Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

2 mai 2024 4 02 /05 /mai /2024 08:55

Voici le deuxième film de l'acteur Viggo Mortensen, et il a fait les choses en grand, comme on dit: acteur-réalisateur, mais également auteur du script, producteur et compositeur tant qu'à faire. La mainmise de l'auteur est telle sur le film, qu'on n'aura aucun doute sur le fait d'attribuer telle ou telle qualité... Il a choisi le western, et on ne peut que l'en féliciter: c'est un costume qui lui va bien, et qui pour le sujet du film, sied particulièrement bien...

L"histoire est contée d'une façon qui ne respecte en rien la chronologie, et deux trames liées mais situées dans deux temporalités différentes vont se jouer sous nos yeux. Ca a pour effet de commencer par la mort d'un personnage, ce qui détermine tellement de choses dans le film, et dans l'atmosphère de tristesse qui s'en dégage, que je ne peux  m'empêcher de le reprocher au film: avait-on besoin de cette complication? 

En même temps, je ne suis pas sûr qu'on puisse faire autrement, car l'histoire, située autour de plusieurs personnages, et en particulier de Holger Olsen (Mortensen), immigrant Danois de fraîche date installé en Californie, et de Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps), québecoise installée à San Francisco, aurait du mal à trouver sa cohérence si on la racontait différemment. Et le fait de commencer par la fin va installer le déroulement dans le point de vue du personnage qui reste... Donc oui, il y a une bonne raison.

Holger Olsen n'est pas un livre ouvert, ce n'est pas un homme au passé trouble, ou avec un fort bagage culturel. Il lit, il écrit même semble-t-il, mais cela ne semble pas avoir tant d'importance que ça. Si on apprend qu'il a demandé et obtenu un poste de shériff dans la petite localité où il habite avec sa famille (Vivienne, et son fils Vincent), au départ, c'est juste un homesteader, un fermier de la Frontière, avec son passé d'immigrant qu'il garde sagement derrière lui...

Au contraire, on apprendra beaucoup de choses sur l'enfance de Vivienne, la mort de son père au Canada par exemple, tué par les Anglais; la façon dont sa mère l'a élevée à l'écart, dans le culte de Jeanne d'Arc; son imagination, qui la voit souvent converser avec un chevalier moyen-âgeux imaginaire qui la protège... L'importance du personnage ne fait aucun doute: Vivienne n'est pas une potiche, et elle va l'affirmer.

Le film aussi... 

Le début du film commence non seulement par la mort d'un personnage, il y aura un déchaînement de violence également. Ce qui est la conclusion logique d'un arc narratif particulièrement important, mais là encore cette conclusion commence le film, comme pour en affirmer une bonne fois pour toutes son caractère inévitable... Un coix que là encore je n'approuve pas forcément totalement, mais qui sous-tend le reste du film, qui se déroule ensuite comme un puzzle...

L'affirmation du personnage de Vivienne, bien sûr, EST le sujet du film. Telle qu'elle est, telle qu'elle vit, les choix qu'elle fait, les choix qu'elle a fait. Vicky Krieps compose un personnage de femme rigoureusement indépendante, qui fait et assume ses choix (elle fait généralement les bons) du début à la fin, et se situe en porte-à-faux avec l'image communément associée (et assumée) de la femme de la Frontière... Elle prend des décisions, les soumet voire les impose quand elle sait que c'est préférable et nécessaire, elle est indépendante dans l'âme et désireuse de l'assumer... Son parcours va pourtant passer par des épreuves, et non des moindres... Certains hommes sont prêts à l'accueillir telle qu'elle est. D'autres... vraiment pas; C'est le cas du troisième personnage en ordre d'importance: Weston Jeffries (Solly McLeod) est le bad boy du conté, un fils à papa qui prend son statut pour une autorisation à faire ce que bon lui semble, comme un massacre par exemple... L'intérêt qu'il porte à Vivienne sera d'une importance capitale dans le film, mais aussi dans la vie de ses personnages; il y aura des drames, des conséquences; et il y aura aussi une rétribution.

Les hommes dans le film, finalement, sont vus presque avec un détachement assez narquois: ils se croient supérieurs, toujours. Ils sont soumis à une hiérarchie permanente entre eux, chacun asseyant son importance en fonction de sa position: Holger Olsen est le shériff, et il peut donner des ordres (tout en douceur) à son adjoint Billy. Mais il répond au maire (Danny Huston), qui le paie, et surveille qu'il ne se mêle pas de ses petites combines... Les combines en question, le maire les concocte avec Alfred Jeffries, l'homme le plus riche du conté: c'est Garret Dillahunt, et on ne pouvait rêver de meilleur acteur pour un tel rôle... Le père de Weston, il est le seul qui semble avoir une mainmise sur son fils... Qui en retour aimerait bien le tuer aussi! Les hommes trafficotent, donc, et le maire et Jeffries envisagent d'établir un établissement de prostitution, comme ça, en douce...

Les hommes font la guerre aussi, c'est ce que Olsen va faire: il pense le devoir à son état, et à son pays d'accueil. Incidemment, si lui va choisir l'Union dans la guerre civile qui commence en 1861, et s'engager, Weston Jeffries va lui choisir la confédération, mais rester là où il est, et continuer à semer la terreur partout où il va. Pour Vivienne, en tout cas, cette guerre et un imposture: elle ne doit rien à ce pays, après tout... 

Enfin, le hommes se battent, tuent, et violent. Le film n'en finit pas de replacer les images d'Epinal du far west, dans leur contexte, dans leur vérité, et dans leur âpre réalisme...

C'est un superbe film de bout en bout, le travail sur l'image a été particulièrement étudié: d'une part, les choix de paysages qui sont si photogéniques... Je sais, c'est un cliché du western, mais Mortensen a compris qu'un beau paysage ne faisait pas tout: avec le chef opérateur, Marcel Zyskind, il tente par tous les moyens d'intégrer ces paysages dans ses compositions... D'autre part les images ont une qualité picturale d'autant plus palpable, que le metteur en scène choisit d'une part de garder sa caméra aussi souvent immobile que possible, et laisse du temps aux images de faire leur effet. Le lyrisme en devient immédiat... Mortensen a bien retenu la leçon: le souffle du western n'a que faire d'un montage ultra-rapide, et d'un rythme trop effréné...

Ce n'est en rien un défaut, ni un reproche, mais en ces si prudentes années 2020, alors que chaque film qui sort est obligé de se voir décerner des certificats d'authenticité dont on n'a finalement que faire, il y a un anachronisme flagrant: les Colt. le fameux pistolet qui peut tirer six fois sans être rechargé n'a été inventé qu'en 1871, et les personnages (en particulier Weston Jeffries, bien sûr) en portent allègrement un, et l'utilisent... Mais si on ajoute que d'une part tout western "classique", situé à quelque époque que ce soit, a déjà transgressé ce même détail historique (comme le fait remarquer Lucky Luke à la fin d'unlbum de Morris et Goscinny, "il faudrait peu-être que je recharge mon six-coups quelquefois"), d'autre part à l'époque d ela Frontière l'arme de choix était plutôt la carabine, plus pratique... Et pas forcément la Winchester, n'est-ce-pas: ce type de fusil était très cher.  

Mais cessons là ces digressions... C'est donc un western, un beau, qui en aucun cas ne pratique le révisionnisme, je sais qu'on aime bien utiliser ce terme dès qu'un film situé dans l'Ouest du XIXe siècle sort des clichés, mais c'est un bien vilain mot. Et The dead don't hurt, l'histoire d'un passage d'une personne lumineuse dans la vie de quelques autres êtres humains, est un grand western, humaniste certes, et qui revendique son féminisme. Laissons les fâcheux nous dire que c'est mal, et laissons-les à leur médiocrité.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Western Viggo Mortensen