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Un malentendu; voilà le fin mot concernant Mars attacks!, ce qu'on en attendait, ce qu'on imaginait qu'il serait, et la déception généralisée mais relative du public et de la critique à son égard. Mais comment aurait-il pu en être autrement? Le film s'est construit sur deux bases: d'une part, l'adaptation de la série de cartes du même nom, disponible en 1962, et qui faisait envie à certains réalisateurs et producteurs depuis 1985. Alex Cox était le premier a avoir eu l'idée de tourner un film à partir de cette étrange collection de cartes graphiques représentant surtout de l'horreur bien sadique... Jonathan Gems, scénariste, avait donc repris le concept, et écrit un traitement en 1993. Il a proposé le film à Burton en 1993, alors que celui-ci, devenu intouchable, finissait Ed Wood. D'autre part, Tim Burton, qui ne faisait pas mystère de son gout pour la science-fiction à l'ancienne, y compris les films les plus douteux ou les plus ringardisés, avait depuis longtemps l'envie de prolonger sa filmographie d'une incursion parodique dans le domaine de l'attaque d'extra-terrestres méchants, avec explosions, destruction massive, et surtout un puissant second degré... Avec le succès public de ses films de Beetlejuice à Batman returns, Tim Burton est un metteur en scène à suivre, auquel la Warner va donner un budget conséquent; et avec la sortie d'Ed Wood, la critique enfin conquise atend de pied ferme le nouveau film du jeune prodige de Burbank... Surtout que sort en 1996 un film qui va faire du bruit et remettre au gout du jour le concept d'attaque massive de martiens méchants, le très pesant, quasi teutonique et immensément crétinissime Independence Day.
Mais revenons à Tim Burton: le succès a parfois un revers de la médaille: un metteur en scène comme Burton peut effectivement bénéficier de moyens, et se permettre des ambitions sur un film comme Ed Wood, Big Fish ou Charlie and the chocolate factory; mais si l'idée de base est de rendre hommage à des nanars, des films qu'on ne regarderait plus qu'en se cachant, et dès le départ tout en se livrant à quelques piques à l'égard du gros film de l'année, les ambitions parodiques de Burton vont se heurter à la conception du "toujours plus" qui prévaut quand à Hollywood on laisse les studios sentir le vent... Sorti en 1996 aux Etats-unis, le film Mars Attacks! déçoit terriblement: les uns attendent un jeu de massacre sans foi ni loi, qui forcément sera impertinent et mal élevé, et ils sont déçus car la parodie, absolument impossible à prendre au sérieux, domine largement, avec une absurdité généralisée dans l'intrigue. Et les autres qui prennent le film au premier degré (Oui, je sais, c'est incroyable, mais comment expliquer autrement le succès des films de Michael Bay ou Roland Emmerich?) s'offusquent de voir les martiens s'amuser à tout casser, y compris le président des Etats-Unis se faire dessouder comme un malpropre au terme d'un mandat surtout marqué par des décisions toutes plus stupides les unes que les autres. Donc, Mars attacks! déçoit, on dit que Burton s'est planté, et on attend de pied ferme la relève.
Pourtant, piégé dans un projet qu'il ne voulait pas rendre pharaonique, Burton s'est défendu! Il a réussi à imposer à la production un compromis sur le design des martiens. Lui voulait les animer en stop-motion, afin de mettre l'accent sur le côté factice, et renvoyer au système D de la science-fiction des années 50; le studio voulait de la 3D hyperréaliste (Du moins celle à laquelle on pouvait prétendre à l'époque de Jurassic Park). Le compromis, bien sur, est dans le film représenté par l'idée de tourner les scènes d'animation en 3D stylisée... Avec des formes rondes, des soucoupes flambant neuves, des aliens à grosses têtes de squelette et cerveau apparent. Et l'un des apports essentiels de Jonathan Gems est de structurer le script comme un film catastrophe, avec le casting de luxe qui est inévitable au genre: Burton bénéficie donc d'un groupe conséquent d'acteurs de premier plan: Jack Nicholson, Annette Bening, Glenn Close, Jim Brown, Pam Grier, Danny de Vito, Michael J. Fox, Pierce Brosnan, Sarah Jessica Parker, Martin Short, et Rod Steiger vont donc être les protagonistes du jeu de massacre, aidés par un ensemble de jeunes talents (Lukas Haas, Natalie Portman, Jack Black, Christina Applegate) et quelques cins d'oeil: Sylvia Sidney (Beetlejuice) sort de sa retraite pour interpréter la petite vieille dame qui sauve le monde sans vraiment s'en apercevoir, Lisa Marie (Mrs Burton depuis Ed Wood) va jouer l'inaccessible et étrange beauté venue d'ailleurs d'une scène parmi les plus typiques du film, et Tom Jones, le chanteur Gallois qui travaille à Las Vegas, va interpéter Tom Jones, chanteur Gallois qui travaile à Las Vegas. Et un gros casting dans un film catastrophe, ça veur dire qu'il va falloir permettre à chaque personnage une exposiion valide. C'est un des aspects les moins réussis du film, cette introduction de 20 minutes qui donne surtout l'impression de tourner à vide... Mais c'est aussi une tradition de ce genre de films.
Une fois les martiens arrivés (Dans une scène exemplaire, frontale, et qui bénéficie de l'impeccabilité du style sans fioritures de Burton en matière de montage, rythme et déplacement de caméra), le jeu de massacre commence et ne s'arrête plus. On oscille ensuite entre des batailles meurtrières avec moult bruitages idiots, et des scènes de conciliabule, faites d'une grosse dose de clichés pleinement assumés: par exemple, un scientifique lève les yeux au ciel après avoir examiné un martien, et assène, l'air grave: "ils respirent de l'azote!". Ou encore, les héros (Ou d'autres personnages moins héroïques) qui meurent tous en prononçant de malencontreuses dernières paroles: un général belliciste va mourir après avoir fourni une involontaire parodie d'un fameux discours de Winston Churchill, le président Américain qui propose l'amitié entre les peuples, un soldat (Jack Black) qui a droit à deux dernières répiques: le martial "Die, you alien piece of shit", suivi du moins glorieux, mais très réaliste "I surrender!"... Ma préférence va à Glenn Close, la 'first lady' des Etats-Unis, qui meurt en prononçant ces mots, désignant l'objet responsable de son trépas, qui lui est tombé dessus lors d'une attaque de martiens sur la maison blanche: "Le chandelier de Nancy Reagan!" Les humains se révèlent, face à la mort, face aux martiens, comme ce qu'ils sont, soit des minables, et c'est bien ce nihilisme qui pose problème à certains... Difficile de s'y retrouver, voire de s'identifier à ces personnages, pour le grand public. Pourtant une comparaison avec d'autres films de Burton, Edward Scissorhands en tête, révèle le même dispositif: les "gens normaux" dans ses films, ne sont pas des héros. le mot lui-même est irritant: pourquoi faut-il des héros? L'un des avantage de ce film est de poser la question: a-t-on vraiment besoin de comportements exemplaires dans un film? Ici, le metteur en scène flingue tous ses héros, privilégie les préoccupations personnelles: c'est parce qu'il veut sauver sa grand-mère qu'il aime que Riche Norris va par hasard découvrir comment tuer les martiens massivement, pas dans le but expressément assumé de sauver le monde; mais il ne lèvera pas le petit doigt pour assiter ses parents qui se font massacrer dans son dos; tous ceux ou presque qui s'en sortent dans le film le font d'abord parce qu'ils sauvent leur propre peau. D'autres survivent parce qu'ils sont à l'écart: Tom Jones, prisonnier de Las Vegas, Taffy Dale, qui survit à son président de père, est une sorte de reprise du personnage de Winona Ryder dans Beetlejuice: une ado à part, nihiliste et blasée. Florence Norris est atteinte d'Alzheimer, et Byron, boxeur lessivé qui décide de retourner à sa famille coûte que coûte, est lui aussi un paria. Mais cette fois-ci, Burton, qui a si souvent représenté des personnages à part, qu'ils soient gothiques (Le Pingouin, Max Schreck, Beetlejuice, Vampira), retirés du monde (Bruce Wayne, Bela Lugosi), ados en crise (Winona Ryder, là encore, dans ses deux rôles, a montré la voie) ou de simples benêts gauches et mal adaptés, tend ici à s'auto-parodier avec le 'donutophile' Richie, interprété par ce grand échalas de Lukas Haas, qui a bien grandi depuis le film Witness. Cette auto-parodie est parfois gênante, bien sur. Mais elle reviendra si souvent qu'on peut sans doute la mettre sur le compte du style...
Restet à régler le cas d'un prétendu message: dans ce film, semble passer en effet une sorte de tendance à pointer du doigt les politiciens (Le président Dale et son éternelle incapacité, il fait penser à un Jimmy Carter en pire), les décideurs (Donald Kessler, professeur et "je-sais-tout" horripilant qui fume en permanence la pipe, comme tout scientifique le faisait dans les films des années 50), l'armée (Deux généraux, un pacifiste et un belliciste, qui s'avèrent tous les deux être d'affreux crétins, ce qui bien sur me fait plaisir à titre personnel), la presse (Un couple de présentateurs-vedettes de la télévision, se fait une compétition farouche, alors que lui est un journaliste de premier plan, et elle une spécialiste de la mode)... Il renvoie dos à dos le président Dale, et un homme d'affaires véreux et vulgaire (Il habite las Vegas et y fait la loi, c'est dire) en les faisant tous deux interpréter par Jack Nicholson: en mode contenu pour le président, en Joker habité par l'esprit de Jack 'The Shining' Torrance pour l'incroyablement vulgaire Art Dale. Cette charge anti-capital, anti-politique, anti-tout, ne tient pas la route... si on la prend au sérieux. Mais Burton voulait tellement faire son film 'à la manière de...' qu'il n'a pas résisté à la perche tendue par le scénario. Donc comme les films des années 50 dissimulaient à peine un message (Gébéralement furieusement anti-communiste), Gems et Burton se sont payé les fiole des paraboles politiques des années 70, avec un plaisir gourmand.
Et du coup, en laissant les martiens ariver sur terre, et tout casser (Mais alors, tout!!), ils ont un peu laissé l'impression d'avoir choisi plutôt de s'identifier à ces sales bestioles, ce que montre à coup sur la réaction de Sylvia Sydney-Florence Norris devant sa télévision lorsque les martiens tuent toute la représentation nationale, donc Sénateurs et Représentants, d'un seul coup: elle se marre, et elle sait pourquoi: "They blew up Congress!", ils ont fait sauter le Congrès... Ce n'est pas du meilleur gout, certes, ça a fait grincer quelques dents, mais là encore, il ne faut pas le prendre au premier degré: Burton et la politique? Voyez ses autres films, les politiques n'y sont jamais qu'une caricature fonctionnelle, du vent. Ils n'ont aucun intérêt. Donc on pardonnera à Tim Burton d'avoir choisi de s'incarner dans d'horribles sales bêtes qui respirent de l'azote, viennent sur terre (Pourquoi? Pour tout casser bien sur) et détruisent tout ce qui est sacré, avant de mourir stupidement parce qu'ils ne supportent pas le yodel d'un obscur chanteur de pop country des années 40. L'Amérique triomphe toujours? Disons que son mauvais gout à la peau dure... Donc ce bilan, forcément mitigé, d'une blague cinématographique soudain étalée sous les projecteurs à cause d'un budget gonflé au-delà du raisonnable, aurait pu être bien pire, et pour l'avoir vu une dizaine de fois, j'en vois toujours les coutures, mais j'y prends toujours du plaisir... C'est déjà ça, non?