Zipping along est le quatrième film de la série de dessins animés de Chuck Jones, mettant en scène un coyote aux prises avec la proie la plus difficile qui lui soit: un oiseau trop rapide pour lui. Le film, comme tous les courts métrages sur ce modèle, ne se distingue en rien, si ce n'est qu'il semble un peu plus que les autres construits sur les gags courts.
Une certaine tendance de chaque court métrage du coyote (dont je rappelle que le script de Michael Maltese consistait uniquement en une suite de gags, puisque aucun des cartoons n'avait d'intrigue) consistait à enquiller les gags en en variant la longueur, en s'autorisant toujours deux ou trois gags ultra-courts, et au moins un élaborés, avec déguisements, matériel ultra-sophistiqué (commandé à ACME, bien sûr), et mise en place digne d'un ingénieur, établie sur un plan détaillé qui nous est montré. Ici, le film repose surtout sur des gags vite faits bien faits, dont certains sont tellement purs qu'ils en deviennent sublimes: mon préféré, aussi rudimentaire soit-il, prouve qu'on n'a même pas besoin d'un antagoniste coriace quand on a la malchance du coyote:
Ce dernier a installé une planche sur un gros caillou, afin de créer un balancier. Le but est de se projeter en hauteur, pour attraper le roadrunner à flanc de colline. Il jette donc une énorme pierre en l'air, afin qu'elle tombe de l'autre côté de la planche et le propulse... Mais elle tombe en réalité de son coté et l'écrase. Temps: 10 secondes en comptant l'exposition du gag, qui nous montre l'oiseau assister à tous les préparatifs depuis sa position en hauteur...
Que dire de plus que ce que j'ai déjà établi à propos de Fast and furry-ous, le premier des cartoons de Chuck Jones consacré au coyote et à sa proie pour toujours insaisissable, l'oiseau "roadrunner" qui klaxonne de façon obsessionnelle? Car si on recherche le cartoon ultime, dédié au gag seul, dans la plus pure forme qui soit, ne cherchez pas plus loin, vous avez trouvé. Tout film reprenant ces personnages et cette situation ne sera qu'une variation, une collection de gags sur exactement le même thème, avec exactement le même développement, les mêmes résultats, et parfois les variations sont infinitésimales. Mais c'est sans doute dans cette fidélité absolue des films à leur formule qu'il faut y voir le génie.
Bon, on peur quand même être didactique: saviez-vous que Michael Maltese, le scénariste de ces films, n'a en fait jamais fourni la moindre intrigue; non, il se contentait d'amener des gags, et Chuck Jones faisait le reste... Sinon, le fameux "Beep Beep" qui donne son titre à ce cartoon (le deuxième) est sujet à débat: l'auteur incontesté du bruit, un technicien du studio qui avait l'habitude de passer entre les gens en hurlant un bruit de klaxon, a toujours clamé que ça devrait s'écrire "hmeep hmeep". Ca va, probablement, changer la façon dont on peut voir le monde.
On n'a plus à présenter ces aventures du Coyote (Doté, lui, d'un nom, contrairement à son comparse et antagoniste, l'oiseau "coureur de routes", auquel les Français, avides de simplification, ont donné un nom idiot, et dont ils ont cru devoir faire le héros, prouvant qu'ils n'ont, décidément, et selon l'expression consacrée, "rien compris au film"), qui fait preuve de cartoon en cartoon, de façon immuable, d'une ingéniosité toujours plus hallucinante, dans le but qu'il n'atteindra jamais: attraper cet oiseau de malheur...
Les films, tous réalisés jusqu'à son départ de WB par Chuck Jones, et scénarisés au début par son complice Michael Maltese, fonctionnent tous sur un canevas établi par celui-ci, le premier, et le seul à être sorti dans les années 40. En voici les principes:
On commence par présenter dans un arrêt sur images, en latin (de cuisine), les deux animaux: Coyote (Carnivorous Vulgaris) et Road-runner (Accelerati Indredibilis). Souvent reprises au début, ces pseudo-appellations scientifiques connaîtront des variantes...
Les deux animaux habitent dans les déserts du Sud-Ouest, et les décors de Maurice Noble, d'abord assez détaillés, vont être de plus en plus stylisés, jusqu'à devenir des lignes et des tâches de couleurs sans formes. Maurice Noble avait toute la confiance de Jones, qui l'a non seulement encouragé au début de leur collaboration à s'affranchir du réalisme, il lui a aussi souvent confié la co-direction de ses films.
Les deux protagonistes ne parlent pas. L'oiseau lâche un Beep beep de temps à autre, mais le coyote, s'il doit s'exprimer, utilise des pancartes. Ce qui arrive parfois à l'oiseau, comme ici, lorsque de façon totalement illogique, il porte une pancarte qui explique qu'il ne pouvait pas tomber dans un piège du coyote, car il ne sait pas lire... Il le refera d'ailleurs avec une variante dès le deuxième film du lot, en 1951.
Chaque gag possède sa dynamique propre, et sa durée aussi. S'il n'y a besoin que de six secondes, on n'en aura pas plus. Il n'y a que peu de suivi, et chaque gag se termine par un court fondu au noir, sans qu'on puisse être averti des conséquences des explosions, chutes, accidents et autres avanies subies par le coyote.
Celui-ci est finalement l'image même de l'humanité fiévreuse attendant des lendemains meilleurs. Les échecs répétés ne le décourageront pas, et il élabore parfois de façon impressionnante des plans délirants, dont les préparatifs sont souvent détaillés, avec des plans des colis reçus par la poste le plus souvent en provenance de la corporation ACME. Ici, un costume de superman, qui ne lui va pas, et va lui occasionner une chute inévitable.
A chaque fois que c'est possible, le film escamote les gags, laissés hors champ, car ils sont la conséquence logique de ce qui précède. Ce qui veut dire que le coyote n'a besoin que de lui-même pour échouer, et ça le spectateur l'attend...
La logique est illogique, ainsi en est-il de la fameuse route sur laquelle on ajoute un panneau peint qui la prolonge, pour cacher un virage par exemple. la fausse route peinte se transforme immédiatement pour l'oiseau en une vraie route...
La logique revient en boomerang, et si le coyote décide de suivre l'oiseau, il va se précipiter dans une toile peinte. Ou encore, il va subir les effets du monde physique: gravité, explosions, etc... C'est d'ailleurs une technique, appelée le "topping": chaque gag est drôle en soi, mais il arrive souvent qu'un gag occasionne un deuxième gag, sorte de cerise sur le gâteau, un "topper", soit un gag à mettre par-dessus un autre gag. Avec le temps, Maltese fournira de plus en plus de toppers, voire des toppers sur toppers...
Enfin, ne jamais oublier de rester neutre, à froid: un motif récurrent de ces films est la chute vertigineuse filmée en plongée depuis les hauteurs d'un canyon, qui se termine immanquablement par un simple nuage de poussière anonyme, qu'à tout prendre on peut interpréter comme un symbole ironique de notre condition à tous... L'image reviendra de film en film.
Enfin, ce film réjouissant établit une bonne fois pour toutes qu'un nombre conséquent de gags élaborés est nécessaire, mais pas trop: il y en a onze, ce qui fait pile poil les sept minutes requises du film.
Et sinon, l'impeccable timing du metteur en scène, son don pour la mise en valeur de la réaction (Ce que les Anglo-saxons qui se sont penchés sur la mécanique du gag appellent acting-reacting), et un graphisme à son apogée, avant que Jones ne se perde dans une course à l'abstraction qui va enlaidir son dessin, font le reste...
Sinon, pour finir sur une note didactique: le Roadrunner, en Français, est un géocoucou. Voilà qui est instructif.
J'avais exprimé mes réserves sur l'opportunité de coupler Bugs Bunny et Wile E. Coyote, fameux animal malchanceux du sud-est des Etats-Unis, à l'occasion du film de Jones Operation rabbit (1952)... Il faut croire que je suis le seul que ça ait gêné, car ils sont de retour, pour une nouvelle série d'ingéniosité mal placée, et une fois de plus bien malchanceuse, de la part du canidé. Qui s'en prend bien évidemment plein la figure, une fois de plus... L'essentiel des tentatives tourne autour de l'utilisation par le coyote d'un ordinateur qui a plus d'un tour dans son sac... C'est plaisant, une fois admise l'énervante opportunité de remplir le film de monologues insupportables.
Choc de titans: le Coyote a décidé de s'attaquer à une proie inhabituelle, et face à un être non seulement vivant et mangeable, en fait une question d'une compétition d'esprit. Donc il parle... Et selon la loi inévitable des films qui mettent en scène ce canidé obsessionnel, Bugs Bunny n'a finalement pas grand chose d'autre à faire que d'assister aux échecs répétés, même si il est malgré tout nettement plus actif que l'habituelle comparse du coyote, bien sur. Maintenant, si on ne peut que se réjouir de voir le coyote redoubler d'inventions, et donc de risques sérieux pour sa propre santé, à l'idée de s'attaquer à un proie de telle réputation, si ce film est grand pour l'économie d'animation déployée pour animer Bugs, dont les réactions à elles seules valent le détour, voilà: je n'aime pas le coyote quand il parle. Il est plus bavard et plus auto-satisfait que tous les méchants de James Bond réunis, et l'idée de lui donner la voix d'un professeur d'université pédant, passant son temps à se traiter lui-même de génie, est particulièrement contre-productive... Dommage, parce qu'on a vraiment envie d'aimer ce film inhabituel et soigné, mais... le dialogue du coyote? mauvaise, très mauvaise idée.
Qu'est-ce qui différencie un dessin animé de Chuck Jones mettant en scène la lutte acharnée et perdue d'avance entre un coyote affamé et un oiseau coureur de routes des déserts du Sud-Ouest Américain, d'un autre film du même genre? Rien, apparemment, sinon l'évolution des décors, qui vont se révéler de plus en plus abstraits au fur et à mesure, entre la fin des années 40 lorsque les personnages ont fait leur apparition, et les années 60 durant lesquelles ils vivront leurs dernières aventures. Pour le reste, c'est clairement toujours la même chose:le coyote tente, élabore des stratégies, finit toujours par s'en remettre à l'efficacité de la vente par correspondance des produits ACME, en lesquels il a une confiance que j'ai du a à expliquer, tant il en a souffert. Quant à l'oiseau, qui ne sert pas à grand chose si ce n'est représenter l'impasse terrifiante dans laquelle ce canidé presque humain s'est engouffré pour l'éternité, il continuera à courir, lui aussi coincé dans une sorte de rupture embarrassante dans le continuum spatio-temporel, et à embêter sérieusement l'autre animal. Rien de nouveau ne se passera jamais, Chuck Jones ayant inventé le non-suspense absolu, en même temps qu'une certaine forme de perfection.
Et ça, c'est admirable...
Going! Going! Gosh! fait donc partie de cette glorieuse et inamovible série de dessins animés réalisés par Chuck Jones, , dont il est le troisième...
Tout au plus pourra-ton faire remarquer qu'après avoir expérimenté avec les "toppers" sur le deuxième (ce principe d'ajouter au gag, une fois sa résolution trouvée, un petit truc qui le relance, le complète, ou enfonce le clou - parfois littéralement), ce court métrage expérimente le "double topper"... en voici un exemple: le coyote, dans un égout, s'apprête à lancer une grenade sur la sale bestiole. Il est bien caché, sous le couvercle en fonte. A l'approche de l'oiseau (Meep! meep!), il dégoupille la grenade, ferme le couvercle par dessus-lui, et... le Roadrunner passe par un autre chemin, son passage provoque la chute d'une énorme pierre qui vient se placer sur le couvercle de la bouche d'égout... Le coyote étant coincé, l'accomplissement du gag provient évidemment de l'explosion qui s'ensuit. Topper #1: le couvercle retombe sur la tête du coyote (bruitage inévitable: Clonk.), puis topper #2: la pierre retombe à son tour sur le couvercle.
Ce troisième film est remarquable aussi par l'utilisation de plus en plus forte de regards à la caméra, mais aussi par les relations complexes, et généralement malheureuses, du coyote avec les enclumes.