Survivre à l'étonnante bête à six têtes qu'était Monty Python n'était pas facile, y compris pour Terry Jones, qui ne manquait pas d'atouts: il était comme les six autres auteur et acteur, mais il ajoutait un talent particulier pour es casquettes littéraires (polémiste, historien, conteur, romancier) et il avait aussi endossé la responsabilité à deux reprises et demi de réalisateur des films du groupe. Il avait aussi prouvé, en 1987, qu'il pouvait tourner le script d'un autre, sans aucun rapport avec Python (Personal services)... Pour le réalisateur-acteur-auteur, Erik représente le moment où il va à la fois aller de l'avant, et assumer son passé. Si Erik n'est pas un film Monty Python, il y ressemble par de nombreux aspects. Pour commencer, il contient des prestations des deux frères ennemis, les deux plus opposés l'un à l'autre du groupe de comédiens: Jones lui-même, et John Cleese. Ensuite, le scénario qui oscille entre vérité historique , données ethno-socio-culturelles sur les vikings, et philosophie farfelue, est finalement d'un esprit assez proche de Brian ou de The holy grail...
Erik (Tim Robbins) participe à un raid avec d'autres vikings et au moment de violer une jeune femme (Samntha Bond), s'interroge sur le sens de sa vie; incapable de parvenir à ses fins, il est choqué de voir la jeune femme violée par ses copains, et il les tue... mais elle aussi. Rongé par la cumpabilité, il s'interroge et sur les conseils d'une sage (Eartha Kitt) il va partir pour une quête (hum) et essayer de dépasser l'âge de Ragnarok (hiver, guerre, pillages, etc) pour aller vers un âge d'or avec les autres vikings...
Voilà voilà: tout est dit, finalement, une quête, et suffisamment d'occasions pour de l'heroic-fantasy torpillée de l'intérieur par des dialogues qui peinent longtemps à faire rire. Jones (qui assume l'un des rôles les plus glorieusement idiots de sa carrière) a souvent admis le ratage du film en accusant le montage; de fait il y en a un autre (que je verrai le moment venu), plus court et sans doute plus incisif. Mais en l'état ce film dans lequel même John Cleese (avec pourtant un rôle en or, celui d'un roi à la cruauté qui n'a d'égale que sa courtoisie) ne parvient pas à être drôle, ne décolle que lors de la rencontre des vikings avec les habitants en toges transparentes d'un pays éclairé et pacifique, qui sont en réalité des naïfs hédonistes complètement crétins... C'est maigre.
Pire, on a le sentiment fâcheux que Jones se met systématiquement dans les pas de Terry Gilliam (qui la même époque sortait un autre désastre, mais d'un tout autre genre, avec The adventures of Baron Munchausen), sans avoir la capacité technique de réaliser un film: qu'on en juge par la pauvreté des transparences ou de la plupart des effets spéciaux, qui sont miteux.
Mais ça nous permet d'entendre un chef d'oeuvre musical qui fait ti-dum ti-ti-ti-dum, donc c'est déjà ça...
Le 9 novembre 1979, un débat organisé à la BBC opposait deux représentants médiatiques de la Chrétienté et deux comédiens issus de l'éminente troupe trans-Atlantique Monty Python. L'objet du débat était justement ce film, et sa sortie qui avait déclenché une tempête de protestations délirantes de la part d'un grand nombre de groupes religieux. En Grande-Bretagne notamment, le film a été accepté par l'organisme de censure central, ce qui voulait dire que le censure deviendrait en réalité locale: ça n'a pas loupé, les instances locales ont commencé à se déchaîner, généralement sous l'influence directe de groupes de personnes qui n'avaient pas vu le film...
Durant le débat, Michael Palin et John Cleese faisaient face à Malcolm Muggeridge, journaliste, essayiste et Catholique fervent, et à l'évèque de Southwark Mervyn Stockwood. Le débat en lui-même est une merveille d'humour, souvent involontaire, mais ce qu'il en ressort est assez affligeant: d'une part, il semble qu'il soit toujours difficile, même quarante années plus tard, de consacrer un film à la religion. D'autre part, les deux "opposants" au film étaient tellement nuls qu'on peut vraiment se demander ce qui motive encore tous ces groupes... Tout ça pour que deux misérables vieilles badernes en mal de publicité se lovent sur un fauteuil en accusant les comiques qu'ils ne regardent pas même en face d'avoir trahi le Christ ("Vous aurez vos trente pièces d'argent", pour les citer)... Mais en dépit de la perte de temps, cette heure de débat largement disponible sur le net, est l'occasion d'entendre Cleese et Palin qui a eux seuls sont sans doute les seuls membres de Python à pouvoir réellement représenter le groupe, résumer la vision globale des six comédiens sur leur film, une oeuvre qu'ils continuent aujourd'hui (sauf Graham Chapman, du coup) à défendre comme leur oeuvre la plus importante...La vérité donc est que loin de tailler un costard au Christ, le but des six membres de Monty Python était de s'intéresser au processus de mythification présent dans la Judée de l'époque des Evangiles, et de la prendre comme une sorte de terrain idéal pour représenter la naissance de toutes les religions. Et comme le soulignent les deux comédiens, durant tout le film, Jésus continue à vivre son destin, sans qu'il se passe quoi que ce soit pour l'empêcher de parler: le sermon sur la montagne est pris en exemple dans le débat, et c'est justement le moment qu'ont choisi les Pythons pour souligner qu'ils s'éloignaient de la vie du Christ littéralement, pour s'intéresser aux coulisses.
Rappelons donc l'intrigue de ce film unique en son genre: né le même jour, à la même heure et une étable à côté de Jésus, Brian (Graham Chapman) a eu l'étrange destin d'être considéré comme un messie, et d'aller jusqu'au bout alors que tout ce qu'il voulait, c'était globalement de vivre, en particulier pas trop loin de la belle Judith, mais aussi de régler son conflit intérieur: né de père inconnu, il lui est a en effet été dit qu'il était très probablement le fils d'un légionnaire Romain...
C'est une intrigue, beaucoup plus solide que celle de Monty Python's Holy Grail; et pour une fois, toutes les digressions possibles et imaginables sont totalement inscrites dans la continuité du film... Outre le fait qu'il soit luxueusement mis en scène par Terry Jones à son meilleur, le point fort de Life of Brian est précisément que l'humour, méchant voire corrosif, ne touche jamais la religion: il tourne autour, mais tout simplement parce que la cible est constamment les hommes qui l'exploitent... Le degré de réflexion du film est d'ailleurs impressionnant, avec un parallèle constant entre les épisodes et la manière dont les hommes se sont joyeusement fourvoyés ensemble, puis entre-tués, pour des histoires de liturgie, de saintes reliques et de lieux sacrés: en témoignent en particulier les scènes qui voient les curieux suivre Brian comme le Messie par malentendu... Ca commence par des gens qui décident d'enlever une sandale parce qu'il en a perdu une, et ça se termine par le lynchage d'un infidèle! Ce n'est pas la croyance qui est la cible, mais le dogme et l'insupportable tendance à l'obscurantisme.
Les Pythons réussissent même à se mettre d'accord sur un apport idéologique dans cet étonnant film puisque la leçon à retirer de tout ceci (et qu'auraient du suivre tous les critiques auto-proclamés de ce film, mais aussi les poseurs de bombes dans les cinémas qui projetaient The last temptation of Christ sept années plus tard) c'est qu'avant de se jeter sur n'importe quoi pour en faire un dogme il conviendrait que l'homme réfléchisse. Et par ailleurs, comme le dit Brian à la foule, "vous êtes tous différents": la réponse dans le film est comique, je la cite donc... La foule, d'une seule voix: "oui, nous sommes tous différents!"... Puis un quidam seul au deuxième rang: "pas moi"...
Si j'ai cité cet incroyable débat au début de cet article, c'est sans doute parce qu'il montrait la noblesse de la comédie face aux arguments rassis, et aux manigances dogmatiques des deux invités qui n'étaient pas des Monty Python. L'âge désormais vénérable du film aidant, on a fini par vivre avec Life of Brian en bonne intelligence, et c'est tant mieux: d'abord parce que c'est un excellent film, et ensuite parce qu'il cristallise pour toujours le talent du seul groupe de rock dont aucun des six membres ne jouait ni ne chantait (sauf Eric Idle, bien sûr)... Et c'est parce qu'ils ont tous fini par tomber d'accord, que les six comédiens ont réussi à ce point à faire un film ensemble. C'est la force de cette production, qui est sans conteste la plus grande réussite cinématographique du groupe. Je pense aussi que c'est la seule, tant le premier film (Holy Grail) était, admettons-le, une vaste fumisterie, aussi soignée soit-elle, et le troisième, The meaning of life, ma foi, est surtout un épisode allongé du Flying circus. Pas le meilleur, du reste...
Mais je digresse à mon tour. Je vous invite à ne pas tenir compte de tout ce qui précède, et à prendre ce qui suit comme l'essentiel de ce qu'il faut savoir sur le film:
Life of Brian est une tentative de satiriser le passage de l'anecdote à la religion, et de faire de la comédie brillante dans les coulisses du sacré. C'est fait avec un texte brillant de bout en bout, des acteurs fabuleux, qui ne se limitent pas aux Monty Python, puisqu'on y reconnaît les amis Carol Cleveland, Neil Innes, George Harrison, Charles McKeown, Sue Jones-Davis, Spike Milligan et Terence Bayler (qui a presque autant de rôles que John Cleese)... On y raille aussi les leçons excessives de latin (Romani, Ite Domum) et Star Wars, dans une séquence idiote due à l'esprit malade de Terry Gilliam, on s'y moque avec classe des différences culturelles et de l'antisémitisme, on se moque de l'extrême gauche et de la révolutionnite aigue se muant essentiellement en diarrhée verbale (c'était il est vrai une époque où la gauche avait encore des cellules grises)...
Deux scènes pour finir: dans une séquence située au cirque, un supplicié fait courir le gladiateur qui doit le tuer, et ce dernier meurt d'une crise cardiaque: le condamné (Neil Innes) remercie la foule en faisant des bras d'honneur; dans la deuxième, les révolutionnaires ont un énième débat, et Reg (John Cleese) commet une erreur, celle de demander ce que les Romains ont apporté... Tous les participants ont alors un exemple à donner, rendant le message du leader impossible: les routes, le système d'évacuation d'eau, le vin... Un des présents avance même "la paix romaine", à l'approbation de tous!!
Bref, c'est un classique. Quand à Muggeridge et Stockwood, tout le monde les a oubliés...
Addition (29 janvier 2020):
Depuis l'écriture de ce texte, deux de ses protagonistes nous ont, tristement, quitté: Neil Innes, compagnon de route, Python numéro 7bis, et musicien légendaire. Et bien sûr le grand Terry Jones: two down, four to go...
L'angoisse de la page blanche est-il un sujet approprié pour une oeuvre narrative? C'est une superbe mise en abyme en perspective, quand on y pense, qui peut bien sûr tourner à vide. C'est un peu le risque que prend Dupontel en faisant de son deuxième film une méditation burlesque, et incendiaire, sur la terreur de la deuxième oeuvre!
Darius (Dupontel), auteur dramatique, vient juste de triompher avec sa première pièce Détresse intime, quand il doit s'arrêter, et prendre le large pour six mois: désespérément alcoolique; complètement à côté de la plaque, il se met au vert, et revient six mois plus tard, guéri à Paris. Il a juste oublié son engagement auprès de Pierre, le directeur du théâtre (Nicolas Marié), de lui livrer une autre pièce. A son retour, il a deux jours, et pas la moindre idée. Surtout qu'il faut bien avouer qu'il n'a déjà aucun souvenir d'avoir écrit la première, qui s'était semble-t-il écrite toute seule dans une sorte de stupeur alcoolique... Sous la surveillance affectueuse de Victor (Philippe Urchan), son voisin un peu trop collant et attentionné, et sous la pression méfiante exercée par sa vedette Chloé Duval (Claude Perron), Darius tente de se mettre au travail...
L'auteur a chargé la barque, et les vingt-cinq premières minutes du film, paradoxalement, sont les plus difficiles à passer... C'est qu'on n'en sait sans doute pas suffisamment sur Darius pour vraiment s'investir dans ce qui ressemble au départ à une fable kafkaïenne. Une fois les tentatives délirantes amenées (Chloé en vient à penser que Darius trouve l'inspiration dans le fait de tuer les chats, alors il s'exécute), la comédie noire et provocante prend fermement le dessus. Le résultat final, réflexion artistique au vitriol mêlée d'un commentaire narquois sur le rapport entre créateur et public, et tant qu'à faire le créateur et Dieu, est sinon emballant, au moins distrayant.
Et puis non seulement dans son film il tue les chats (ce qui est mal dans la réalité, cela va sans dire) mais en prime il se lance dans un chapitre anti-Bretons inattendu, et qu'il faut bien sûr prendre au second degré. Ce qui occasionne une phrase qui en contexte fait du bruit: "Kenavo, les bouseux!"
Dupontel, par ailleurs, y affirme sa dette envers des créateurs qui l'ont inspiré, et qui tranchent clairement sur l'ordinaire du cinéma Français: en réalisant un film qui visuellement (entre rêve-cauchemar et réalité, entre raison et folie) se situe dans la lignée du style de Terry Gilliam, il en profite pour ajouter à son équipe de choc (les comédiens Claude Perron, Michel Vuillermoz, Dominique Bettenfeld, Philippe Urchan et Nicolas Marié sont très souvent là) la présence de Terry Jones dans le rôle de Dieu.
Un clochard amoureux, Roland (Albert Dupontel) saisit une opportunité en or: un policier qui vient de mettre fin à ses jours a laissé derrière lui un uniforme. Comme les collègues du suicidé ne supportent pas que Roland franchisse la porte du poste de police (du moins volontairement), il se résout donc à utiliser le déguisement pour défendre la veuve et l'orphelin. Il commence donc par essayer de protéger les sans abris (ceux qui comme lui sont "enfermés dehors", dont Bruno Lochet, Yolande Moreau, Philippe Duquesne, Bouli Lanners,Terry Gilliam et Terry Jones) puis se concentre sur le cas de Marie (Claude Perron): celle dont il est amoureux parce qu'il dort pas loin d'une affiche qui promeut le sex-shop où elle travaille (elle était auparavant star du porno), et qui la représente de façon forcément aguicheuse. Bien sûr elle ne le connaît pas, mais il va quand même essayer de lui rendre justice: sa fille Coquelicot a été "enlevée" par ses grands-parents, les Duval (Hélène Vincent, Roland Bertin), qui désapprouvent le métier de leur belle-fille... Parallèlement, Roland apprend lors d'une conversation avec un "collègue" que le richissime Armand Duval-Riché (Nicolas Marié) est corrompu, et les deux affaires vont se mélanger dans son cerveau abîmé par la consommation de colle...
Ca a l'air de faire beaucoup, comme ça, mais il y a une grande logique derrière tout ça. C'en serait même simpliste, puisque si Dupontel a un peu commencé avec ce film à infléchir sa manière (plus tendre, moins méchante), il a quand même choisi de le situer dans un monde qui est vu au travers des yeux d'un enfant, même si cet enfant s'appelle probablement Bernie... Et d'ailleurs le parcours accidenté de Roland est de la pure bande dessinée. La première fois qu'on le voit, il est dans le fond de l'image, à sauter sur de vieux matelas, complètement shooté à la colle. Il rebondit tant et si bien qu'il atterrira vingt mètres plus loin... Donc tout ça n'est effectivement pas bien sérieux.
C'est du dessin animé, bruyant et mal poli, dominé par les performances excessives et souvent réjouissantes: Nicolas Marié en sale type riche, mais qui a cette fois le privilège de pouvoir se racheter... Hélène Vincent, malmenée par son réalisateur, doit risquer sa peau en se suspendant dans le vide... Et Bruno Lochet se prend des parpaings dans la tête! La présence de Terry Jones et Terry Gilliam (je ne me lasse pas de l'écrire) dans une scène courte mais mémorable, ensemble, situe le film dans la tradition de la plus saine des bouffonneries, et la musique d'Alain Ranval (également connu sous le nom de Ramon Pipin) et le montage volontairement haché confirment cette tendance.
Mais Albert Dupontel derrière l'excès et la comédie, a toujours une dent dure, et si tout est ici simplifié, on y voit quand même un clochard qui se substitue à la police dont il considère qu'elle ne fait pas son travail. Bien sûr son altruisme a de sérieuses limites, et il va finir par se concentrer (comme Amélie Poulain, tiens!!) uniquement sur le cas de Marie et de sa fille. Quand même, il y a une petite graine de justicier derrière ce grand méchant Dupontel, qui reste l'un des plus intéressants de nos cinéastes en exercice. Y compris avec ce petit film rigolo, où il mêle sa gouaille et un univers essentiellement visuel où on trouve même des bribes de Tati... Mais en avance rapide.
Voilà ce qui arrive quand un groupe de comédiens-auteurs, qui ont tout dit, et ont pour mission de faire un film, sans avoir la moindre idée de ce qu'on peut mettre dedans: une sorte d'épisode géant du Flying Circus, avec un budget pharaonique, un semblant de direction ("parlons du sens de la vie"), une sorte de conclusion pré-déterminée (la vie et l'humanité ne servent à rien, n'écoutez pas ce que vous disent les corps constitués, surtout l' église, l'armée et l'éducation), et une envie de faire le tout d'une manière tellement folle qu'on ne vous confiera plus jamais les rênes d'un film...
Et c'est donc ce à quoi il fallait s'attendre: un film qui vous fera passer du sourire au rire gras, en envoyant aux orties toutes les occasions de finir proprement, à tout les sens de cet adverbe. Un accouchement traité comme une formalité, une comédie musicale sur l'interdit de la contraception interprétée par une famille pauvre et Catholique du Yorkshire, une leçon d'éducation sexuelle particulièrement graphique, une série de chapitres particulièrement sordides sur l'armée, la mort vue sous les angles les plus idiots, les plus scandaleux ou les plus crétins possibles, et au final, bien sûr on n'a pas avancé. Alors c'est un film, oui, par moments hilarant.
Mais je ne sais pas, et ne saurai jamais quoi en penser: escroquerie du siècle, ou coup de génie? John Cleese, lui, pense que ce bouquet de transgressions n'aurait jamais du exister. Terry Jones, pour sa part, le préfère à tous les autres. On ne les réconciliera jamais, ces deux-là!
Ce film qui joue avec sa forme comme jamais auparavant (laissant le court métrage de complément de programme le parasiter...) est une énigme, qui possède l'avantage de vous faire chercher le poisson.