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2 juin 2021 3 02 /06 /juin /2021 09:30

Deux faits aussi navrants l'un que l'autre, et sans aucun rapport l'un avec l'autre, vont se télescoper: Suze Trappet (Virginie Efira), coiffeuse, apprend d'un médecin bredouillant que les cosmétiques utilisés dans son métier lui ont refilé une maladie mortelle, et incurable. Effondrée, elle prend une décision: avant de mourir, elle va retrouver la trace de l'enfant qu'elle a eu 28 ans auparavant, et qu'elle a sous la pression de ses parents abandonné pour adoption; de son côté, Jean-Baptiste Cuchas (Albert Dupontel), informaticien surdoué à la sociabilité plus que perfectible, apprend qu'il va devoir laisser la place à des petits jeunes, à la demande de ses supérieurs...

Ce qui va les rapprocher, c'est que Cuchas travaille dans l'administration sociale, et quand il tente de se suicider, son bureau est juste à côté du cubiculum où Suze tente d'obtenir d'un fonctionnaire morne et mécanique une aide pour retrouver son enfant: quand il se rate, Cuchas tire avec une grosse carabine, par erreur, sur l'infortuné gratte-papier. Pour les deux losers, c'est le début d'une cavale: Suze demande à Jean-Baptiste d'utiliser sa science de l'informatique afin de retrouver son fils perdu, et Jean-Baptiste attend de Suze qu'elle témoigne du fait que son geste était bien une tentative de suicide, et non une chaotique forme de protestation terroriste et meurtrière... Ils seront aidés dans leur périple par deux autres perdants, le Docteur Lint (Jacky Berroyer), obstétricien atteint d'Alzheimer, et Serge Blin (Nicolas Marié), un ingénieur EDF qui a perdu la vue...

Dédié à Terry Jones: le grand universitaire Gallois, écrivain, cinéaste, comédien, auteur dramatique, spécialiste reconnu de Chaucer, et membre à vie (et à mort) des Monty Python, est décédé au début de la triste année 2020, et Dupontel qui a souvent travaillé avec lui (c'était lui qui jouait Dieu dans Le créateur) lui rend ainsi hommage... Pourtant c'est à l'univers d'un autre Terry, tout aussi Monty mais beaucoup moins Gallois, que le film fait penser. D'ailleurs Gilliam est lui aussi un mentor de Dupontel, auquel il a fait l'amitié d'accepter de participer avant ce film à Enfermés dehors, et 9 mois ferme. Ici, il participe, en quelque sorte, de deux façons: d'une part il joue un petit rôle, propice à déclencher l'hilarité, je vous laisse découvrir par vous même; et d'autre part son univers de cinéaste a servi de matrice à ce septième long métrage de Dupontel, et par au moins trois détails. Enfin, "détails", c'est un mot un peu vague: d'abord, il y a ici un acteur qui joue un rôle, celui d'un certain M. Tuttle, ce n'est sans aucun doute pas un hasard, quand on sait que Tuttle est l'un des personnages-clés de Brazil. Ensuite, Dupontel utilise le décor, lors de la scène du suicide chaotique, pour citer l'ambiance de Brazil, justement: les tuyaux en plastique à poubelle qui pendouillent du plafond, les fils électriques en grappe, tout renvoie à la fameuse scène de l'appartement envahi par les matières fécales dans le film de science-fiction de Gilliam. Enfin, le propos des deux films est étrangement similaire, avec dans les deux la fuite en avant de deux personnes, un fonctionnaire associable et gauche, et une jusqu'au-boutiste condamnée à plus ou moins brève échéance. Et les deux films sont d'imposantes radiographies d'un monde en déliquescence...

Ce qui ne veut pas dire, d'une part, qu'Adieu les cons soit un plagiat, absolument pas, et on en est très loin. On est plus devant un hommage structurel, à la façon dont les frères Coen, par exemple, revisitent les genres en se servant de films comme modèles dont ils vont refaçonner les contours: The big sleep, d'Howard Hawks, pour The big Lebowski, ou encore Sullivan's travels de Preston Sturges pour O Brother where art thou?... Et d'autre part, ce n'est pas parce que le film de Dupontel se veut une charge d'un monde en pleine détresse émotionnelle, que l'on n'y rigole pas, au contraire... Les gags pleuvent, et c'est du grand luxe: bien sûr, il y a des répliques superbes, cette obsession du cinéphile français qui n'a pas toujours compris que le film c'est aussi de l'image (Dupontel: "Comment il va, M. Dupuis?"; Efira: "Moyen"; Dupontel: "Moyen mort, ou moyen vivant?"); évidement, le film repose aussi sur le concours d'une troupe d'acteurs qui reviennent de film en film avec le metteur en scène: Marié, déjà cité, Michel Vuillermoz formidable en psychologue du ministère de l'intérieur, et Philippe Uchan qui interprète le supérieur de Cuchas, il s'appelle Kurtzman (et ça aussi c'est une piste), et il est incapable de prononcer "Cuchas"; le médecin au début n'est autre que Bouli Lanners, et il est royal... Normal: il est belge! Non, le plus beau, c'est l'abondance d'humour physique, donc visuel, et l'énergie formidable qui se dégage du film, monté sans un poil de graisse. De plus, les deux acteurs principaux, qui doivent constamment évoluer du tragique vers le comique, dans un seul souffle, sont superbes, et j'applaudis enfin Virginie Efira qui cette fois m'a plus que convaincu.

Je parlais du rythme soutenu... C'est pourtant une fable, comme Brazil, et des plus cruelles; le portrait du monde dans lequel nous vivons, et où l'ironie du sort a fait qu'au moment de sortir, le film a du se prendre une pandémie internationale dans les dents, est sans équivoque: on vit mal, le nez dans des portables (pour ceux qui en ont, car il y en a), on ne sait plus communiquer, la preuve les noms sont d'une grande difficulté à retenir; on remplace le vieux qui a fait ses preuves (Jean-Baptiste ou les quartiers d'île-de-France) par du jeune clinquant et du style moderne; les administrations sans aucun lien apparent avec la réalité, les policiers, les DRH: tout le monde fonctionne au protocole, et pour se faire aider, on n'a plus que deux ressources: le système D, et... les faire-valoir à la fois minables et sublimes: le Dr Jacques Lint ("Jacques... c'est moi?") à la fois reflet d'une époque nostalgique et symbole de l'oubli par sa maladie, et bien sûr l'archiviste aveugle, source inépuisable de gags potaches, interprété par Nicolas Marié: il n'empêche, cet handicapé un peu dragueur, un peu veule, va se conduire en héros... et se cogner dans à peu près tout et tout le monde, aussi, car on est dans une comédie.

Oui, mais une comédie noire, qui touche juste, qui a un message tout simple: et si on levait la tête et qu'on s'aimait. Ca ne va pas loin? Parce que "traverse la route, tu vas en trouver du boulot", ou "suicidez-vous", "il y a ceux qui ne sont rien", ou "la république, c'est moi", ça va loin peut-être? Non, c'est bien une comédie, mais elle vise juste et à la fin, 

Non, voyez-le, c'est une merveille.

 

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Published by François Massarelli - dans Albert Dupontel Comédie Terry Gilliam Virginie Efira
21 avril 2021 3 21 /04 /avril /2021 09:12

Espagne, de nos jours... Dans un désert du Sud, on tourne un film publicitaire. C'est Toby (Adam Driver), un réalisateur ombrageux et revenu de tout, qui est aux commandes. Son ego le pousse à la confrontation systématique, avec ses techniciens, ses producteurs, son agent, et même ses amis. Lors d'une soirée, un gitan mystérieux lui donne un DVD pirate d'un vieux film tourné en Espagne: Toby y reconnaît son film de fin d'études, un Don Quichotte en noir et blanc tourné avec des acteurs non-professionnels... Il se rend compte qu'il avait oublié cette partie de son passé et décide d'aller faire un tour sur les lieux du tournage situés à deux pas, et d'essayer de renouer les liens avec les gens qu'il avait rencontrés à cette époque...

...Il n'aurait pas du. Il va revoir quelques fantômes du passé, et s'apercevoir que Javier (Jonathan Pryce), le cordonnier qui interprétait Don Quichotte dans son film, est devenu fou et se prend effectivement pour le chevalier de Cervantès. Pire: il est tellement obsédé par la perte de Sancho Panza (l'acteur qui l'interprétait est décédé) qu'il décide sur le champ que Toby est son compagnon et faire-valoir!

Après les faux départs de 1989, 2002, 2015, Gilliam a fini par le faire, son film maudit! Forcément, il a bien du changer et évoluer en fonction des nouveaux interprètes, et de la nouvelle donne mondiale. Par exemple, il est souvent question de l'obsession terroriste avec des gens qui crie à l'assassin dès qu'ils rencontrent des musulmans! Il y a sans doute beaucoup de Gilliam lui-même dans le personnage de Toby, même si on a du mal à le reconnaître dans cette créature insatisfaite et si facilement prise au jeu du compromis... Mais le lien essentiel entre un artiste, son oeuvre, son évolution, ses principes et sa vie personnelle ne peuvent que résonner dans la tête de Terry Gilliam, le fou de cinéma qui n'a jamais été capable de compartimenter sa vie de quelque manière que ce soit...

Et le film lui ressemble aussi, tant il est "gilliamesque": un homme oris et balloté entre deux mondes, et un autre qui est définitivement passé de l'autre côté: avec Toby et Javier, Gilliam nous donne deux créatures que nous avons déjà vues dans ses films, entre Sam Lowry, Parry, le baron de Mücnhausen, James Cole, et Qohen. De même, son histoire a déjà été traitée sous une forme évidemment différente dans The fisher king, mais nous savions déjà que Gilliam est un artiste avec une thématique féconde mais délimitée... Ce qui change dans ce film soigné, c'est à quel point le drame qui se joue nous apparaît comme une comédie, faisant presque (j'insiste sur le presque) de ce film sur le lien ténu entre un artiste et sa création, et son effet sur le monde, une comédie...

Adam Driver est formidable, ce qui n'est pas nouveau, mais se confirme de film en film... Dans le personnage qu'il a créé (avec un costume blanc du plus haut prétentieux, des mocassins - sans chaussettes! -, et une queue de cheval), il apparaît en effet comme le type imbuvable, revenu de tout qu'il semble être. Mais le traitement que lui inflige Gilliam va le faire passer par toutes les horreurs et toutes les couleurs! Il réussit à intégrer la comédie façon Gilliam y compris physiquement, c'est troublant. Le film bénéficie aussi d'un tournage en Espagne, où Gilliam a pu avoir la satisfaction de ne pas avoir à créer des merveilles en studio ou en images de synthèse: à plusieurs reprises, le cinéaste capte des images sublimes... 

Mais il y a un bémol, de taille. Non que cette histoire, qu'il a essayé de filmer cent fois jusqu'à l'obsession, parce qu'elle ressemble tellement à son cinéma et en fait à tous ses films, soit inintéressante. Non: cette histoire qui ne fait pas mentir son titre se joue essentiellement entre deux hommes, et quel que soit le talent des autres interprètes (et Rossy de Palma, Sergi Lopez, Stellan Skarsgaard, ou Olga Kurylenko ONT du talent), ils peinent à exister, et la cavale magnifique se transforme parfois, dans ce film où la patte du créateur est si permanente, en une représentation de guignol avec des pantins agités: bref: c'est un film de Terry Gilliam, pour le meilleur et pour le pire.

 

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam
2 novembre 2019 6 02 /11 /novembre /2019 16:31

Le 9 novembre 1979, un débat organisé à la BBC opposait deux représentants médiatiques de la Chrétienté et deux comédiens issus de l'éminente troupe trans-Atlantique Monty Python. L'objet du débat était justement ce film, et sa sortie qui avait déclenché une tempête de protestations délirantes de la part d'un grand nombre de groupes religieux. En Grande-Bretagne notamment, le film a été accepté par l'organisme de censure central, ce qui voulait dire que le censure deviendrait en réalité locale: ça n'a pas loupé, les instances locales ont commencé à se déchaîner, généralement sous l'influence directe de groupes de personnes qui n'avaient pas vu le film...

Durant le débat, Michael Palin et John Cleese faisaient face à Malcolm Muggeridge, journaliste, essayiste et Catholique fervent, et à l'évèque de Southwark Mervyn Stockwood. Le débat en lui-même est une merveille d'humour, souvent involontaire, mais ce qu'il en ressort est assez affligeant: d'une part, il semble qu'il soit toujours difficile, même quarante années plus tard, de consacrer un film à la religion. D'autre part, les deux "opposants" au film étaient tellement nuls qu'on peut vraiment se demander ce qui motive encore tous ces groupes... Tout ça pour que deux misérables vieilles badernes en mal de publicité se lovent sur un fauteuil en accusant les comiques qu'ils ne regardent pas même en face d'avoir trahi le Christ ("Vous aurez vos trente pièces d'argent", pour les citer)... Mais en dépit de la perte de temps, cette heure de débat largement disponible sur le net, est l'occasion d'entendre Cleese et Palin qui a eux seuls sont sans doute les seuls membres de Python à pouvoir réellement représenter le groupe, résumer la vision globale des six comédiens sur leur film, une oeuvre qu'ils continuent aujourd'hui (sauf Graham Chapman, du coup) à défendre comme leur oeuvre la plus importante...La vérité donc est que loin de tailler un costard au Christ, le but des six membres de Monty Python était de s'intéresser au processus de mythification présent dans la Judée de l'époque des Evangiles, et de la prendre comme une sorte de terrain idéal pour représenter la naissance de toutes les religions. Et comme le soulignent les deux comédiens, durant tout le film, Jésus continue à vivre son destin, sans qu'il se passe quoi que ce soit pour l'empêcher de parler: le sermon sur la montagne est pris en exemple dans le débat, et c'est justement le moment qu'ont choisi les Pythons pour souligner qu'ils s'éloignaient de la vie du Christ littéralement, pour s'intéresser aux coulisses.

Rappelons donc l'intrigue de ce film unique en son genre: né le même jour, à la même heure et une étable à côté de Jésus, Brian (Graham Chapman) a eu l'étrange destin d'être considéré comme un messie, et d'aller jusqu'au bout alors que tout ce qu'il voulait, c'était globalement de vivre, en particulier pas trop loin de la belle Judith, mais aussi de régler son conflit intérieur: né de père inconnu, il lui est a en effet été dit qu'il était très probablement le fils d'un légionnaire Romain...

C'est une intrigue, beaucoup plus solide que celle de Monty Python's Holy Grail; et pour une fois, toutes les digressions possibles et imaginables sont totalement inscrites dans la continuité du film... Outre le fait qu'il soit luxueusement mis en scène par Terry Jones à son meilleur, le point fort de Life of Brian est précisément que l'humour, méchant voire corrosif, ne touche jamais la religion: il tourne autour, mais tout simplement parce que la cible est constamment les hommes qui l'exploitent... Le degré de réflexion du film est d'ailleurs impressionnant, avec un parallèle constant entre les épisodes et la manière dont les hommes se sont joyeusement fourvoyés ensemble, puis entre-tués, pour des histoires de liturgie, de saintes reliques et de lieux sacrés: en témoignent en particulier les scènes qui voient les curieux suivre Brian comme le Messie par malentendu... Ca commence par des gens qui décident d'enlever une sandale parce qu'il en a perdu une, et ça se termine par le lynchage d'un infidèle! Ce n'est pas la croyance qui est la cible, mais le dogme et l'insupportable tendance à l'obscurantisme.

Les Pythons réussissent même à se mettre d'accord sur un apport idéologique dans cet étonnant film puisque la leçon à retirer de tout ceci (et qu'auraient du suivre tous les critiques auto-proclamés de ce film, mais aussi les poseurs de bombes dans les cinémas qui  projetaient The last temptation of Christ sept années plus tard) c'est qu'avant de se jeter sur n'importe quoi pour en faire un dogme il conviendrait que l'homme réfléchisse. Et par ailleurs, comme le dit Brian à la foule, "vous êtes tous différents": la réponse dans le film est comique, je la cite donc... La foule, d'une seule voix: "oui, nous sommes tous différents!"... Puis un quidam seul au deuxième rang: "pas moi"...

Si j'ai cité cet incroyable débat au début de cet article, c'est sans doute parce qu'il montrait la noblesse de la comédie face aux arguments rassis, et aux manigances dogmatiques des deux invités qui n'étaient pas des Monty Python. L'âge désormais vénérable du film aidant, on a fini par vivre avec Life of Brian en bonne intelligence, et c'est tant mieux: d'abord parce que c'est un excellent film, et ensuite parce qu'il cristallise pour toujours le talent du seul groupe de rock dont aucun des six membres ne jouait ni ne chantait (sauf Eric Idle, bien sûr)... Et c'est parce qu'ils ont tous fini par tomber d'accord, que les six comédiens ont réussi à ce point à faire un film ensemble. C'est la force de cette production, qui est sans conteste la plus grande réussite cinématographique du groupe. Je pense aussi que c'est la seule, tant le premier film (Holy Grail) était, admettons-le, une vaste fumisterie, aussi soignée soit-elle, et le troisième, The meaning of life, ma foi, est surtout un épisode allongé du Flying circus. Pas le meilleur, du reste...

Mais je digresse à mon tour. Je vous invite à ne pas tenir compte de tout ce qui précède, et à prendre ce qui suit comme l'essentiel de ce qu'il faut savoir sur le film:

Life of Brian est une tentative de satiriser le passage de l'anecdote à la religion, et de faire de la comédie brillante dans les coulisses du sacré. C'est fait avec un texte brillant de bout en bout, des acteurs fabuleux, qui ne se limitent pas aux Monty Python, puisqu'on y reconnaît les amis Carol Cleveland, Neil Innes, George Harrison, Charles McKeown, Sue Jones-Davis, Spike Milligan et Terence Bayler (qui a presque autant de rôles que John Cleese)... On y raille aussi les leçons excessives de latin (Romani, Ite Domum) et Star Wars, dans une séquence idiote due à l'esprit malade de Terry Gilliam, on s'y moque avec classe des différences culturelles et de l'antisémitisme, on se moque de l'extrême gauche et de la révolutionnite aigue se muant essentiellement en diarrhée verbale (c'était il est vrai une époque où la gauche avait encore des cellules grises)...

Deux scènes pour finir: dans une séquence située au cirque, un supplicié fait courir le gladiateur qui doit le tuer, et ce dernier meurt d'une crise cardiaque: le condamné (Neil Innes) remercie la foule en faisant des bras d'honneur; dans la deuxième, les révolutionnaires ont un énième débat, et Reg (John Cleese) commet une erreur, celle de demander ce que les Romains ont apporté... Tous les participants ont alors un exemple à donner, rendant le message du leader impossible: les routes, le système d'évacuation d'eau, le vin... Un des présents avance même "la paix romaine", à l'approbation de tous!! 

Bref, c'est un classique. Quand à Muggeridge et Stockwood, tout le monde les a oubliés...

Addition (29 janvier 2020):

Depuis l'écriture de ce texte, deux de ses protagonistes nous ont, tristement, quitté: Neil Innes, compagnon de route, Python numéro 7bis, et musicien légendaire. Et bien sûr le grand Terry Jones: two down, four to go...

 

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18 août 2019 7 18 /08 /août /2019 11:07

Un clochard amoureux, Roland (Albert Dupontel) saisit une opportunité en or: un policier qui vient de mettre fin à ses jours a laissé derrière lui un uniforme. Comme les collègues du suicidé ne supportent pas que Roland franchisse la porte du poste de police (du moins volontairement), il se résout donc à utiliser le déguisement pour défendre la veuve et l'orphelin. Il commence donc par essayer de protéger les sans abris (ceux qui comme lui sont "enfermés dehors", dont Bruno Lochet, Yolande Moreau, Philippe Duquesne, Bouli Lanners,Terry Gilliam et Terry Jones) puis se concentre sur le cas de Marie (Claude Perron): celle dont il est amoureux parce qu'il dort pas loin d'une affiche qui promeut le sex-shop où elle travaille (elle était auparavant star du porno), et qui la représente de façon forcément aguicheuse. Bien sûr elle ne le connaît pas, mais il va quand même essayer de lui rendre justice: sa fille Coquelicot a été "enlevée" par ses grands-parents, les Duval (Hélène Vincent, Roland Bertin), qui désapprouvent le métier de leur belle-fille... Parallèlement, Roland apprend lors d'une conversation avec un "collègue" que le richissime Armand Duval-Riché (Nicolas Marié) est corrompu, et les deux affaires vont se mélanger dans son cerveau abîmé par la consommation de colle...

Ca a l'air de faire beaucoup, comme ça, mais il y a une grande logique derrière tout ça. C'en serait même simpliste, puisque si Dupontel a un peu commencé avec ce film à infléchir sa manière (plus tendre, moins méchante), il a quand même choisi de le situer dans un monde qui est vu au travers des yeux d'un enfant, même si cet enfant s'appelle probablement Bernie... Et d'ailleurs le parcours accidenté de Roland est de la pure bande dessinée. La première fois qu'on le voit, il est dans le fond de l'image, à sauter sur de vieux matelas, complètement shooté à la colle. Il rebondit tant et si bien qu'il atterrira vingt mètres plus loin... Donc tout ça n'est effectivement pas bien sérieux. 

C'est du dessin animé, bruyant et mal poli, dominé par les performances excessives et souvent réjouissantes: Nicolas Marié en sale type riche, mais qui a cette fois le privilège de pouvoir se racheter... Hélène Vincent, malmenée par son réalisateur, doit risquer sa peau en se suspendant dans le vide... Et Bruno Lochet se prend des parpaings dans la tête! La présence de Terry Jones et Terry Gilliam (je ne me lasse pas de l'écrire) dans une scène courte mais mémorable, ensemble, situe le film dans la tradition de la plus saine des bouffonneries, et la musique d'Alain Ranval (également connu sous le nom de Ramon Pipin) et le montage volontairement haché confirment cette tendance. 

Mais Albert Dupontel derrière l'excès et la comédie, a toujours une dent dure, et si tout est ici simplifié, on y voit quand même un clochard qui se substitue à la police dont il considère qu'elle ne fait pas son travail. Bien sûr son altruisme a de sérieuses limites, et il va finir par se concentrer (comme Amélie Poulain, tiens!!) uniquement sur le cas de Marie et de sa fille. Quand même, il y a une petite graine de justicier derrière ce grand méchant Dupontel, qui reste l'un des plus intéressants de nos cinéastes en exercice. Y compris avec ce petit film rigolo, où il mêle sa gouaille et un univers essentiellement visuel où on trouve même des bribes de Tati... Mais en avance rapide.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Albert Dupontel Terry Gilliam Terry Jones
20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 17:37

Voilà ce qui arrive quand un groupe de comédiens-auteurs, qui ont tout dit, et ont pour mission de faire un film, sans avoir la moindre idée de ce qu'on peut mettre dedans: une sorte d'épisode géant du Flying Circus, avec un budget pharaonique, un semblant de direction ("parlons du sens de la vie"), une sorte de conclusion pré-déterminée (la vie et l'humanité ne servent à rien, n'écoutez pas ce que vous disent les corps constitués, surtout l' église, l'armée et l'éducation), et une envie de faire le tout d'une manière tellement folle qu'on ne vous confiera plus jamais les rênes d'un film...

Et c'est donc ce à quoi il fallait s'attendre: un film qui vous fera passer du sourire au rire gras, en envoyant aux orties toutes les occasions de finir proprement, à tout les sens de cet adverbe. Un accouchement traité comme une formalité, une comédie musicale sur l'interdit de la contraception interprétée par une famille pauvre et Catholique du Yorkshire, une leçon d'éducation sexuelle particulièrement graphique, une série de chapitres particulièrement sordides sur l'armée, la mort vue sous les angles les plus idiots, les plus scandaleux ou les plus crétins possibles, et au final, bien sûr on n'a pas avancé. Alors c'est un film, oui, par moments hilarant.

Mais je ne sais pas, et ne saurai jamais quoi en penser: escroquerie du siècle, ou coup de génie? John Cleese, lui, pense que ce bouquet de transgressions n'aurait jamais du exister. Terry Jones, pour sa part, le préfère à tous les autres. On ne les réconciliera jamais, ces deux-là!

Ce film qui joue avec sa forme comme jamais auparavant (laissant le court métrage de complément de programme le parasiter...) est une énigme, qui possède l'avantage de vous faire chercher le poisson.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Lemon Curry Monty Python Terry Jones Comédie Fish Terry Gilliam John Cleese
8 avril 2018 7 08 /04 /avril /2018 09:35

 

En 1995, Keith Fulton et Louis Pepe ont tourné The hamster factor, qui montrait les aléas de la production de 12 monkeys, de Terry Gilliam. Ce film est un autre documentaire, cette fois sur un film qui ne s'est pas fait!

Désireux depuis toujours de tourner son Don Quichotte, qui lui a occupé l'esprit pour une bonne part des années 90, Terry Gilliam a finalement obtenu le feu vert pour se lancer dans l'aventure, au début des années 2000. C'était une production Européenne, tournée en Espagne en anglais, avec Johnny Depp, Vanessa Paradis mais surtout le grand Jean Rochefort en Don Quichotte.

La bonne nouvelle qui a permis d'avoir le feu vert, c'est probablement que ce dernier non seulement ait accepté le rôle, mais plus encore le fait qu'il ait été persuadé qu'il s'agissait du rôle de sa vie.

Mais un budget revu sérieusement à la baisse, les problèmes de santé vite insurmontables de Rochefort, et le temps pourri, le tout saupoudré d'une tendance de Gilliam à s'enfermer dans sa vision au point de ne plus communiquer avec ses techniciens, allaient plomber le tournage. Et ce en six jours... mais si vous ne croyez pas qu'on puisse faire un documentaire intéressant avec six jours de tournage d'un film qui restera à jamais inachevé, détrompez vous!

Car ce qui apparaît de façon évidente dans Lost in La Mancha, c'est la méthode Gilliam, ou plutôt son absence de méthode. Le metteur en scène est coutumier des tournages qui n'aboutissent pas, des films qui ne se feront jamais, mais aussi et surtout des films qui posent problème sur problème quand ils se font: Brazil, Baron Münchausen, The fisher King, on pourrait continuer la liste... Et dans ce film nous le voyons se battre, y croire, ne plus y croire, abandonner... C'est du cinéma vérité, qui s'approche au plus près de ce qui est le lot du metteur en scène: son incapacité à faire comme tout le monde, et son refus de ne pas demander l'impossible...

Ce documentaire n'est donc pas que l'histoire d'un film maudit, qui ne s'est pas fait, et ne se fera jamais sous cette forme: Gilliam s'est relancé dans une nouvelle tentative, avec Robert Duvall en Quichotte. Puis une troisième tentative (en schématisant parce que les péripéties sont autrement plus compliquées), mais celle là vous en avez nécessairement entendu parler: le film est fini, et va sortir: Jonathan Pryce y joue Quichotte, et Adam Driver Sancho, ou du moins celui que Quichotte croit être son compagnon. 

Rendez-vous en salles...

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam
25 novembre 2017 6 25 /11 /novembre /2017 10:56

Parlons, une fois de plus, de films maudits. Terry Gilliam, une fois lancé dans le monde impitoyable du cinéma, a eu sa dose : dès l’expérience, co-réalisée avec Terry Jones, de Monty Python and the holy grail, les ennuis ont commencé : le film n’avait aucun financier et ne se serait pas fait si un panel d’amis et de rock-stars assemblées autour du fidèle Beatle George Harrison n’avait secouru la troupe de comédiens et leur film. Time bandits a eu à peu près la même histoire, avec une nouvelle fois George en super-Beatle à la rescousse, mais on monte d’un cran ensuite avec deux films produits par des studios qui font tout pour stopper, couler, et enterrer le film eux-mêmes: Brazil et Münchausen. Avec Twelve monkeys, Gilliam a expérimenté les effets désastreux de sa propre insécurité sur un tournage, et depuis, il y a eu l’échec répété de nombreux projets avortés, dont Watchmen, la réception abominable (Et partiellement justifiée) de Fear & loathing in Las Vegas, le tournage en forme de conflit perpétuel de Brothers Grimm et par-dessus le marché l’équipée calamiteuse de The man who killed Don Quixote. Donc on est face à un spécialiste du film malchanceux. Et pourtant il tourne…

Oui, mais avec The imaginarium of dr Parnassus, Gilliam ajoute un nouveau chapitre, d’une part à son œuvre, parce qu’il est un film très personnel; ensuite à l’histoire compliquée des tournages qui se passent mal, parce qu’on parle ici de la mort d’un acteur de premier plan à 60% du tournage ; enfin un nouveau chapitre de l’histoire du cinéma, parce que l’idée retenue par Gilliam pour finir son film est tout, sauf banale…

Au commencement de ce scénario co-écrit par le revenant Charles McKeown (Son collaborateur sur Brazil et Münchausen), est le rêve: il n’est plus besoin de présenter ce vecteur de l’imagination libre, qui est pour Gilliam à la fois une source et un aboutissement de son art, dans lequel la première place est toujours laissée à l’imaginaire débridé, associé à toutes les émotions humaines, et opposé en général à la petitesse et l’étroitesse d’esprit des bureaucrates, militaires, autocrates et politiciens, figures autoritaires de tout poil. Ici, Christopher Plummer interprète le Docteur Parnassus, le propriétaire d’une attraction foraine, qui fait passer les gens de l’autre coté du miroir, où ils peuvent laisser libre cours à leur imagination et se promener dans un monde qui ressemble à leurs plus beaux rêves. Mais cela va au-delà, car Parnassus doit maintenir ce développement de l'imagination de tout un chacun afin de soutenir le monde et lui permettre de continuer son existence. Il voyage dans son « imaginarium » en compagnie de trois personnes, Percy (Verne Troyer), son assistant de petite taille; Valentina (Lily Cole), sa fille de presque 16 ans, et Anton (Andrew Garfield), illusionniste-compère, clairement amoureux de Valentina. Mais on apprend très vite que Parnassus est lié à un étrange pacte avec Mr Nick (Tom Waits), une figure diabolique: afin de lui garantir l’immortalité, Nick a imposé à Parnassus un marché, qui fait que tout enfant qui viendrait au « docteur » serait automatiquement la propriété de Nick passé ses seize ans. La date butoir approche, et Parnassus renégocie son arrangement avec le Diable : il vont entrer en compétition, et tous les « clients » de l’imaginarium vont soit laisser leur âme à Parnassus, soit à Nick. Celui qui gagne 5 âmes a gagné. Sur ces entrefaites, un élément perturbateur va arriver, sous la forme de Tony, un pendu secouru par Anton et Valentina, et qui fuit manifestement quelque chose, se faisant passer pour amnésique. Il va très vite devenir un élément important de l’attraction, compliquant en tous points la donne : Valentina l’aime, Anton en est jaloux, et Parnassus découvre vite que le jeune homme cache décidément beaucoup trop de choses…

Ca a l’air compliqué, mais en fait ça l’est réellement. Mais ce scénario délirant, qui fait une fois de plus la part belle à la construction chatoyante de mondes bizarres et comiques, a du changer afin d’oblitérer la mort par surdose de Heath Ledger qui joue Tony. Les effets de cette absence sont indélébiles sur le film, d’abord parce que les acteurs convoqués pour remplir le vide ne sont pas des inconnus, et ensuite parce que le jeune acteur n’avait pas fini, y compris les scènes dans lesquelles il a effectivement tourné. Il n’a pas pu non plus se livrer à la moindre postsynchronisation, et honnêtement cela se sent. Venons-en malgré tout à cette étrange idée qui fait certainement l’essentiel de la réputation du film: lorsque Tony entre de l’autre coté du miroir, il se passe quelque chose d’étrange : il ne se ressemble plus. Il n’est pas le seul, d’ailleurs. Un jeune homme, au début, est soumis à cette étrange transformation, alors qu’il entre lui aussi de façon imprévue dans la partie « délirante » de l’imaginarium. Ce jeune homme, saoul et agressif, dont le physique se transforme, permet au moins d’établir qu’une fois de l’autre coté, certains êtres, a priori malintentionnés, vont voir leur physique s’adapter aux circonstances. Heath Ledger étant décédé avant d’aborder le tournage des scènes d’imagination, Gilliam a demandé à Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell d’interpréter ses autres moi: chaque épisode est adapté à l’acteur... Depp, enfantin et fantasque, interprète le premier changement, celui de la découverte de l’autre coté du miroir, dont on peut dire que Tony ne s’y attendait pas, ce qui fait de lui presqu’un enfant ; Law, lui, interprète un passage dans lequel Tony passe volontairement de l’autre coté, car il est poursuivi par la mafia russe, et le passage, assez long, va imposer à Tony diverses épreuves, dans lesquelles le physique, toujours partagé entre flegme et inquiétude, de l’acteur Britannique, fait merveille. Enfin, le dernier passage qui va révéler la duplicité, la malhonnêteté, et pour tout dire le mal incarné par Tony, sied bien à Colin Farrell et sa petite tête de fouine mal embouchée. Bon, ceci dit, c’est quand même du bricolage, et ça nécessite de la part du public à la fois compréhension (Les gens sont ainsi faits) et adhésion...


Le film est, partiellement à cause de cette mort et de ses conséquences sur la production, à-demi raté ; mais franchement, si les images de l’ensemble, la réalisation des rêves et séquences oniriques, les idées qui se bousculent, réjouissent l’œil et nous rappellent au meilleur de Terry Gilliam, l’histoire est compliquée, et un peu trop personnelle, dans la mesure ou le metteur en scène, fidèle à son habitude, se fait d’abord plaisir à lui-même, avant tout. Il n’est pas trop difficile de le voir lui-même en un Parnassus soucieux d’assurer son immortalité, qui compose avec le diable à chaque fois qu’il le faut, mais perd plus que sa chemise plus d’une fois. Le Mont Parnasse, d’ailleurs évoqué dans la première séquence onirique, était dans la mythologie Grecque le siège de la poésie et de l’imagination, et il faut voir en Parnassus le créateur ultime, dont le « théâtre » donne à voir à toute personne un reflet de sa propre imagination. Tout y est, du créateur universel au rapport intime avec le cinéma. Par ailleurs, une telle histoire ne pouvait pas se finir autrement que mal, et Parnassus a un destin particulièrement méchant à son égard. Gilliam, en proie à tous les tracas du monde, s’est représenté en Parnassus, et le réalisateur a associé sa fille Amy, qui est productrice sur le film. Valentina, un autre clin d’œil? On ne peut pas lui en vouloir, et le degré d’implication personnel n’est pas un défaut, mais on a le sentiment que toute cette machine tourne un peu à vide: le film est très compliqué à suivre, jouant sur de multiples points de vue, eux-mêmes rendus tout sauf explicites lorsqu'un acteur se rend dans l'imaginarium et laisse son inconscient prendre le pouvoir. Et par la force des choses, comme Gilliam l'admettra compte tenu des circonstances particulières, ici les coutures se voient beaucoup. Fallait-il finir le film ? Oui, bien sûr. Mais il devrait être vu comme plus que ce mélange entre l’hommage envahissant à un acteur décédé (Que personnellement je n’apprécie pas outre mesure) et la complainte amusante mais maladroite d’un créateur frustré et goguenard. Une fois de plus, les circonstances ont extirpé de Terry Gilliam un rendez-vous manqué. Restent des images extraordinaires, dans lesquelles, allez, on sait qu'on ira se perdre à nos moments perdus, ne serait-ce que pour le plaisir de voir une escouade de policiers en tutus...

 

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam
22 novembre 2017 3 22 /11 /novembre /2017 17:29

 

Après l'expérience Monty Python, mis de coté en 1975, Terry Gilliam était déterminé à passer définitivement à la réalisation. Toute son activité d’animateur allait dans le sens d’une expression exacerbée de l’explosion graphique; de plus, son goût pour les cinémas de Pier Paolo Pasolini, Federico Fellini et Akira Kurosawa lui donnait envie d’essayer des formes de narration baroques inspirées de ces géants. Après avoir insufflé son grain de folie personnel dans Monty python and the holy grail en 1975 (Co-réalisé par l’autre Python Terry Jones), Gilliam a donc sauté le pas et écrit un scénario, inspiré principalement par le monstre créé par Lewis Carroll pour Through the looking glass, et par l’esprit de Holy grail d’autre part: montrer le moyen âge de façon aussi réaliste que possible, tout en louchant d'une manière appuyée vers Pieter Brueghel et Hieronymus Bosch.

Dennis Cooper (Michael Palin), fils de tonnelier, est un esprit moderne : il veut faire avancer le concept des finances en un moyen âge tellement rétrograde que tout le monde le prend pour un benêt, y compris la famille de Griselda (Annette Badland) sa douce amie. D’un autre coté, la préoccupation principal du quidam moyen est de survivre, puisque un monstre atroce décime les campagnes. Il faut un champion pour tuer la bête… Lors de son voyage vers la grande ville, Dennis va être mêlé de près à cette quête, menée par le roi Bruno, dit le douteux (Max Wall).

La reconstitution, comme dans le film des Python, est impressionnante, et cette vie bouillonnante et souvent intime (On défèque et urine dans à peu près toutes les scènes, c’est peu ragoutant) doit beaucoup aux films coquins de Pasolini et à Bosch aussi bien sûr. L’esthétique "moyen-âge" indéterminée a son charme, et les décors choisis par Gilliam se marient bien avec son sens déjà fantastique du cadrage, et de la lumière. Visuellement, c’est comme Duellists, de Ridley Scott: le talent éclate et fuse de tous cotés, on sent que ce metteur en scène ira loin, et qu’on le suivra. Et il remplit son but dans ce petit film avec un certain talent: non seulement le décor, le grouillement de personnages, explosent dans tous les coins, mais le script, dû à Gilliam et Charles Alverson, est une préfiguration de tant d'autres films: une peinture d'une société en déliquescence, vue par le plus petit des vermisseaux, alors que le roi règne, sous la surveillance de commerçants qui utilisent l'ombre de la bête pour garder leur consommateurs près d'eux...

Par contre, pour rester fidèle à l'esprit de Lewis Carroll dont le poème a inspiré le film, il fallait un monstre. En ces temps reculé, l'animateur Gilliam a choisi de passer par du physique, du tangible. Donc une créature de caoutchouc, habitée par un figurant... Le résultat, contrairement à ce que fera le metteur en scène avec ses créatures géantes dans Time bandits et Brazil, est fort décevant.

Gilliam a commencé à développer avec ce film plus qu'honorable une œuvre personnelle, dont diverses obsessions sont d’ores et déjà bien présentes : dans ce moyen âge infesté par une humanité mal foutue, Dennis Cooper est un rêveur, un être doué d’une infinie pré-science, dont l’heure finira par arriver. Il préfigure de beaucoup les rêveurs futurs, sous toutes leurs formes, qui viendront peupler les films du cinéaste … celui-ci s’est fait plaisir avec la peinture d’un système bureaucratique en perdition, très inspiré de l’Angleterre des années 70. Ce système, nous le reverrons, en particulier dans Brazil. Enfin, l’amour de Dennis pour la solide Griselda est maudit, mais je n’en dis pas plus...

 

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam Criterion
25 août 2017 5 25 /08 /août /2017 11:21

Ariane Felder (Sandrine Kiberlain) est juge. Pas une rigolote, non: célibataire militante, aimant son métier, et pas pour y montrer candeur ou gentillesse, non: c'est une tueuse. Mais un soir, pas n'importe lequel quand on y pense, puisque c'est le 31 décembre, la nuit durant laquelle l'être humain se croit obligé de déconner encore plus que d'habitude, elle va se lâcher, un peu contrainte et forcée. Poussée par ses collègues en meute qui organisent une fiesta indécente au palais de justice de Paris, elle va boire, danser, et quitter les lieux dans un état lamentable... A tel point qu'elle n'a aucun souvenir de ce qu'elle a fait cette nuit fatale.

Six mois plus tard, elle ne va pas bien. En consultant un médecin, elle apprend qu'elle est enceinte. Et en menant sa propre enquête pour établir d'où vient "l'intrus", elle découvre que le père s'appelle Bob Nolan (Albert Dupontel): cambrioleur pas fin, multi-récidiviste, il a été arrêté pour des faits particulièrement graves... Il a attaqué un vieil homme, l'a découpé en morceaux avant de manger ses globes oculaires.

Du moins c'est ce que dit le dossier...

Comment Ariane va-t-elle gérer l'affaire? Bob Nolan est-il vraiment le père? Y-a-t-il quelque chose à attendre d'un tel homme? Et d'ailleurs, le "globophage", comme on l'appelle désormais, est-il vraiment ce monstre qu'on décrit?

Une immense surprise, voilà comment on peut qualifier ce film admirable. J'insiste sur l'adjectif: on n'a que très rarement, sinon jamais, eu une telle qualité dans un film Français de comédie! Le timing des acteurs, le montage, la mise en scène inventive, les surprises cachées dans chaque plan, et le ton global, tout apporte la réussite. Et c'est drôle de bout en bout... Bien sûr, on ne peut absolument pas prendre ce film au sérieux, même si Dupontel s'y livre à une parodie hilarante de la justice sous ses dehors les plus poussiéreux... A voir et revoir, pour ses 82 minutes de comédie hystérique, ses séquences de délire (Une improvisation de Dupontel a donné lieu à une scène hilarante aux effets spéciaux gore), et ses personnages: parce qu'en plus, et ça se voit tout le temps, si les autres en prennent pour leur grade, Dupontel aime beaucoup ses héros, sa juge froide et coincée, et son cambrioleur bas du front.

 

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Albert Dupontel Terry Gilliam
28 octobre 2014 2 28 /10 /octobre /2014 18:00

Le nouveau film de Terry Gilliam est un retour à la science-fiction, le premier depuis 12 monkeys, et le troisième film dans ce genre spécifique depuis Brazil. Forcément, on en attend beaucoup, d'une part parce que les deux essais précédents restent des films majeurs du cinéaste, et aussi parce qu'on a senti, depuis quelques années, comme un passage à vide chez l'auteur de Tideland, et, hum, Brothers Grimm. Et devant ce nouvel effort, on reste perplexe... Mais on ne va pas pour autant bouder le plaisir de voir un nouvel opus de l'auteur de Time bandits sous prétexte qu'il ne va pas dans le sens attendu: si c'était le cas, aucun de ses films ne serait satisfaisant. C'est un auteur hors-normes, hors-catégories, hors-concours, et souvent hors-budget aussi, un cinéaste d'envergure qui possède un univers visuel propre et a parfois les plus grandes difficultés à l'imposer. Il mérite toujours l'attention, et aucun de ses films ne se révèle à la première vision...

D'emblée, on est frappé de ce que Gilliam, au lieu de confier toute sa logistique à l'ordinateur, semble partir de la possibilité supposée infinie de la réalité virtuelle pour se lancer de nouveaux défis, voire de nouvelles difficultés: il est vrai que l'homme qui a dix ans durant essayé de tourner le même film malgré les faux départs (Son Don Quichotte) ne sait pas faire de cinéma simplement. Et The Zero Theorem est un film qui prend acte de l'existence de la réalité virtuelle, pour nous plonger dans un univers encore plus malade que le notre. Il l'a déjà fait pour Brazil et 12 Monkeys, qui parodiaient le monde existant pour en extrapoler les avenirs terrifiants, ce film suit cette continuité, tout en le faisant poliment: Gilliam reprend à Spielberg (Minority Report) l'idée d'une publicité interactive qui vous suit partout, par exemple, mais il va beaucoup plus loin: son héros est un homme, génie de l'informatique mais sociopathe aggravé, devenu incapable de la moindre interaction avec le moindre être humain, mais les gens autour de lui ne vont guère mieux: tout passe par l'informatique et le virtuel, de la commande d'une pizza à une consultation auprès d'une psychologue. Pire: les convives d'une fête dansent seuls avec des Ipods, portant des tablettes numériques dans leurs bras... Qohen (Christoph Waltz), dont le nom ne semble pas s'imprimer chez qui que ce soit (Son supérieur, David Thewlis, l'appelle Quinn) travaille pour Management (Matt Damon), le PDG mystérieux d'un groupe de communication obscur, et il a une mission délirante aux développements très peu compréhensibles. Surtout, il ne tient debout que par un seul espoir: il attend un coup de fil qui lui expliquera le sens de la vie...

Aliénation, philosophie et futur inquiétant, on est bien chez Terry Gilliam, qui tend ici à collectionner les allusions à son propre univers: le prophète malgré lui, l'homme dont la rébellion intime débouche sur des catastrophes collectives, l'univers parallèle fait de l'accomplissement poétique et égoïste d'un seul homme, l'aliénation par le rêve, et la folie de la science... Tout ça, et ce sentiment d'une humanité arrivée au bout d'une quête inutile, on l'a vu déjà dans on oeuvre. Un développement qui prend ici beaucoup de place, et qui semble fragmentaire tant il ne fait pas vraiment sens, est une drôle d'histoire d'amour un peu bancale avec une femme qui tient autant de la prostituée que de l'espionne, mais l'interaction entre les deux est la source de moments tous plus touchants les uns que les autres... Une fois n'est pas coutume, la jeune femme tombe le masque lors d'un bref moment, mais l'incommunicabilité du héros prend le dessus. En tout cas, en écho à un autre film (12 monkeys, bien sûr) dans lequel l'intrigue de science-fiction était tout à coup court-circuitée par une histoire d'amour inattendue, Gilliam laisse les sentiments s'installer, nous livrant des pistes à explorer.

Bien plus que l'étrange et mal foutu Imaginarium qui l'a précédé, et dont on sait dans quelles conditions difficiles il a été tourné, ce Théorème Zéro est bien un film typique de Terry Gilliam. Mais cela implique désormais des doutes, des difficultés, et une certaine tendance à laisser beaucoup au spectateur. A ce dernier s'il le souhaite de revenir au film et de remplir les combles de ce film exigeant, pas toujours facile, mais attachant. Un nouveau film livré "en l'état", forcément issu d'une série de compromis, et dans lequel une fois de plus des acteurs se sont livrés corps et âmes, certains avec un plaisir communicatif: Thewlis, bien sur, ou encore Tilda Swinton, en psychologue sur website, qui se lâche dans un rap inattendu... Christoph Waltz, quant à lui, est remarquable de bout en bout. Quant à comprendre le sens du film... Autant demander à des poissons d'expliquer le sens de la vie.

 

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam Science-fiction