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15 septembre 2021 3 15 /09 /septembre /2021 15:04

Un groupe de policiers New Yorkais de la brigade des stupéfiants ont un mode de fonctionnement qui leur permet des résultats enviables: ils réussissent à occasionner des procès très médiatiques et des vies au-dessus de leurs moyens... Mais ils ont aussi une réputation de corruption qui agace de plus en plus les services de régulation. L'un d'entre eux, Danny Ciello, est approché avec un ultimatum: collaborer avec la police des polices pour démanteler la corruption, ou subir les conséquences de l'opération mains blanches qui s'annonce. Dans un premier temps il réussit à obtenir un semblant d'immunité pour lui et ses copains, mais les aléas des enquêtes, les ambitions des uns et des autres et les changements de personnel dans les services font que la pression devient de plus en plus forte...

Côté pile, c'est un regard sans la moindre concession sur une série de système: aussi bien celui des policiers corrompus, dont le héros, que la machinerie qui va les engloutir, à coup d'enquêtes, de contre-enquêtes, de détecteur de mensonge, et d'interrogatoire psychologiquement musclés. Lumet utilise pour rythmer les étapes de son film des fiches des policiers comme de leurs accusateurs, finissant par faire ressembler tout le monde à des gangsters! Le montage ironise également sur la valse des enquêteurs, grâce à une scène qui nous montre le même bureau, qui devient de mois en mois celui de nouveaux avocats au ton systématiquement différent...

C'est tout un monde qui semble d'ailleurs en venir à sa fin, avec cette enquête qui s'adapte à une nouvelle optique policière, qui va à l'encontre des habitudes des vétérans: graissage de pattes, collaboration illégale entre les services et entretien des informateurs à coup de kilos de drogue! Mais les "vieux de la vieille" s'insurgent, pourtant: ils ont toujours fait comme ça et obtenu des résultats; le suspense final du film repose sur ce qu'il adviendra du héros, incarné par Treat Williams: sera-t-il lui aussi broyé par l'impitoyable machine judiciaire qui s'est mise en branle, ou y échappera t-il? 

Le choix des acteurs, souvent de solides seconds rôles ou des gens peu connus, jouent en la faveur d'un film qui fait repose une bonne part de son naturalisme sur la véracité des actes. Autant dire que Brian de Palma (qui a été débarqué du film) avait tout faut quand il a dit que Treat Williams desservait le film avec son côté monsieur tout-le-monde! Au contraire, c'est un atout. Et sans se situer totalement à l'opposé des opéras de Martin Scorsese (dont il anticipe Goodfellas de huit ans), il propose une musique bien différente, moins opératique, le genre de film ironique dont les menaces sont incarnées à l'écran par des fonctionnaires gris, zélés, intransigeants, mal polis et avec des coudes rapiécés sur leurs vieilles vestes de la dernière mode 1973...

 

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Published by François Massarelli - dans Sidney Lumet Noir
24 mars 2021 3 24 /03 /mars /2021 13:00

Un jeune professeur de sport (Beau Bridges) retourne dans l'institution catholique où il a passé ses années de lycée; il y retrouve Dobbs (Robert Preston), son ancien professeur de littérature qui est incontestablement le plus apprécié des enseignants de l'école, et aussi Jerome Malley (James Mason), le très peu populaire Professeur de latin. Très vite, le jeune enseignant va constater que l'atmosphère de l'établissement, entretenue par des actions étranges et inquiétantes des élèves, est tout sauf apaisée, et s'il arrive avec des préjugés d'ancien élève dans son nouveau métier, il voit que les tensions entre les deux vétérans de l'éducation est largement proportionnelle au ressenti qu'ont les élèves de leurs personnalités respectives...

Le film est adapté d'une pièce, un exercice que Lumet aimait beaucoup contrairement à d'autres metteurs en scène. S'il a choisi d'en réaliser une adaptation à huis-clos, en se gardant de jamais quitter l'établissement, il privilégie les scènes nocturnes, qui lui permettent de sonder l'atmosphère étouffante de l'institution catholique rigoriste. Et l'écueil qu'on attendrait (comme dans les productions télévisuelles espagnoles qui explorent la vie des institutions locales!) est évité soigneusement: le conflit entre rigueur, morale, et vieilles valeurs, d'un côté, et modernité, ouverture d'esprit est vécu par procuration dans le conflit qui se tient entre Dobbs et Malley... Ce qui n'empêche pas la vie au lycée d'être tumultueuse, voire dangereuse pour certains élèves.

Mais la très bonne idée de Lumet est d'avoir chargé le film d'une étouffante ambiance de film d'horreur, à quelques encablures d'un Exorciste qui était d'ailleurs en préparation! Pourtant on ne nomme jamais les choses, contrairement à ce que fait le titre français du film. L'ambiguité qui se dégage de cette apparente lutte entre le bien et le mal, incarnée par un jeune professeur, qui bien entendu ne comprend rien ou presque, passe donc par une vision de l'adolescence, incarnée par des gamins qui n'ont jamais rien de très humain.

Et si sortilèges il y a, on n'en saura pas plus: ce qui compte le plus, c'est cette étrange, fascinante lutte entre deux professeurs pour accompagner l'âme de leurs élève. L'un qui ne clame vouloir que leur bien en leur infligeant en parfait sadique des punitions (sans parler de l'enseignement du latin) et l'autre qui à force de se revendiquer leur copain, finit par devenir un tantinet louche... On ne s'étonnera pas pour finir, que Malley, incarné par l'immense James Mason, soit l'un des personnages les plus emballants du film!

 

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Published by François Massarelli - dans Sidney Lumet
7 mars 2021 7 07 /03 /mars /2021 10:03

Un avocat lessivé, Frank Galvin (Paul Newman) reçoit d'un ami et collègue qui lui veut du bien un tuyau pour se remettre en selle: lui qui est ce qu'il appelle un "ambulance chaser", un avocat réduit à faire la tournée des hôpitaux et des cimetières pour trouver d'éventuels clients, ne devrait avoir aucun scrupule à s'occuper d'une navrante affaire qui traîne en longueur: une jeune femme a subi une anesthésie dans un hôpital prestigieux et n'est jamais sortie du coma. La famille est prête à signer un accord avec les avocats de l'établissement, et Frank recevrait un tiers... Sauf qu'en s'intéressant à l'affaire, ce dernier se rend vite compte qu'il y a eu injustice, et son sens moral se réveille... Durant cette période (il faut faire vite, le procès est dans les dix jours), il fait la rencontre d'une jeune femme qui s'intéresse à lui, Laura (Charlotte Rampling). Une rencontre très opportune...

Un procès, quel merveilleux prétexte pour le cinéma. Ca fédère forcément les spectateurs, le suspense, bien géré, est inévitable, et l'histoire est automatiquement structurée... Pourtant la Fox et Richard Zanuck, le producteur, ont eu les plus grandes difficultés à accepter le script de David Mamet, et pour cause: celui-ci faisait tout peser sur la morale et sur le retour à la vie de l'avocat (qui nous en rappelle un autre, d'ailleurs, celui de Raimu dans Les inconnus dans la maison), au point où il avait décidé de finir le film avant l'énoncé du verdict! Une fois Lumet dans le projet, un verdict, donc une fin satisfaisante pour ces messieurs, s'est vue ajoutée à l'échafaudage... Mais ce n'est pas ce qui a intéressé le plus Lumet, ici.

Non, il a vraiment tout fait peser sur la transformation d'un homme, d'un déchet alcoolique et qui passait le plus clair de ses journées à jouer au flipper, à un homme qui reprend goût à son métier, qui retrouve ce qu'il avait cherché toujours dans la pratique de la justice. Et à travers ce portrait, qui n'est pas spécialement éloigné des conventions, d'ailleurs, Lumet nous montre autre chose: comment derrière les ors et les boiseries de palais de justice plusieurs fois séculaires, se cache un système assez franchement corrompu dans lequel la loi est plus souvent limitée à l'apparence de la justice: à ce titre, James Mason, de toute sa splendeur, joue un avocat de la défense sûr de sa finalité et qui trône sur un panel d'assistants tous plus dévoués les uns que les autres. Une prestation qui est un régal... autour de lui, pourtant, la morale souffre et Lumet n'oublie pas d'opposer les systèmes corrompus, là encore (dont cet hôpital géré par une secte bien connue (située à Rome) et dont les dignitaires semblent avoir oublié les messages fondamentaux de leurs écritures... ) et les braves gens, pions d'un système qu'ils ne peuvent maîtriser (La famille de la victime, à la recherche d'un deuil d'autant plus impossible que la jeune femme n'est pas décédée, un témoin qui a fui pour échapper à la machinerie du mensonge, etc). C'est un film généreux, qui bénéficie d'un savoir-faire qu'on ne présente plus.

La fin est on ne peut plus explicite: dignité retrouvée, Frank voit au loin la femme qui a failli le perdre. Une jeune femme payée par l'adversaire pour lui mettre des bâtons dans les roues, ou une certaine idée de la justice, qui menace tout avocat? Lumet ne répond pas, et fidèle au script, il stoppe le film en pleine course... La poursuite de la vérité, elle, continuera.

 

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Published by François Massarelli - dans Sidney Lumet
26 février 2021 5 26 /02 /février /2021 16:11

1933: huit femmes, amies et soudées, obtiennent en même temps leur diplôme de l'université de New York. Elles font le voeu, par l'intermédiaire de leur porte-parole Helena, qui est également celle de l'ensemble de la "Class 33", de prendre le monde à bras-le-corps, et de s'engager pour l'Amérique, la société, l'avenir... Puis le film, en passant d'une anecdote à l'autre, nous montre comment ce voeu pieux va vite tourner mal...

Dès le départ, on sent dans ce concert (le générique nous montre le groupe d'amies accompagnées dans la bande-son par une chorale) comme un certain souci d'harmonie, et les caractères sont en effet bien différents les uns des autres. Lumet adopte une narration au pas de charge, l'idée étant probablement de rester aussi fidèle que possible aux événements du roman adapté, un best-seller de 1962 écrit par Mary McCarthy, dans une perspective révolutionnaire, et pour cause: la dame est trotskiste! Les huit femmes, d'ailleurs, se présentent au monde, quelle que soit leur origine sociale, avec une croyance commune pour un avenir différent. L'une d'entre elles, Priss, autant par conviction que pour embêter sa famille, pose des affiches pour la National Recovery Association du président Roosevelt, une organisation volontariste qui faisait grincer les dents des Républicains; une autre, Kay, s'affiche en concubinage et dirige des pièces de théâtre, tout en s'abreuvant des bulletins radiophoniques sur la situation en Europe, alors que les fascismes montent. Personne ne l'a encore décelé, mais si Lakey boude pendant le mariage de sa meilleure amie, c'est peut-être parce qu'elle l'aurait bien gardée pour elle. Dottie, la plus pure Bostonienne de la bande (sang bleu et accent à la clé) rêve de pratiquer le sexe hors mariage pour expérimenter elle aussi... 

Toutes ces femmes auront un destin bien différent de celui qu'elles ont cru choisir, mais le film s'attache à les montrer, dans leur différence, leurs erreurs comme leurs réussites, et bien sûr elles seront à la merci des hommes... Parmi eux, un dramaturge raté qui ne supporte pas de vivre aux crochets de son épouse, la trompe puis finit par la battre; un médecin Républicain qui tue sa femme à petit feu en s'obstinant à essayer de lui faire des enfants, puis qui prend une fois que ça a marché l'initiative de monitorer l'allaitement naturel en dépit de l'épuisement de son épouse; un militant socialiste qui couche avec une des amies, parce qu'il pense être séparé... mais en fait il ne l'est pas. Bref, il n'y en a pas beaucoup pour compenser les autres, vous l'avouerez... 

Le film est passionnant, parfait portrait d'une époque à travers le quotidien et les choix, rarement portés à l'écran: avortement, contraception, adultère, concubinage, lesbianisme, orgasme, frigidité, les sujets abordés le sont frontalement, et assez crûment pour l'époque, mais les actrices font passer, si j'ose dire, la pilule d'ne façon remarquable. Le choix de laisser les deux femmes qui sont les plus "outsiders" de la bande commenter, l'une par un bulletin en forme de lettre, l'autre à travers des coups de téléphone, pour véhiculer d'absurdes ragots, qui sont pourtant aussi de formidables vecteurs de la vérité. Le résultat est que les dix années couvertes par le film passent toutes seules... les actrices sont formidables (Candice Bergen, Joan Hackett, Elizabeth Hartman, Shirley Knight, Johanna Pettet, mary Robin-Redd, Jessica Walter et Kathleen Widdoes): elles ont été choisies pour leur nouveauté par Lumet; peu, hélas, perceront. Le metteur en scène a privilégié une mise en scène au plus près de ses interprètes, souvent en demandant des scènes en temps réel, tournées notamment (mais pas que) en plan-séquences, pour un excellent résultat.

Le constat de Lumet est sans appel: la chronique du féminisme est cruellement pessimiste, et le siècle n'a pas été tendre. Le film nous en offre une preuve passionnante.

 

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Published by François Massarelli - dans Sidney Lumet
20 octobre 2020 2 20 /10 /octobre /2020 09:28

Frank Serpico est un jeune policier plein d'idéaux, de convictions et d'avenir lorsqu'il est titularisé et placé dans un commissariat... Il va vite déchanter, placé devant une insupportable situation de corruption généralisée. Il se révolte, refuse les pots-de-vin qui lui sont généreusement attribués, puis constate que l'ensemble du système de la police de New York semble obéir aux mêmes règles laxistes... Il décide d'en référer en haut lieu, mais il se rend vite compte que l'affaire ne semble jamais vraiment devoir s'ébruiter...

C'est intéressant, de voir que Lumet semble avoir construit son film non sur une évolution, mais bien plus sur un pourrissement, une réalisation de plus en plus évidente pour le jeune policier interprété par Al Pacino, du fait que plus il en sait, pire c'est. Par contre, le personnage lui évolue, depuis la jeune recrue sage jusqu'au hippie caractérisé qui demande à un de ses supérieurs de le laisser porter une énorme moustache et s'habiller à sa guise, parce qu'il pourra ainsi infiltrer les milieux les plus interlopes... Et ça marche: il devient l'un des premiers flics de New York à porter cheveux longs et gilets afghans hirsutes. 

L'histoire est vraie, et Serpico dont on nous détaille la vie héroïque (sa carrière s'est finie sur une action d'éclat) est un rôle dont Pacino s'est saisi avec la gourmandise qui le caractérise: je pense qu'il en a parfois fait un peu trop, mais que voulez-vous? C'est Al Pacino, donc on ne pouvait pas s'attendre à autre chose. Mais par moments, en interprétant souvent de manière silencieuse et réfléchie un type qui a gardé un vieux fond de naïveté et qui découvre la corruption généralisée autour de lui, il est touchant, et... subtil. Le film de Lumet, qui a depuis 12 angry men accumulé les sujets à controverse, est un portrait féroce d'une police devenue un vrai repaire de mafieux, et n'a pas du plaire dans tous les milieux. A son actif, le film possède un naturel impressionnant, assez typique d'un style 70s dont Lumet est l'un des éléments fondateurs: prises de vue en pleine rue, montage nerveux, réalisme et crasse à tous les étages... Mais le film souffre de sa monomanie: on finit par croire que la police n'a pas grand chose d'autre à faire que de ramasser les dividendes de sa corruption à force de ne voir dans le film Serpico se battre que contre ses collègues. Il en sort une impression de lourdeur et de manichéisme parfois irritants, somme toute.

Cela étant, avec Serpico, Lumet redéfinit complètement le film policier, pas seulement la vision de l'officier de police: et ce réalisme sordide dans lequel sont plongés ses personnages aura des répercussions sur un cinéma en pleine mutation, comme souvent ses films en ont le pouvoir.

 

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Published by François Massarelli - dans Sidney Lumet
4 octobre 2020 7 04 /10 /octobre /2020 12:03

Comment sort-on d'une expérience comme celle des camps? Comment survit-on à un cauchemar qui a emporté toute ou presque sa famille, et comment se réinventer une fois qu'on a trouvé un lieu où se fixer? Rod Steiger interprète dans ce film indépendant, âpre et violent, un homme qui est revenu des camps de la mort, mais qui en est revenu, du moins le croit-il, mort...

Il est prêteur sur gages, parce qu'il a été engagé précisément pour ce rôle, par un gangster établi, Rodriguez (Brock Peters) qui cherche un endroit où "blanchir" de l'argent. Et c'est parce qu'il est juif que celui que son employeur appelle d'un ton condescendant "Professeur" a été employé, car à New York, y compris après l'holocauste, les clichés ont la vie dure... Saul Nazerman est donc le prêteur sur gages de Harlem, et dans ses négociations il peut être très dur; il n'est pas là pour fraterniser avec qui que ce soit, et le fait savoir; il a gardé des liens avec sa famille d'avant, mais ténus: un beau-frère et sa famille qui vivent bien (grâce à lui) mais dont le verbiage et la superficialité l'insupportent; l'épouse d'un autre déporté, tué sous ses yeux, avec laquelle il a une relation insatisfaisante... 

Parmi ses fréquentations, il compte Ortiz (Jaime Sanchez), un porto-ricain qui a flirté avec la délinquance et envisage de filer droit avant de se raviser: il est employé par Saul et pour se faire accepter de ses copains, va les guider vers un cambriolage de la boutique, à condition qu'ils ne tuent pas Nazerman; il considère ce dernier, qui est juif et donc, pense-t-il a naturellement la bosse du commerce, comme son professeur... sinon, une femme seule du quartier, Marilyn (Geraldine Fitzgerald) essaie de faire de lui sn ami et de l'attirer dans la vie plus "normale" des autres quartiers afin de rompre sa solitude.

La corruption, d'un côté: corruption d'un monde qui a assisté à l'arrivée des nazis et qui fait comme si de rien n'était, où les clichés ont la vie dure: comme les gangsters de Scorsese, les voyous de Lumet appellent Nazerman "le juif"; et l'insulte antisémite n'est jamais très loin, y compris quand le rapport est d'amitié: ainsi Ortiz demande-t-il à Saul quelle est cette société secrète à laquelle il appartient, qui lui a tatoué un chiffre mystérieux sur le bras; ou encore, il lui demande de lui donner "les secrets de son peuple" en matière d'argent. Derrière la sympathie, toute l'ignorance coupable, et tous les clichés  infects qui encore aujourd'hui conditionnent la vision des juifs. Lassé mais désormais se croyant immunisé, Nazerman éclaire donc le processus historique qui a conduit le peuple d'Abraham à se voir confier les clés de la finance dans la cité... Bien sûr, c'est aussi parce qu'il est juif qu'on vient le cambrioler, car on pense qu'il est plein aux as.

C'est le premier film Américain après la seconde guerre mondiale qui évoque les camps de concentration du point de vue d'un survivant. Et là encore, le mot "survivant" me paraît bien peu probant, tant Steiger joue son rôle comme un zombie, qui traverse les rues enfiévrées de Harlem comme un homme qui n'est plus directement concerné par l'humanité. Et aux amitiés ou autres tentatives de fraternisation qui lui sont proposées (la gentille veuve qui ne ménage absolument pas ses efforts, son amie rescapée elle aussi qui vit avec son beau-père odieux, ou encore la famille de Nazerman), il ne se reconnaît finalement pas dans le monde faussement apaisé qu'ils ont à lui proposer. Tout se passe comme s'il ne pouvait évoluer que dans le monde louche du Harlem nocturne, au milieu des prostituées, des mafieux et des délinquants. Dans une scène, il marche dans la rue, indifférent au sort d'un homme qui est roué de coups. 

Indifférent? Voire... Car outre la corruption, le film nous parle d'une certaine morale. Lumet, tout en offrant un style urgent, fait de caméras parfois cachées dans les rues, et de scènes tournées (comme il le fera pour Dog day afternoon) tournées dans des décors réels, fait un usage important du montage éclair de séquences parfois subliminales qui semblent, à chaque fois, représenter un éveil potentiel de l'indignation et de la douleur du vieil homme: lorsqu'il croise le passage à tabac, une scène similaire vécue dans les camps lui revient; quand une prostituée (Thelma Oliver) lui offre son corps en se déshabillant (ce qu'elle fait littéralement, une première dans le Hollywood post-code), il revoit son traumatisme, quand il avait découvert dans les camps que son épouse servait à satisfaire les besoins sexuels des SS; enfin, il va refuser d'obéir à Rodriguez quand il découvre qu'il possède un réseau de prostitution. La fin du film est son retour à l'humanité, à travers sa détresse devant la mort d'une personne dont il n'avait pas réalisé qu'il lui était proche...

Ce n'est ni un film confortable, ni une série de solutions, c'est une radiographie d'un instant T, d'une humanité malade, qui n'a pas compris que les désastres ne s'arrêtent jamais: l'holocauste, qui résonne encore en 2020 comme il le faisait en 1964, mais aussi les camps de concentration dans leur ensemble, quelle que soit l'obédience que lez nazis voulaient punir (communistes, résistants, tziganes, homosexuels...), n'est pas fini. Nazerman va apprendre à sentir et ressentir de nouveau, mais ce ne sera pas gratuit.

 

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Published by François Massarelli - dans Sidney Lumet
30 septembre 2020 3 30 /09 /septembre /2020 17:38

C'est le dernier film de Lumet, au terme enviable d'une carrière cinquantenaire marquée par de très grands films, et souvent c'est la justice et ses dérivés qui est au centre de ses oeuvres. Mais ici, c'est tout autre chose... Pourtant par certains côtés, on peut penser, un peu à Dog day afternoon: c'est l'histoire des ramifications autour d'un hold-up qui a mal, très mal tourné...

Pas grand chose à voir pour autant avec le brûlot de 1974... Deux frères qui ont des ennuis, chacun les siens et ils sont différents, mais ils sont au moins d'ordre financier, et pour les résoudre, ils vont cambrioler une bijouterie familiale... Ou plutôt LA bijouterie familiale, et la nuance est importante! Donc Andy (Philip Seymour Hoffman) un cadre qui se veut le cerveau de l'opération, réussit à persuader son petut frère Hank (Ethan Hawke) de voler les bijoux de leurs parents... Mais lui qui se veut le commanditaire, et ne va pas faire le hold-up proprement dit, n'a pas envisagé qu'Hank pourrait faire appel à un complice, genre tête brûlée avec un flingue; ou que leur propre mère (Rosemary Harris) serait exceptionnellement à la bijouterie pour y remplacer l'employée. Le complice va donc tirer sur elle, et elle va le tuer avant de sombrer dans le coma... Le père (Albert Finney) va se décider à faire justice lui-même, sans savoir que ses propres enfants sont directement responsables de la mort de leur propre mère...

Le mot "justice" mentionné ici sert surtout de prétexte pour une notion qui est tout, sauf la justice: il s'agit plutôt de vengeance... Car Lumet place son film sur deux points, en réalité, et la justice me semble bien étrangère au film. D'une part, il y est question de morale, car si les deux frères vont jusqu'au bout, avec les funestes conséquences que nous savons, il aura fallu du temps à Andy pour convaincre Hank; celui-ci a des scrupules... Il a aussi des ennuis,je le disais. L'autre terrain est inévitablement celui du portrait d'une famille en crise, crise profonde, en effet... Car Andy a une vengeance à assumer, lui aussi, vis-à-vis de son père qu'il accuse de l'avoir négligé... Il le dit d'ailleurs crûment: il aurait préféré que ce soit le père qui meure.

Andy n'est pourtant pas une victime: le début du film est très troublant, car nous y voyons les ébats d'Andy et son épouse Gina (Marisa Tomei), en pleine escapade d'amoureux à Rio. Ils sont heureux, et complices, mais... le premier plan nous montre Andy fasciné par sa propre image dans les miroirs situés de part et d'autre du lit de leur chambre d'hôtel. Nous apprendrons aussi qu'il a fauté dans son entreprise, en détournant de l'argent, pendant que Hank, lui, trime dans la même boîte à un poste subalterne... Mais Lumet brouille les pistes, en nous montrant que Hank et Gina ont aussi une relation dans le dos d'Andy.

Pour mener à bien son entreprise d'exposition des dysfonctionnements de cette famille, Lumet change constamment de point de vue, en bouleversant la chronologie, et en retournant à des moments déjà aperçus mais avec un nouvel angle d'approche... C'est extrêmement bien fait, et avec les acteurs, il repose sur du velours... Et ça a l'avantage de mettre l'accent sur le cambriolage raté, ses tenants et aboutissants, tout en nous montrant une caractérisation qui s'affine au fur et à mesure des retours en arrière et changements de points de vue. Ceux-ci sont d'ailleurs au nombre de quatre: Hank, Andy, Le père et Gina... Les acteurs de ce sombre drame, tragédie minable d'une famille mal foutue, vouée, manifestement, à l'échec... ou d'un homme narcissique jusqu'à l'absurde, qui a le chic d'entraîner après lui tous ceux qu'il aime dans une fuite en avant mortelle, mais fascinante... Donc, pour résumer en une seule formule: un film noir de grande, grande classe, qui vous laissera sur les genoux.

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Published by François Massarelli - dans Noir Sidney Lumet
16 septembre 2020 3 16 /09 /septembre /2020 13:11

Un procès va se terminer: on indique aux douze hommes qui composent le jury que dans ce cas, compte tenu des faits, leur choix sera déterminant, et tout verdict de culpabilité entraînera automatiquement la condamnation à mort de l’accusé. Alors que les douze hommes se rendent dans la salle où ils vont s’isoler pour prendre leur décision (qui doit impérativement être unanime), nous voyons un gros plan de l’accusé qui se dissout lentement dans le plan suivant: une vue de la salle vide où les douze jurés vont débattre…

L’affaire est simple, en réalité: une affaire de meurtre impulsif, d’un voyou qui a tué son père brutalement, sur un coup de tête, après des années de brimades et de menaces en l’air. Et sous la direction de l’un d’entre eux (Martin Balsam), membre de l’administration d’un établissement scolaire, els douze hommes vont recueillir leur premier vote… Tous vont voter coupable, sauf un (Henry Fonda)… Pour des raisons très différentes, les onze autres lui en tiennent rigueur : l’administratif, bien que fort courtois, trouve cette contradiction peu efficace; un autre (Jack Warden), obsédé par le base-ball, soucieux de manquer le match du soir, trouve ce contretemps insupportable. Mais d’autres vont révéler très vite une attitude plus profondément dangereuse: un banquier (E. G. Marshall), froid et organisé, affiche une efficacité sans aucune considération pour le fait qu’une vie humaine est en jeu ; un chef d’entreprise paternaliste (Lee J. Cobb), dont les relations avec son fils sont un problème, montre un acharnement à envoyer l’accusé à la chaise électrique qui dépasse le raisonnable, et enfin un homme plus âgé que les autres (Ed Begley) s’emporte contre les lavettes autour de lui, en exprimant sans ambiguité une xénophobie galopante et un racisme de classe à l’égard des gens des classes ouvrières, dont l’accusé fait partie.

Un microcosme bien pratique ? Le film n’échappe certes pas à un procédé de panel, qui fait que parmi les douze hommes présents dans cette confrontation en faux temps réel, on a un échantillon assez représentatif de la société de 1956. Mais on ne s’en plaindra pas parce que Lumet a su trouver le ton juste à tous points de vue pour son film: que ce soit l’enchaînement des événements, l’aspect huis-clos, le jeu des acteurs, et le déroulement logique, tout va dans le même sens : monter en spectacle à la fois la façon dont la vérité peut être exploitée par les uns et les autres dans des soucis purement idéologiques, tout en touchant à un sujet sensible, frontalement. Car dans ce film, on ne se retrouve pas devant une situation binaire, qui consisterait à trouver l’accusé coupable (on l’exécute) ou pas coupable (on l’acquitte), car ce type de situation ne fait pas avancer les choses concernant la peine de mort. Prouver qu’on ne peut pas exécuter une personne parce qu’il/elle est innocent(e) prouve aussi du même coup qu’on aurait raison de l’exécuter dans le cas contraire, ce n’est donc pas comme ça qu’on doit faire un film contre la peine capitale! Lumet l’a parfaitement compris…

Non ce n’est pas « qu’un film ». D’ailleurs, aucun film n’est « qu’un film ». Lumet, pour son premier long métrage, ose déjà utiliser comme d’autres avant lui et d’autres après, mais rarement avec autant d’intensité et d’efficacité, utiliser le médium du cinéma pour militer pour une cause, en utilisant la jouissive capacité du cinéma à placer le spectateur au cœur des actions, des émotions, et ici des idéologies. Donc en choisissant de montrer que le cas d’un accusé n’est pas qu’une affaire de coupable/pas coupable, et qu’on risque bien plus de commettre une injustice en se prononçant pour la peine de mort que pour le cas contraire, Lumet prouve que la peine de mort n’est pas qu’un choix binaire, et nous le démontre à travers l’extraordinaire bataille des idées de ces hommes qui sont tous des citoyens, mais aucun d’entre eux n’est un politique… C’est magistral.

Et c’est un film brillant, d’ailleurs nominé à juste titre (ce qui n’est pas si courant que ça) pour l’oscar du meilleur film cette année-là. Lumet y utilise toutes les ressources cinématographiques possibles (apprises à la télévision, où il a longtemps travaillé) pour échapper à l’écueil du théâtre filmé, et alterne montage rapide et prises longues : venant du petit écran, il connaît la technique des caméras multiples. Mais il ne va jamais trop loin dans le plan séquence, car il doit nous montrer, justement, le morcellement de la vérité. Il sera attendu que quelques spectateurs ennemis de la convention soient un peu agacés par la posture de chevalier blanc de la star Henry Fonda, mais la façon dont tous les hommes qui discutent, débattent voire s’affrontent, deviennent à un moment des vecteurs d’une vérité qui se dérobera toujours un peu sous leurs pas, et sous les nôtres, les poussant eux et nous poussant nous, à une élémentaire prudence face à une pratique qui consiste, je le rappelle, à ôter la vie à quelqu’un.

Le pouvoir du cinéma, à la fois à son plus distrayant, au plus fort de sa capacité à exploiter le drame humain, tout en laissant la caméra évoluer auprès d’hommes qui vont rappeler et remodeler les contours de la vérité, par leurs seules paroles, sans jamais que l’on quitte la situation de cette soirée et cet effrayant huis-clos : c’est vraiment impressionnant, épuisant, et classique. C’est non seulement un très grand film, c’est aussi l’acte de naissance d’un immense cinéaste au seuil d'une carrière de 50 années...

 

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Published by François Massarelli - dans Sidney Lumet
13 septembre 2020 7 13 /09 /septembre /2020 10:21

Le film commence, sans un gramme de musique, par des vues de Nrooklyn, New York; c'est l'été, et la caméra prend son temps pour nous détailler les activités des nombreux citadins pour tromper la chaleur. Ce sont des vues documentaires, et il faudra attendre trois minutes, après un générique silencieux (avec toujours ces images volées en toile de fonds) pour entrer soudainement dans le vif du sujet: un cambriolage.

Trois hommes entrent dans une banque, avec des hésitations. Deux d'entre eux (Al Pacino, John Cazale) ont l'air plus déterminés que le troisième (Gary Springer), qui va très vite se dégonfler et lâcher ses copains. Dès ce moment, ça vire au désastre: les deux hommes qui restent dans la banque alternent entre menaces caractérisées et gaucherie embarrassée (Sonny, le personnage principal incarné par Al Pacino, se fait le spécialiste de ces allers et retours entre maladresse et agression), ce qui les rend très vite moins dangereux aux yeux de leurs otages; la banque est quasiment vidée de tout son argent: on les avait mal renseignés; si le personnel de la banque est plutôt coopératif (leurs salaires respectifs ne justifiant pas, disent-ils, l'héroïsme!), les bourdes s'accumulent, et parmi les citoyens coincés dans la banque, on compte un asthmatique et un diabétique... Par dessus le marché, quelqu'un (qui? on ne saura pas) a prévenu la police et le cambriolage raté ressemble à un siège, avec couverture médiatique...

Et bien sûr, on débouche, avec ces deux gangsters ratés et novices, mais si touchants, sur un syndrome de Stockholm premier choix: les efforts des négociateurs pour obtenir la libération de certains otages virent à l'échec quand certaines caissières refusent de sortir pour ne pas lâcher leurs collègues, voire assistent volontiers les malfaiteurs dans leurs demandes! Sale temps pour le sergent Moretti (Charles Durning), qui tente de superviser le travail de police, sous l'oeil glacé d'un barbouze du FBI (James Broderick) et sous l'oeil encore plus inquisiteur des caméras, et d'une foule de passants qui tend de plus en plus au fur et à mesure de l'évolution de l'incident, à se ranger aux côtés de Sonny (Pacino) et Sal (Cazale), les bandits dont on finit par se dire qu'ils ne feraient pas de mal à une mouche...

Prenant son sujet dans la matière brute des faits divers fameux, Lumet livre un film fascinant, et qui a fait date: authentique par certains côtés, et orienté à gauche, tourné trois ans après les faits, il en devient un portrait au vitriol d'une Amérique qui marche sur la tête, coincé entre la blessure du Vietnam et les égarements Reaganiens. Le film est bien sûr la chronique d'un fait de police, raconté par le menu, avec assez peu de points de vues à explorer, et le metteur en scène combine avec bonheur un style urgent, fondé sur des plans séquences et un tournage à plusieurs caméras comme à la télévision, et un art du montage qui culmine dans des soudaines successions ultra-rapides d'actions, d'une exemplaire clarté. Sa direction d'acteurs fait la part belle aux personnages, laissant chaque interprète mener la barque à sa guise, et bien sûr le film est tributaire de ces interprétations: toutes sont virtuoses (en particulier Cazale, déjà malade, et qui n'allait pas tarder à nous quitter), avec bien sur un (léger) bémol: Al Pacino est-il capable de ne pas en faire trop? Je pense que nous connaissons la réponse.

Mais sa tendance à l'excès sert le film, surtout lorsque comme dans la vie, le personnage de Sonny, qui vit à cent à l'heure, dépasse le raisonnable: embarqué malgré lui dans la spirale de l'échec, Sonny rappelle vocalement aux policiers face à lui que quelques mois auparavant, une émeute en prison a été résolue par le gouverneur de New York avec un massacre, résultant en la mort calculée d'un certain nombre d'innocents. C'est ce cri d'Attica lancé par le personnage (en référence donc à la tuerie de la prison du même nom) qui va commencer à cimenter la sympathie du public pour Sonny et son complice. Alors que l'homosexualité du personnage, révélée durant la deuxième partie du film, et d'ailleurs essentielle au personnage et au film, va diviser non seulement le public mais aussi la police. C'est à porter au crédit de Lumet d'avoir choisi de ne pas suivre la tendance obsessionnelle du cinéma classique de diaboliser l'homosexualité, tout en réussissant à ne pas la réduire à un aspect pittoresque et démagogique. Enfin, une chose est sûre: le film fait la part belle à un esprit anti-flic, anti-establishment, devenu courant dans la population de 1972, et qui s'est sans doute aggravé au moment du tournage du film! C'est même l'un des sujets de Dog day afternoon: prendre le pouls d'une Amérique qui ne croit plus ses élites et qui questionne ses forces de l'ordre à l'heure où le gouvernement envoie les gamins se faire bousiller au Vietnam pour rien. Si Sal, le complice de Sonny, n'est pas un vétéran (du moins du Vietnam, il est en effet un vétéran du crime minable et a souvent fait de la prison, ce qu'il mentionne), Sonny, lui, revient du Vietnam.

Et Lumet, en même temps qu'il fait un de ces films-coups de poing, qui place le spectateur au milieu d'une tempête, ne se contente pas de réaliser une adaptation d'un fait divers objectif baignée dans la beauté de l'urgence, il se livre aussi à une magistrale critique des médias, à travers le rapport presque télévisuel qui s'établit entre Sonny et Sal, aidés en quelque sorte par leurs otages, la police (des centaines de policiers, de snipers, de membres du FBI massés devant la banque, et le public. Un public versatile, changeant, et contradictoire: applaudissant ou huant selon les convictions, qui la police qui les preneurs d'otage, qui le FBI, qui les gays qui viennent afficher leur soutien à Sonny. Et celui-ci, mis en relation avec des journalistes, de découvrir avec un enthousiasme juvénile sur un petit écran dans la banque, qu'il est en direct à la télévision... Une préfiguration thématique du film Network, dont le jet de vitriol sera cette fois destiné sans ambiguité aux médias Américain.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Sidney Lumet
1 septembre 2020 2 01 /09 /septembre /2020 13:06

Alimentaire? Contractuel? ou un caprice d'auteur? On se perd en conjectures sur ce qui a bien pu amener Sidney Lumet, respecté cinéaste habitué des grands et gros sujets, vers une adaptation d'un roman d'Agatha Christie, une adaptation qu'il aura accomplie si fidèlement que la romancière elle-même sera aux anges...

Le roman est donc globalement respecté avec minutie, on assiste donc à ce voyage fatal d'une quinzaine de personnes coincées dans l'Orient-Express en 1935, soit cinq années après les faits exposés dans un prologue, à savoir le kidnapping d'une petite fille aux Etats-Unis, la fille unique d'un as de l'aviation Britannique. Un kidnapping qui a fini dans le drame, puisque après versement de la rançon, on a retrouvé le cadavre de la petite.

Evidemment le cinéma ne pouvait que se saisir d'un tel scénario, avec sa pléiade de stars: quinze personnes dans un huis-clos c'est l'idéal pour convoquer des acteurs passe-partout, si possible aimés du public...

Albert Finney, Martin Balsam, Ingrid Bergman, Vanessa Redgrave, Jacqueline Bisset, Michael York, Jean-Pierre Cassel, Colin Blakely, Sean Connery, Rachel Roberts, John Gielgud, Anthony Perkins, Richard Widmark, Wendy Hiller et Lauren Bacall: on est servis!

Beaucoup de ces personnages seront donc des passagers lambda (quoique...), l'un d'enre eux sera assassiné, et l'un d'entre eux (Finney) étant Hercule Poirot, il y aura une enquête à l'issue de laquelle on trouvera le coupable, et on assistera donc à une de ces irritantes réunions de coupables à la fin. C'est vrai, c'est irritant généralement, ces moments où le détective montre quel a été son raisonnement, et on sait que l'une des personnes a tué! C'est un des (nombreux) clichés que Christie utilisait beaucoup, et il y en a d'autres...

En fait, toute critique du film devient presque impossible: Lumet a conditionné sa mise en scène à trois aspects: d'une part, la nécessité de faire passer qu'on est dans un train dont on ne sortira jamais. Ensuite, il y a là de grands acteurs, donc autant de susceptibilités à préserver, sans pour autant que ça vire au défilé: c'est de ce point de vue très réussi. Enfin, il a adopté un style volontiers suranné, une sorte de mise en scène à la manière des années trente, aussi bien esthétiquement, que dans le jeu des acteurs...

Et c'est là qu'on entre probablement dans le domaine du méta-film, qui me permet d'énoncer une autre hypothèse: c'est un film sur la mode rétro au cinéma, c'est un film qui expérimente avec le sur-jeu sur-signifiant de son personnage principal (Finney en fait des tonnes, et ça marche! c'est dire à quel point Poirot est un personnage intéressant pour un acteur!), et les excès en tous genres, à commencer par ce parfum de Britannicité extrême qui ne peut que se détacher du film, avec le conservatisme de ses personnages...

Pour finir: ça se voit, bien sûr, ça se boit même comme du petit lait, et quand vous connaissez la solution (c'est le majordome qui a fait le coup), c'est un plaisir monumental de revoir le film pour repérer à quel point on vous donne la solution, et pas qu'une fois: du début à la fin du film...

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Published by François Massarelli - dans Sidney Lumet