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13 novembre 2022 7 13 /11 /novembre /2022 17:13

27 années après les événements du chapitre 1, les sept membres du "club des losers", les ados qui avaient triomphé du clown Pennywise, se sont éloignés de Derry, Maine, la ville où la plupart d'entre eux ont grandi, et ont souffert. Tous, sauf un... Et tous ont oublié ce qui s'était passé, leur amitié, leur serment, leurs aventures surnaturelles et leur triomphe... Sauf un: Mike est resté. Bill (James McAvoy) est devenu écrivain, et comme il travaille pour le cinéma il souffre; Beverly (Jessica Chastain) s'est mariée à un sale type avec des tendances aussi violentes que son père; Richie, le rigolo de la bande, fait du standup; Eddie, l'hypochondriaque, l'est toujours; sa mère est décédée, mais il s'est marié à une épouse qui la remplace avantageusement! Stanley aussi s'est marié, et Ben, le "new kid" du premier film, a perdu ses kilos et ses complexes...

Mais Pennywise, comme annoncé, puisqu'il était découvert dans le premier chapitre qu'il apparaissait tous les 27 ans, est de retour. Mike, qui veille à Derry, contacte ses copains. Tous vont venir, sauf Stanley qui décide de se trancher les veines...

Oui, hein: ça commence bien. Ca fait quelques années que Stephen King nous fait comprendre que grandir, c'est souvent assumer les frustrations du passé, voire les emmener avec soi dans le futur... Et le fait qu'il y ait un écrivain, qui plus est en conflit avec la production des adaptations de ses films (on reconnaîtra d'ailleurs Peter Bogdanovitch, dans son propre rôle, en metteur en scène qui explique à Bill que la fin de son roman est pourrie, donc on va la changer) nous renvoie à tant d'autres oeuvres de King où un auteur occupait le centre de l'intrigue, de The body à Billy Summers en passant par The Shining et Misery... King s'est d'ailleurs lui aussi laissé aller à une petite apparition-gag... Une façon d'assumer une part du film?

Pourtant, il n'y a sans doute pas tant de quoi pavoiser. Bien sûr, on apprécie de retrouver les personnages, et le fait que chacun des héros du film soit si proche d'un acteur à l'autre pour permettre une vraie identification... Et cette dynamique presque Spielbergienne qui faisait le sel du premier chapitre se retrouve elle aussi... Mais voilà, It est une saga d'horreur. Et ce que veulent les gens, c'est du frisson. ON en veut aussi, donc tout devrait aller pour le mieux... Mais non: je sais, le cinéma, maintenant, peut tout faire. Mais ce n'est pas une raison! Pour chaque fois où les créateurs d'éfféspécios se sont lâchés en en rajoutant des tonnes, et en pimentant de mille et un effet dégoûtant, on regrette. Les personnages sont formidables, mais on est agacés par le grand guignol, qui n'était pas aussi omniprésent dans le premier. Pourquoi, quand on adapte King, faut-il qu'on exagère? Les moments les plus forts du film restent ceux où la violence est réelle, comme ce préambule glaçant dans lequel un couple gay se fait passer à tabac par des salauds... 

Mais la leçon à l'amertume tenace de Stephen King passe quand même: bienvenue sur terre, vous êtes là pour que ça se passe mal... Et plus vous vieillirez, pire ce sera: les sept amis, au début du film, ne sont, mais alors pas du tout heureux... bref, comme d'habitude, derrière les paillettes de l'horreur, l'horreur de la vie.

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Published by François Massarelli - dans Boo!! Stephen King
30 octobre 2022 7 30 /10 /octobre /2022 16:46

Le titre de cet article est en réalité celui du film, tel qu'il apparaît au générique de fin. Le film adapte la première moitié du roman de Stephen King de 1986, er la deuxième moitié fera l'objet d'un deuxième film du même metteur en scène, sorti deux années plus tard. Pourquoi pas après tout, les deux films touchant à deux époques différentes... Et l'une des délicatesses des auteurs du script a été d'inclure dans la continuité l'hypothèse d'une suite, sans pour autant négliger d'offrir une vraie résolution aux spectateurs de cette première. Une attention délicate à l'heure des franchises triomphantes...

En 1988, à l'automne (bien sûr), Georgie Denbrough qui joue dans la pluie avec un bateau en papier que lui a confectionné son grand frère Bill (jaeden Martell), fait une mauvaise rencontre: d'un égout, un clown s'adresse à lui, puis l'agresse et l'emporte... Des mois plus tard, Bill et ses copains, qui sont considérés comme un groupe de losers finis, et les proies de la malice d'Henry Bowers et de ses copains, les caïds du lycée, s'interrogent: qu'est-il advenu de tous les enfants, dont Georgie, qui ont disparu?

Parallèlement, ils forment une équipe de choc, avec un gamin noir, maltraité par la même meute de voyous, Ben, le garçon en surpoids, forcément la cible des moqueries, et Beverly (Sophia Lillis), une fille à la réputation désastreuse mais fausse, qui doit faire face à deux fléaux: d'une part, l'arrivée de la puberté, et d'autre part son père célibataire, dont les affections se font de plus en plus précises... Et à eux sept, le "club des losers" va affronter la terreur...

Oubliez la simple équation clown + enfants = peur, c'est finalement un truc simpliste pour épater la galerie et exploiter le goût des foules (étrange, mais passons) pour Hallowe'en: ce film est basé sur un roman de Stephen King, qui n'a pas son pareil pour transcrire les affres du quotidien en des armes tranchantes de terreur massive. C'est pour ça qu'on appréciera de quelle façon le film fait la part belle à la personnalité de chacun, non seulement Bill, Beverly et leurs copains, mais aussi les gosses qui ont mal grandi, et sont devenus des ados harceleurs, encouragés en ce sens par des adultes aux courtes vues. Un passage du film est glaçant, qui montre Henry, le chef de la bande de voyou, se faire littéralement terroriser devant ses copains par son père policier... La vie quotidiennes des jeunes héros de King est, comme toujours, une confrontation à la frustration, à l'ennui, à l'adversité, et à la violence. Celle-ci vient souvent de la culture de groupe, voir Carrie à ce sujet... Parfois elle vient aussi des parents... 

Et à travers cette aimable histoire de clown, l'auteur et donc le film, qui en reprend les thèmes, s'attaquent à ce qui fait l'identité même de cette jeune Amérique dans laquelle tant de monde peut hélas se retrouver (et pas que dans le Maine, ou les 49 autres états!): Pennywise, le personnage, ressemble pour moi à une sorte de croquemitaine-couteau-suisse, il est forcément un leurre pour le lecteur et le spectateur. Les enfants ici triompheront parce qu'ils sauront se passer des adultes, aller contre leurs préceptes (le père de Bill qui lui demande d'oublier son frère et d'accepter qu'il soit mort, la mère d'Eddie qui lui a communiqué sa paranoïa et son hypochondrie pour le maintenir à la maison), voire se défendre contre leur violence (Beverly, Henry). Et on se rappelle de Carrie affrontant l'preuve du sang à l'arrivée de la puberté, dans une scène qui nous prouve que ce qui fait le plus peur à Beverly, c'est justement ce passage à l'âge adulte, qui lui fait affronter le risque de plus en plus gros du désir qu'a pour elle son propre père...

Il y a bien un message (à sept, on n'a plus peur, et par ailleurs cultivons nos différences, rien de très novateur mais c'est de bon aloi), de a terreur, mais ce n'est évidemment pas le plus intéressant. Comme d'habitude, les effets de terreur pure (c'est-à-dire suggérée) sont nettement plus intéressants que les effets spéciaux (quand on a un clown entre les mains, rien ne sert de lui rajouter 25 rangées de dents, il est suffisamment repoussant tout seul!), cette sale manie frimeuse d'un cinéma de grande consommation. Non, le film vaut bien plus que ça et louche avec bonheur vers le cinéma Spielbergien de grande consommation (de Spielberg, mais aussi Zemeckis ou Dante), avec ces gamins seuls contre l'adversité; et c'est, derrière la belle adaptation de King dans laquelle on retrouve bien son univers, la grande force de ce film réussi...

 

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Published by François Massarelli - dans Stephen King Boo!!
5 septembre 2022 1 05 /09 /septembre /2022 14:55

1978: Arnie est un adolescent différent de l'image toute-puissante de l'étudiant Américain: malingre, effacé, trouillard, myope. Quand son meilleur pote lui suggère de l'aider à trouver le moyen de perdre sa virginité, il refuse; bref, il a abandonné tout espoir de pouvoir un jour s'imposer. Mais ça, c'est avant de rencontrer Christine... Christine, c'est une dame née 21 ans auparavant, dans une usine. Une voiture, superbe, mais douée d'une vie propre. Et d'un caractère de cochon...

Mais Arnie ne risque rien, car Christine s'attache à tous ses propriétaires. ...Malheur à qui cherche du mal à Arnie!

Il n'échappe à personne que Stephen King, qu'il raconte ses souvenirs d'enfance (The Body), qu'il imagine la cavale d'un tueur (Billy Summers), qu'il tisse des métaphores autour de son métier dans des thrillers (Misery) ou des romans horrifiques (The shining), qu'il joue avec le voyage dans le temps (11.22.63) ou des monstres venus d'ailleurs (The mist) parle en fait toujours de l'Amérique profonde. Et pas de New York ou Los Angeles, non: l'Amérique profonde, celle des braves et honnêtes gens souvent, mais aussi celle des minables, des oubliés...

Car c'est justement tout ce qui fait le sel d'un film comme celui-ci, qui bien sûr coche toutes les cases d'un film d'épouvante bien mené et mis en scène de façon rigoureuse... Mais surtout la métaphore d'Arnie vaut pour tant d'adolescents laissés pour compte, comme Carrie était une intéressante variation sur l'éveil de la féminité sous le prétexte de la télékinésie. Et Carpenter a su se saisir à merveille de l'ironie cinglante de l'auteur du livre, et sa mise en scène, directe et sans fioritures (ou du moins, à la manière de Hawks, revendiquée comme sans fioritures, il y a une nuance) fait merveille dans ce film plus méchant que terrifiant...

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Published by François Massarelli - dans Boo!! Stephen King
31 décembre 2021 5 31 /12 /décembre /2021 10:47

Dan Torrance, qu'on a connu tout petit, et qui répondait au surnom de Dany, a bien grandi. On se rappelle bien sûr qu'il a quitté en compagnie de sa maman Wendy l'hôtel Overlook, y laissant mourir son père Jack victime d'une crise de folie générée par les "habitants" du lieu, des fantômes... Danny n'est définitivement pas revenu seul, puisque les fantômes l'accompagnent: l'un d'entre eux, son ami Dick O'Halloran, le cuisinier de l'Overlook qui lui avait fait découvrir que son don paranormal (pour faire court, son "shining") n'était pas unique, lui apprend aussi à gérer ses fantômes en les enfermant dans des boîtes à l'intérieur de sa tête... Pendant qu'il grandit, une menace pour tous les enfants qui ont le "shining" se précise: Rose, la dame au chapeau, et sa bande d'affreux, se nourrissent en effet du "shining" des victimes qu'ils trouvent...

Côté face: une adaptation d'un roman de Stephen King assez typique, c'est-à-dire intéressant, riche en démarquages ironiques de ce que j'appellerais volontiers le Cauchemar Américain, cette vie des ratés, des minables, des bilieux, des alcooliques, des drogués, des marginaux, de ceux qu'on appellera toujours "freaks" dans les écoles... de l'autre, une intrigue surnaturelle qui se complique inutilement. Bon, c'est un film honnête, avec un personnage attachant, ce Dan Torrance (Ewan McGregor) qui doit vivre avec un héritage alcoolique lourd à porter comme le premier personnage de Zola venu. Mais c'est embrouillé, et ça ne pas pas bien loin.

Côté pile, fallait-il, sous prétexte que King déteste The Shining (pas son livre, mais le film de Kubrick), essayer de concocter un film qui, à la fois, rectifie le tir pour faire plaisir à l'auteur, et adapte un nouveau roman? Non, bien sûr. Ou si, si ça vous chante... Cette manie de vouloir donner des suites et créer des franchises, c'est d'un fatigant!

Ah, tant que j'y suis: la photo qui illustre cet article est bien tirée de Doctor Sleep, et c'est évidemment une pure provocation...

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Published by François Massarelli - dans Stephen King Boo!!
23 août 2021 1 23 /08 /août /2021 07:54

Johnny Smith (Christopher Walken) est un professeur de lettres passionné qui vit à Castle Rock, dans le Maine. Il va se marier avec une de ses collègues, Sarah (Brooke Adams), et un soir d'hiver, après avoir raccompagné la jeune femme chez elle, il a un accident. Il reste dans le coma durant cinq années... Quand il revient à la vie, c'est pour apprendre que Sarah est désormais mariée, et a un enfant... Mais Johnny n'est pas tout à fait le même: il a acquis durant son coma un nouveau sens, qui lui permet de connaître des détails passés, contemporains ou futurs de la vie de ceux qui entrent directement en contact physique avec lui...

Dans un premier temps, il s'en sert occasionnellement, et risque à tout moment de devenir un monstre de foire; puis son "talent" est utilisé dans une affaire de tueur en série par un shérif de Castle Rock (Tom Skerritt)... Malgré sa réticence à utiliser son don, Johnny réalise qu'il peut même changer le cours des choses.

Pendant tout ce temps, un politicien populiste, Greg Stillson (Martin Sheen), a entamé une campagne d'élection au sénat qui semble un élan irrésistible vers la victoire...

Cronenberg a fait sien le prétexte de King, qui imaginait la vie d'un homme prisonnier à la fois de ce trou béant dans sa vie, et d'un don dont il ne voulait pas. Mais le cinéaste fait du mystérieux pouvoir de Johnny Smith une extension de son propre corps, quelque chose, d'ailleurs, lié à la fameuse "zone morte" de son cerveau. Comme il sied à un conte de King, cet aspect ne sera pas plus clair dans le film que dans le roman, et ce n'est pas grave... Non, ce qui compte c'est bien sûr la vie de Johnny Smith, à nouveau (après Jack Torrance et avant Paul Sheldon un double de Stephen King lui-même: d'une part, il enseigne la littérature, et d'autre part, les premières scènes en font un double physique de l'écrivain. Son retrait du monde, son don aussi sont des métaphores de la vie complexe de King, l'homme qui parle de l'humanité malade à travers ses contes horrifiques, et qui offre toujours un troublant miroir de notre monde à travers ses histoires.

Et le film, tout en étant un conte fantastique, justement, épouse aussi tout l'univers de l'écrivain, devenant sinon sa meilleure incarnation cinématographique (le débat reste ouvert au vu de l'importante proportion d'oeuvres de premier plan), en tout cas le meilleur reflet de son monde: le Maine et sa froideur hivernale, entre rigueur et superstition, cette vie simple et rustique des braves gens soudainement perturbée par l'apparition de ce douteux personnage de politicien (un coup de maître de Stephen King, si vous voulez mon avis, parfaitement incarné par Martin Sheen), vie d'ailleurs située à Castle Rock, le trou perdu idéal créé par King pour un grand nombre de romans...

Cronenberg a parfaitement réussi son film, servi par un scénario jamais servile, et des acteurs formidables, à commencer par Christopher Walken, dont c'est l'un des rôles les plus marquants. Cette histoire d'un sacrifice inévitable tourne autour de la solitude, assez proche de celle d'un écrivain, à travers la métaphore de ce don étrange d'extrapoler la vie des autres par le contact physique; il y est question de la perte ou du passage du temps: ce qu'on a maintenant nous échappera un jour... Et King comme Cronenberg posent aussi une question aussi futile que fondamentale: si on peut changer le futur, doit on pouvoir le faire? Futile car c'est impossible, et fondamental car c'est la question de la responsabilité historique, un thème qui reviendra dans le roman 22/11/63

 

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Published by François Massarelli - dans David Cronenberg Stephen King
18 janvier 2020 6 18 /01 /janvier /2020 16:47

Vie, puis trépas, de Carrie White (Sissy Spacek), la fille la plus mal aimée de son école dans une petite ville Américaine qui pourrait être n'importe où, mais qui pourrait bien être située dans le Maine. Le film commence par nous la montrer en proie aux mauvaises humeurs de ses camarades, qui la détestent parce qu'elle leur fait perdre des points en sport. Puis, une séquence générique extrêmement célèbre la voit dans les douches à côté des vestiaires, découvrir à son corps défendant le phénomène de la menstruation: une fois de plus, Carrie n'a pas su réagir et une fois de plus elle subit les vexations. La prof de sport met les filles du groupe en demeure de changer d'attitude face à la jeune femme.

Deux filles vont relever le défi, chacune à sa façon: Sue (Amy Irving) va mettre Carrie dans les ras de son petit ami et pousser celui-ci à inviter Carrie au bal de promo. Chris (Nancy Allen) de son côté, va s'arranger pour "préparer" la salle de bal à l'arrivée de Carrie, et lui élaborer une farce monumentale. Mais pour se rendre au bal de promo, il faudra à Carrie persuader sa maman, la fondamentaliste religieuse Margaret White (Piper Laurie), qui voit le mal et le péché partout. Peut-être que la peur des singuliers talents de télékinésie de sa fille pourront la persuader...

Le talent de Brian De Palma est singulier lui aussi: on se souvient de Phantom of the paradise, dans lequel il revisitait le mythe de Faust à la sauce du rock glam... Il avait à cette époque une folle envie de tourner le drame en comédie, et de donner à la comédie un accent dramatique. Avec ce roman de Stephen King, le premier qu'il ait publié, il avait sans doute une occasion en or de marquer son temps, il ne l'a pas gâchée... Stephen King n 'a pas son pareil pour jongler avec les points de vue, et peindre un portrait tourmenté de l'Amérique supposée tranquille, dans son quotidien, qui vire au cauchemar. Et De Palma transforme cette histoire en une lente montée vers une horreur salvatrice, faite d'un chaos absolu, voulu par une jeune fille qui n'en peut plus d'être la risée du monde entier...

La mise en scène est précise, avance sur une progression linéaire très classique. De Palma ne nous cache pas grand chose des préparatifs de la sale blague qui sera jouée à Carrie lors du bal; il laisse juste planer le doute (et encore) sur le fait que Sue et son petit ami Tommy sont ou ne sont pas au courant du fait qu'elle sera humiliée devant toute l'école, couverte en public au plus beau moment de sa vie de sang de porc... Mais il rompt le classicisme de deux façons, d'une part en utilisant le ralenti pour sublimer certains moments, ou en délayer l'effet (un truc qui fera date et qui mène en droite ligne à Scorsese, Wes Anderson et Sofia Coppola), voire pour aller plus loin encore: la scène des vestiaires avec toute la nudité de ses lycéennes, devrait ressembler à de l'exploitation pour un film érotique, alors qu'elle montre le lycée comme un lieu où cohabitent sensualité, sexualité d'un côté, et l'innocence de l'enfance dans ses derniers moments, d'autre part.

Et De Palma utilise aussi le split-screen pour accentuer encore le chaos provoqué par les dons terrifiants de Carrie. le bal se termine par un enchaînement de plans très maîtrisés, mais disjoints, qui se font un reflet de l'étonnant esprit troublé de son héroïne. Car s'il est un point sur lequel l'ironie de De Palma et la cruauté de King se rapprochent, c'est dans le fait qu'ils ont tous deux résolu de montrer ce qui peut arriver à une personne différente, quand elle est au confluent des méchancetés des uns (ses pairs, les lycéennes, et les gens "normaux"), de la bêtise et de l'incurie des autres (sa maman, une incorrigible folle de Dieu qui l'insulte et la bat parce qu'elle a ses règles, et donc parce qu'elle est une femme). Le roman était la première preuve tangible du talent exceptionnel de King, et le film, une symphonie démoniaque en rouge sang, n'est pas en reste. 

 

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Published by François Massarelli - dans Stephen King Boo!!
7 octobre 2019 1 07 /10 /octobre /2019 16:27

Il y a eu une tempête majeure chez les Drayton, une famille tranquille qui vit à quelques encablures de Portland, Maine: leur maison est au bord d'un lac, et justement, le niveau a sérieusement monté... Et les arbres des environs se sont déchaînés: l'un d'entre eux s'est trouvé déraciné, et a éventré la maison; un autre est tombé sur une cabane au bord de l'eau... David Drayton (Thomas Jane) et son voisin avec lequel il est régulièrement en conflit, se rendent en ville pour faire des provisions. Pendant que David, son fils et M. Norton sont dans une supérette, une brume inquiétante se rapproche, et un homme en sort, ensanglanté: son ami a été emporté par une bestiole inconnue. Tout le public présent dans le magasin se barricade, mais l'horreur ne fait que commencer...

Si le film a une excellente réputation, il convient de préciser, d'une part que si Darabont a filmé en couleurs, c'était parce qu'il savait qu'il n'y aurait aucun problème pour sortir une version en noir et blanc à partir de l'original. Mais la compagnie Weinstein qui ne souhaitait pas le sortir sous cette forme a donc refusé, ce qui est absurde: le rendu de la brume, les contours des bestioles entr'aperçues, tout dans ce film est fait justement pour le noir et blanc! Le DVD possède d'ailleurs les deux versions, et le choix est vite fait; visuellement la version couleurs a autant de saveur qu'un téléfilm de 1985. Celle en noir et blanc est stylisée, inquiétante et parfaitement dosée... D'autre part, Darabont qui en était à sa quatrième adaptation de Stephen King, a tout fait pour que son film, bien qu'il nous montre des créatures monstrueuses, soit essentiellement consacré aux réactions humaines face à un cataclysme incompréhensible... Donc les bestioles ne prennent pas toute la place: ce qui compte c'est qu'on sache qu'elles sont là, et que les points de vue divergents des personnages importants du film puissent l'intégrer...

Un cataclysme qui ne sera d'ailleurs, selon la règle établie par Hitchcock avec The Birds, jamais expliqué autrement que par des vagues rumeurs: "les militaires préparent un projet ultra-secret", d'un côté, et "ils ont réussi à ouvrir une brèche vers une autre dimension", de l'autre. Ca nous suffit, et c'est même presque trop... Car ce qui compte, c'est de quelle façon des êtres humains, tous unis dans le même malheur, peuvent se comporter comme des fous, voire comme des animaux. Comment ils vont soit perdre leur humanité, soit devenir fous, soit ils vont pousser leur comportement d'humains (politiquement, moralement et religieusement) vers les pires extrémités. C'est à Marcia Gay Harden, qui joue une femme trop religieuse qui ressort la compilation des meilleurs succès de l'ancien testament: châtiment divin, sacrifice et arbitraire... C'est bien sûr elle qui mène la danse. Dans le contexte de la deuxième guerre en Irak et de l'attaque injustifiée sur l'Aghanistan, c'est une pique assez vacharde, bien entendu. 

Mais Darabont, qui reprend à son compte l'ironie désespérée de King, va plus loin en fermant le conte à la fin, et c'est un dénouement à peine supportable, tellement la noirceur l'emporte. Mais si l'histoire se termine, l'incertitude demeure, dans une dernière séquence qui glace le sang...

Bref, si c'est une réussite, on ne peut pas dire que ce soit réjouissant, loin de là.

 

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Published by François Massarelli - dans Frank Darabont Stephen King Boo!!
7 décembre 2017 4 07 /12 /décembre /2017 14:16

Paul Sheldon (James Caan) est un auteur fêté, riche, accompli... du moins si on accepte qu'il ait quelques réserves quant à la source de son succès: la série de romans consacrés au personnage d'aventurière romantique de Misery Chastain lui a apporté la gloire, mais il n'en peut plus... Il a d'autres ambitions que de réaliser des succès faciles, et il entend bien s'y consacrer.

Au moment le plus mal choisi, il a un accident: en plein Colorado (Il est superstitieux, et vient systématiquement dans cet état en voiture, pour y finir ses livres), il a un accident de voiture grave. Selon toute vraisemblance, il en serait mort, s'il n'y avait eu l'intervention providentielle d'une femme, Annie Wilkes (Kathy Bates), infirmière de son état. Le hasard fait bien les choses, car Paul est amoché. Et aussi: Annie est une fan, une vraie... Elle va remettre Paul sur pieds, constater que celui-ci vient d'écrire un roman autobiographique qui ne lui plaît qu'à moitié, et alors que Paul se remet doucement, lire le "nouveau" Misery, tout juste sorti de presse. L'héroïne meurt, Annie voit rouge: elle annonce à Paul qu'il est coincé chez elle, et qu'il a intérêt à filer doux, car elle n'a prévenu personne de sa survie. Il est prisonnier de celle qui se déclare sa fan numéro un.

La réalisation de ce film est exceptionnelle, comme toujours avec Reiner au sommet de son art: c'est juste en permanence, et le film appelait un traitement hitchcockien, le metteur en scène ne se fait pas prier! Le suspense est impressionnant de maîtrise, et les occasions, dans ce qui est presque un huis clos (On sort un peu, grâce aux savoureuses interventions du shériff "Buster', homme de loi paradoxal interprété par Richard Farnsworth), ne manquent pas d'appuyer sur l'angoisse. Reiner cite même une scène de Psycho lors du dénouement de son thriller... On est dans une situation poussée à l'extrême, aussi bien par Reiner que par Stephen King, auteur du roman initial. Et le choix peu banal, de tourner dans une vraie maison débouche sur un réalisme saisissant dans ce qui aurait pu être un grand guignol un peu vain.

Et vain, ça ne l'est jamais: tout dans le film, comme dans le roman, insiste sur l'idée d'un auteur à succès, prisonnier de ses fans et de leur folie, de leur exigence, et au final, de leur mépris pour l'intégrité physique de leur auteur chéri. Et le portrait par Kathy Bates, magistrale (le rôle de sa vie, sans aucune contestation) de l'infirmière Annie Wilkes, est formidable de méchanceté à l'égard d'une catégorie de la population Américaine qui est aujourd'hui particulièrement bien représentée... jusqu'à la maison blanche.

Et après The Shining, autoportrait en forme d'histoire horrifique d'un auteur en voie d'aliénation, Misery vient à point nommé nous rappeler que l'art, ça vous mange tout cru, jusqu'à vous rendre prisonnier. De l'écriture, du public, ou, comme King en son temps, de l'héroïne. Le livre est un classique, oui, mais le film est magistral.

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Published by François Massarelli - dans Rob Reiner Noir Stephen King
27 mars 2017 1 27 /03 /mars /2017 13:17

 

Dans les adaptations de Stephen King, Stand by me, Misery et The Shining ont une place particulière, à cause de l'évidente présence écrasante de l'auteur. Crise d'inspiration, angoisse personnelle face aux dérives et aux démons intérieurs dans The Shining, l'auteur littéralement prisonnier de son succès et dépendance à l'héroïne pour Misery, les clés qui rattachent ces oeuvres à l'écrivain Stephen King sont nombreuses. The Body est un roman court (ou une grosse nouvelle) paru en 1982, qui renvoie au souvenir d'enfance d'un écrivain à succès, qui vient d'être confronté à la nouvelle du décès d'un ami qu'il n'a pas revu depuis longtemps, et le titre, même totalement approprié, posait problème en raison de l'équivoque interprétation qu'on pouvait en faire. C'est pourquoi on a eu l'idée de Stand by me... Passons.

King tenait Kubrick en bien piètre estime, estimant qu'il avait sans doute trahi son livre The shining... Comme d'habitude, l'écrivain se croyait également l'auteur des films adaptés de son oeuvre! Par contre, il n'a eu que des louanges à l'égard de Reiner, dont il estimait qu'il avait lui su adapter sans jamais trahir, que ce soit pour ce film ou pour Misery... Et il a raison sur un point: Stand by me est un sacrément bon film!

Eté 1959: quatre ados vont partir à pieds dans un périple qui n'est qu'un prétexte, car l'un d'entre eux a entendu son grand frère raconter à un copain qu'il a découvert le corps inanimé d'un jeune garçon qui est recherché par tout le conté. Ils ont décidé de partir à la recherche du corps, afin de se couvrir de gloire en le ramenant... Mais le grand frère et ses copains, pas vraiment des tendres, vont se mettre en quête aussi, en voiture par contre... Les quatre garçons de douze ans, qui s'apprêtent à intégrer le collège (Et de fait à se séparer), sont Chris Chambers (River Phoenix), un jeune garçon brillant, mais qui vit dans une famille pauvre, et sujette à la tentation de la délinquance; Teddy Duchamp (Corey Feldman), un gamin à leur de peau, qui a du mal à grandir, et qui souffre en particulier de la réputation de son père, considéré comme fou, et ce ne serait pas forcément loin de la vérité; Vern Tessio (Jerry O'Connell), un gamin un peu lent, et un peu trop enveloppé, qui est parfois le souffre-douleur un peu facile de ses copains; enfin, Gordie Lachance (Wil Wheaton), un enfant brillant mais solitaire, qui a le malheur de ne pas ressembler suffisamment à son frère décédé Denny, qui était lui un sportif connu de tous; son père, en particulier, lui en veut d'être celui de ses deux enfants qui a survécu... Alors il écrit, beaucoup, et en particulier développe des nouvelles cocasses ou étranges, dont il raconte parfois des extraits à ses copains...

La virée prend deux jours, et bien sur il va y avoir du pittoresque, des moments de peur un peu forcés, car l'un des intérêts de cette promenade dans l'Oregon est précisément de se donner l'impression de vivre une grande aventure... Et il y aura des menaces, même si peu sont vraiment graves: le propriétaire d'une case et son chien à la réputation terrifiante, qui s'avère être un toutou relativement accommodant; des trains qui passent, ce qui est embêtant quand on suit la voie ferrée et qu'on est sur un pont étroit; des sangsues, qui s'attaquent à un endroit particulièrement embarrassant; et puis, bien sur, les grands frères, bande de malfrats mal dégrossis, qui s'occupent en donnant des coups de batte de base-ball sur les boîtes aux lettres et qui prennent assez mal le fait d'avoir été devancés auprès du corps du jeune garçon par les petits. Mais aucune de ces menaces ne changera rien au fait que le voyage initiatique que s'imposent les garçons est surtout pour eux la dernière occasion de rester ensemble, avant que la vie ne les sépare. Et cette promenade va être celle durant laquelle ils vont beaucoup échanger, sur leurs frustrations, leurs craintes pour l'avenir, et pourquoi pas tester leur amitié...

Le "corps", celui dont ils veulent s'emparer les premiers afin de briller un peu dans le ronron quotidien de la petite localité, devient leur planche de salut, un petit Graal qui va les aider à se faire accepter, et à s'accepter eux-mêmes. il est aussi une fin annoncée de l'histoire, un prétexte donc à raconter quelques chose, car comme le dit Gordie, "un jour, je raconterai cette histoire... si je n'ai pas d'autre idée!". Mais l'idée est trop bonne pour ne pas le faire. On notera donc que King s'est bien sur mis en scène en la personne de Gordie, mais qu'il n'a pas oublié de donner à son jeune écrivain un auditoire parfois critique, comme Annie Wilkes sait si bien l'être dans Misery: Teddy désapprouve la fin d'une histoire que Gordie raconte mais lui suggère une autre fin!

Reiner a parfaitement choisi ses jeunes acteurs, et capture à merveille la douceur Américaine de vivre de ces années 50, et l'insupportable mal-être de ces quatre jeunes hommes coincés entre deux mondes inconciliables: les trente glorieuses, et la classe ouvrière Américaine... 

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Published by François Massarelli - dans Rob Reiner Stephen King
16 juin 2014 1 16 /06 /juin /2014 17:18

Quand il réalise "son" film d'horreur, Kubrick est déjà bien installé dans son système, qui le voit se lancer dans des films, préalablement acceptés par la Warner, qui vont exploser aussi bien leur budget que les planifications de temps passé à les tourner... Il est désormais et jusqu'à la fin de sa carrière dans ses habitudes, ne quittant pas les studios Anglais, remettant sa confiance dans les mains de "secondes équipes" qui devront tourner à sa place des extérieurs comme ici dans les montagnes des Etats-Unis, se réservant le gros du travail, en faux extérieurs ou en intérieurs, en petit comité avec les acteurs. Son projet ici est d'adapter un roman de Stephen King, dont celui-ci ne sera pas content: la belle affaire! King fait partie de ces écrivains persuadés que le travail d'un metteur en scène n'est que d'illustrer sans aucun ajout ni aucune imagination des oeuvres, mais il détestera le résultat, dont on peut dire que de toute façon il n'a plus grand chose à voir avec le livre... Le Shining de King a la réputation d'être une histoire relativement classique de fantômes, sise dans un hôtel hanté. En même temps, il s'agit d'une variation adroite sur le thème de l'écrivain en panne, un canevas auquel il reviendra avec le plus classique Misery... La version de Kubrick est l'histoire d'une famille qui sombre dans la démence, accessoirement située dans un hôtel hanté, ce dont deux des personnages (Jack et Danny) se rendent compte assez vite, mais qui ne sera révélé au troisième (Wendy) que par hasard lors du final... La terreur de ce film, y compris vu dans la version longue sensée être plus claire, vient pour une large part de l'apparente gratuité des images qui nous sont montrées, qui peuvent souvent être prises comme des projections des esprits tourmentés de Jack, Danny et du cuisinier Dick Halloran. L'hôtel Overlook est à bien des égards une projection mentale: à la fois de Danny et de son "sixième sens", ce que le cuisinier appelle le 'Shining', d'où le titre, mais aussi de Jack Torrance, l'écrivain dont l'imaginaire semble déborder jusqu'à se matérialiser sous nos yeux en des visions fantômatiques. Le film prend sa source beaucoup plus dans la psychologie, la psychanalyse, que dans Stephen King...

Jack Torrance (Jack Nicholson) vient s'installer à l'Hôtel Overlook, Colorado, pour six mois, durant lesquels il va garder la bâtisse pour la morte saison, en compagnie de son épouse Wendy (Shelley Duvall) et de son jeune fils Danny (Danny Lloyd), mais aussi travailler sur son premier roman, profitant ainsi du calme. On apprend assez vite trois renseignements importants: d'une part, Jack, ancien alcoolique, a attaqué son fils Danny, et a depuis fait amende honorable, même si son choix de changer de métier (Il était instituteur) peut cacher de pires turpitudes... ensuite, Danny est doté d'un sixième sens qui lui permet de communiquer avec l'au-delà. Enfin, le précédent "concierge" qui a été employé exactement comme Jack a fini par tuer sa femme, ses deux jumelles, et s'est suicidé. Très vite, l'ennui qui pèse sur les personnages, et l'isolation de Jack de sa propre famille vont irrémédiablement le précipiter vers la folie, pendant que Danny va vivre des expériences déplaisantes en lien avec l'histoire de l'hôtel, dont on apprend qu'il fut construit, en 1907, sur un site funéraire Navajo...

Le cimetière Indien est l'un des plus beaux "McGuffin" du cinéma, parce qu'au-delà, aucune autre explication ne viendra. Du reste, dans la version de 119 minutes (Inexplicablement substituée à la version de 144 minutes par Kubrick lui-même pour l'exploitation Européenne, et jamais remplacée par la version intégrale, sans aucune explication, ceci étant d'aileurs valable pour l'actuelle édition BluRay!!), ce passage a été tout simplement escamoté... Pourtant, situé au fin fond du Colorado, l'hôtel est particulièrement bien fourni en objets qui renvoient aux Amérindiens: tapis, peintures, jusqu'aux motifs des moquettes. Cette omniprésence discrète fait partie des petites touches qui tiennent si bien le film... D'autres "explications", ou du moins des tentatives de rationnaliser l'irationnel, comme cette rencontre avec l'ancien concierge (qui explique à Torrance qu'il fait éternellement partie de l'hôtel, comme le confirme la fameuse photo finale) n'y feront rien: le pourquoi, on s'en fiche bien, ce qui compte, c'est la lente descente de la famille dans un enfer de plus en plus poisseux, à la suite d'un écrivain qui n'en finit pas de manquer d'inspiration.

Le jeu des acteurs, choisis pour leur allure pas vraiment glamour, et poussés à travers des centaines de prises jusque dans leurs derniers retranchements, contribue effectivement à un voyage au pays de la folie, qui donne bien entendu des images définitives, inoubliables. A ce titre, l'utilisation des premières "Steadycams" est cruciale, mais pas pour les mêmes raisons que celles qui poussent à utiliser ces caméras aujourd'hui: il ne s'agit pas, ici, de pouvoir annuler les saccades et les secousses dans les scènes d'action, mais de garder un contrôle absolu sur le cadrage. Si mouvement il y a, c'est le plus souvent un mouvement en avant (Les circuits sans fin de Danny dans l'hôtel, sa fuite dans le labyrinthe), des mouvements en avant des acteurs, filmés de face par un opérateur qui recule (On a en particulier le souvenir des errances de Jack, et de sa course à la folie meurtrière, hache en mains), des mouvements latéraux aussi, comme ceux de la découverte de l'hôtel. Tous ces plans sont composés avec une précision, le plus souvent parfaitement centrés. Visuellement, le projet a une cohérence que le découpage et le montage accroissent encore: à chaque changement de point de vue, de lieu, ou de scène, les mouvements se continuent, se répondent, et finissent par abolir l'espace, ce qui rappelle un certain nombre de liens: le cuisinier Dick Halloran (Scatman Crothers) a formé une certaine complicité en quelques heures avec Danny, et reçoit à des kilomètres de distance des images mentales de celui-ci. Jack et Danny sont les seuls à évoluer dans l'hôtel hanté en toute connaissance de cause, et si Danny est traumatisé, au moins résiste-t-il à la folie. Pas Jack. On voit bien ici que le ferment de la folie reste le rapport père-fils, dont Wendy qui ne comprendra pas grand chose, est bien entendu exclue. Ce qui ne l'empêche pas d'agir dans le bon sens pour protéger son fils. Dernier lien pour la compréhension de ce film, l'hôtel trouve son prolongement dans le labyrinthe, comme le prouvent ces mises en parallèle entre le jeu dans le labyrinthe de verdure, et les pérégrinations de Jack dans les lieux... L'Overlook et son labyrinthe ne sont que des représentations de la crise émotionnelle traversée par Jack, et par Danny bien sur. C'est dans ces lieux que la crise va mener à son paroxysme la relation parent-enfant... Deux scènes permettent d'accréditer cette interprétation: alors que Jack regarde la maquette du labyrinthe, Wendy et Danny s'y promènent. On a l'impression que Jack les voit dans le modèle réduit; quand Danny s'introduit dans la chambre 237, il subit une agression que nous ne verrons pas, et Jack au même moment cauchemarde: il rêve qu'il tue Wendy et Danny. Lorsqu'il réapparaît, Wendy est persuadée que son fils a subi une agression de la part de son père, mais nous avons clairement vu celui-ci ailleurs. La chambre 237 devient à mes yeux une sorte de voie de communication entre le cerveau complexe de Danny et la folie de Jack, alimentée par les fantômes de l'Overlook. Cette correspondance entre les lieux et la psychologie (Plus maîtrisée chez Danny que chez son père) se retrouve d'ailleurs dans la moquette des couloirs, aux motifs proches des parois d'un labyrinthe. Et le lien entre les scènes, et les différents décors de l'hôtel, est souligné non seulement par les incessantes courses de Danny sur sa petite voiture, mais aussi par une balle, lancée par Jack dans une scène, et qui douée d'une vie propre, finit sa course 15 mn de film plus tard à côté de Danny qui joue dans le couloir...

Shelley Duvall n'a pas un rôle facile, et Wendy rejoint les personnages féminins de Kubrick, si malmenés depuis au moins Lolita: elle est priée instamment de ne pas déranger Jack, et celui-ci a des discussions odieusement phallocrates en compagnie de certains fantômes... Une façon selon moi d'apporter de l'eau au moulin, non pas d'une théorie d'un Kubrick misogyne, mais bien de l'idée que Kubrick soit un peintre ironique de la condition masculine, essentiellement. Ses héros sont des hommes, et ici, Shelley Duvall est exclue, comme les femmes étaient exclues de l'univers de Barry Lyndon, représentant au mieux quelques semaines de tendresse, au pire des décennies d'ennui: ce que Redmond Barry nous faisait comprendre en soufflant la fumée de sa pipe au nez de Lady Lyndon. L'univers de Kubrick est un univers mené par les hommes, par des hommes qui parfois désirent (Lolita, par exemple), mais ce sont tous des Buck Turgidson: les femmes y sont interchangeables... Et comme les mondes masculins qu'il peint sont tous défectueux, qu'on ne s'étonne pas si le dernier mot dans son oeuvre reviendra à Nicole Kidman (Eyes wide shut)! Au passage, on constate que si de ci de là des images de meurtre, ou de flots de sang, des messages de l'au-delà (Redrum...) renvoient de façon assez classique (Quoique très effective, presque définitive!) à une codification très ancrée dans le film d'horreur, Kubrick détourne la règle du jeu en nous montrant Jack évoluer de façon conviviale chez les fantômes, qui l'acceptent directement comme l'un des leurs, mais également lie la maison hantée au sexe, à travers une scène assez morbide. Celle-ci n'a rien d'érotique, le metteur en scène étant peu à l'aise avec ce genre de choses (Comme dans Eyes wide shut, on dépasse à peine le degré d'érotisme d'une publicité pour sous-vêtement!). Kubrick a su en tout cas préserver suffisamment de mystère sur le sens de son film pour le rendre aussi efficace à chaque vision...

Comme d'habitude, le tournage, qui a duré plusieurs années, a été une immersion complète pour les participants, et a abouti à un film inoubliable. La façon dont Kubrick utilise le jeu des acteurs distordu par l'épuisement, pousse ses acteurs et actrices (Pauvre Shelley Duvall, qui a vécu un enfer...) au bout de leurs forces, et obtient des images qui restent toujours superlatives, force malgré tout, aujourd'hui, l'admiration par le résultat obtenu... Son sens aigu de la composition, assisté de l'utilisation géniale de la steadycam, et de trouvailles fantastiques pour faire naître le mystère et le surnaturel (L'irruption d'une balle venue de nulle part, et les apparitions statiques de fantômes), lui ont permis d'éviter d'avoir recours à des effets spéciaux. Mais en plus, finalement, tout ce qui est là, sous nos yeux, est réel, tangible... C'est miraculeux, comme le fait qu'un film de cette trempe, disséqué, analysé, décrit de livres en articles, diffusé, montré, parodié, comme le sont encore Psycho ou Jaws, puisse encore avoir le même pouvoir, 30 ans plus tard.

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Published by François Massarelli - dans Stanley Kubrick Stephen King