
La fonction sociale du cinéma n'a pas attendu les révolutions. Un excellent exemple, sombre et ironique comme d'habitude chez cet auteur, se trouve dans ce qui est l'un des plus longs films de Bauer, ainsi d'ailleurs que l'un de ses plus anciens: dans ce mélodrame implacable, on voit vivre une maison, plus par ses domestiques que par ses propriétaires, de riches nobles. La bonne souhaiterait faire une pause pour voir ses enfants, mais la maîtresse de maison refuse. La fille (Dora Chitorina) du portier, une adolescente, se propose pour la remplacer et lui permettre quelques jours de repos. Pavel, le fils de la maison (Alexandre Chargonine) accepte... Et se montre un peu trop affectueux avec elle. C'est qu'il souffre: la femme qu'il aime (Elsa Kruger) est volage, et semble passer plus de temps avec un autre homme, un Baron. Du coup, Pavel se console avec la jeune domestique. Mais tout ne va pas bien se passer pour elle...
Le message est clairement orienté, le public n'a pas d'autre choix que de condamner sans appel, aussi bien le comportement de prédateur sexuel du jeune homme, que le fait qu'il s'affiche ensuite, quand sa "fiancée" a changé d'avis, avec sa future épouse devant la jeune femme qu'il a séduite. De même, la façon dont il se comporte vis-à-vis d'elle avec un invité, la tripotant sans vergogne devant lui, donne une assez bonne idée de ce que cette bonne société pense de ses domestiques. Mais le titre, qui tranche avec le fait que la jeune femme est plus une victime qu'un témoin, est surtout là pour anticiper sur le fait que c'est la jeune héroïne qui va devoir sacrifier un peu plus en essayant dans une séquence de remettre la future épouse sur le droit chemin... Ainsi les domestiques, sensés vivre dans l'ombre, influent immanquablement et au détriment de leur propre vie, sur celle de leurs employeurs et maîtres...
Ca ressemble beaucoup à une intrigue de mélodrame théâtral, sans que quoi que ce soit au générique ne nous le prouve. Mais Bauer a contourné comme à son habitude toute possibilité d'enfermer sa mise en scène, en jouant sur les décors, les mouvements et les placements de caméra. Et comme il sait su bien le faire il nous livre un drame humain, riche et baroque, qui se finira pour la jeune domestique à la fois tristement et sans drame. Le métier qui rentre, en quelque sorte...