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  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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24 mai 2011 2 24 /05 /mai /2011 17:54

Dur de succéder à The kid, à plus forte raison lorsqu'un film a la réputation de n'être qu'une honnête tâche visant à remplir les obligations vis-à-vis d'un studio avant de filer à l'Anglaise. Et pourtant, je m'en voudrais d'expédier ainsi un film qui vaut mieux que ce coté accessoire, et je reste persuadé que Chaplin a lui-même réévalué ce film, qu'il a choisi pour accompagner The Kid dans sa ressortie en salles dans les années 70, les deux étant souvent sélectionnés ensemble pour des sorties en vidéo dans les années 80, et pour des soirées à la télévision. Cette réévaluation ne tient pas qu'à un facteur chronologique, il y a une continuité de thème entre les deux. Le film est un autre fragment du grand puzzle de Chaplin, qui recycle l'idée du golf tentée pour un court inachevé et re-essayée dans How to make movies...

Un vagabond arrive dans une petite ville riche pour y passer des vacances à pratiquer son sport favori, le golf. Il va croiser la route d'une jeune femme riche et malheureuse, mariée à un homme riche et alcoolique qui n'est autre que son sosie. A la faveur d'un bal masqué, le quiproquo atteint des proportions impressionnantes, et bien sûr le vagabond est pris pour le mari déguisé...

L'ouverture de ce film est virtuose, pleine de signes adroitement utilisés: d'une part, c'est l'été, et les premiers plans nous montrent des chauffeurs attendant un train. L'un d'entre eux baille. Est-on chez Chaplin? Oui: le train s'arrête et laisse descendre des riches golfeurs, dont Loyal Underwood, puis une dame élégante, mais au visage sombre: Edna Purviance, vue d'abord par ses jambes. Enfin, un vagabond sort de sous le train, et porte lui aussi des affaires de golf. Dès le départ, Chaplin joue à la fois sur la dichotomie et sur la paradoxale appartenance de ce vagabond à un même monde que es autres. Il va de fait dans la même ville, faire le même sport, et possède un certain nombre de petites manies singées des gens de la bourgeoisie: un geste avec sa montre, notamment.

On quitte ensuite le vagabond pour s'intéresser au mari, également interprété par Chaplin. C'est la première fois qu'il joue deux rôles. il avait maladroitement inséré dans The floorwalker l'idée d'une ressemblance entre lui et Lloyd Bacon, mais là, il utilise les grands moyens. Un intertitre nous renseigne sur le fait que l'homme est marié, et distrait: an absent-minded husband. On ne comprend qu'à la fin de la séquence, qui détaille le personnage dans un certain nombre de rituels: il est dans sa chambre d'hôtel, se prépare à sortir, se parfume, prépare son chapeau haut-de-forme, et lit un télégramme de son épouse (Signé "Edna", bien sur), qui se réjouit d'apprendre qu'il a arrêté de boire. Puis il sort... en caleçon. Chaplin a défini en quelques traits les contours de la bourgeoisie, sa richesse, ses rites, et oppose les allées et venues tout autant codées mais franchement burlesques de son vagabond. L'avantage du montage parallèle est de rendre lisible la ressemblance entre les deux et d'empêcher toute confusion, parfois même trop, comme on le verra tout à l'heure... Quant au ballet du caleçon, il est fort bien réglé, très drôle, mais c'est sans doute ce qui vaudra au film d'être souvent mal vu par les historiens. De son côté, Keaton jouera une anecdote comparable, dans un piscine, pour The cameraman, en 1928. la scène selon Chaplin est intéressante par la façon qu'il a d'amener le mari au-delà de l'embarras, avec un déchaînement du gag, lorsque Chaplin quitte un cabine téléphonique accroupi et caché derrière un journal.

Une autre scène présente le mari seul: un mot de son épouse nous montre qu'elle en sait plus sur lui, et souhaite, à nouveau, qu'il arrête de boire. Il se retourne, et joue de son dos: il semble sangloter en regardant le portrait d'Edna, mais en fait son tremblement est du au fait qu'il est tranquillement en train de secouer un cocktail. Boire: habituellement, Chaplin nous en montre surtout les conséquences (A night at the show, One A.M., The cure), mais ici il met l'activité elle-même à contribution: il ne joue plus sur un stéréotype, il construit un personnage.

Le choix du golf est parfait pour ce film qui joue sur la notion de classes, afin d'intégrer de force, le temps d'un film, son vagabond à un monde qui ne peut que l'exclure, et il permet des ballets méthodiques : avec John Rand, il reprend les échanges de balles déjà définis pour le fameux court métrage inachevé, et ajoute à l'étrange rite physique du golfeur les gestes Chaplinens, exagérés juste ce qu'il faut, un peu comme Tati réinventera le tennis dans Les vacances de M. Hulot. Mack Swain (qu'on n'a pas vu chez Chaplin depuis les années Keystone et qui va revenir dans deux autres films consécutifs), apporte sa rotondité à la scène, et les scènes de golf se vautrent avec plaisir dans le burlesque, voir à ce sujet Henry Bergman, endormi par terre, et qui a avalé cinq ou six balles de golf...les scènes sur le green permettent aussi la rencontre avec Edna, sise dans un sous-bois ou elle se promène avec son cheval. L'idéal onirique de Chaplin, son choix de se représenter en ver de terre amoureux d'une étoile s'accompagne ici d'un rêve ironique, il se voit la sauver, puis se marier avec elle. Ca n'arrivera pas. Chaplin, en tout cas, s'approprie le sentimentalisme, de façon de plus en plus marquée.

La fin, avec le bal masqué, est conventionnelle, et un peu courte; tout se met en place, les gens se retrouvent tous au même endroit, et un temps, Chaplin croit au père noël: la femme de ses rêves lui donne sa main, et il est pour deux minutes au paradis. L'autre homme est joué par un autre, en armure, pas le meilleur choix pour danser dans un bal masqué, mais idéal pour le metteur en scène qui est aussi un acteur jouant deux personnages. Mais il se passe quelque chose; on est persuadé, finalement, que le vagabond et Edna sont faits l'un pour l'autre, même si la jeune femme semble préférer dans ces scènes boulevardières la solution de convenances. Mais l'autre l'emporte, et pourtant il ne nous est pas sympathique du tout. a tel point, je crois, qu'on l'identifie malgré tout les efforts de l'acteur comme quelqu'un qui ne serait pas Chaplin: désormais, dans notre esprit, Chaplin, c'est le vagabond. ici, les efforts pour les différencier ont été si fructueux que le moustachu riche, finalement, est quelqu'un d'autre... Un problème qui sera évité dans The great Dictator, seule autre tentative pour Chaplin d'un rôle double.

Les deux mondes ne peuvent pas se mélanger, et pourtant, ce sont les mêmes gens, nous dit en substance Chaplin. Ici, il va jusqu'à jouer lui-même les deux extrêmes, en brouillant convenablement les pistes, mais le message, finalement, est le même que pour The Kid, en plus noir cependant: s'il s'efface avec élégance, le vagabond à la fin est condamné à quitter cette illusion. Il choisit de le faire comme Chaplin sait faire, en donnant un coup de pied au fondement du pauvre Mack Swain, représentant à son corps défendant de la bourgeoisie. Cette tendance à choisir son camp est désormais bien ancrée chez Chaplin, et elle ne le quittera plus. Autant de facteurs qui font de ce court métrage de deux bobines bien plus qu'un simple remplissage pour contrat à finir...

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet