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  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 11:20

Etrange objet que ce film, dont le projet en lui-même ressemble à un concept-cage, une oeuvre prédéterminée par un principe ou une structure envahissante dans laquelle l'objet artistique lui-même peut étouffer. Pourtant, Julie Taymor, cinéaste, metteur en scène de théâtre aussi, et graphiste Américaine a mis le paquet en terme d'expérimentation et d'idées dangereuses: dresser un portrait des années 60 à travers une comédie musicale, toutes les chansons provenant du catalogue des Beatles, et les héros n'ayant aucun rapport avec le groupe, qui de fait dans cette réalité virtuelle n'existe pas. Sinon, bien sûr, certaines situations renvoient à des anecdotes de la carrière du groupe et pour compléter l'hommage, des allusions plus ou moins fines et discrètes sont parsemées dans le script, afin d'envoyer des clins d'yeux aux initiés. 

Le nom des personnages, déjà, est marqué, avec des allusions à des titres ou des personnages de chanson: Jude, le seul Anglais qui fasse partie des protagonistes principaux (Jim Sturgess), est un jeune marin venu clandestinement aux Etats-Unis pour retrouver son père qui ne l'a jamais connu. Il reste, en marge de la protestation et de la vie artistique du New York des années 60.

Lucy (Evan Rachel Wood) est une jeune femme de la bourgeoisie de l'état de New York. Elle finit le lycée, et rejoint son frère à New York après le décès de son petit ami, soldat au Vietnam.

Maxwell (Joe Anderson), le frère de Lucy, est un étudiant fêtard qui abandonne l'université pour se consacrer à la vie, et est vite rattrapé par la conscription, et emmené au Vietnam.

Sadie (Dana Fuchs) est une jeune chanteuse New-Yorkaise qui entend mener une brillante carrière, et sous-loue son appartement à tous les autres protagonistes.

Jo-Jo (Martin Luther McCoy) est un jeune noir de Detroit qui a fui la violence, et vient à New York pour y vivre de la musique: il est guitariste, et non des moindres. Il deviendra vite le compagnon et le partenaire de Sadie.

Prudence (TV Carpio) est une jeune femme qui a fui une histoire d'amour impossible en Ohio, et qui galère de multiples façons. Amoureuse de Sadie, elle disparaît à un moment de l'histoire, pour revenir vers la fin. 

Donc tous ces noms renvoient respectivement à des chansons, certaines sont entendues dans le film (Hey Jude, Dear Prudence); une autre est repêchée in extremis par le générique de fin (Lucy in the sky with diamonds); les autres n'y sont pas (Maxwell's silver hammer, Sexy Sadie, Get back) même si de nombreux détails et allusions les y placent virtuellement... Les Beatles sont donc non seulement le prétexte, la source, ils deviennent aussi un jeu de clés dans le film qui permet parfois de faire du lien entre les évènements, les personnages. On peut même se prendre à délirer: cette rue de Liverpool, aperçue à la fin, pourrait être Penny Lane, après tout... 

Mais les Beatles ne sont pas le sujet. Non, le parti-pris est de parler des années 60, vues par le petit bout de la lorgnette de la côte Est-Américaine (Car comme le prouve l'épisode du Dr Robert, une autre allusion, la côte Est et la côte Ouest sont deux mondes différents). Les chansons sont donc intégrées à une vision qui incorpore presque comme une concession le personnage de Jude et son merveilleux accent Liverpudlien. Sinon, tout est basé sur la période de 1965 à 1970: Une Amérique forte et riche, par opposition à une Angleterre prolétarienne, la montée de la protestation estudiantine contre la guerre du Vietnam, mais aussi protestation tous azimuts, motivée par l'ennui pur et simple des gosses de riches (Max), la colère légitime (Lucy qui a perdu son petit ami), le manque de repères (Jude, le moins engagé des protagonistes, n'a pas de père), la ségrégation (Jo-Jo), la frustration de se faire accepter en tant qu'homo (Prudence), voire l'ambition (Sadie)... On est loin du brûlot, tous ces motifs renvoient à du privé plus que du politique. Et comme le dit Jude, à propos de la révolution: "You can count me out", faites ça sans moi (Revolution). Le Vietnam est montré comme un erreur, à travers l'étrange ballet de GIs qui manipulent dans tous les sens des conscrits-pantins, dont Max, mais on ne va pas très loin dans ce qui devient une sorte de vague allusion folklorique, un passage obligé. Les années 60, vues de la côte Ouest, auraient été plus percutantes, plus pittoresques, sans doute, mais on est ici dans une certaine mesure limité par la sagesse, voire la discipline de tous ces gens.

Le rapport qu'on entretiendra aux vignettes qui sont organisées autour des chansons dépend bien sûr du rapport qu'on entretient vis-à-vis des Beatles. On peut éventuellement n'y rien connaître, et se laisser embarquer, mais les connaître aide le spectateur: Taymor joue sur l'émotion brute dans un certain nombre de chansons, ouvrant sur le narrateur de Girl, avec bonheur, exprimant de la plus belle des façons l'amour avec Something, pour lequel la chanson se suffit presque à elle-même; enfin, justifiant le titre du film avec l'une des plus belles chansons de Lennon qui se transforme en un métaphorique voyage en métro, gâché par des gens en orange qui traversent une rame en scandant jai guru deva, om. Au contraire, elle détourne I want you, en en faisant le cri de l'Oncle Sam qui veut Max dans l'armée, et Let it be en chargeant la barque du coté du gospel qui hurle. Certains petits arrangements, sur I want to hold your hand par exemple, entonné par une fille (Let me be your man!) permettent d'heureux raccourcis, puisque sinon, à aucun moment Prudence ne dit 'je suis gay': la chanson, ralentie, fait tout le travail... D'autres chansons offrent une lecture subtile, notamment dans le début du film, Hold me tight qui nous montre la jeunesse sage Américaine, et plus sauvage à Liverpool, unies par la même chanson, ou It won't be long, qui parle ouvertement ici de l'attente face à une expérience sexuelle. Les séquences plus visuelles, moins chorégraphiées permettent de belles envolées, notamment sur Dear Prudence, onirique et solaire, pour l'une des plus belles chansons de Lennon. Enfin, les avis seront partagées sur Because, l'une des plus belles chansons du monde, dont le traitement ici est de la pure poésie visuelle, érotique, psychédélique, et qui joue sans vergogne avec les clichés, pour toucher selon les uns au sublime, selon les autres au ridicule. Parfois les excès l'emportent, comme avec la caricature de psychédélisme (I am the walrus), menée par Bonobo, le chanteur de U2, ou le Come together, à la chorégraphie si New-Yorkaise. Quoi qu'il en soit ce film musical se repose paradoxalement beaucoup sur le visuel, ce qui confirme la direction prise par Taymor avec son Frida.

 

Les chansons des Beatles, je le disais, ne sont pas toutes là, mais on peut aussi s'amuser à voir les allusions, comme cet Anglais de Liverpool qui nous parle de ses 64 ans, Maxwell qui tape avec un petit marteau, Prudence qui arrive chez Sadie par la fenêtre de la salle de bains, etc. ces allusions subtiles achèvent de donner de la cohérence au film... A la fin, on se réjouit d'une histoire qui se finit bien. Pourtant, Martin Luther King est mort, et bien mort, et Bobby Kennedy, aussi. Le temps passe, écrivait Gainsbourg dans Ex-fan des sixties. Disparus, Brian Jones, Janis Joplin, Jim Morrison, Jimi Hendrix... Ils sont un peu là, notamment Joplin en Sadie (elle boit du Jack Daniels) et Hendrix en Jo-jo, qui joue fièrement d'une Gibson Flying V, comme le Voodoo chile... On s'attendrait à une fin nostalgique, en demi-teintes, mais la fin semble faire table rase des années 60, avec All you need is love: il ne s'est rien passé... Comme dans Forrest Gump, un film qui n'a rien de révolutionnaire. Celui-ci ne l'est pas non plus, il donne à voir des impressions, il renvoie chacun à sa propre conception d'une époque que les conservatismes de tous pays essaient régulièrement d'oblitérer, mais dont l'influence a été considérable à tous les niveaux. a commencer par l'importance de la musique des Beatles. Encore un paradoxe pour un film brillant, dans lequel il est bon de s'immerger malgré ses petits défauts énervants.

 

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Published by François Massarelli - dans Musical Julie Taymor Danse