Ce film de William Wyler, sorti en 1946, a l'étrange privilège d'être celui qui a gagné le trophée du meilleur film en 1946 face à It's a wonderful life... Ou Henry V, de Laurence Olivier. On ne lui en voudra pas, tant le film de Wyler est passionnant: consensuel, totalement de son époque mais terriblement attachant, riche en émotions sans avoir l'indécence de nous forcer les larmes. L'histoire est désespérément simple pour la durée épique de 170 minutes: trois hommes reviennent de la seconde guerre mondiale à Boone City, une ville plus ou moins fictive inspirée de Boone, Iowa. Ils ne se connaissent pas, ni d'avant la guerre puisqu'ils ne se sont jamais croisés, ni des combats auxquels ils ont participé, même s'ils auraient bien pu se croiser. Al Stephenson (Fredric March) est sergent dans l'infanterie, Fred Derry (Dana Andrews) Capitaine dans l'US Air Force, et Homer Parrish marin. Ce dernier a perdu ses deux mains et est très inquiet de l'avenir de sa relation avec sa petite amie d'enfance, Wilma (Cathy O'Donnell); Al, pour sa part, a du mal à envisager l'avenir: son retour à la vie civile est difficile à cause de sa répugnance à adopter l'éthique stricte de la banque dans laquelle il travaille, mais aussi parce qu'il a du mal à se faire à un foyer dans lequel les adolescents qu'il avait quitté sont devenus des adultes, sous la surveillance de Milly son épouse (Myrna Loy); enfin, Fred est appréhensif à l'idée de retrouver son épouse (Virginia Mayo) qu'il n'a vue que quelques jours avant de repartir au combat, sans parler du fait qu'il lui faut retrouver un travail...
A ces considérations sur le difficile réajustement des soldats dans la vie civile, le script ajoute un triangle d'un genre pas vraiment courant dans le prude cinéma des années 40: Fred se doute que son épouse l'a sans doute plus épousé pour ses galons et son bel uniforme (Ce en quoi il a d'ailleurs parfaitement raison), mais est attiré par la fille d'Al, la jeune infirmière Peggy (Teresa Wright): un lien fort se crée entre les deux lors de la première nuit 'civile' du capitaine; hébergé chez Al, il a fait un cauchemar récurrent lié à un mauvais souvenir de guerre. Elle l'a entendu et a su tout de suite le rassurer... Très vite, il apparaît que les deux sont tombés amoureux l'un de l'autre, et Peggy qui a rencontré Mrs Derry, sait à quoi s'en tenir. Lors d'une scène d'anthologie, Peggy annonce à ses parents qu'elle sait quoi faire: elle va briser ce mariage... Les mots, aussi durs, dans la bouche de la douce Teresa Wright, c'est l'un des grands moments inattendus de ce film. Une autre scène qui marque est liée au problème d'Homer. Celui-ci est joué par un véritable vétéran, dont les mains ont effectivement été arrachées lors d'un combat. On ne verra le véritable aspect de ses membres qu'une fois, lors d'un moment de révélation d'une beauté et d'une crudité inédites: Homer envisage de façon dont on le regarde à cause de son handicap; Wilma au contraire l'assure de son affection, et tente de regagner sa confiance. Afin d'en avoir le coeur net, Homer un soir propose à la jeune femme de l'accompagner dans sa chambre. Appréhensive mais résignée elle l'accompagne, marchant lentement... vers Homer qui enlève son peignoir, révélant l'harnachement des crochets qui lui tiennent lieu de mains. Elle le regarde faire tandis qu'il lui explique que ce dispositif qui le rend dépendant d'une autre personne pour se coucher ne devra jamais changer. Avec douceur et en souriant (Peut-être un peu soulagée de la tournure des événements, aussi) la jeune femme l'assiste simplement, naturellement, et désormais Homer connait la vérité de ses sentiments. La façon dont Wyler aborde la scène, mélange de réalisme et de mélodrame, interprétée aussi simplement que possible, en utilisant des prises longues, mais un éclairage qui laisse la part belle à l'expression douce et amoureuse de Cathy O'Donnell, est à l'image du film: La photo de Greg Toland, forcément, est superbe, permettant le grand écart entre le réalisme quotidien (Combien de films présentent une conversation entre Teresa Wright et Myrna Loy dans une cuisine à éplucher des légumes?) et la beauté sombre du cinéma en noir et blanc, dans un style qui magnifie à la fois la situation, les émotions, et la simplicité et la beauté du geste. Les recours nombreux à la profondeur de champ permettent d'installer l'illusion d'une vie en pleine effervescence sous nos yeux.
Mais le film n'est pas qu'un consensus bien huilé: à l'inévitable réajustement tragi-comique du retour à la vie civile (En particulier représenté par Al et ses homériques cuites), à ce réveil pénible vécu par Fred, et à cette occasion de réapprendre à vivre représentée par Homer, vient s'jouter très vite un sentiment d'abandon, partagé par les soldats qui reviennent après d'héroïques actions dont désormais plus personne n'a cure... Une scène montre aussi les dangers de l'oubli: un homme, militant anticommuniste, annonce à Homer et Fred que les Etats-Unis auraient du s'engager auprès du Japon et d'Hitler plutôt que de combattre auprès des "rouges". Le constat amer rejoint pour Fred celui de passer subitement du statut de capitaine à celui de chômeur. Comme le dit un homme qui travaille dans le drugstore qui employait Fred avant la guerre, ces hommes en uniforme se croient tout permis, ils viennent voler leur travail à ceux qui sont restés et qui ont trimé... Le titre renchérit sur ce sentiment d'amertume: les "plus belles années de notre vie", ce sont toujours semble-t-il celles qu'on a déjà vécues... Mais le film réussit à se terminer sur une note d'espoir, avec un mariage et un plan qui réunit de façon plausible tous les protagonistes essentiels: Al et Milly, leur fille Peggy, Wilma et Homer, et enfin Fred. Ces 170 minutes sont passées comme un éclair.