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13 août 2018 1 13 /08 /août /2018 10:05

Ce film est "l'autre" extrait du Décalogue, ensemble de dix téléfilms de Kieslowski et PIesewicz, à avoir bénéficié d'un remontage et d'une sortie internationale sous forme d'un long métrage. Tu ne tueras point est donc basé sur le plus célèbre cinquième commandement, mais celui-ci, originellement sixième film du Décalogue, est donc parti du sixième commandement, qui existe en plusieurs versions: le plus courant et plus direct étant Tu ne seras point luxurieux, mais on le retrouve aussi parfois sous le texte plus ambigu La pureté [tu] observeras, en tes actes soigneusement. Comme les neuf autres films du Décalogue, celui-ci est situé dans une cité de Varsovie, dans les dernières années du Communisme. Et comme les autres, ou du moins huit d'entre eux, le commandement illustré n'est qu'un prétexte: dans ce Brève histoire d'amour, Kieslowski et Piesewicz explorent la solitude et la difficulté d'aimer...

Tomek (Olaf Lubaszenko) est orphelin et postier, et il habite auprès d'une vieille dame, qui lui sous-loue une chambre. De là, tous les soirs, il observe avec fascination une voisine, dans le déroulement nocturne de sa vie intime. Magda (de son nom complet Maria Magdalena, interprétée par Grazyna Szapolowska) est une artiste, qui a plusieurs amants, et pas d'attache réelle. Entre le voyeur (Qui confesse avoir au début regardé par concupiscence, mais plus maintenant car il est amoureux) et sa victime (Qui elle reconnait qu'elle est "mauvaise", car elle n'aime pas, et ne croit ni en l'amour ni dans ses attaches), un lien complexe et souvent cruel va s'établir...

Hitchcock ou Powell? eh bien, aucun des deux en fait. Au voyeur de Peeping Tom, qui se punit en supprimant l'objet de son désir (donc en tuant), doublant le crime de voyeurisme de celui de meurtre, aux voyeurs de Hitchcock qui sont conscients de leur immoralité, au point de chercher à l'évacuer par des prétextes (en substance, si James Stewart dans Rear Window regarde avec insistance, c'est parce qu'il pense qu'il y a eu un crime, dit-il: ça fait de lui un justicier... ou un grand malade), Kieslowski ose opposer un voyeur délicat et attentionné...

Car "Peeping Tomek" n'est donc pas un voyeur au sens strict: quand ça devient trop intime, il a deux réflexes: le premier st de détourner le regard; mais le deuxième est de saboter les nuits de luxure de Magda, en lui envoyant des employés du gaz qui viennent vérifier une fuite imaginaire! Il a commencé à regarder en face de son appartement sur les conseils de l'ancien locataire, mais il a perfectionné la méthode, en utilisant une lunette volée. Il va multiplier les tentatives d'entrer en contact, en faisant venir Magda au bureau de poste sous des faux prétextes, en devenant laitier, en lui téléphonant même. Ce qui va culminer dans une rencontre directe, une soirée durant laquelle Tomek et Magda vont au restaurant. Lui va tout raconter, et elle, entre dégoût, défi, amusement et attirance, va l'attirer chez elle. Où ce qui se passe est pour elle une vengeance assez embarrassante, pour lui une tragédie: l'échec de son amour, et le sentiment d'avoir été attiré dans la luxure, plutôt que vers l'amour...

Le film court, la version du Décalogue, est structurée en trois parties: Tomek, Tomek et Magda, puis Magda: dans cette dernière partie, c'est la femme qui est désormais attirée par le jeune homme et qui tente sans vrai succès d'entrer en contact avec lui, soulignant l'insupportable solitude. Mais le long métrage s'autorise (à la demande expresse de l'actrice) une fin plus ouverte, dans laquelle la possibilité d'une relation se dessine. Le film se clôt, comme tant d'autres de Kieslowski, sur Magda qui vient de regarder, et en regardant, d'entrevoir l'espoir. 

 

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Published by François Massarelli - dans Décalogue Krzysztof Kieslowski
13 août 2018 1 13 /08 /août /2018 09:19

Ce film existe en deux versions, l'une d'entre elle étant aussi connue sous le titre générique Décalogue V, partie intégrante de l'ensemble de dix films de Kieslowski réalisés pour la télévision Polonaise en 1988: un ensemble monumental qui prend prétexte des dix commandements pour aller s'intéresser à l'intime d'une série de personnages qui ne sont liés entre eux que par le fait qu'ils habitent un même ensemble d'immeubles, à Varsovie. Chaque film assume d'être un commentaire sur un commandement, mais sans jamais forcer la dose religieuse. Beaucoup s'amusent à détourner les injonctions divines, ou tout simplement à en souligner l'ambiguïté. Pas celui-ci.

Le choix des distributeurs français de titrer ainsi la version longue (de 25 minutes supplémentaires) est justifiée par le fait de renvoyer au Décalogue qui allait être distribué à son tour en salles, mais on peut lui préférer le titre retenu par Kieslowski lui-même, et appliqué dans de nombreux langages, dont l'anglais: "un court film sur le meurtre"... Dans ce cinquième film du Décalogue, Kieslowski ne rigole pas du tout, il va s'employer à donner sa vision des choses (Et celle du co-scénariste Krzysztof Piesewicz, cela va sans dire)... Un meurtre, dit-il est un meurtre, mais une exécution aussi. 

Nous suivons trois personnages: un jeune homme, Jacek (Miroslaw Baka), qui traîne apparemment sans but, commettant un certain nombre de petites saletés et incivilités, avant de commencer manifestement à préparer quelque chose de plus sérieux; un chauffeur de taxi (jan Tesarz) qui brique sa voiture, se prépare à faire une ronde, se promène sans but, sélectionne ses clients (il part sans demander son reste quand il voit deux types complètement saouls s'approcher de son véhicule) et finit par prendre Jacek dans sa voiture; enfin, nous faisons la connaissance de Piotr (Krzysztof Globisz), un jeune avocat qui vient tout juste de décrocher son diplôme, et qui se demande, comme Auguste dans Trois couleurs: Rouge (1994) qui sera son premier client... 

Et bien sûr, ce sera Jacek, qui va tuer de sang-froid, durant sept longues minutes et sous nos yeux, le chauffeur de taxi, dans le seul but de lui piquer sa voiture pour partir le plus loin possible avec une petite amie. Celle-ci a vu la voiture avant, et connaissait bien le chauffeur. Jacek est donc arrêté, jugé et condamné à mort. 

Ah oui, mais ça on ne l'a pas vu, puisque dans une ellipse impressionnante, on passe directement d'une scène de nuit durant laquelle Jacek parle avec la jeune fille dans la voiture qu'il a récupérée, à la scène qui suit l'énoncé du verdict à son procès... Le reste est facile à reconstituer... Et Kieslowski s'est ingénié à lier les deux parties les plus importantes du film en ayant recours à une série d'images-miroirs, pendant la première partie...

Le meurtre est sordide: Kieswloski retient la leçon d'Hitchcock qui souhaitait souvent rappeler qu'il était non seulement immoral, mais aussi très difficile de tuer... Et il était rendu encore plus terrible si c'était possible, par le choix du metteur en scène et de son chef-opérateur Slawomir Idziak, spécialiste des filtres (à l'oeuvre aussi sur La double vie de Véronique en 1991 et sur Trois couleurs: Bleu en 1993): les scènes sont filmées à travers des panneaux de verre soit teintés de vert, soit noircis partiellement; le résultat est que le monde du Décalogue, déjà passablement glauque, devient de la sorte insupportablement sale et répulsif. Mais cette teinte délibérée n'est pas limitée aux séquences de violence qui nous montrent l'acte répréhensible, répugnant, et presque gratuit de Jacek: tout le film bénéficie de ce traitement. Et après avoir consacré méthodiquement la première moitié de la narration au meurtre, on s'intéresse dans la deuxième partie à son inévitable conséquence, c'est à dire à l'exécution de Jacek. Et si la Pologne a justement suspendu la peine de mort en 1988, il faut dire que le mode de fonctionnement tel qu'il nous est montré ici nous semble quasi médiéval, le seul moment d'humanité durant la procédure étant l'offrande d'une dernière cigarette au condamné. Le reste est décrit avec minutie, et est aussi insupportable que le meurtre lui-même: les préparatifs méthodiques de l'échafaud, avec sa corde et sa trappe... Quatre gardes qui viennent prendre le condamné dans sa cellule, puis l'amènent brutalement vers le lieu d'exécution... La promptitude des "techniciens" à se saisir de lui quand ses jambes ne le portent plus... L'énergie professionnelle déployée par celui qui actionne la manivelle qui enroule la corde afin d'amener la bonne tension, puis le geste sûr et implacable d'ouvrir la trappe sous les pieds de Jacek.

C'est à travers l'expérience de Piotr (qui essaie de maintenir le contact avec Jacek après sa condamnation, d'abord parce que c'est son travail, et aussi parce qu'il se sent coupable de ne pas avoir obtenu de lui empêcher la condamnation) que nous voyons l'exécution, et le comble du sordide, est que quelques minutes après la mort de Jacek, nous voyons des matières fécales couler de son pantalon sur la faïence qui couvre le fond de la trappe... Rien, donc, ne nous aura été épargné, pas plus dans l'exécution que dans le meurtre...

Piotr permet au moins d'apporter un semblant de dialectique et de drame dans ce qui est par ailleurs la démonstration toute-puissante des convictions des deux auteurs: il se sent coupable, en dépit du fait qu'il a tout donné, et s'en ouvre au juge. Celui-ci lui dit que sa plaidoirie était la meilleure qu'il ait entendue sur la peine de mort, et l'encourage à s'endurcir... Mais ce qui importe dans ce film (dont Kieslowski voulait que des spectateurs choqués ne puissent pas le voir jusqu'au bout, comme l'a rapporté Jeanette Insdorff, sa traductrice Américaine), c'est bien sûr la mise en parallèle implacable et décisive, d'un meurtre... et d'un autre meurtre.

 

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Published by François Massarelli - dans Décalogue Krzysztof Kieslowski