Atypique, ce
film qui fait partie des oeuvres de Wellman interprétées par Barbara Stanwyck est étonnant, d'une part par la façon de traiter un sujet propice à se vautrer dans de nombreux clichés, qui seront
tous ou presque évités, ensuite par la façon dont Wellman organise sa mise en scène, à la fois frontale et suggestive, ensuite par son choix du fil du rasoir: jamais totalement un drame,
jamais totalement une comédie, le film se place sur un terrain glissant en faisant de la conquête sexuelle d'un homme par une femme le véritable enjeu... Et cette femme, je le répète, est Barbara
Stanwyck!
Joan, une chanteuse de cabaret à New York, a vécu: son petit ami, Ed, est un bootlegger aux activités annexes des plus variées, et elle souhaiterait bien sur trouver mieux. Elle va donc se marier avec un riche héritier, mais celui-ci la plante avant la cérémonie par peur du scandale; la jeune femme fuit à Montréal, afin de changer de vie. Mais elle est vite rattrapée par son passé, des envoyés de Ed la retrouvant sans difficulté; elle prend une résolution en rencontrant une femme de ménage de son hotel qui s'est lancée dans un mariage par correspondance avec un fermier du Dakota du Nord: la jeune femme se trouvant disgracieuse, elle a en effet envoyé la photo de Joan... Celle-ci "achète" le mariage pour 100 dollars, et part pour l'aventure...
Les enjeux pour Joan vont être, non pas de se faire accepter en tant que femme de la ville, mais d'une part d'accepter son mari
(George Brent, plutôt bon en fermier un rien benêt), puis de se faire accepter par lui, après que leur nuit de noce ait été un désastre: elle l'éloigne d'une gifle. Les clichés sur la
différence entre ville sophiqtiquée et campagne rustique sont finalement
expédiés en une scène de beuverie, lorsque les voisins de Jim et Joan Gilson arivent pour célébrer à leur façon le mariage. Mais wellman montre Stanwyck se laisser entrainer dans la fête, et
celle-ci, bien que haute en couleurs (Le réalisateur y a engagé des figures du burlesque, on y reconnait notamment Tiny Sanford et Snub Pollard) ne débouche pas sur un excès
de condescendance à l'égard des bouseux. On retrouve cet esprit naturaliste dans les scènes de la fin, qui montrent Joan s'adapter, s'habiller pour l'hiver (Une scène de réveil nous montre
une chemise de nuit du plus haut rustique, qui contraste de façon spectaculaire avec la nuisette quasi transparente que Joan porte au début de son séjour).
Comme souvent chez William Wellman, l'adversité viendra de là où on ne l'attend pas: un chauffeur trop entreprenant qui va nécessiter une correction de la part d'un gangster au grand coeur (Night nurse), un caïd de la zone qui va sauver ceux qu'il aurait pu écraser (Beggars of life), un Américain qui va sans la savoir abattre son meilleur ami qui a volé un avion Allemand pour retrouver les lignes alliées (Wings)... Ici, ce sont les voisins qui seront la menace: si Jim a du mal à voir en Joan autre chose que son propre échec, l'un des fermiers alentour va vite convoiter la jeune femme et se livrer à un odieux chantage. Même Ed, qui retrouve la trace de sa petite amie, et qui provoque ainsi une crise de jalousie de la part de Jim, s'avère utile et positif pour le couple.
Avec la légendaire efficacité de l Warner en ces annéese années "pre-code", Wellman se livre à une mise en scène qui utilise beaucoup le décor et les à-cotés; il demande peu à ses acteurs, souvent filmés à distance dans des compositions magnifiques: les scènes rurales finales atteignent une beauté réelle, sans aucune fioriture, et en évitant le lyrisme des dernières années du muet; les objets sont utilisés pour véhiculer du sens, comme cette cariole qui a beaucoup de scènes pour elle, la plus spectaculaire étant celle au cours de laquelle Wellman instrumentalise le vide: Brent et Stanwyck reviennent de la ville, ou ils se sont directement mariés sans jamais s'être vus auparavant, sil se taisent. le décor est vide, et on ne voit presque que le blanc de leur visage; ils s'efforcent de ne pas se regarder, et Joan, en particulier, semble dépourvue de vie: elle est au centre du plan. Le silence et l'immobilité des deux acteurs dure 30 secondes... Tout est dit, oserait-on dire, et l'anticipation de la soirée est pour les deux personnages un cauchemar. Sinon, une très belle scène de rupture montre la façon dont Wellman sait déplacer les émotions et interprétations d'un acte aux témoins d'une scène, et aux éléments du décor: Le riche jeune homme vient de quitter Joan, et s'apprète à partir. Wellman cadre les gens autour d'eux. assise devant la vitrine, la jeune femme assiste au départ de la meilleure chance de sa vie, et au fond, on voit les éboueurs arriver et ramasser les poubelles; puis, on revoit de nouveau les témoins, qui cessent de s'intéresser à la situation et retournent à leurs occupations.
Drôlement distrayant, prenant même grâce à la performance inévitablement magnifique de la belle Barbara Stanwyck, le film étonne par son traitement du personnage féminin, véritable
moteur du couple de fermiers. Non seulement la jeune femme prend sur elle, et passe de petites tenues sexy à des vêtements plus pragmatiques, mais en prime elle prend les choses en main. Elle est
décidée à conquérir son idiot de mari, et le metteur en scène ne nous cache jamais qu'il est bien question de désir. A la fin, après avoir résolu un problème matériel, les deux se retrouvent.
Elle est épuisée, il la prend dans ses bras, et la porte naturellement vers la maison, l'embrasse... Et Joan lui dit: je vais m'ocuper de toi, te mettre au lit et te border. Echange des rôles,
humour tendre, une façon parfaite de finir un film certes inhabituel (Il n'appartient à aucun genre particulier, et se tient à l'écart de la représentation de la vie citadine, le grand thème des
années 30 naissantes, en se refusant à céder de façon trop directe aux codes graphiques et culturels de la mode, Jazz, robes, cafés...), mais aussi attachant que son personnage principal, qui
trouve la rédemption dans une renaissance totale.