dépasser pour avancer, et dans le microcosme du film, autour de cette absurde baraque de coiffeur que Yamashita a investi pour sa reconversion, tout le monde semble fonctionner dans le seul but de sauver Yamashita de lui-même: c'est tout un univers qui est montré, dans lequel chaque personnage (Un charpentier, un jeune vaguement voyou qui promène sa voiture de sport partout, un bonze chargé d'accompagner le retour à la liberté de Yamashita, et son épouse, un étudiant obsédé par les extra-terrestres, etc...) semble finalement ne se préoccuper que du bien-être du héros. La seule exception, c'est un ancien taulard, qui lui a choisi de tout faire pour retourner en prison, et qui représente essentiellement la tentation de mal faire pour le héros. Mais la plus visible, c'est bien sur Keiko, qui ressemble un peu à lépouse disparue, et qui est si clairement une chance d'avancer pour Yamashita qu'on lui en voudrait presque d'hésiter... Quant au titre, il se réfère à l'animal que Yamashita a élevé depuis qu'il était en prison, envers lequel il tente de témoigner de tout l'amour et de toute la tendresse dont il se croit capable, et avec lequel il a parfois d'étranges conversations, qui seules lui rendent une certaine joie. Les interprétations de la symbolique de l'animal sont bien sur nombreuses, et toutes les hypothèses sont permises...

Parfois burlesque, même violent, le film déroule sa petite histoire un peu bouffonne, un peu triste, sur près de deux heures durant lesquelles on ne s'ennuie jamais. Imamura, toujours partisan de la sensualité et du bonheur terrestre, tente une fois de plus de s'approcher de la réalité humaine avec les yeux d'un entomologiste un rien fripon... Mais débarrassé de la colère qui était la sienne au début des années 60 (Cochons et cuirassés ou Le pornographe en témoignent), il nous livre un conte apaisé, et, mais oui, plein d'espoir...

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Published by François Massarelli - dans Shohei Imamura