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20 juillet 2017 4 20 /07 /juillet /2017 17:43

La fonction sociale du cinéma n'a pas attendu les révolutions. Un excellent exemple, sombre et ironique comme d'habitude chez cet auteur, se trouve dans ce qui est l'un des plus longs films de Bauer, ainsi d'ailleurs que l'un de ses plus anciens: dans ce mélodrame implacable, on voit vivre une maison, plus par ses domestiques que par ses propriétaires, de riches nobles. La bonne souhaiterait faire une pause pour voir ses enfants, mais la maîtresse de maison refuse. La fille (Dora Chitorina) du portier, une adolescente, se propose pour la remplacer et lui permettre quelques jours de repos. Pavel, le fils de la maison (Alexandre Chargonine) accepte... Et se montre un peu trop affectueux avec elle. C'est qu'il souffre: la femme qu'il aime (Elsa Kruger) est volage, et semble passer plus de temps avec un autre homme, un Baron. Du coup, Pavel se console avec la jeune domestique. Mais tout ne va pas bien se passer pour elle...

Le message est clairement orienté, le public n'a pas d'autre choix que de condamner sans appel, aussi bien le comportement de prédateur sexuel du jeune homme, que le fait qu'il s'affiche ensuite, quand sa "fiancée" a changé d'avis, avec sa future épouse devant la jeune femme qu'il a séduite. De même, la façon dont il se comporte vis-à-vis d'elle avec un invité, la tripotant sans vergogne devant lui, donne une assez bonne idée de ce que cette bonne société pense de ses domestiques. Mais le titre, qui tranche avec le fait que la jeune femme est plus une victime qu'un témoin, est surtout là pour anticiper sur le fait que c'est la jeune héroïne qui va devoir sacrifier un peu plus en essayant dans une séquence de remettre la future épouse sur le droit chemin... Ainsi les domestiques, sensés vivre dans l'ombre, influent immanquablement et au détriment de leur propre vie, sur celle de leurs employeurs et maîtres...

Ca ressemble beaucoup à une intrigue de mélodrame théâtral, sans que quoi que ce soit au générique ne nous le prouve. Mais Bauer a contourné comme à son habitude toute possibilité d'enfermer sa mise en scène, en jouant sur les décors, les mouvements et les placements de caméra. Et comme il sait su bien le faire il nous livre un drame humain, riche et baroque, qui se finira pour la jeune domestique à la fois tristement et sans drame. Le métier qui rentre, en quelque sorte...

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Published by François Massarelli - dans Muet Yevgueny Bauer 1914
15 juillet 2017 6 15 /07 /juillet /2017 16:36

Ceci est le dernier film que Bauer finira de son vivant, avant qu'il ne tombe malade sur le plateau du Roi de Paris... Et on ne peut pas dire que l'oeuvre de ce grand maître du drame baroque se finisse dans la rigolade! Son titre dérive d'un intertitre, dans lequel il est question de la quête incessante du bonheur, de l'héroïne du film: un prétendant se dit prêt à le lui procurer, mais elle estime que son bonheur à elle doit d'abord passer par celui de sa fille... Celle-ci, on le verra, souffre d'un handicap dont les sources sont essentiellement psychologiques, ce qui fait d'elle une petite cousine de Vera Karalli dans Le bonheur de la nuit éternelle, ou d'autres héros affligés pareillement de problèmes qui leur sont amenés par des angoisses.

Zoya Verenskaia (Lydia Koreneva), une riche veuve, est inquiète pour sa fille Li (Tasya Borman). Celle-ci est bientôt adulte, mais ne s'est jamais remise de la mort de son père dix années auparavant. Et le docteur est formel, elle perd progressivement la vue. L'amant de Zoya, l'avocat Dimitri (Nikolai Radine), souhaite qu'elle accepte de se marier avec lui, mais elle craint que ça n'arrange en rien les affaires de Li. D'autant que celle-ci se méprend sur la présence constante de Dimitri chez elles, et est amoureuse de lui. Lors d'un séjour en Crimée sur les bords de la mer noire, le drame va se précipiter...

Un plan, superbe, riche et chargé en sens semble résumer le film: Li est dans un jardin ensoleillé, au premier plan, installée sur un banc. Derrière elle, au fond, apparaissent sa maman et Dimitri. Elle ne les a pas vus, mais elle sait que Dimitri est là, et elle lâche les fleurs que le jeune peintre lui a donné, pour attendre fébrilement celui dont elle croit qu'il est venu pour elle. Pendant ce temps Zoya et Dimitri finissent leur cheminement jusqu'à elle.

Le film est lent, posé (Bauer comme à son habitude utilise tout l'espace et chaque centimètre carré de ses décors ont du sens), et empreint d'une ironie violente. Bauer prend son temps et surtout épouse le tempo lent de cette famille nantie, comme condamnée à vivre des dilemmes impossibles. Les deux adultes s'aiment, mais ont des intérêts divergents: lui ne pense qu'à elle, et souffre de leur éloignement forcé, elle ne pense qu'à sa fille... celle-ci, de son côté, refuse le bonheur à portée de main (Un jeune peintre qui n'a d'yeux que pour elle, et qui pour info est interprété par le décorateur du film, Lev Koulechov: ça fait de l'effet), et se pousse elle-même vers la maladie. On peut éventuellement se demander où Bauer veut en venir, mais fidèle à son habitude il nous a réservé un coup de théâtre de premier choix, qui finit par dresser tous ces gens les uns contre les autres dans un final particulièrement méchant. J'en parle en dessous, et si vous souhaitez voir le film d'abord... N'allez pas plus loin.

Puisque Zoya ne veut que le bonheur de sa fille, et que Dimitri a dit à Zoya qu'il l'aime plus que tout, le marché proposé par la jeune veuve à son amant est le suivant: il épousera Li, et ainsi il fera le bonheur de sa mère. Quand elle est venue le lui dire, chez lui, il a refusé, mais à ce moment, elle lui a annoncé la venue de Li: Dimitri est au pied du mur... Quand la jeune femme entre dans l'appartement, l'avocat est déterminé: il lui dit qu'il refuse son amour, puis ajoute qu'il en aime une autre; sa mère. C'est à ce moment que Li devient définitivement aveugle. Puis que le film se termine...

Je l'avais dit: Bauer, ironique jusqu'au bout, refuse une résolution à ses personnages... mais il y a quelque chose qu'il me fait dire maintenant, qui me paraît important... On ne demandait pas un grand effort aux femmes, j'imagine, dans la Russie de 1917 (d'avant la Révolution d'Octobre)... Donc d'une certaine façon leur oisiveté passe assez facilement. Mais ce Dimitri, victime permanente des complications féminines, je trouve qu'il a une propension impressionnante à dire (A trois reprises dans le film) "que mes clients se débrouillent!" et à partir en Crimée pour conter fleurette... une indication des sympathies de Bauer?

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Published by François Massarelli - dans Muet Yevgueny Bauer 1917
12 juillet 2017 3 12 /07 /juillet /2017 09:53

Ce film tranche de manière spectaculaire sur le reste de la production du metteur en scène! Et pour cause: la Russie en 1917 est désormais dans une toute nouvelle configuration politique, après la révolution de février. Le film, écrit par l'acteur Ivan Perestiani, lui-même acquis à la cause de la révolution (DES révolutions, devrait-on dire, car il suivra avec enthousiasme les futurs changements d'octobre 1917, et sera l'un des premiers réalisateurs du cinéma Soviétique), est une solide oeuvre de propagande, qui est particulière puisqu'elle est l'une des rares qui nous soient parvenues, qui montre justement cette période de transition, plus du tout Tsariste (Nicolas II a abdiqué en février) mais pas encore Communiste (La gauche participe aux affaires, mais en ordre dispersé, et elle n'a pas le monopole du pouvoir). Et le film situe l'essentiel de son intrigue sur un débat qui agitait justement les révolutionnaires de l'époque; faut-il ou non participer à une guerre qui a été commencée par le Tsar, et qui devrait n'engager le nouveau pouvoir en rien?

La première bobine manque à l'appel: on y indiquait probablement le contexte, une exposition située en 1907. Le révolutionnaire qu'on appelle familièrement "grand-père" (Perestiani) est recherché par la police; Quand la deuxième bobine commence, les forces de l'ordre le dénichent réfugié chez son frère. Il est envoyé en Sibérie, ou il passe dix années de privation et d'oubli, à l'écart du monde. Il survit, déterminé à retourner se battre pour faire triompher ses idées. Quand il revient, le pays a changé, et il retrouve sa famille. Mais son fils (Vladimir Strighevski) qui est un radical, n'est pas d'accord avec lui sur la participation à la guerre: le "grand-père" souhaite en effet que la Russie se sorte du conflit en participant et en menant les alliés à la victoire, alors que son fils pense que le pays devrait se sortir du conflit sans autre forme de procès...

La troisième bobine, uniquement consacrée à la survie du héros en Sibérie, est étonnante: on est très habitué à suivre les aventures des personnages de Bauer dans des décors urbains et policés, alors qu'ici, le récit nous montre la vie "à la dure" de prisonniers qui sont loin de tout. De même, le cinéaste nous montre des grands espaces qu'il n'a pas souvent exploré, après tout. La fin de la séquence Sibérienne fait l'objet d'un raccourci saisissant, lorsqu'on voit Perestiani, sur un traîneau avec des chiens, qui s'éloigne de sa prison "naturelle" dans la neige, puis le plan suivant, sans aucune transition, nous montre un train qui s'éloigne vers le même horizon. la perspective est inversée, mais les deux plans mis bout à bout résument à eux seuls le voyage du vieil homme...

Ce n'est peut-être pas le meilleur de ses films, mais Bauer s'est bien sorti d'un exercice dont on ne saura jamais, finalement, s'il l'a accepté de bon coeur, ou si il a été forcé de le tourner par contrat! N'oublions pas que six mois à peine après la sortie de ce film, le metteur en scène allait décéder prématurément, et que quelques semaines plus tard, la Russie allait être totalement bouleversée. Quelle aurait été la place de Bauer dans le cinéma de ces années-là, on ne le saura jamais, mais Le révolutionnaire montre, que si devant un tel sujet il ne sort pas forcément des sentiers battus, au moins le film est-il largement plus que fonctionnel. La séquence Sibérienne à elle seule quitte le domaine purement illustratif pour y montrer une visualisation de l'entêtement d'un homme brisé, à ne pas renoncer à son idéal, exacerbé par la mort d'un jeune homme qui ressemble furieusement à l'image d'Epinal du Christ!

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Published by François Massarelli - dans Muet 1917 Yevgueny Bauer
9 juillet 2017 7 09 /07 /juillet /2017 10:50

Tourné à l'hiver 1914-1915, ce film est en fait la plus ancienne collaboration conservée entre Bauer, et les deux acteurs qui six semaines plus tard tourneront pour lui Après la mort, et qu'on retrouvera aussi dans La mort du cygne: Vera Karalli et Vitold Polonski. Karalli interprète Lili, une jeune femme totalement aveugle, et Vadim son amoureux de toujours, décidé à lui rendre la vue par tous les moyens...

Et justement, Vadim a trouvé le docteur miracle, qui a par une simple opération trouvé le moyen de rendre ses yeux à la jeune femme. Celle-ci se fait opérer, et le miracle s'accomplit. Mais le jour où elle recouvre la vue, elle commet une erreur d'interprétation de ce qu'elle voit, et elle confond les deux hommes présents Vadim, et... Gregory; son frère. Tout le contraire de Vadim: il joue, il boit, il fait la fête, il drague, et il s'affiche avec des femmes... Mais il a toujours rêvé d'accrocher Lili à son tableau de chasse, et comme la famille de Lili ne veut pas qu'on la contrarie, il est décidé de ne pas lui révéler la vérité...

Je m'arrête tout de suite sur ce qui ne va pas: ce n'est pas comme si Lili n'avait jamais rencontré les deux hommes qu'elle a confondus. Si on s'en tient à l'image, on sait qu'elle connait par ses mains le visage de Vadim... Et si on est un tant soit peu réaliste, on se doute que leurs voix respectives les rendent forcément différents. Bref, ça ne tient pas debout, il convient de l'admettre.

Mais voilà, Lili possède un certain nombre de caractères qui la rendent si particulière dans le monde de Bauer. Comme tant d'autres, c'est une artiste, qui a trouvé dans la pratique du violon une échappatoire et un univers bien à elle. Ensuite le film nous présente, à travers le jeu enfiévré de Vera Karalli, une découverte de la vue qui devient une expérience traumatique. En recouvrant un sens qu'elle n'a jamais eu, elle perd tous ses repères, après tout. Et Gregory, tout le contraire de son frère l'aîné tourmenté, représente aussi d'une certaine façon l'attraction de l'interdit. Et la révélation de la dissolution de la vie de celui qu'elle s'est en quelque sorte choisi, va ^précipiter une inversion symbolique de la situation.

Oui, Lili redevient aveugle, et peut à nouveau profiter du "bonheur de la nuit éternelle"... 

Bauer en dépit du ratage énorme dans le script est très à son aise, dans la peinture de trois univers, tous des domaines qu'il a explorés et dans lesquels il est passé maître: le monde restreint de Lili, dans lequel l'actrice limite le jeu de ses yeux tout en y trouvant une extrême expressivité. Le monde torturé de Vadim, un homme responsable, et un savant, qui pèse en permanence le pour et le contre, hanté par la mort: il a des cranes humains sur son bureau dans une pièce sombre où il passe le plus clair de son temps. Enfin, le monde de Gregory est fait de repas à n'en plus finir, de boisson, et il vit entre son appartement décoré de statues, hum, antiques, et l'appartement de sa maîtresse (celle qui révélera la vérité à Lili, par jalousie)... 

ET le metteur en scène alterne les vues presque naturaliste de Lili et Gregory (qu'elle prend pour Vadim) dans un Moscou sérieusement enneigé, et une scène inattendue, de Lili qui découvre encore la magie de la vision: fascinée de pouvoir voir la nature, elle regarde par la fenêtre en pleine nuit, et a une vision d'horreur, celle d'une créature au masque de mort... Une brusque intrusion fantastique dans un mélodrame dont les contours restent classiques, mais aussi un aperçu de la vie intérieure troublante d'une feme qui a trouvé un sens qu'elle ne maîtrise pas, et qui décidément ressemble furieusement à une incarnation de sa sexualité ou en tout cas de sa vie affective, ce qui dans un film de 1915 revient, somme toute, au même...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1915 Yevgueny Bauer
7 juillet 2017 5 07 /07 /juillet /2017 18:05

Dans les quelques films qu'on a conservés de l'oeuvre de Bauer (environ un quart de l'ensemble), il se produit une fracture nette, entre les oeuvres si totalement russes, qui vont de 1913 à 1916, et ses derniers films, dont Vers le bonheur, Le révolutionnaire, ou le roi de Paris. Cette fracture est d'ailleurs parfaitement incarnée par ce film, dans lequel le metteur en scène confronte une fois de plus un personnage fragile à l'image de la mort, mais cette fois, il se lâche et en profite pour charger avec une ironie cinglante un personnage de "passeur", un artiste une fois de plus, qui est justement celui qui est obsédé par l'au-delà... Du coup, le film franchement baroque tranche sur les deux précédents, qui eux restaient à une certaine distance...

Un séducteur (Vitold Polonski) rencontre une jeune femme d'une grande beauté (Vera Karalli), mais qui est muette. Ils deviennent amants, mais le jeune homme tend à abrutir la jeune femme de fadaises, et lassé de ce manque de répondant, il la remplace sans autre forme de procès... Gizella, meurtrie, cherche à oublier, et décide de le faire par la danse, sa passion. Elle devient une vedette, avec en particulier une interprétation de la Mort du cygne du ballet de Tchaikovsky... C'est lors d'un de ses galas qu'un artiste obsédé par la mort (Andreï Gromov) la voit: il est à la recherche de la plus parfaite expression de la beauté de la mort, et il est persuadé de l'avoir trouvée. Il invite Gizella à poser pour lui... Ce qu'elle accepte.

Mais elle a des angoisses, liées à ce qu'elle a vu dans l'atelier du peintre: une présence surnaturelle et envahissante de la mort., ce qui provoque des cauchemars... Dont elle se sort sans trop de problèmes avec une nouvelle rencontre avec son séducteur, qui ne l'a en fait jamais oubliée, et lui demande sa main. C'est donc une Gizella radieuse qui se rend au rendez-vous chez le peintre halluciné, dans le but de se laisser peindre en cygne mourant. Je vous laisse deviner la suite.

Bauer fait tout pour séparer, différencier ses deux protagonistes principaux: la beauté fragile de Vera Karalli, qui non seulement est une excellente actrice, mais en plus danse pour de vrai, est mise en scène avec lyrisme, et une certaine retenue aussi. L'idée d'en faire une muette fonctionne à merveille, donnant à tout excès d'expressivité une justification parfaite... Mais le peintre, avec sa perruque et sa barbe à la Raspoutine, tient de la parodie pure et simple! Et son atelier est du plus haut ridicule. Le metteur en scène en avait-il soupé de "l'âme Russe"? Ses films suivants tendraient à le prouver. Mais ce qui aurait pu gâcher le film joue malgré tout en sa faveur, car le contraste entre les deux permet à Bauer de nous éblouir dans une séquence de cauchemar très élaborée, qui combine l'art consommé du réalisateur pour le placement des personnages dans le décor, l'utilisation de lumières, le cadrage et la caméra mobile. Et Karalli confirme qu'elle n'était pas qu'une note en bas de page (En particulier dans l'histoire compliquée de Raspoutine, mais je vous laisse chercher), mais bien une actrice de tout premier ordre.

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Published by François Massarelli - dans Muet Yevgueny Bauer 1916 *
6 juillet 2017 4 06 /07 /juillet /2017 19:20

Hanté par le souvenir de sa mère disparue, Andreï Bagrov (Vitold Polonski) vit seul avec sa tante, reclus das une solitude face à son obsession pour la science. Au cours d’une soirée mondaine à laquelle son ami Tsenine (Georgy Azagarov) l'a poussé à participer, il rencontre l'actrice Zoïa Kadmina (Vera Karalli), que sa gaucherie le pousse à fuir... Pourtant il pense à elle et quand Tsenine lui propose d'aller assister à un concert de bienfaisance, il a reconnu son nom. Durant le spectacle ils restent les yeux rivés l'un sur l'autre... Mais rien n'arrive pourtant. Pire: ils se retrouvent dans un parc, et le jeune homme reste froid vis-à-vis de la jeune femme. Trois mois plus tard, Andreï apprend sa mort elle se serait supprimée à cause d'un amour non partagé. A partir de cet instant, elle l'intéresse...

Après le mari éploré de Rêves éveillés, qui était trop obsédé par le souvenir de son épouse pour réussir à vivre pleinement et en confiance un nouvel amour, au point de tuer, Andreï est à nouveau un héros sombre et typique de l'auteur qu'était Yevgueny Bauer. Une fois de plus, le metteur en scène manie une certaine ironie, en même temps qu'une omniscience évidente dès la fameuse séquence de la soirée mondaine, souvent mentionnée par les commentateurs, tous admiratifs: c'est un plan-séquence de 5 minutes dans lequel la caméra reste constamment cadrée sur Andreï, qui évolue, seule personne à se demander ce qu'il fait là, au milieu de gens qui eux en revanche prennent du bon temps: tout est dit!

Et Vera Karalli est parfaite dans le rôle ambigu d'une femme du monde qui ne réussit pas à envoyer les bons signaux de S.O.S. au seul homme avec lequel elle aurait sans doute pu communiquer, et puis vivre, tout simplement: ce n'est pas un hasard si Bauer lui a ensuite confié le rôle principal de l'artiste de La mort du cygne. Mais le héros de ce film reste fermement Vitold Polonski, qui accomplit la redoutable mission de donner à voir un homme qui va glisser dans une obsession morbide de plus, en quelque sorte en choisissant sa folie... Bauer est particulièrement inspiré par le caractère onirique de la maladie du jeune homme, ce qui donne lieu à des séquences visuellement inoubliables, parmi les plus belles et les plus noires de son oeuvre.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1915 Yevgueny Bauer
6 juillet 2017 4 06 /07 /juillet /2017 19:02

Un homme obsédé par la disparition de sa femme morte croise son sosie dans la rue et va se perdre dans une tentative malheureuse de re-création impossible de l'amour perdu... Ca vous rappelle quelque chose, n'est-ce pas? Mais on n'est pourtant ni chez Hitchcock, ni chez Boileau et Narcejac, les deux auteurs de D'entre les morts, le roman adapté par Hitchcock pour son film Vertigo! D'ailleurs, les chances pour le cinéaste Anglais ou pour le duo d'écrivains d'avoir vu ce film de Bauer, sorti sans doute exclusivement en Russie en 1915, puis disparu des écrans radars pendant 75 ans, me semblent fort minces...

Sergei Nedelin (Alexandre Wyrubow) vient de perdre son épouse et est inconsolable. Il s'enferme en permanence, dans une maison qui ressemble à un mausolée dédié à lépouse disparue, et encombré de portraits, d'objets fétiches, et autres souvenirs accumulés de façon morbide. Son meilleur ami, le peintre Solskii (Victor Arens) conseille à Sergei de sortir pour s'oxygéner... et lorsqu'il tente une sortie il croise Tina (Nina Tchernovajewa), une femme qui ressemble à sa chère Helena... Elle est actrice, et il la suit jusque au théâtre où elle participe à un opéra: elle joue une femme ressuscitée d'entre les morts.

A partir de là, Sergei est obsédé par la jeune femme, et essaie même de considérer qu'il va revivre grâce à cet amour, mais tout va mal se passer, pour au moins deux raisons: son ami Solskii, qui est peintre, voit très facilement en Tina une femme qui profite de la situation et il met son ami en garde. Un artiste, chez Bauer, est souvent doté de sens particuliers. Et sinon, Sergei a du mal à contenir Tina qui une fois chez lui, souhaite n'en faire qu'à sa guise... et dans l'esprit de son amant, profane les objets d'Helena qu'elle touche...

Je le disais plus haut, on n'est pas chez Hitchcock, mais bien chez Bauer: cette ironie distante face à l'obsession morbide, cette inscription définitive du personnage dans son environnement, fait ici uniquement de traces de l'être aimé et décédé, ou encore l'artiste clairvoyant (Qui ne sera pas écouté, et du coup joue le rôle d'un oracle inutile): tout ça fait l'univers de ce grand cinéaste méconnu. Un univers qu'on retrouvera dans d'autres films tout aussi beaux, tout aussi morbides et tout aussi passionnants, Après la mort (1915) et La mort du cygne (1916)...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1915 Yevgueny Bauer
3 juillet 2017 1 03 /07 /juillet /2017 16:39

Bauer réalisant une comédie? A ma connaissance ce film d'une bobine est le seul exemplaire du genre ayant survécu, et il n'a pas du en tourner beaucoup d'autres! le film met en scène un couple qui s'adresse au spectateur, chacun ayant son mot à dire, le monsieur sur les femmes et la dame sur les hommes. L'homme (S. Rassatov) nous montre un livre qu'il a déniché, qui arme les hommes pour déjouer les 1001 ruses des femmes. Il réussit à contrer toutes les tentatives de filouterie de son épouse (Lina Bauer). Mais celle-ci a de la ressource et elle réussira à déjouer la surveillance de son mari et le cocufier glorieusement...

Bref, tout ça ne vole pas très haut... Même si on peut au moins constater que le metteur en scène a proposé à son épouse un rôle fripon et lui a demandé de porter des tenues plus que suggestives, ce qui n'est pas courant dans son oeuvre (Ni dans le cinéma Russe Tsariste du reste) dont l'érotisme est généralement aussi morbide que cérébral. Madame Bauer, en revanche, est une dame ne faisant aucun mystère de sa sensualité. Mais ça n'empêche pas le film, bien qu'il soit relativement court, d'être à mon avis le moins intéressant de tous ceux que j'ai pu voir.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Muet Yevgueny Bauer
3 juillet 2017 1 03 /07 /juillet /2017 09:05

Si Bauer n'a jamais rechigné à réaliser des films de commande pour la nation, qu'elle soit d'obédience Tsariste (Ce film, par exemple, réalisé au début de la première guerre mondiale), ou démocratique (le révolutionnaire de 1917 est pour sa part un film qui exalte l'esprit de la révolution de Février), il ne l'a jamais fait non plus sans une certaine ironie. Ici, la première partie va dans le sens d'un souffle national que tous les pays concernés par le conflit ont ressenti, cet espèce de sentiment enfantin d'aller puiser la gloire au combat, un sentiment qui s'est si vite avéré être puéril... Le point de vue ici est celui d'une jeune femme (Dora Tchitorina), mariée à un officier flamboyant (Ivan Mosjoukine). Elle veut participer à l'effort de guerre et s'engage dans la Croix rouge... les combats sont rudes, les blessés et les morts sont plus nombreux que prévus, et la jeune infirmière de plus en plus tourmentée voit les hommes se succéder... Jusqu'au jour où c'est son mari agonisant qui se trouve devant elle.

Le contraste entre les salons du début du film, ou toute une vie tranquille de bourgeois et de nobles se déroule sous nos yeux, et la peinture dramatique de la guerre, vue surtout au travers des cauchemars de la jeune femme générés par l'horreur, est du pur Bauer, et tend à court-circuiter la volonté propagandesque du film. Mais ironiquement, a jeune femme saura surmonter ses troubles et galvanisée par le sacrifice de son mari, remplira une mission héroïque... De quoi redonner sens au titre si embarrassant par lequel ce film est parfois connu: "gloire à nous, mort aux ennemis". Tout un programme...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1914 Yevgueny Bauer Ivan Mosjoukine
20 avril 2016 3 20 /04 /avril /2016 16:46

Issue d'une famille pauvre, dont la mère s'est usée à travailler jusqu'à en mourir, la jeune Maria (Elena Smirnova) rêve de s'élever, et rencontre un jour deux hommes de la bourgeoisie, dont l'un, Viktor (Michael Salarow), est subjugué par sa beauté. Ils deviennent amants, mais très vite, Maria se lasse. partout où ils vont, elle se surprend à regarder les autres hommes, très attentive à toutes les sollicitations. Elle trompe son amant avec le garçon d'un restaurant où ils ont dîné. Mais le train de vie qu'elle lui impose menace Viktor de ruine, et il suggère de partir à la campagne et de vivre simplement. Elle va tout simplement rompre, en lui suggérant de prendre une maîtresse moins onéreuse...

Excellente introduction à la thématique de cruauté amoureuse fréquente chez Bauer, ce film est aussi un intéressant retournement de situation par rapport au mélodrame classique. Ici, la femme mène l'homme par le bout du nez, et celui-ci devient la victime des sentiments. Sciemment, elle se joue de ses amants, et peut mener une grande vie sans être inquiétée. la fin, particulièrement méchante, nous donne une idée claire de ce qui est la motivation profonde du personnage: la vengeance... C'est rendu explicite par un grand nombre d'indices. Tout d'abord, la première scène montre la mort de la mère, qui mène directement à une vision de Maria obligée de travailler. Elle est ensuite représentée, en proie à une forte mélancolie... Qui va contraster avec l'énergie qu'elle mettra à faire une fête de tous les instants, et à rester indifférente au destin de celui qui l'a aimée...

Ce thème de 'amour qui fait des ravages chez les protagonistes masculins reste le plus courant chez Bauer, mais il est ici particulièrement sardonique.

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Published by François Massarelli - dans Yevgueny Bauer Muet Russie 1914