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20 juin 2025 5 20 /06 /juin /2025 08:33

Grand Œuvre de DeMille ou simplement passage obligé d’un showman chrétien? On ne résoudra pas cette question. Quoiqu’il en soit, c'est l’avant-dernier muet de son auteur, dont l’opus suivant contiendra des séquences parlantes - une page se tourne. Et elle se tourne de façon spectaculaire. Devenu un producteur-réalisateur indépendant mais puissant, DeMille est toujours plébiscité par le public; après ses Dix commandements, il avait eu une crise d’inspiration, qui avait notamment abouti au très saugrenu Road to yesterday. Après la crise d’inspiration, la crise de foi: The King of kings, en réponse à Ben Hur, a Tale of the Christ, allait être la vision DeMillienne des derniers jours du Christ, des derniers miracles à la résurrection, avec des acteurs de premier plan partout, du Technicolor, des décors et des costumes grandioses…

Ecrit avec l’inévitable Jeanie McPherson, monté avec des acteurs priés de s’investir dans leur rôle de façon spirituelle et créé par une équipe technique acquise à la sincérité du projet, ce film est un monument à plus d’un titre. Certes, nous sommes en pleine vision officielle, qui plus est approuvée par les instances W.A.S.P les plus fondamentalistes de l’époque, en dépit de quelques extravagances, généralement bien rigolotes (Marie Madeleine en courtisane richissime - en Technicolor!); comme souvent dans ce genre d'entreprise les Juifs ont le mauvais rôle, mais de nombreux intertitres (Tirés des évangiles) viennent rappeler qu'ils n’ont souhaité la crucifixion de Jésus que parce qu’ils étaient manipulés par de fins politiques... Ce qui du reste correspond à la deuxième version du film, sortie en janvier 1928 et amendée par une association qui souhaitait veiller au respect de la communauté Juive et à éviter d'éventuels incidents antisémites: de nombreux acteurs juifs ont répondu présent, en particulier Rudolph et Joseph Schildkraut (ce dernier un habitué des établissements DeMille-McPherson), qui jouent respectivement Caïphe, le grand prêtre du temple, et Judas, le « Disciple préféré » qui deviendra le traître que l’on sait. L’idée de le faire jouer par un acteur de premier plan, conjuguée à d’astucieuses ficelles de scénario, lui donne un poids peu commun, des motivations et une humanité qui sont sans prix: Judas trahit par dépit politique (Il se voyait déjà premier ministre d’un Jésus-roi) et va suivre le chemin de croix, et le remords va monter jusque au suicide; la corde, il l’a ramassée lorsque les romains ont délié Jésus pour lui faire porter sa croix… La scène de sa mort est traitée d'une façon spectaculaire. Il y a un côté Shakespearien dans l'arc du personnage, mais le sentiment qui domine est quand même gênant! Judas est un ambitieux, Caïphe un homme de pouvoir peu désireux de le partager, et finalement les Romains sont comme manipulés...

Autre acteur dont il faudra bien parler, H.B. Warner joue Jésus : on est loin de ce à quoi devait ressembler un charpentier Palestinien, mais après tout, c’est vrai aussi pour Willem Dafoe. Warner, un alcoolique bon vivant, qu’on connaît pour tous ses rôles chez Capra, s’en sort plutôt bien, ayant surtout comme tâche d’incarner plus que de jouer. Il reprend les canons en vigueur, d'un Christ blond, au regard dans le vague. Sa performance a été saluée à l'époque: on n’en dira pas autant de Pierre, joué par Ernest "Steamboat Bill" Torrence, qui est bien meilleur en Captain Hook chez Brenon (Peter Pan, 1924)… Sa performance a d’ailleurs été rabotée sévèrement dans la version sortie en salles en 1928, afin de ramener le film en dessous de deux heures.

Le résultat final, absolument sincère, n’évite pas la pesanteur: le metteur en scène a choisi de rester à respectueuse distance, et de peu faire bouger sa caméra, comme avec Jeanne d’Arc (Joan the woman, 1916); de plus, cet excès de foi peut facilement rester sur l’estomac, mais il y a de vrais beaux moments, depuis l’utilisation qui nous rappelle The Whispering Chorus de multiples surimpression pour nous montrer les sept péchés capitaux quitter le corps de Marie Madeleine, à la mort de Jésus, le cadre explosant d’effets spéciaux pour nous montrer spectaculairement la colère de Dieu; la première vision de H. B. Warner est une trouvaille, puisque c’est par le point de vue subjectif d’un aveugle que Jésus nous est révélé: une façon de contourner l’interdit que s’étaient fixés toutes les personnes à avoir travaillé sur l’une ou l’autre des adaptations de Ben Hur (Théâtre ou film); dans The king of kings, avant la guérison de l’aveugle, vers la quinzième minute, on ne voit pas Jésus… La scène de la condamnation par Ponce Pilate est d’une grande efficacité, et totalement claire en dépit de la multiplication des points de vue… Les nombreux emprunts picturaux, décidément une habitude DeMillienne, atteignent ici leur apogée, notamment lors de la Cène ou de la Crucifixion.

Le film est loin d'être un échec, même si il est difficile de le voir sans ricaner ou grincer des dents lorsque l’on ne croit pas: Jésus, dans ce film, nous apparaît comme totalement indiscutable. Toutefois, le film emporte l'adhésion par la fluidité narrative (De la version longue en tout cas), par le besoin de creuser les motivations et les liens de cause à effet, par les rapprochements heureux: une scène durant laquelle les instances religieuses juives se déchaînent contre un Ponce Pilate trop enclin à libérer Jésus est immédiatement suivie d’une séquence durant laquelle les légionnaires romains rivalisent de sadisme (La couronne d’épines, bien sûr) devant un Judas torturé par le remords et qui prie pour que Jésus s’en sorte. Cette inversion prouve que même DeMille sait freiner un peu ses penchants manichéens…

Pour répondre enfin à la question posée en exergue, il est confirmé que nous ne trancherons pas: les deux complices (Cecil et Jeanie) avaient déjà fait acte de foi dans le passé, c’est de nouveau le cas: le film est aussi sincère que l’était la morale bondieusante de ses Dix Commandements. Mais en emboîtant le pas à la MGM et à son Ben Hur, DeMille savait parfaitement ce qu’il faisait, et en a reçu beaucoup en retour, présentant en soirée de gala sa version de 160 minutes, puis coupant un peu (Trois scènes passent littéralement à la trappe, dont les doutes de Pierre) pour présenter une version de 112 minutes avec musique en boite pour l’exploitation en salles. Les deux sont disponibles chez Criterion dans un coffret impeccable, et le transfert de la version longue est magnifique. Les deux scènes en Technicolor sont fort bien rendues, ce qui est rare compte tenu de la volatilité du procédé en deux bandes, dont bien des films ont disparu. En décembre 2017, nous voyons arriver le film en Blu-ray chez Lobster, présentant une restauration des deux principales versions, l'une comme l'autre très impressionnantes. Une nouvelle édition, Américaine celle-ci, renforce encore la bonne santé du film en en offrant un superbe transfert, chez Flicker Alley (2025).

Pour finir sur une petite note de curiosité inattendue, ce film est par ailleurs l'une des principales sources d'inspiration de Last Temptation of Christ, de Scorsese.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille 1927 Technicolor **
19 juin 2025 4 19 /06 /juin /2025 22:15

Un train roule vers l'ouest... A son bord, une jeune voyageuse a confié ses deux chiens à l'équipage du véhicule, dont un homme, Dan Angus (George bancroft), qui déteste les bêtes... Durant le trajet, ivre, il brutalise les deux animaux, et tue l'un d'entre eux, avant de jeter sa dépouille au dehors. L'autre chien se jette pour veiller son camarade... Le lendemain, il est trouvé par Dave Deering (Tom Mix), un brave cow-boy. La jeune femme (Lucy Fox) qui a perdu ses animaux s'est lancée à leur recherche, et Dan Angus, dont les actions l'ont grillé auprès de ses supérieurs, rôde...

C'est un petit film de complément de programme, particulièrement soigné par Blystone. Les films de Tom Mix pouvaient être un peu ridicules (le costume de cow-boy avec le "10 gallon hat", le côté justicier propre et bien coiffé) mais ils pouvaient aussi, clairement, proposer en moins d'une heure une impressionnante dose d'action western, du suspense, et tous les atouts du mélo, utilisés à bon escient. C'est exactement ce que propose ce film superbement joué, et qui vous tient en haleine du début à la fin, jusqu'à un incendie très réel...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet ** 1924 Western Wonder dogs
8 juin 2025 7 08 /06 /juin /2025 14:16

Un garçon (Sonny Edward), un chien et un ours qui s'ennuie dans sa cage, ont tous en commun de s'ennuyer... Chacun de son côté, ils s'échappent, et vont se retrouver dans la même fugue...

Nell Shipman avait co-réalisé avec David Hartford l'un des premiers films Canadiens, Back to God's country, en 1919. Elle y retrouvait l'esprit des oeuvres de James Oliver Curwood (que le film adaptait d'ailleurs très officiellement), mais on finira par se rendre compte que ce qui l'avait principalement intéressée était... La présence d'un ours apprivoisé. Son deuxième long métrage, Something New (1920), qui manque singulièrement d'intérêt, la montrait aussi en compagnie d'un chien... 

Jamais deux sans trois? Ce troisième film, moins ambitieux (seulement trois bobines) est à nouveau une histoire de cohabitation et de complicité. Mais le film reste assez clairement un effort amateur, avec un héros mal défini (le june garçon) et des animaux plus ou moins bien dirigés...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet ** Nell Shipman 1921 Wonder dogs
22 mai 2025 4 22 /05 /mai /2025 22:59

Ramona (Dolores Del Rio) a grandi auprès de sa famille Mexicaine, auprès de son frère (Roland Drew)... Elle est adoptée: son frère en profite pour lui avouer son amour, mais elle est attirée par Alessandro (Warner Baxter), un chef de tribu local. Quand elle apprend qu'elle a été retirée d'une famille native, elle fuit avec Alessandro...

Carewe était lui-même partiellement Chickasaw, et Dolores Del Rio était une authentique Mexicaine aux racines bigarrées... Leur choix de réadapter le roman de 1884 de Helen Hunt Jackson se justifie d'autant (c'était pourtant la troisième version, la dernière muette)... Si Carewe est oublié aujourd'hui, il avait tenté à travers des réalisations soignées (Evangeline tourné l'année suivante en est un autre exemple) de de proposer un portrait d'un autre type de mélodrame Hollywoodien que les intrigues habituelles, qu'elles soient urbaines ou rurales: son cinéma souhaitait se pencher sur les racines profondes de l'Amérique. 

Par ailleurs, il n'est pas trop surprenant de trouver ce film sous la bannière de Inspiration Pictures, la structure créée autour de Henry King et Richard Barthelmess: beaucoup des films qu'ils ont produit étaient de forte inspiration religieuse, et celui-ci ne fait pas exception.

De toute façon, Ramona est sacrément intéressant, adoptant sciemment le point de vue des marginaux que sont une jeune femme élevée dans l'ignorance de son origine, et cet Indien (comme on disait alors) qui se refuse à accepter la fatalité de la ségrégation... Le film en plus est tourné dans de superbes décors de la Califonie montagneuse, dans de lyriques paysages, et avec un arrière-goût de presque western, qui le rend encore plus intéressant; enfin, une scène retient mon attention, réussissant à faire de l'or avec le sujet délicat qu'est la mort d'un enfant. Cette résurrection (due aux efforts conjoints de la Bibliothèque du Congrès, profitons-en tant qu'elle existe encore, du Gosfilmofond de Moscou et du Narodny Film Archive de Prague) débouche sur un film qui ne changera peut-être pas le cours du monde, mais qui est bien plus qu'une touchante découverte...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 **
26 mars 2025 3 26 /03 /mars /2025 21:05

Trois raisons pour Chaplin de ne pas jouer de rôle dans ce nouveau film, le premier pour la nouvelle compagnie United Artists. Pour commencer, il essaie, on l'a vu, de se débarrasser de son personnage (The professor, Idle class), de le démythifier en le représentant marié (Pay day), avec des enfants (A day's pleasure), voire en se représentant tel qu'en lui-même, en insistant sur le fait que moustache et défroques sont bien factices (How to make movies). Bref, il souhaite contourner cette icône.

De plus, il a le sentiment, pas faux à cette époque, qu'on l'assimile surtout à son personnage moustachu; or, Chaplin, souhaite être reconnu pour son rôle de metteur en scène, et aussi d'auteur de films. Enfin, il tourne depuis un certain temps autour d'une représentation complexe du monde à deux niveaux qu'il perçoit; The Kid, The idle class en ont déja montré les contours. Il se sent obligé de libérer son cinéma de son empreinte burlesque, ce qui veut dire que le moustachu n'y a plus sa place. Honnêtement, je ne sais pas si ce film représentait dans l'esprit de Chaplin un affranchissement total de son personnage a priori, ce qui aurait été ensuite contredit par le flop monumental, qui aurait conduit Chaplin à faire machine arrière, avec le succès que l'on sait, ou si le metteur en scène se contentait de faire ce film, et puis après revenir sagement de son propre chef. Quoi qu'il en soit, A woman of Paris est l'unique film muet dans lequel Chaplin n'apparaît pas de façon significative, et c'est à peu près la seule information de la plupart des textes qui y sont désormais consacrés, je n'y reviendrai donc pas...

Pourtant Chaplin est partout dans ce film: regardez les acteurs, leur façon de jouer, l'économie des gestes et des mimiques. Ce gigolo qui baille en levant mollement les yeux au ciel, combien de prises a-t-il fallu lui arracher avant qu'il ait le détachement nécessaire? Carl Miller, qui joue ici le petit ami d'Edna Purviance jouait déjà ce même personnage ou presque dans The Kid, et il est lui aussi entièrement vampirisé par Chaplin... Quant à Edna Purviance, elle est splendide, dans les mains du metteur en scène, elle ne craint personne. Tant mieux, parce que le film repose entièrement sur ces attitudes, sur ces corps et sur les vêtements qu'ils portent, c'est l'un des traits les plus saisissants du film.

Marie et Jean s'aiment, mais leurs parents ne l'entendent pas de cette oreille. Alors qu'ils souhaitent fuir pour se marier, Jean a un contretemps: son père meurt, et il n'a pas le temps de prévenir sa fiancée: elle fuit à Paris seule, croyant à une trahison. Elle y fait sa vie, et on la retrouve un an après, protégée du riche Pierre Revel; elle s'appelle désormais Marie St-Clair, et lorsque Jean débarque à Paris avec sa mère, Marie a du mal à abandonner sa nouvelle vie pour retourner vers son passé...

Carl Miller donne l'illusion d'être l'un des deux personnages principaux, mais ne soyons pas dupes: Chaplin dépeint ici un certain style de vie, une course à la réussite, qui passe par tout un tas de turpitudes qui ne sont qu'esquissées: a priori, la métamorphose de Marie en Marie St-Clair passe par tout ce qui est dans l'ellipse du début. La mère de Jean la considère d'ailleurs comme une traînée... Non, les deux personnages principaux sont bien Marie et Pierre (Adolphe Menjou). Celui-ci, après tout, est tout sauf antipathique, à part lorsqu'il se sert des amies de Marie pour la manipuler. Mais il joue de son charme, et sait manifestement perdre... Il sait surtout que ce que veut Marie, cette fuite en avant du luxe et de la vanité, lui seul pourra le lui amener. De son coté, Jean est peintre (Comme le personnage de Carl Miller dans The Kid, du reste), et il va peindre un portrait du passé de Marie, contre le gré de celle-ci, portrait qui va sceller leur mésentente, leur différence, et portrait qui sera pris à témoin par la mère elle-même sur la dépouille de son fils. ce portrait, c'est la vraie Marie, lui seul l'a vue. Il faudra une catharsis tragique pour que Marie comprenne enfin...

La noirceur du film va de pair avec l'humour noir, notamment dans la description toujours sur la brèche de la vie des nantis (le restaurant, avec ses truffes, pour les cochons ou les gentlemen), et la méchanceté dans la peinture des manipulations des intrigantes: Malvina Polo, la jeune femme idiote de Foolish wives, tente de ravir la place de Edna Purviance auprès d'Adolphe Menjou...

L'habit, cette deuxième peau, est un motif qui court d'un bout à l'autre du film. On ne compte plus le nombre de scènes d'habillage, de déshabillage, de préparation du corps (Massage), de dénudage plus ou moins gratuit (Le strip-tease); toutes ces scènes renvoient à l'idée du mensonge, de la parure comme protection. Chaplin s'en sert aussi comme une indication de contemporanéité, comme DeMille le faisait avec divers accessoires (Les disques de chansons populaires, qu'on voyait tourner sur des phonographes luxueux dans ses comédies matrimoniales). Le grand nombre de scènes liées au service des domestiques, et la compartimentation des appartements riches de Marie et Pierre Revel, aussi, renvoient à cette vie à tiroirs, dans laquelle les gens se barricadent derrière le décorum. Bien sur, les petites boîtes communiquent entre elles, on se souvient du faux col masculin aperçu par Jean chez Marie. Cette apparition d'un signe cinématographique est un autre aspect visible de la mise en scène riche de ce film: on note aussi l'utilisation d'un bandeau noir, signe de deuil. Les personnages voient et déduisent en même temps que nous...

La mise en scène du film est d'une précision, d'une force extraordinaire. Chaque plan est composé de façon précise, Chaplin et Totheroh n'ont pas changé leurs habitudes. A des scènes de luxe effréné répondent des images d'une austérité diabolique (on parle toujours de cette scène à la gare, ou le passage d'un train est représenté par ses lumières); un effet de rapprochement de la caméra, est répété trois fois dans le film (Deux fois dans la version actuelle, voir plus bas): La maison de Marie est vue en plan large, puis un peu plus près. un troisième plan resserre sur une fenêtre, ou s'esquisse le visage d'une femme dans la pénombre. Enfin le quatrième et dernier plan nous montre Edna Purviance à la fenêtre. A la fin du film, la maison où sont réfugiées Marie et la mère de Jean pour leur nouvelle vie est saisie de la même façon. La troisième occurrence est très cohérente, puisque c'est le portrait, entouré de crêpe noir, de la maman de Marie dans sa maison. Chaplin avait tenté d'établir une mise en scène fluide, détaillée, mais l'a comme chacun sait bousillée en 1976, 5 ans après avoir massacré le film The Kid. 34 ans après avoir anéanti The Gold rush: son idée, c'était de rendre A woman of Paris plus fluide, de le rendre "moins sentimental". faut-il le redire? Un metteur en scène lui-même n'a pas le droit d'altérer un film, à plus forte raison 53 ans après. Même Chaplin.

Pour le reste, ce film est un miracle de subtilité; les commentaires lus ça et là sur la stupidité du script ne valent pas tripette. Les gens qui parlent d'un insupportable mélo n'ont jamais vu de mélodrame de leur vie, et le film tient diaboliquement la route, à la source de tout un pan du cinéma Américain. Que Lubitsch l'ait vu et s'en soit inspiré, c'est une certitude. Que d'autres, qui y avaient été confrontés directement (Henry D'abbadie D'Arrast, Monta Bell), ou qui l'ont vu comme on reçoit une claque dans la figure (René Clair, de son propre aveu), s'en soient inspiré, c'est une évidence. Bref: il y a un avant et un après A woman of Paris. Pour Chaplin aussi, qui ne supportera pas de voir son 'enfant maudit' boudé par le public, et le retirera du circuit pendant donc 53 ans. Et plus j'y pense, plus je me dis qu'on a de la chance de l'avoir encore...

 

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1923 ** Criterion
22 mars 2025 6 22 /03 /mars /2025 11:42

Curiosité parmi les curiosités, Life est une énigme. C'est donc un film inachevé de Chaplin, dont certains commentateurs ont douté qu'il ai jamais existé, mais dont on est à peu près sur qu'il a bien été entamé. Quand on sait à quel point Chaplin pouvait contrôler, jusqu'à ses derniers jours, le devenir de chacune des images dont il possédait les droits, il est étonnant de savoir qu'on dispose d'une bonne portion de ce film, d'autant qu'il n'a jamais été achevé... Mais voilà: Life a été commencé en octobre 1915, dans le cadre de son contrat avec Essanay, et Chaplin n'en possédait pas les droits. de toute façon, le film n'est que virtuel: essayons d'y voir un peu plus clair. Nous sommes face à plusieurs objets filmiques qui sont autant de pièces de ce puzzle:

Police

Chaplin est libéré de prison, et commence l'habituelle recherche: manger, un endroit pour dormir. Il rencontre, après avoir tenté de s'installer dans un asile de nuit, un ancien compagnon de cellule (Wesley Ruggles), avec lequel il va se lancer dans un cambriolage. C'est un désastre, et à l'arrivée de la police, La jeune fille de la maison, jouée par Edna Purviance, va disculper le vagabond, qui va pouvoir continuer son errance...

Le film est un bon court métrage de deux bobines, enlevées, avec des figures qui sont troublantes: le choix entre réforme et débrouillardise, entre honnêteté et vol... Et il y a une scène troublante dans un asile de nuit, un endroit qui sera toujours pour Chaplin un lieu intéressant pour ses tragi-comédies...

Triple Trouble

Quelques années après, en 1918 très précisément, l'Essanay sortait Triple trouble; il s'agissait d'un ensemble de chutes de films, assemblées de façon supposée cohérente et complétées avec de nouvelles scènes réalisées par Leo White. Le plus intéressant dans ce film incompréhensible, c'est bien sûr que les chutes soient tirées des tournages de Police, et de Life. Mais s'agit-il vraiment de deux films différents?

A voir Police et Triple trouble à la suite, on est frappé par les ressemblances de certaines scènes, et l'incohérence qui se dégage de leur juxtaposition: les deux films contiennent de façon évidente les fragments d'un troisième, qui ne peut être assimilé ni à Police, ni à Triple trouble, un salmigondis sans queue ni tête dans lequel Leo White a inséré des passages répétitifs et anti-Germaniques, et une intrigue débile dans laquelle Chaplin n'a d'ailleurs rien à faire, et quelques plans tirés de Work.

Mais l'essentiel  de ce nouveau film est composé d'images qui sont soit des doublons de séquences de Police (la rencontre entre Chaplin et son copain de cellule), soit des prolongements (La séquence de l'asile de nuit, ici longuement développée). Mais c'est quand même une énigme, d'autant que le montage chamboule tout; un personnage de l'asile de nuit porte le même maquillage et les mêmes vêtements que Wesley Ruggles qui joue l'escroc avec lequel Chaplin se rend à un cambriolage (Dans les deux films, même s'il ne s'agit pas du même cambriolage!); à un moment, l'homme de l'asile de nuit poursuit Chaplin, qui s'enfuit de l'asile, se retrouve dehors, et se trouve nez à nez avec le même homme, ou du moins son sosie, avec lequel il pactise désormais: ça ne marche pas...

Voilà, tout porte à croire que Chaplin s'est bien lancé dans la confection d'un film qui aurait été son premier long métrage, qui aurait mélangé les aventures de son héros vagabond dans la ville, et l'aurait vu d'abord sortir de prison, lutter pour sa survie, s'installer dans un asile de nuit, ou une longue scène de Triple Trouble se situe en effet, puis sans doute rencontrer un escroc... après, les paris sont ouverts: deux cambriolages, chacun avec une Edna Purviance différente... N'oublions pas que Chaplin aimait à faire, défaire, écrivait ses scénarios avec la caméra, et qu'il a sans doute ravalé ses ambitions devant le peu de soutien manifesté par l'Essanay. Auquel cas Police est sans doute la version "acceptable" de Life concédée par Chaplin à ses patrons, qui lui permettait de faire passer certaines scènes. Le fait qu'il s'agisse d'une concession expliquerait que le très intransigeant Chaplin s'en soit désintéressé aussi facilement. Pour finir, Chaplin a fini par reconnaître Police, et même Triple Trouble, dont il est vrai qu'il recèle une longue scène totalement intacte de ce qui a du être un film que Chaplin aurait aimé pouvoir finir...

Post-scriptum:

une reconstitution du film (Sous le titre POLICE, EXTENDED EDITION) a eu lieu, elle a été disponible un temps sur DVD, et les reconstructeurs sont partis de l'hypothèse que le film était à peu près achevé, et ont agencé les séquences de la façon suivante: 

Chaplin sort de prison, tente quelques rapines pour manger, essaie d'entrer dans l'asile de nuit, mais en est expulsé.(Police)

Le lendemain, il trouve un travail, et devient assistant cuisinier dans un manoir, dont la bonne à tout faire est Edna. ils flirtent, mais il est vite licencié. Avec l'argent, il a au moins de quoi entrer dans l'asile. Là, il  déclenche une bagarre, et doit sortir précipitamment.

(Triple trouble)

Du coup, seul dans la nuit, il se retrouve face à son "ami" qui lui propose un cambriolage. il accepte, et participe au casse. Il y revoit Edna, qui ne le dénonce pas lorsque la police intervient, et il part sur la route, seul...

(Police)

Voilà, c'est vrai que ça tient assez bien la route, reste le cas des deux escrocs habillés pareillement, qui pose toujours ce problème de continuité. En tout cas, le film ainsi arrangé est proche de 40 minutes...

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet ** 1916
25 janvier 2025 6 25 /01 /janvier /2025 18:01

Ce film particulier est le fruit d'un voyage de noces, qui fut sans aucun doute significatif: Douglas Fairbanks et Mary Pickford étaient partis en Europe pour vivre enfin leur union au grand jour, et l'heure, probablement, était à l'euphorie. Frances Marion, scénariste et amùie personnelle du couple, les avait accompagnés, et ce qui n'aurait du être qu'une période sabbatique s'était transformé pour Mary Pickford en la préparation d'un film, mais qui tranchait de façon spectaculaire sur le reste de son oeuvre, telle qu'elle avait commencé à la piloter depuis son accession à l'indépendance totale avec la création de United Artists...

C'est vrai: il y avait déjà eu pour elle des rôles de femmes plutôt que de jeunes filles. Ils étaient le plus souvent dus à d'autres, notamment Cecil B. DeMille pour les deux longs métrages qu'il avait tournés avec elle, ou même Griffith qui n'avait pas cherché (contrairement à ce qu'il imposerait à Mae Marsh) à la cantonner dans des personnages juvéniles. Mais depuis 1919 elle s'était tenue à des rôles d'enfants ou éventuellement d'adolescentes, et sa petite taille en même temps que son sens des affaires la rendait prudente. Si ça marchait, pourquoi s'en priver...

Mais voilà, le soleil d'Italie aidant, l'atmosphère particulière de cet après-guerre, et l'insouciance d'une vie maritale qui pour l'heure n'était sans doute pas propice à la morosité ni à la pridence, justement, quand France Marion est arrivée avec ce projet de film, qui faisait de Mary une femme, une femme qui souffre, se marie et enfante, elle n'a pas pu résister... Et a fait en sorte de produire un film délirant, excessif, presque enfantin dans ses égarements, ce que la critique n'a pas omis de lui reprocher!

1914, en Italie, dans un petit village côtier, vivent les Carlotti: une grande soeur, Angela (Mary Pickford) et ses deux frères, Antonio et Mario, espiègles mais foncièrement de bons coeurs: ils ne s'opposent absolument pas à la cour faite à leur grande soeur par le beau Giovanni (Raymond Bloomer)... Mais la guerre arrive, et Giovanni et les deux frères vont tous partir pour le front. On annonce bientôt à Angela la mort d'Antonio, alors que Mario part. La jeune femme est en charge, pendant le conflit, du phare local, et un jour elle recueille un marin échoué, Joseph (Fred Thomson). Il se présente comme un Américain, mais souhaite se cacher car il est, dit-il, un déserteur. Angela l'installe chez elle, en secret, et elle tombe amoureuse... Seul le prêtre local sait à quoi s'en tenir et il les unit. Mais un jour, Angela surprend son mari au réveil, qui parle Allemand...

Le film est assez étonnant, sur bien des points: mais le plus étonnant, j'en ai peur, est son incohérence mélodramatique... Mary Pickford est assez à l'aise, mais le film est tellement ancré sur cette envie folle de réaliser un film qui évoque un écho de la beauté des côtes Italiennes (recréées, cela va de soi, en Californie!), qu'on a oublié de donner la moindre solidité à cette intrigue qui part dans tous les sens. C'est d'autant plus dommage, que le film est basé sur une forte envie de réaliser un film qui puisse être un mélodrame délirant. On imagine que dans les mains d'un autre réalisateur, il aurait pu être suffisamment baroque (DeMille), flamboyant (Ingram), voire totalement sublime (Borzage)... Mais d'une part c'est la toute première réalisation de Frances Marion, et d'autre part, l'effort visuel est tel qu'on est enclin à une vraie indulgence en raison du fait que le film est vraiment extrêmement beau à voir... Et par moments (l'arrivée du marin chez Angela, la révélation de son identité) le film atteint malgré tout des moments d'une vraie intensité.

 

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Published by François Massarelli - dans Mary Pickford Frances Marion Muet ** 1920 Première guerre mondiale
20 janvier 2025 1 20 /01 /janvier /2025 16:06

Une maman meurt... Sa fille, une petite de deux ans environ, est recueillie dans un orphelinat où elle va grandir pour devenir la grande soeur préférée (Colleen Moore) de ses petits compagnons d'infortune, par la capacité qu'elle a su acquérir, de transcrire les aspects gênants de la réalité, en des histoires fantastiques... Mais elle est recueillie par un oncle et une tante, qui vont lui faire subir le traitement des orphelines dans le mélo classique: elle devient une bête de somme, à laquelle les deux monstres refusent le moindre plaisir... Puis elle va aller de foyer en foyer, et à chaque fois sa résilience devient communicative.

C'est le premier film en vedette pour l'actrice Colleen Moore, et celle-ci crève l'écran, elle y est déjà pétillante, à 19 ans. C'est un film inspiré par un auteur désormais surtout connu dans son état d'origine, James Whicomb Riley. Un écrivain décédé en 1916, qui a eu son heure de gloire en écrivant des contes pour enfants... Bien blancs, comme le yaourt! N'attendez pas de voir une fraternité quelconque exprimée entre les enfants Anglo-saxons et les autrs origines dans ce petit film, ce n'était pas du tout à l'ordre du jour. 

Ce n'est pas un mauvais film cependant, une fois qu'on a accepté le côté "mélodrame pour rire", avec l'inévitable "mais non, c'était un rêve" quand tout va mal, ou encore l'impression qu'on était devant un sous-produit des films de Mary Pickford. Après tout, à aucun moment, et c'est tout à son honneur, Colleen Moore ne cherche à l'imiter. Le metteur en scène, l'estimable Colin Campbell, s'est efforcé de trouver des traductions visuelles de l'imaginaire bouillonnant de son personnage, et parfois ces étranges créatures seraient volontiers effrayantes... Visuellement, le film doit beaucoup aussi à l'univers plastique d'un Maurice Tourneur, et aux splendeurs visuelles que les cinéastes Américains commençaient à explorer...

 

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Published by François Massarelli - dans Colleen Moore 1918 Muet **
30 décembre 2024 1 30 /12 /décembre /2024 14:04

Les services secrets sont en émoi: des agents ont disparu lors de diverses missions en Afrique, en enquêtant sur les agissements de trafiquants qui occupent un temple situé en pleine jungle impénétrable... Un temple qui, dit-on, recèle aussi l'accès à un mythique trésor, mais qui semble gardé par toute une ménagerie (Lions, singes, dinosaures, et Boris Karloff!). On demande donc à un as, Trent (Walter Miller), de se rendre sur place et de régler le problème. Ce qu'il fait, mais... il n'est pas le seul à s'intéresser à ce temple, puisque la belle Diana Martin (Jacqueline Logan) y cherche son père...

Quelle salade, pensez-vous probablement. Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c'est que le film est en prime un serial en dix épisodes, qui me semble plus que de coutume faire du sur-place de manière systématique. C'est un film qui a un titre de gloire et un seul: celui d'avoir été le premier serial Américain sonore (grâce à l'introduction parfois forcée du son, à travers des scènes dialoguées, souvent redondantes, dans chacun des dix épisodes... Pour le reste, c'est du muet.

Totalement insipide, l'intrigue n'a aucun sens ni aucune cohérence, et les épices (attaques de fauves, répétitives, dinosaure en carton, et gorille qui est probablement Charles Gemora en peau de bête, comme d'habitude) semblent avoir été saupoudrées de manière à structurer un film sans vrai enjeu. Le seul vrai intérêt, c'est sans doute de présenter Boris Karloff avant Frankenstein... Voici en tout cas ce que faisait Richard Thorpe avant de devenir le réalisateur à tout faire de la MGM...

 

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Published by François Massarelli - dans 1929 ** Muet
26 décembre 2024 4 26 /12 /décembre /2024 00:11

Les artistes du cirque Rainey ont pour vocation de donner leurs deux spectacles par jour, qu'il pleuve ou qu'il fasse beau ("rain or shine"...). Ca tombe bien, dans la séquence qui sert d'exposition, il pleut de façon spectaculaire; On y apprend que les comptes ne sont pas au beau fixe, que la propriétaire, par ailleurs écuyère de son état, est inquiète pour l'avenir, mais le régisseur et homme à tout faire Smiley (Joe Cook), lui y croit. Par contre, toujours dans cette exposition, nous est montrée la rivalité haineuse dont est l'objet le protégé de la patronne, par des jaloux qui souhaitent faire main basse sur le cirque. Enfin, si les sentiments de Smiley pour la jolie miss Rainey ne font aucun doute, un jeune et fringant concurrent lui fait dangereusement de l'ombre, et les millions de ses parents pourraient bien décider la belle...

C'est un film paradoxal, sorti aux débuts du parlant et qui confirme de façon évidente le talent singulier et inné de Capra pour les tournages inventifs, pour le naturalisme aussi. Paradoxal, parce que Rain or shine était une comédie musicale sur scène, dont Capra a tout bonnement retiré les chansons et autres passages musicaux, tout en donnant à l'ensemble de la fraîcheur, en sortant sa caméra des studios ou étaient le plus souvent confinés les films des débuts du bruit cinématographique... Et bien sûr, à l'époque où on aurait été voir n'importe quoi du moment que ça chante et ça danse, le risque était gros! Mais le film possède un charme fou, avec cette énergie phénoménale dégagée par Joe Cook, mais aussi l'impression d'assister à de l'authentique, par le recours à de vrais artistes de cirque, qui se livrent à leur métier avec simplicité et assurance sous les caméras de la Columbia.

Mais surtout, pour qui connait bien l'oeuvre de Capra, cette ode à l'optimisme en toutes circonstances est presque choquante: en effet, les artistes du cirque Rainey perdent tout, et la seule chose qui tienne encore debout à la fin est justement l'optimisme de "Smiley"! Une fin triste pas trop mal vécue par ce dernier, qui se livre à deux ou trois dernières pirouettes avant de tirer sa révérence...

La fin est adoucie dans la splendide version muette et sonore (Avec intertitres de rigueur) qui était distribuée lors de la sortie internationale de ce film des débuts du parlant: des prises différentes, quelques scènes en moins, quelques scènes et gags en plus, et la science du rythme de Capra font de cette version alternative une belle découverte...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Muet 1930 **