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5 juillet 2020 7 05 /07 /juillet /2020 13:44

Dire de ce film qu'il est important est un euphémisme. Il bouscule tout sur son passage et a fait une belle carrière à l'étranger, où Sciamma a été fêtée comme il se doit pour ce bijou... Un bijou, je vais le dire ici et ne plus avoir besoin de le dire après, réalisé, écrit, produit, mis en image et interprété par des femmes. 

Marianne (Noémie Merlant) reçoit une offre alléchante: peindre le portrait d'une jeune femme qu'on s'apprête à marier, afin de permettre au futur époux d'avoir une idée de sa beauté et de pouvoir se prononcer sur le mariage. Comme Héloïse (Adèle Haenel) est belle, elle et sa mère (Valeria Golino) ne se font aucun doute sur l'issue de l'arrangement... Et c'est là que le bât blesse: Héloïse, toute droite sortie du couvent (elle était la deuxième fille de la famille jusqu'à ce que sa grande soeur ne décède) ne veut pas de ce mariage, et ne veut donc pas du portrait non plus, et l'a prouvé en refusant de poser pour le prédécesseur de Marianne, parti bredouille sans jamais l'avoir vue. Officiellement, on a engagé Marianne pour être sa dame de compagnie pour une semaine, à elle de mettre à profit tous ses moments de solitude pour peindre sa cible...

Dans une maison très isolée sur la Côte Sauvage, la vie va donc s'organiser entre trois femmes: Marianne, Héloïse et Sophie (Luàna Bajrami), une domestique. Alors que le portrait avance lentement, les deux jeunes femmes vont développer une très forte complicité, jusqu'au point où, ayant fini une version du portrait, Marianne déclare vouloir recommencer et obtient le soutien inattendu d'Héloïse...

D'abord, il y a un récit passionnant, qui transcende complètement le fait qu'il s'agisse pour l'essentiel d'une confrontation à deux personnages plus un témoin. D'ailleurs le rôle de Sophie, la petite domestique qui va elle aussi tisser durant cette dizaine de jours des liens très forts avec les deux autres, est essentiel à cette chronique de la féminité, par un événement important: elle annonce à Marianne qu'elle est enceinte, contre son gré, et les trois femmes vont s'impliquer dans l'avortement qui s'ensuivra. Ensuite, Céline Sciamma utilise le biais de la création artistique pour illustrer d'une façon brillante les glissements troublants de deux personnes vers l'amour avec un grand A, un amour auquel la référence récurrente à Orphée et Eurydice donne une dimension hautement mythologique... Et auquel le recours de deux femmes à l'art (peinture, mais aussi on le verra dans deux scènes clé, à la musique, et non des moindres!) donne aussi une dimension que je n'hésite pas une seule seconde à considérer comme sacrée!

Et justement, on affirme ici non seulement une conviction féministe forte (Marianne est peintre et sait qu'en tant que femme elle a un handicap, puisqu'on ne la laisse pas peindre l'anatomie masculine... mais officieusement: car on saura à la fin qu'elle a peint des tableaux académiques attribués à son père), mais aussi une solidarité et une forte revendication d'égalité entre la jeune femme de la bonne société et la peintre qui est employée par sa famille. Cette solidarité sera la clé d'une entente forte entre les deux femmes... Entente qui passera aussi par des détournements érotiques inattendus dans le film: car si Céline Sciamma ne représentera jamais les corps en plein amour, elle joue beaucoup avec les détails, et en tire des effets inédits que je vous laisse découvrir. Et elle sait installer un vrai suspense, avec un quart d'heure de film, environ, avant l'arrivée d'Héloïse. Quand elle arrive, on tardera à voir son visage et ce sera uniquement du point de vue de Marianne...

Esthétiquement le film est très fort, et la réalisatrice, avec la directrice de la photo Claire Mathon, a pris une décision importante: utiliser la Très Haute Définition pour rendre au plus près l'aspect des tableaux, et au passage obtenir une palette de couleurs qui est totalement en phase avec la peinture contemporaine de l'intrigue... Il y a, de toutes façons, de constants allers et retours entre le film et ses tableaux, peints par une jeune artiste qui a imprimé sa marque aux oeuvres peintes par le personnage de Marianne, Hélène Delmaire. 

Si j'avais une réserve à formuler, ce serait sur le ton parfois déclamatoire des dialogues, et un certain manque de naturel qui est propre aux films en costume... Ce qui largement compensé par la précision du jeu physique, la beauté du film, et le fait que dans ce Portrait de la jeune fille en feu (un titre dont l'explication, vous le verrez, n'a rien de symbolique) le souffle romantique balaie tout sur son passage...

 

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Published by François Massarelli - dans Céline Sciamma Criterion