Une vague impression de gâchis, quand même... La finesse des travaux précédents d'Alejandro Amenabar ne nous faisait pas toujours oublier la tendance bavarde de son cinéma, son côté malin, et une obsession de tout contrôler qui finissait par envahir les scripts. Mais tous ses films s'en sortaient, par le fait qu'on avait toujours envie d'y retourner. Là, honnêtement, je ne me vois pas revoir ce thriller qui aurait très bien pu faire un épisode extrêmement médiocre de X-files, avec des personnages qui doivent réciter un texte tellement plat qu'il donne l'impression d'avoir été écrit pour un téléfilm des années 90. Dommage, car le début soulève l'intérêt. A moins que... Et si le début ne soulevait de l'intérêt que parce que c'est un film du réalisateur de Tesis et The Others? En le voyant s'attaquer à une intrigue qui tourne autour d'une supposée affaire de satanisme, avec Ethan Hawke en policier-à-qui-on-ne-la-fait-pas, Emma Watson en victime ambiguë, et David Thewlis en psychologue-qui-sait-tout, ça suscite un peu notre curiosité... Hélas, oui, comme d'habitude il y aura des énigmes, des retournements de situation... Mais contrairement au reste de l'oeuvre, les gros sabots se voient comme le nez au milieu de la figure. Et les cibles habituelles (Excès de religion, famille je vous hais, homophobie galopante) irritent.
Depuis fort longtemps, Soderbergh s'est surtout consacré à trois domaines: les stratégies humaines, qu'elles soient légales, illégales, inter-personnelles, émotionnelles ou que sais-je encore, d'une part. Ainsi George Clooney dans Out of sight est-il un malfrat qui va sciemment multiplier les contacts avec la femme qu'il a rencontrée, qui travaille pour la police, et celle-ci de son côté va choisir les moments officiels, et les moments "off" entre eux... Soderbergh s'intéresse aussi, bien sûr, à la mise en scène, la stratégie calculée en grand, afin de manipuler ou perdre quelqu'un, et d'amener les protagonistes d'un film, les spectateurs du même film, d'un point A à un point B. Les films dans lesquels il a poussé cette thématique à son comble, sont les trois films Ocean's 11, 12 et 13: il y est en permanence question de faire bouger les choses, de façon imperceptible, dans l'optique d'un résultat qui sera bon pour la collectivité. La mise en scène, pour le réalisateur Soderbergh, est aussi interne à un script, n'est pas que l'affaire de ceux qui font le film! Avec Side Effects enfin, comme avant lui avec Erin Brockovich, Traffic, The informant et Haywire, le metteur en scène s'attaque à un troisième domaine, celui de la corporation, vécue de l'intérieur. Il y a des précédents magnifiques, notamment Hawks, qui aimait tant filmer les hommes au travail... Ici, on retrouve cette curiosité pour les stratégies complexes de manipulation, liées à un environnement professionnel particulièrement inattendu, et même deux: la psychiatrie et la médecine d'une part, et la spéculation pharmaceutique d'autre part...
Martin Taylor (Channing Tatum) sort de prison, où il a été enfermé pour un délit d'initiés. Il retrouve son épouse Emily (Rooney Mara) qui l'a patiemment attendu, mais les retrouvailles tournent bien vite à une constatation affligeante: Emily va mal, et a du mal à s'adapter à une nouvelle vie. Elle entre en dépression, et sous les conseils de son psychiatre, le sémillant Dr Banks (Jude Law) elle va commencer à prendre des médicaments, en particulier un anti-dépresseur en vue, conseillé par le Dr Siebert (Catherine Zeta-Jones) une ancienne psychiatre d'Emily que Banks a contactée. Les épisodes de comportement erratiques se multiplient, et la jeune femme finit par poignarder son mari dans une crise de somnambulisme...
Avec son mélange toujours aussi excitant de jeu d'acteurs intense et aussi naturel que possible (On le sait, Soderbergh n'est pas du genre à multiplier les prises, gardant une certaine fraîcheur à la performance), et de mise en scène dans l'instant, avec caméra au poing, Soderbergh nous dévoile l'information au compte-goutte, dans un montage trompeur, qui fait ressortir le plaisir lié au genre qu'il explore. Side effects n'est donc pas un film à message, mais une plongée dans un univers cohérent, dont Rooney Mara et Jude Law font un formidable dédale de manipulations, dont au final nous pourrons retirer les conclusions qui nous arrangeront le plus: Soderbergh fait-il le procès de l'industrie pharmaceutique, celui de la médecine, celui de la spéculation? Réponse à la fin de ce film qui se plait à nous manipuler dans tous les sens, et comme d'habitude montre de quelle façon l'humain avance: en trichant. Le film pourrait n'être qu'anecdotique, mais on s'accroche à son fauteuil.