Pendant la guerre des Balkans, entre 1912 et 1913, un journaliste Américain (Marc Cramer) sur le front Grec accompagne un général (Boris Karloff) qu'il juge cruel et autoritaire sur une île où l'officier souhaite lui montrer la tombe de son épouse... Mais d'une part la tombe a été manifestement profanée, et d'autre part les deux hommes rencontrent un groupe d'habitants, qui les invitent à passer la nuit. Mais la peste est présente sur l'île, et certaines superstitions pointent du doigt une jeune femme, Thea (Ellen Drew), qui a manifesté vis-à-vis du général, qu'elle considère comme un boucher, et celui-ci surveille celle que d'aucuns considèrent comme possédée d'une force maléfique...
Ce ne fut pas facile à résumer! Le film tient de façon très ténue sur ces quelques lignes enchevêtrées, entre surpersition, suggestion, tmosphère fantastique et philosophie morbide. D'un côté, une histoire presque rationnelle, avec des protagonistes de chair et d'os, qu'une coïncidence de faits a précipité ensemble: le général, dur mais se justifiant par la présence d'une menace mortelle; Thea, mystérieuse et fantasque, mais qui s'avère de chair et d'os... Et le journaliste, sans doute le plus conventionnel des personnages, sert ici de fil conducteur, et de passeur à l'intrigue.
Reste que le film fait un usage sans équivoque du concept de "l'île des morts", entre l'évocation évidente lorsqu'on voit le lieu, du tableau d'Arnold Böcklin, et l'oeuvre de Rachmaninoff... En usant de ces références hautement romantique, Robson et Val Lewton précipitent le film dans un au-delà, que les images, comme toujours dans l'oeuvre du producteur, transforment aisément en conte fantastique dans lequel les lectures (surnaturelle, logique ou symbolique) peuvent partir en tous sens...
Un jeune officier de la marine marchande se retrouve engagé pour seconder le capitaine d'un bateau. Il commenvce par sympathiser avec le capitaine (Richard Dix) dont la philosophie lui apparaît comme saine avant qu'il ne commence à avoir des doutes... Le vaisseau dvient un endroit hostile, et les morts violentes se succèdent... Tom Merriam (Russell Wade) en vient même à accuser son patron d'avoir rovoqué sciemment la mort d'un matelot...
Etrange film, qui va plus loin encore que The leopard man dans lamise en place d'une atmosphère fantastique sans qu'il y ait vraiment la moindre matière à surnaturel... à l'exception d'un énigmatique marin, dont le visage laconique est éclairé d'une bien particulière façon, comme s'il représentait un choeur grec: il nous partage d'ailleurs ses pensées, ce qui ne le rend pas moins énigmatique!
Robson, qui a déjà tourné la Septième victime pour Lewton, et son mélange audacieux d'atmosphère fantastique et de film noir, distille une ambiance vénéneuse, aidé en cela par Dix, l'acteur vétéran qui joue à fond de la douceur de son ton pour installer le malaise... Ce n'est pas, objectivement, le plus remarquable des films de Lewton à la RKO, mais c'est une étape inntéressante...
18e siècle, à Londres... L'asile de Bedlam est tenu d'une main de fer par l'apothcaire général Sims (Boris Karloff)... Nell Bowen (Anna Lee), la protégée d'un noble influent, soupçonne l'homme de sadisme et de cruauté. Mais Sims la fait interner par une série de manipulations...
En neuf films, les productions de Val Lewton à la RKO ont su se renouveler de façon impressionnante. Comme pour The body snatcher, de Robert Wise, Robson a donc pu sortir du cadre contemporain défini dans Cat People, et maintenir dans cette nouvelle donne les exigences d'économie, de suggestion et d'installation d'une ambiance très particulière... C'est un film absolument splendide, avec une utilisation incroyablement riche de l'ombre et de la lumière, et qui est cette fois situé totalement dans la vraisemblance...
Ce qui n'empêhe ni le baroque ni l'angoisse. Sims tient son monde, dont il assume la part honteuse en enfermant à loisir les simples d'esprit, et dans bien des cas certains gêneurs, dont Nell Bowen est un parfait exemple... La société n'est que trop heureuse de se débarrasser de ceux que tout le monde, ou presque, appelle les "Looneys", ou les cinglés. Et pourtant dans la peinture de Bedlam, au-delà de la nécessaire (par rapport au genre) appropriation de tout ce qui est cage, cellule, salles souterraines, etc... le metteur en scne nous montre aussi une humanité mise de côté qui a beaucoup à offrir, et le prouve dans une scène hallucinante de procès alternatif!
Et de son côté, Nell Bowen, qui est une femme indépendante mais aussi audacieuse, et souvent même hautaine, va risquer sa propre santé mentale en prenant l'habitude de questionner sa propre intelligence...
Mais comment lutter? Le rôle extraordinaire de Karloff est le point le plus spectaculaire du film, un personnage d'autant plus inquiétant qu'il est parfaitement sain d'esprit, ce que vont prouver les simples d'esprit réunis en un simulacre de procès. Non, il est tout simplement un abominable sale type qui s'avère être un sadique fini...
1831, à Edimbourg, le Docteyr Mac Farlane (Henry Daniell) est un excellent anatomiste, mais un médecin sec... Il enseigne et l'un de ses étudiants les plus prometteurs, Donald Fettes (Russell Wade) lui fait comprendre qu'il ne pourra continuer ses études, car il n'a pas les moyens. Il est donc engagé par Mac Farlane, afin de l'assister...
Les deux hommes doivent s'occuper d'une petite fille, Georgina; elle est atteinte d'une tumeur qui presse sur la colonne vertébrale et l'empêche de marcher. Mais Mac Farlane refuse de l'opérer, car il considère n'en avoir pas le temps. Intrigué, Fettes (qui aspire à aider Georgina et sa charmante maman) découvre la présence occasionnelle, dans le sillage de Mac Farlane,du cocher Gray (Boris Karloff), un personnage hautement inquiétant, qui lui fournit des cadavres pour son école d'anatomie: la provenance en est douteuse... Un soir, Gray fournit le cadavre d'une jeune femme que Fettes a aperçue le jour même...
C'est l'adaptation d'une nouvelle de 1884 de Robert Louis Stevenson, l'auteur immortel de L'étrange affaire du Dr Jekyll et de Mr Hyde... et le film justement joue énormément la carte d'un lien trouble et morbide qui unit le dangereux et diabolique Gray, et le bon docteur Mac Farlane, foncièrement un brave homme avec une morale saine, mais qui est tombé dans les griffes d'un criminel... Et de l'autre côté, bien sûr, l'influence de Gray sur Mac Farlane va forcément déborder vers Fettes, qui lui aussi, comme Mac Farlane, aspire au bien, mais sait qu'ils ont tous les deux besoin de la fourniture de cadavres...
Le film est typique de la production de Val Lewton: à la fois économique et produit avec astuce, et d'une profonde richesse visuelle et thématique. Un modèle de film fantastique, matiné comme l'était déjà The leopard man de Tourneur, de film noir. Wise, qui venait de passer à la mise en scène après avoir été un monteur doué, maîtrise admirablement l'économie particulière de ce cinéma nocturne, qui fonctionne sur beaucoup d'illusions, beaucoup de suggestion et quasiment aucune démonstration. Et comme la distribution dispose de deux atouts de poids (non seulement Karloff, génial et inquiétant à souhait, dans son rôle probablement le plus diabolique de toute sa carrière, mais aussi Lugosi dans un personnage secondaire et inattendu, la réussite de ce film est absolument indéniable...
Mary Gibson (Kim Hunter), une pensionnaire d'une école privée très rigoureuse, est informée que sa soeur, qui paie sa scolarité, a disparu sans laisser de traces. Elle doit donc partir ou travailler pour l'institution. Mais Mary décide de retrouver Jacqueline (Jean Brooks)...
Elle se rend donc à New York, où elle va prendre contact avec des connaissances de sa soeur: son mari, Gregory Ward (Hugh Beaumont), et un psychiatre, Dr Judd (Tom Conway). Elle fait également la connaissance d'un écrivain, Jason Hoag (Erford Gage), qui va l'aider. Mais en engageant un détective privé, Irving August, qui est tué lors de leur visite nocturne d'une entreprise où Jacqueline a travaillé...
Le film a une réputation d'incohérence qui n'est pas injustifiée, et c'est pourtant un film exemplaire de la manière des productions de Val Lewton! Il était prévu de confier à Jacques Tourneur la direction, ce qui ne s'est pas fait; en lieu et place, le film est donc devenu la première réalisation de Mark Robson, monteur à la RKO. Sous une intention qui l'apparente aux films d'horreur bien particulier de l'unité Lewton, The Seventh Victim ressemble énormément à un film noir, et un film noir exemplaire en plus: Mary Gibson, jeune femme naïve et n'ayant jamais vécu en dehors de l'école où elle a passé sa jeunesse, est confrontée à un monde qui se révèle à elle au fur et à mesure, de plus en plus corrompu...
Le film est nocturne, et ne se prive jamais de tomber dans le bizarre, le baroque. Le Dr Louis Judd, incarné par l'impeccable Tom Conway (le frère deGeorge Sanders, qui jouait déjà un psychiâtre qui répondait au même nom dans Cat People), fait volontiers tomber l'intrigue vers le soupçon, tant il lui est facile d'incarner presque sans un mot le mystère et l'intrigue... Ce sera pourtant vers un autre groupe de gens étranges qu'il faudra se tourner, pour comprendre la clé du mystère, un groupe de satanistes particulièrement cinglés!
Mais qu'importe... En proposant une mise en scène attentive aux codes du film noir, et en allant au bout de son pessimisme, le film est passionnant non seulement malgré les imperfections, mais probablement aussi à cause d'elles... Et c'est un bel exemple du cinéma d'épouvante de l'époque, que ce soit en créant de toutes pièces des climats étranges (la séquence de la douche, celle du métro) ou en citant délibérément une scène célèbre de suspense de Cat People, totalement reprise au niveau du montage.
Difficile de voir ce film, la troisième des productions de Val Lewton pour la RKO, en faisant abstraction de Cat People. Pour commencer, ce n'est pas une suite, et c'est même un film extrêmement différent du précédent; une fois admis que le titre est un rappel gratuit et un peu malhonnête, l'effort de Tourneur pour ce nouveau film est situé dans un monde bien éloigné de l'univers du précédent film...
Au nouveau-Mexique, dans un petit village frontalier, deux femmes travaillent pour un night-club, et se font concurrence à travers leurs numéros respectifs. Kiki (Jean Brooks) sent bien que Clo-Clo (Margo), une jeune femme locale, la bat en sensualité et en flamboyance avec sa danse flamenco, alors son manager (Dennis O'Keefe) lui confie un accessoire pour marquer les esprits: il a emprunté un léopard pour qu'elle fasse une entrée remarquée lors de la prestation de sa rivale. Mais celle-ci ne se laisse pas démonter, et elle effraie la bête avec ses castagnettes. Lors de sa fuite, le léopard va tuer une jeune paysanne... Puis une deuxième jeune femme meurt, et Kiki et son manager sont rongés par la culpabilité...
Je disais plus haut que le titre était un peu plus publicitaire qu'autre chose, visant à attirer la clientèle, mais il est malgré tout un peu justifié par l'intrigue de ce nouveau film: certes il n'y a cette fois pas de créature maléfique et féline, mais tout bêtement deux personnes qui peuvent porter cette appellation: le propriétaire du félin mentionné dans le synopsis, et un scientifique bien pratique, qui joue le rôle d'expert que les héros consultent dans le but d'avancer aussi bien l'intrigue, que les spectateurs... Mais ce que voulait probablement le public, et ce que fournit le film à trois reprises, c'était des scènes mémorables: et si d'une manière générale le film surprend par un manque apparent de cohésion (des digressions insistantes), les séquences en question sont remarquables... La plus belle est une nouvelle évidence de la maîtrise narrative de Tourneur et de son habileté peu commune à jongler avec les ingrédients et avec le dosage de l'angoisse; c'est le premier meurtre, une jeune fille qui sait qu'un fauve rode, est amenée à aller chercher de la farine la nuit, par son impitoyable mère. Son angoisse monte au fur et à mesure que le tempo ralentit. Tourneur profite de la scène pour refaire le gag du bus de Cat People (il fait intervenir un élément extérieur pour surprendre le public et le faire sursauter au moment opportun, mais surtout il assène l'angoisse sans rien montrer ou presque... jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard pour la jeune fille.
Et en parlant de jeune fille, le sous-texte de ce film plus sérieux qu'il n'y paraît est fascinant, car d'une part il est ici question d'un serial-killer, non seulement en discussions, mais aussi dans les faits; c'est à ma connaissance l'une des premières fois dans le cinéma Américain. Et derrière ses héros, ces deux Anglo-saxons qui sont venus se perdre au Nouveau-Mexique, se cache une réflexion d'une grande noirceur, sur la différence entre d'un côté les W.A.S.P., tel les peu sympathiques personnages principaux, ou encore ce milliardaire aperçu au volant d'une grosse voiture, et de l'autre les Indiens et Hispaniques qui peuplent le village. A un moment, le scientifique mentionne d'ailleurs que la ville a été construite sur les ruines d'un pueblo autrefois habité par les Indiens, et qui avait été rasé par les Conquistadores.
Et c'est là que se justifient les apparentes digressions du film: car les auteurs nous promènent beaucoup dans cette petite ville, et semblent, dévier aussi souvent que la caméra le permet, et en particulier quand on nous montre les "héros" paradoxaux, ces Américains moyens qui font venir malgré eux l'horreur dans le village. On suit un personnage, et on verra tout à coup la caméra prendre des chemins de traverse, et s'intéresser à quelqu'un dautre, comme cette petite adolescente hispanique, qui sera la première victime... Tout le film fonctionne de cette façon, finissant par nous convaincre que les personnages principaux ne sont pas vraiment à leur place...Dans The Leopard Man, Jacques Tourneur nous montre sans se priver une ville devenue Anglo-Saxonne malgré elle, où la misère des gens d'origine locale est évidente, au point où certains d'entre eux semblent surtout tolérés.
On se souvient de Cat People, le classique de Jacques Tourneur, réalisé en 1942 par l'équipe de Val Lewton dont c'était la première production: le titre (idiot) avait été imposé à Lewton avant même que la moindre idée de script ne fasse son apparition. Cette suite (inévitable compte tenu du succès du film) est une nouvelle surprise: en lieu et place d'une tentative de récupérer l'aura du film de Tourneur, Lewton et Wise (Oubliez Von Fritsch, il semble qu'il n'ait pas été concerné par le film très longtemps) ont concocté une suite très étonnante, et d'ailleurs, peut-on vraiment parler de suite?
Oliver (Kent Smith) et Alice Reed (Jane Randolph), mariés après les événements troublants et tragiques de Cat People, ont réussi à surmonter le passage dans leurs vies de la "Féline" Irena (Simone Simon). Ils ont une adorable petite fille, Amy (Ann Carter), mais celle-ci, hélas, a du mal à s'intégrer à l'école: la faute à une imagination par trop débordante. C'en vient au point où Oliver se fâche tout rouge près sa fille pour qu'elle cesse de prétendre passer du temps avec une amie imaginaire. Surtout qu'il s'avère que celle-ci n'est autre qu'Irena...
Mais Amy a des problèmes aussi avec les vivants, notamment avec une voisine (Elizabeth Russell), qui apprécie très peu que sa propre mère laisse entrer Amy chez elles, alors qu'elle refuse son amour à sa propre fille...
Ps de chat, finalement, dans cette histoire: Lewton, qui a parfaitement réussi le premier film en faisant rigoureusement ce qu'il voulait, n'a tout simplement pas pensé que ça pouvait avoir la moindre importance, les personnages d'Irena, Oliver et Alice pouvant tout à fait justifier le recours à l'allusion a premier film. Mais pas d'horreur non plus, le long métrage étant essentiellement consacré à l'exploration psychologique de la situation troublante d'une petite fille qui ne se sent pas à l'aise dans le monde, et provoque en retour le cercle vicieux du rejet par les autres. Un thème largement autobiographique pour Lewton, qui a trouvé en Robert Wise un excellent substitut au maître Tourneur: la façon dont Wise s'approprie les atmosphères de l'Est Américain pour le transformer en Gothique, est une bonne indication de la tournure que prendra sa carrière...