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4 mars 2017 6 04 /03 /mars /2017 14:15

Ce film de William Wyler, sorti en 1946, a l'étrange privilège d'être celui qui a gagné le trophée du meilleur film en 1946 face à It's a wonderful life... Ou Henry V, de Laurence Olivier. On ne lui en voudra pas, tant le film de Wyler est passionnant: consensuel, totalement de son époque mais terriblement attachant, riche en émotions sans avoir l'indécence de nous forcer les larmes. L'histoire est désespérément simple pour la durée épique de 170 minutes: trois hommes reviennent de la seconde guerre mondiale à Boone City, une ville plus ou moins fictive inspirée de Boone, Iowa. Ils ne se connaissent pas, ni d'avant la guerre puisqu'ils ne se sont jamais croisés, ni des combats auxquels ils ont participé, même s'ils auraient bien pu se croiser. Al Stephenson (Fredric March) est sergent dans l'infanterie, Fred Derry (Dana Andrews) Capitaine dans l'US Air Force, et Homer Parrish marin. Ce dernier a perdu ses deux mains et est très inquiet de l'avenir de sa relation avec sa petite amie d'enfance, Wilma (Cathy O'Donnell); Al, pour sa part, a du mal à envisager l'avenir: son retour à la vie civile est difficile à cause de sa répugnance à adopter l'éthique stricte de la banque dans laquelle il travaille, mais aussi parce qu'il a du mal à se faire à un foyer dans lequel les adolescents qu'il avait quitté sont devenus des adultes, sous la surveillance de Milly son épouse (Myrna Loy); enfin, Fred est appréhensif à l'idée de retrouver son épouse (Virginia Mayo) qu'il n'a vue que quelques jours avant de repartir au combat, sans parler du fait qu'il lui faut retrouver un travail...

A ces considérations sur le difficile réajustement des soldats dans la vie civile, le script ajoute un triangle d'un genre pas vraiment courant dans le prude cinéma des années 40: Fred se doute que son épouse l'a sans doute plus épousé pour ses galons et son bel uniforme (Ce en quoi il a d'ailleurs parfaitement raison), mais est attiré par la fille d'Al, la jeune infirmière Peggy (Teresa Wright): un lien fort se crée entre les deux lors de la première nuit 'civile' du capitaine; hébergé chez Al, il a fait un cauchemar récurrent lié à un mauvais souvenir de guerre. Elle l'a entendu et a su tout de suite le rassurer... Très vite, il apparaît que les deux sont tombés amoureux l'un de l'autre, et Peggy qui a rencontré Mrs Derry, sait à quoi s'en tenir. Lors d'une scène d'anthologie, Peggy annonce à ses parents qu'elle sait quoi faire: elle va briser ce mariage... Les mots, aussi durs, dans la bouche de la douce Teresa Wright, c'est l'un des grands moments inattendus de ce film. Une autre scène qui marque est liée au problème d'Homer. Celui-ci est joué par un véritable vétéran, dont les mains ont effectivement été arrachées lors d'un combat. On ne verra le véritable aspect de ses membres qu'une fois, lors d'un moment de révélation d'une beauté et d'une crudité inédites: Homer envisage de façon dont on le regarde à cause de son handicap; Wilma au contraire l'assure de son affection, et tente de regagner sa confiance. Afin d'en avoir le coeur net, Homer un soir propose à la jeune femme de l'accompagner dans sa chambre. Appréhensive mais résignée elle l'accompagne, marchant lentement... vers Homer qui enlève son peignoir, révélant l'harnachement des crochets qui lui tiennent lieu de mains. Elle le regarde faire tandis qu'il lui explique que ce dispositif qui le rend dépendant d'une autre personne pour se coucher ne devra jamais changer. Avec douceur et en souriant (Peut-être un peu soulagée de la tournure des événements, aussi) la jeune femme l'assiste simplement, naturellement, et désormais Homer connait la vérité de ses sentiments. La façon dont Wyler aborde la scène, mélange de réalisme et de mélodrame, interprétée aussi simplement que possible, en utilisant des prises longues, mais un éclairage qui laisse la part belle à l'expression douce et amoureuse de Cathy O'Donnell, est à l'image du film: La photo de Greg Toland, forcément, est superbe, permettant le grand écart entre le réalisme quotidien (Combien de films présentent une conversation entre Teresa Wright et Myrna Loy dans une cuisine à éplucher des légumes?) et la beauté sombre du cinéma en noir et blanc, dans un style qui magnifie à la fois la situation, les émotions, et la simplicité et la beauté du geste. Les recours nombreux à la profondeur de champ permettent d'installer l'illusion d'une vie en pleine effervescence sous nos yeux.

Mais le film n'est pas qu'un consensus bien huilé: à l'inévitable réajustement tragi-comique du retour à la vie civile (En particulier représenté par Al et ses homériques cuites), à ce réveil pénible vécu par Fred, et à cette occasion de réapprendre à vivre représentée par Homer, vient s'jouter très vite un sentiment d'abandon, partagé par les soldats qui reviennent après d'héroïques actions dont désormais plus personne n'a cure... Une scène montre aussi les dangers de l'oubli: un homme, militant anticommuniste, annonce à Homer et Fred que les Etats-Unis auraient du s'engager auprès du Japon et d'Hitler plutôt que de combattre auprès des "rouges". Le constat amer rejoint pour Fred celui de passer subitement du statut de capitaine à celui de chômeur. Comme le dit un homme qui travaille dans le drugstore qui employait Fred avant la guerre, ces hommes en uniforme se croient tout permis, ils viennent voler leur travail à ceux qui sont restés et qui ont trimé... Le titre renchérit sur ce sentiment d'amertume: les "plus belles années de notre vie", ce sont toujours semble-t-il celles qu'on a déjà vécues... Mais le film réussit à se terminer sur une note d'espoir, avec un mariage et un plan qui réunit de façon plausible tous les protagonistes essentiels: Al et Milly, leur fille Peggy, Wilma et Homer, et enfin Fred. Ces 170 minutes sont passées comme un éclair.

 

 

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Published by François Massarelli - dans William Wyler
10 juillet 2014 4 10 /07 /juillet /2014 16:59

Un collectionneur de papillons (Terence Stamp), timide, effacé, un brin excentrique, convoite une jeune femme (Samantha Eggar). Méthodiquement, il prépare un enlèvement après avoir découvert une merveilleuse maison qu'il loue: elle possède une crypte ou il pourra garder jalousement son trésor. Après avoir donc observé et convoité de loin la jeune femme, qu'il connait depuis longtemps, il passe à l'action, et l'enlève. Elle se réveille donc un jour dans la crypte, enfermée, et gardée par un homme énigmatique, qui ne cherche pas à la violer ou à la tuer, mais juste à la garder, car, explique-t-il calmement, si elle reste avec lui un certain temps, elle ne peut que tomber amoureuse de lui. Commence alors un jeu dangereux pour la jeune femme, de manipulation et de stratégies pour essayer de trouver une faille; pour commencer, elle négocie et obtient de lui qu'il la libère au bout de quatre semaines si elle n'a pas varié dans ses sentiments... cela ne va pas l'empêcher de tout tenter pour s'évader...

Le film est situé entièrement autour des deux personnages, ce qui fait qu'on ne quitte jamais la maison tant qu'ils y sont tous deux. The collector est un diamant noir, un film vénéneux comme pouvaient l'être aussi bien Peeping Tom que Psycho, avec de nouveaux développements, car comme le proclamait vigoureusement la bande-annonce du film, il ne pouvait être fait avant! La censure, aussi bien en Grande-Bretagne ou le film a été tourné, qu'aux Etats-Unis, aurait probablement trouvé à redire car si Terence Stamp incarne un jeune homme qui fait tout pour laisser le sexe en dehors de la relation délirante qu'il établit avec Miranda, il reste que les pulsions, le désir, et certains détails physiologiques aisés à deviner durant certaines scènes (L'émotivité du personnage masculin, son manque total d'assurance, sa gaucherie sont complétés par des allusions à une probable tendance à l'éjaculation précoce, pour dire les choses clairement, ce qu'un dialogue fait d'ailleurs presque: "It came out"!) ramènent la sexualié sur le devant de la scène. Le film a d'ailleurs été titré en France L'obsédé, ce qui me parait un peu réducteur, et aussi un peu facile...

En effet, il est ici surtout question d'un homme qui est dans l'incapacité de gérer des émotions dans l'optique de les partager, et d'imaginer que quelqu'un puisse ressentir autre chose que ce qu'il ressent lui-même... L'amour devient donc un objet à posséder, ce qui donne lieu à un échange entre les deux personnages lors d'un dîner en tête à tête, organisé à l'origine pour sceller le départ de Miranda, mais qui va vite tourner au drame tant le jeune homme est incapable de la laisser partir: elle tente de l'amadouer en lui proposant un mariage, mais lui avoue qu'il lui serait impossible de garder leur relation platonique. Lui est complètement à l'opposé: il souhaite donc la garder, comme il garde ses papillons... Tout ce qui est physique dans le film est initié par Miranda, d'ailleurs, qui a il est vrai beaucoup à perdre à rester sur place. A ce titre, une scène, véritable flambée de violence, voit le jeune homme contraint et forcé de réagir, et de faire ce qu'il a beaucoup de mal à faire: toucher la jeune femme, pour la forcer à rester...

Mais le film reste d'abord et avant tout l'exploration de ce qui se passe dans la tête d'un homme enfermé dans ses frustrations et l'impossibilité de concevoir le monde qui l'entoure de la même façon que les autres, et bien sur que Miranda. Bien sur, le jeune homme se comporte souvent comme un véritable enfant, mais dans un corps d'adulte: le début, qui le voit passer d'une innocente chasse aux papillons à l'exploration d'une crypte poussiéreuse et envahie de toiles d'araignées, est assez clair sur le fait que nous sommes en pleine visite de l'inconscient. Les pulsions, qu'il a identifiées lui-même, vont parfois resurgir, et ajouter à sa gêne, jusqu'à ce qu'il en vienne à rejeter tout contact physique avec la jeune femme... Et c'est dans cette pièce souterraine que le "collectionneur" va construire son nid... et probablement, nous suggère la fin, prendre des habitudes. Wyler, peut-être le plus versatile des metteurs en scène de sa génération, s'est une fois de plus adapté avec bonheur à son environnement particulier, cette maison, des vieilles pierres, et l'Angleterre pastorale ou se situe cette ténébreuse histoire. Il adopte souvent un point de vue à égale distance des personnages, avec parfois un avantage pour Miranda, qui peut ainsi nous transmettre sa vision de son kidnappeur, après tout principal sujet du film. Bien sur, Terence Stamp est formidable, mais Samantha Eggar y trouve un rôle exceptionnel...De penser que William Wyler a refusé de tourner The sound of music pour réaliser ce film me semble plus que savoureux.

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Published by François Massarelli - dans William Wyler