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30 avril 2025 3 30 /04 /avril /2025 13:46

Le premier film de long métrage de Christopher Nolan est construit sur un certain nombre de principes, liés au budget (répéter le film de manière à éviter de multiplier les prises, le 16mm coûte cher; Nolan qui accumule les casquettes de manière à limiter les dépenses: mise en scène, caméra, montage...) ou à une envie furieuse de secouer le cocotier (la chronologie complètement chamboulée)... Il a coûté un prix dérisoire.

C'est pourtant un film noir dans lequel le metteur en scène (qui n'a pas eu la moindre envie de planifier un budget pour les éclairages et a donc toujours décidé de se baser sur la lumière ambiante, ce qui ne peut que se voir) a réussi à créer une atmosphère, en particulier à travers son intrigue et sa narration apparemment anarchique...

Un jeune homme est interrogé (par qui? On ne le saura que plus tard) au sujet d'une affaire, et raconte sa vie: il est un "suiveur"... Jeune auteur, il cherche, dit-il, l'inspiration en suivant des inconnus dans la rue. Alors qu'il nous explique que le plus compliqué est de se retrouvé embarqué dans la vie de ses "sujets", il nous montre que c'est exactement ce qui lui est arrivé...

Toute la panoplie du film noir est là, dans cette conversation-puzzle, dont l'absence de chronologie créé l'intérêt et les aspects les plus intrigants... Les questions, durant le film, abondent: on voit des flashes de moments dans la vie de l'individu qui donne son titre au film, avant d'avoir l'explication de ce qui lui est arrivé... Il croise des truands, une femme fatale, et un "ami" paradoxal. Le film fait mentir sa structure, en montrant que la conversation dont nous sommes témoins n'est pas la seule source de points de vue, puisque certains épisodes nous sont contés sans que le narrateur ait pu les connaître.

C'est probablement le principal atout de ce film, d'être si différent. N'empêche, derrière cette chronologie non-linéaire, il y a toute une route exigeante, faite de réussites et d'expériences, un cheminement qui mène à Oppenheimer.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Christopher Nolan Criterion
26 avril 2025 6 26 /04 /avril /2025 15:06

Un meurtre a eu lieu à Nightmute, Alaska. La police locale a fait appel, sur conseil d'un supérieur local qui les connait bien, à deux cracks de la police de Los Angeles, les inspecteurs Dormer (Al Pacino) et Eckhart (Martin Donovan) pour aider à résoudre l'affaire. Dans un premier temps, les deux hommes sont un peu en territoire conquis, leur expéertise étant évidente, surtout Dormer, un policier à l'ancienne, persuadé de son intégrité, et agacé par les manigances des instances policières de contrôle. Mais le jour permanent de la saison ensoleillée de l'alaska le met très vite mal à l'aise, au point où, lors d'une conforontation avec le tueur au matin, dans la brume, Dormer tue son partenaire par erreur... Un seul témoin, le tueur (Robin Williams).

A l'origine de ce film, il y a un classique norvégien de ce qu'on appelle le Nordic noir... Insomnia de Erik Skoldbjaerg a fait l'effet d'un électro-choc, au point que plusieurs metteurs en scène se sont mis sur les rangs, dont Steven Soderbergh, pour en faire un remake. On peut toujours se poser la question de la pertinence d'un remake, à cinq années de distance, mais c'est ainsi... Et pour Nolan dont c'est le troisième film (après Following et Memento), le fait d'effectuer cet exercice double (d'une part un remake d'un film identifié à un genre bien précis, et d'autre part un film qu'il n'a pas écrit) lui permet sans doute d'ajouter un atout de prestige (si j'ose dire) à son Curriculum Vitae...

Dès le départ, le sens de la structure apparait de façon éclatante, dans un film qui annonce énormément de ce qui va faire le sel de l'intrigue. Car après tout, pour un film policier, il est avare en scènes de crimes, en meetings au commissariat, en indices et en avancées d'une enquête qui semble perdre en substance au fur et à mesure du déroulement du film. Et la façon dont dès le départ le flic prestigieux de Los Angeles perdpied à cause du manque de sommeil, de la fatigue et de son incapacaité à se faire à son environnement, est souligné par la façon dont tout le monde, finalement, manque systématiquement de précision sur tout: toute mention du temps, en particulier, est toujours floue... Ne sachant si c'est la nuit ou le jour en permanence, partagé entre ce qu'il perçoit et ce qu'il voit vraiment, Dormer perd pied dans l'enquête mais aussi dans sa vie. ...Quand il est contacté par le tueur, Walter Finch (Robin Williams), Dormer semble presque fraterniser: comme si ce qui s'est passé avait effacé toute différence entre eux.

Un grand film? Quelque part oui, même s'il faudrait, pour le juger honnêtement, voir le film original. D'ailleurs Nolan le tient pour un de ses films les plus personnels... Mais même s'il s'agit d'une histoire importée, le sens de la mise en scène de Nolan le met parfaitement à l'aise avec cette intrigue dans laquelle tout est affaire de ressenti, et de point de vue, dans une histoire de confrontation et de manipulation qui se joue entre deux protagonistes. Un domaine où, The Prestige le confirmera, il excelle.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Christopher Nolan
25 avril 2025 5 25 /04 /avril /2025 23:09

Ce n'est finalement que le premier film de Clint Eastwood, mais tout est déjà en place: une plongée dans un genre spécifique avec ses propres codes, une certaine façon de se mettre en scène en un personnage très proche de lui-même, une tendance grinçante au masochisme rigolard, une envie de se laisser influencer par le cinéma contemporain, une vision marquée du suspense qui reviendra sans cesse, et un goût pour le baroque sans équivoque... Un film noir, ou néo-noir comme on dit parfois, qui n'est certes pas exempt de défauts, mais ils font définitivement partie du paysage, et on appelle ça le style, tout bêtement...

Dave Garver (Clint Eastwood) est un DJ, un animateur de radio qui habite Carmel. IL a ses fans, mais ce n'est pas forcément une vedette: pour commencer, il anime la nuit sur KRML, une émission durant laquelle il passe du jazz soft, de la soul et du rhythm and blues léger, pour les amants, dit-il dans on accroche initiale. Il a ses fans pourtant, notamment une fille qui appelle souvent, toujours pour demander à Dave de passer Misty, de Erroll Garner dans son show. Dave, qui a une histoire compliquée avec sa petite amie Tobie (Donna Mills), reste un séducteur, et il rencontre une jeune femme, Evelyn (Jessica Walter) avec laquelle il passe la nuit. C'est sa fan numéro un, celle qui aime tant Misty. Et malgré tous ses efforts pour lui faire comprendre que leur aventure n'était qu'une passade, Evelyn a décidé que Dave lui appartenait, et son tempérament excessif va vite se déchaîner...

Je me permets une digression: à propos de "fan numéro un", il y a des analogies intéressantes ici, avec le roman de Stephen King Misery, qui emprunte d'ailleurs cette expression "number one fan". celle-ci est désormais passée dans la culture populaire, mais c'est probablement du au film homonyme de Rob Reiner adapté de King. Et justement, celui-ci cite un plan spectaculaire de Play Misty for me, celui de Jessica Walter, le regard illuminé, tenant en pleine nuit un couteau dans la main, et vue en contre-plongée...

Dave Garver habite Carmel, vit seul, tout en ne se privant jamais de compagnie féminine, parle peu, et a des goûts très arrêtés sur le jazz, la musique, et éventuellement la façon dont les autorités s'occupent des malades qui passent au crime. C'est Clint Eastwood sur bien des points, bien sur, tout en n'étant pas lui... Le metteur en scène prend déjà l'habitude de se projeter dans ses films, juste ce qu'il faut, et le profil de Garver, l'homme qui vit reclus dans un bric-à-brac à Carmel, correspond assez bien à une caricature de Clint, tout comme le personnage de William Holden, bien qu'ayant quinze années de plus, dans Breezy. Clint Eastwood, que tant de mal-comprenants imaginent quasi fasciste en ces années Nixoniennes, est en fait un observateur mûr et adulte, clairvoyant, de cette époque libertaire, d'amour libre et d'ouverture culturelle qui débouche parfois sur le n'importe quoi. Le film se fait par moments l'écho ironique d'une époque, comme si Eastwood savait -il le sait sans doute- que cette phase post-hippie ne durera qu'un temps... Tobie, de son côté, plus jeune que Dave a l'air aussi naïve que le seront la plupart du temps les personnages de jeunes qui accompagneront les héros Eastwoodiens.

Play Misty for me est un film qui ressemble furieusement à une oeuvre de 1971, avec son style de narration pas pressée, ses pleins et ses déliés, et cette tendance à arrêter l'action pour un peu de contemplation: des images volées au festival de jazz de Monterey à l'été 1971 (Le film est sorti en novembre), avec rien moins que l'ensemble de Cannonball Adderley et de son frère Nat saisis en pleine action, et une séquence d'amour esthétique dans les bois qui dépasse un brin les limites du ridicule (Nudité composée, ralenti, et chanson de Roberta Flack)... Mais je suppose que ça fait partie des charmes particuliers du film, et ça sert aussi à montrer de quelle façon le personnage de Dave se vautre un peu dans une certaine confusion sur son âge. Après tout, ce film est aussi le portrait d'un homme qui est arrivé au bout de sa jeunesse, et qui paie le prix de sa supposée indépendance, et d'une longue période de papillonnage. Il affirme à Tobie vouloir se ranger à ses côtés, mais ça a un prix. Et comme souvent, Clint le metteur en scène semble s'amuser comme un fou à mettre Clint l'acteur dans les ennuis jusque au cou, une tendance qui ne va pas disparaître dans les films ultérieurs... Clint le libertarien laisse son personnage se mettre dans les ennuis, mais Eastwood le conservateur se tient à l'écart, en levant ostensiblement les yeux au ciel!

Et puis le film possède sa progression, la lente mais nécessaire exposition, le développement, la façon dont Evelyn (Jessica Walter est formidable en folle furieuse, bien sûr) va d'une étape à l'autre révéler sa folie destructrice, et la façon dont Clint Eastwood va utiliser le suspense en lâchant tout, et en plongeant dans le baroque, comme son mentor Don Siegel dans le film très contemporain (Puisque sorti un mois et demi plus tard) Dirty Harry. Les deux films sont liés, et ce n'est sans doute pas un hasard si au hasard d'un plan dans ce dernier film, le personnage d'Harry Callahan se trouve dans une rue où il y a un cinéma, qui passe justement Play Misty for me... Les deux films, d'ailleurs, commencent et finissent avec exactement le même type de mouvement de caméra: dans l'ouverture, elle descend vers les côtes de la Californie du Nord (Les hauteurs de Carmel dans l'un, le port de San Francisco dans l'autre) et dans la fin, la caméra s'éloigne en prenant de la hauteur. Une façon de signer son propre film et le film de son copain, ou un clin d'oeil... Ou une vision morale aussi, dont les deux films sont empreints sans nul doute et qui ne quittera jamais le cinéma de Clint Eastwood. Vous voyez? Tout est déjà là...

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Published by François Massarelli - dans Clint Eastwood Noir
10 avril 2025 4 10 /04 /avril /2025 17:22

Leonard Shelby (Guy Pearce) a eu un accident grave, qui l'a privé de toute capacité de conserver la mémoire à court terme: il sait qui il est, se souvient de tout ce qui a été sa vie avant "l'accident", mais est incapable de fixer un souvenir depuis... 

"L'accident", c'est la nuit lors de laquelle Leonard a trouver deux cambrioleurs, chez lui, qui étaient en train de finir de tuer son épouse (Jorja Fox). L'un d'entre eux a été tué sur place par Leonard, mais l'autre s'est enfui après l'avoir assomé (d'où son problème de mémoire), et désormais, il s'est fixé pour but de le retrouver et de le tuer. 

Pour contrer son problème de mémoire, il a adopté un mode de fonctionnement très particulier: il garde en permanence un appareil Polaroïd, avec lequel il prend des photos (rappelons que le Polaroïd permet de faire des photos à développement instantané, même si celles-ci s'effacent au bout de quelques temps...) qui vont l(aider à garder des indices: telle personne photographiée, se voit donc dotée de commentaires ("c'est un ami", "ne pas se fier à lui", etc) qui aident Leonard à y voir plus ou moins clair. Il a aussi pris l'habitude de confier à des tatoueurs des faits essentiels, qu'ils lui fixent sur la peau au fur et à mesure, quand ce n'est pas lui qui le fait directement...

Le film est doté de deux chronologies distinctes, l'une en noir et blanc (chronologique, justement): une conversation téléphonique morcelée, saupoudrée au cours du film; Leonard s'y rappelle un cas de sa vie d'avant, une affaire dont il avait eu la charge quand il était détective de compagnie d'assurance, et qui concerne un cas similaire à son problème. L'autre, la principale, est en couleurs, et nous montre à rebours les actions de Leonard alors qu'il tue "Teddy", l'homme (Joe Pantoliano) qu'il pense être celui qui a tué son épouse. Puis, les minutes qui précèdent cette exécution, puis celle d'avant, etc...

On comprend très vite que le monde entier manipule Leonard, d'autant qu'on sait où ça l'a conduit. Il apparaît très vite que Teddy (dont la vraie identité reste assez mystérieuse assez longtemps, et on n'est même pas sûr de l'avoir cerné totalement une fois le film fini) n'est pas le meurtrier que Leonard recherche, mais juste un personnage qui est finalement assez ambivalent: d'un côté, comme tout le monde, il ment et utilise Leonard, sans vergogne; de l'autre, il l'accompagne avec humour (sauf évidemment dans la première scène) et on jurerait qu'il a de la sympathie pour lui... Sinon, les personnes rencontrés forment une belle galerie de truands, de osers, de sales types et de femmes fatales, qui tous, ont décidé de profiter un grand coup de l'aubaine: un type manipulable à l'envi, qu'on peut même insulter autant qu'on veut tant qu'il n'a pas de crayon sur lui pour noter ce qu'il aurait oublié dans deux minutes...

Avec tout ce pedigree, il est vraiment étonnant que ce film, qui commence par la fin de son histoire et redéroule jusqu'au début, puisse tenir debout! C'est que l'intérêt pour cette histoire dont on sent bien que le grand secret est en amont et non en aval, prime sur tout: mais qui donc est le grand responsable de cette situation, qui a guidé Leonard vers cette fuite en avant dont on se doute qu'une fois l'intrigue finie, il paiera pour chaque vie laissée de côté?

La réponse est sans doute au bout du film... Un film gonflé, qui joue avec le temps comme avec un yoyo... Un film aux images fortes et intrigantes, comme cet étrange bonhomme sec avec sa vie et ses pires cauchemars tatoués sur le corps. Des images captées, gardées, classées et commentées par un homme en perpétuelle renaissance qui a eu la naïveté de croire qu'il serait impossible à ces images, mots et commentaires, de mentir.

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Published by François Massarelli - dans Christopher Nolan Noir
30 mars 2025 7 30 /03 /mars /2025 16:05

Detroit, fin des années 50... Deux truands, Curtis (Don Cheadle) et Ronald (Benicio Del Toro), sont contactés par un inconnu, Jones (Brendan Fraser): ils doivent accomplir un travail qu'on leur présente comme simple. Ils doivent, avec l'aide d'un autre inconnu, Charley (Kieran Culkin), tenir en otage une famille pendant que le père se saisit des documents qui sont dans le coffre de son patron. Dès le départ, rien ne fonctionne: l'hostilité de Ronald pou l'Afro-Américain Curtis, le fait que le père de famille contacté en sache plus que prévu, le fait qu'il soit en couple adultère avec sa secrétaire, l'hostilité de son épouse, et bien sûr le ait que Charley ait pour instruction secrète de massacrer tout le monde, la situation est truquée...

Une série de développements et digressions vont donc se dérouler, impliquant bien sûr le monde de l'automobile (on est à Detroit) dans l'écheveau de mises en scènes toutes plus délirantes les unes que les autres. Tout le monde trahit tout le monde, mais dans quel sens, et qui aura le dernier mot?

Ca fait des années que Soderbergh s'amuse à ses heures perdues avec les genres, parfois allant jusqu'au pstiche intégral (The good German) mais sans jamais totalement se limiter aux règles des genres qu'il imite. Ici il tricote à sa façon le film de gangsters, avec une tendance ironique à la Kubrick: on pensera parfois à cet autre festival de désastres qu'est The Killing... Mais le voeu de Soderbergh reste le fun avant tout, ce qu'il accomplit en convoquant avec plaisir des stars (deux d'entre le acteurs ont d'ailleurs tourné quelques rôles pour lui, et on verra une courte mais incisive apparition de Matt Damon, pour faire bonne mesure) qui ont autant envie que lui de se frotter à ce mélange de pastiche et de style, sans pour autant se mouiller outre mesure...

Le film a été réalisé pour alimenter la platerforme de Warner, Max: ce qui a permis à Soderbergh de continuer ses expérimentations avec l'image. Après Unsane, c'est donc son deuxième film tourné avec un smartphone. Pourquoi pas? ...Mais soyons clair: ce n'est pas très beau, non. Le film sinon est du pur plaisir, dans lequel je vous conseille de vous laisser aller: comme d'habitude, le film est un dédale si on tente de s'intéresser au scénario. Comme Soderbergh n'est pas Nolan (donc il n'est pas un prétentieux qui veut faire le malin), on ne s'en souciera pas d'avantage, pour se laisser gentiment aller aux codes du film de gangsters: bang, shoot, et tout le monde trahit tout le monde... On n'a pas besoin de plus.

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Published by François Massarelli - dans Steven Soderbergh Noir
22 janvier 2025 3 22 /01 /janvier /2025 17:36

Vertigo, c'est l'un des films les plus importants d'Hitchcock, l'un des plus aboutis; c'est aussi un monument incontournable du cinéma Américain, une valse triste de mort, d'amour et d'obsession sexuelle...

Il y a semble-t-il un petit nombre de fans du maître qui confessent une certaine gêne avec ce film, en raison de sa lenteur: de fait, Hitchcock adopte un rythme particulièrement lent, en particulier dans la première partie de l'intrigue. Il s'agit pour lui de suivre le point de vue de John Scotty Ferguson (James Stewart), le détective en retraite qui a été obligé d'abandonner son métier en raison d'un accident survenu à cause de son vertige, qui a couté la vie à un officier de police. Dans ce rôle qui le voit assumer avec panache son âge, pas question pour Stewart de jouer au héros d'action, et de la sorte, "Scotty" devient un nouveau héros Hitchcockien, un de ces Mesieurs Tout-le-monde qui hantent son cinéma dans les années 50 et 60.

En faisant son enquête sur le personnage d'une jeune femme (Kim Novak) hantée par l'étrange présence d'une morte, Scotty doit prendre le temps de se confronter à l'étrange parcours qu'on lui soumet, et le spectateur avec; et puis il faut à tout ce petit monde rentrer dans le ton de cette poursuite avec la mort... Et le spectacle en vaut la peine, comme lors de cette vision presque sortie d'un Norman Rockwell, d'une femme en gris, au milieu d'un parterre de couleurs, chez un fleuriste, ou ce magnifique plan de Madeleine, qui sort d'une voiture sous le Golden Gate, et se place un instant au bord de l'eau, avec un voile qui peine à rester en place... avant de se jeter à l'eau.

Il y a deux énigmes au coeur de l'intrigue de ce film, du moins la première fois. Aucune, finalement, n'a d'importance: oui, on apprend très vite que cette histoire de hantise n'est qu'une supercherie, destinée in fine à se débarrasser en toute impunité de quelqu'un. La victime collatérale sera Scotty, qui se verra proposer toutefois une seconde énigme: il verra, après avoir assisté à la mort de la femme dont il est tombé amoureux, la même jeune femme dans la rue, avec quelques menues différences (Couleur de cheveux, maquillage, etc...). L'énigme qu'il s'impose est la suivante: à partir de cette ébauche prometteuse, peut-il totalement reconstituer Madeleine? Elle n'est proposée qu'à lui, puisque le pot-aux-roses est également expliqué aux spectateurs en même temps que le fin mot de la première partie... le film se transforme ainsi en un spectacle rare: le spectateur du film voit un homme s'embarquer dans une quête obsessive et profondément égoïste, qui consiste à recréer une femme aimée et morte, au détriment d'une femme vivante et aimante. Et bien sûr, elles sont une et une seule... Dès la deuxième vision, toutefois, ces énigmes laissent la place à une série de constructions, à des échafaudages qui certes tiennent du roman-feuilleton, mais mettent en valeur des pans habituellement laissés de côté par le cinéma Américain, entre sacrifice odieux, folie morbide et amour égoïste...

Le vertige de Scotty, son statut de vieux célibataire, son passé à peine évoqué avec son amie Midge, et un certain nombre de symboles concourent par ailleurs à faire du film une parabole de l'impuissance sexuelle. Ca culmine évidemment lors d'une scène célèbre, durant laquelle les héros doivent monter une tour. Scotty abandonnera avant la fin, et cela résultera en une mort soudaine... Le symbole sexuel se double pour une bonne part du film d'un jeu sur la mort, avec une forte utilisation, concernant Madeleine, de codes de couleurs: elle porte du blanc, du gris... Et occasionnellement, du vert. Ce vert se voit en particulier pour faire un lien avec Judy Barton, le sosie, qui porte une robe d'un vert voyant, mais après tout, la voiture de Madeleine était déjà vert bouteille. cette même couleur verte, provenant des néons d'une enseigne d'hôtel, projette sur Scotty inquiet de la réussite de la transformation de Judy en Madeleine, un teint qui le montre plus inquiétant qu'autre chose, et lors de la scène de la transformation ultime, un halo verdâtre transforme Madeleine en fantôme...

Pour faire passer tout ce sous-texte scabreux ou morbide, Hitchcock se sert d'un organe qui est cité dès le générique, à savoir l'oeil. Il donne à voir au spectateur un homme qui subit une mise en scène permanente, un tissu de bobards d'abord destiné à l'appâter afin qu'il accepte le travail qui lui est proposé et qu'il participe involontairement au plan démoniaque de celui qui l'a engagé; ensuite, une première vision de "Madeleine" entrevue dans un restaurant, habillée d'une robe flamboyante, éclairée comme à la parade: une apparition de star, en fait. Puis l'intrigue qui lui est montrée s'épaissit, mais de nombreux détails confinent à la mise en scène cinématographique, et à l'acte de raconter des films: lorsque Scotty et Midge se rendent dans une librairie pour y glaner des détails sur un à-côté de l'affaire, la lumière de la boutique baisse jusqu'à la fin de l'histoire qui leur est contée. Quand ils quittent les lieux, la lumière revient soudainement, comme quand une séance de cinéma se termine...

La magnifique musique de Bernard Herrmann, la photographie constamment inventive, se conjuguent avec l'utilisation fabuleuse des extérieurs: Hitchcock, qui détestait tant tourner en extérieurs, a magnifiquement su montrer la ville de San Francisco, mais aussi d'autres paysages de la Californie du nord. Comme d'habitude, il combine la réalité d'un lieu, et les raccourcis locaux (Goden Gate, missions Espagnoles), au profit d'une intrigue assez folle: une histoire d'amour, d'amour fou bien sûr, mais qui aboutit à la mort, avant de tourner à la folie maniaque. Un joyau noir, donc, d'un des cinéastes les plus doués de tous les temps.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
11 janvier 2025 6 11 /01 /janvier /2025 16:16

S'il est un thème omniprésent dans l'oeuvre d'Hitchcock, c'est bien celui du faux coupable. Ca commence avec The lodger en 1926, et ça n'attendra pas qu'Hitchcock revienne au thriller pour continuer: dès 1927 et Downhill, cette vision obsessionnelle de la fausse culpabilité d'un protagoniste revient dans un grand nombre de films. Murder, The 39 steps, Young and innocent en particulier proposent dans le cadre du film policier et d'aventures une vision de cette thématique.

Les films Américains du metteur en scène vont ajouter de façon sophistiquée des intrigues basées sur la non-culpabilité d'un suspect, à travers l'élégance trompeuse du film noir flamboyant Suspicion, du petit film d'aventures et d'espionnage Saboteur, ou de l'étude grinçante de moeurs I confess, tout en continuant à fournir des policiers plus classiques sur le même thème (Dial M for murder), en continuant à faire des variations sur le cas de figure (Stage Fright), et en raffinant son art jusqu'à d'impressionnants chefs d'oeuvre (Strangers on a train). Les années 50 sont la période la plus heureuse de la carrière du metteur en scène, qui a créé son propre univers, et est désormais à l'aise pour utiliser son nom et sa réputation, et confectionne amoureusement des films d'une rare classe (To catch a thief, et son faux coupable une fois de plus) dans le cadre rassurant de la Paramount. Mais Hitchcock ne s'arrête jamais, et ce thème qui le turlupine, il y revient (Et y reviendra, dans North by northwest en 1959 et dans Frenzy en 1972) avec un film en apparence totalement à part, qui s'intitule justement The wrong man.

Le titre (Traduit pour une fois fort judicieusement Le faux coupable) nous indique ce qu'on n'a pas besoin de nous dire trop longtemps à la vue du film, à savoir que le personnage de Manny Balestrero, l'infortuné contrebassiste accusé à tort de plusieurs attaques à main armée, et autres cambriolages, est parfaitement innocent. Mais il est surtout malchanceux: venu chez un agent d'assurances pour emprunter sur la police de son épouse, il est reconnu par plusieurs employées comme étant l'homme qui a commis une attaque sur le bureau, et les boutiquiers amenés à témoigner vont aussi le reconnaître, pour la plupart. N'étant pas un professionnel de l'alibi, Manny ne parviendra pas à se disculper, et sa famille va devoir subir l'humiliation de la justice dans toute sa splendeur.

Hitchcock nous a prévenus au début, il fait une sorte d'apparition bien différente de ses "cameos" habituels: vu depuis le plafond d'un studio, une simple silhouette qui se dégage au milieu d'un plateau. Dans son univers en quelque sorte... Il insiste sur le réalisme de l'histoire qu'il va nous conter. Apparemment similaire à ses présentations télévisée, mais très éloignée en fait, cette introduction est un peu trompeuse: les faits rien que les faits, nous promet-il... Mais le metteur en scène est aussi un vieux renard qui sait communiquer. Le film aura l'apparence du "docudrama", mais c'est un film superbement mis en scène dans lequel la touche Hitchcockienne se fait certes discrète... Mais elle est là. Tout comme sont là les fidèles, le producteur Herbert Coleman, le chef-opérateur Robert Burks, et bien sur Bernard Herrmann, compositeur attitré, dont le rôle dans ce film austère est pourtant réduit à la portion congrue. Mais à part Vera Miles, qui reviendra dans Psycho, on n'est pas confronté ici à un casting "hitchcockien". En lieu et place de, disons, Cary Grant ou James Stewart, on a Henry Fonda.

Manny Balestrero est un personnage formidable, par sa gaucherie, son inadaptation à sa situation délirante dans laquelle il est fourré totalement malgré lui. Italien d'origine, il est catholique, et c'est un des fils rouges de ce film, dans lequel en proie au doute on le voit se tourner vers la religion au moins de deux façons: en contemplant un petit tableau de Jésus dans sa chambre, et en priant silencieusement durant son procès, égrenant son chapelet. J'y reviendrai. Mais le personnage est aussi un brave homme, timide et effacé, et totalement conforme à la vision de l'homme de la rue par Hitchcock, qui dès les années 20 et 30 aimait à peupler ses films de petites gens, comme dans Sabotage, dans Blackmail, dans l'ouverture de The 39 steps, et on peut bien sûr continuer avec des films comme Shadow of a doubt. Notre contrebassiste un peu austère fait partie de cette catégorie, et sans nul doute c'est un homme sans histoire: il a trouvé un travail qui lui plaît, il a une épouse aimante, deux enfants, ils ont quelques difficultés, mais ce n'est pas bien grave. Fidèle à sa manière, Hitchcock caractérise Fonda en quelques plans: il joue de la contrebasse dans un orchestre de danse au Stork Club, finit son set, et silencieusement sort, prend les transports en commun: les pages du journal qu'il feuillette nous renseignent sur son cas: il consulte les résultats des courses, et tombe sur une publicité qui détaille des prix exorbitants. Une conversation avec son épouse nous éclaire un peu plus: elle souhaite se faire extraire les dents de sagesse, mais recule devant le prix de l'opération. Voilà qui motive en effet l'emprunt sur l'assurance. Le problème de Manny, c'est que ça motive aussi les crimes qui lui sont imputés.

Fonda, c'est le petit homme par excellence, celui qui ne sortira de sa réserve que si c'est nécessaire, trop grand pour le monde, un peu comme James Stewart, mais plus enclin à rentrer dans le rang pour ne pas se faire voir... C'est aussi un acteur plus doué que Stewart pour l'ambiguïté: il y a toujours, derrière le Stewart "sombre", des motifs nobles, mais le Fonda de The Ox-Bow incident est un alcoolique bagarreur sans raison apparente, et dans The Grapes of Wrath, Tom Joad a tué un homme. Les personnages de Advise and consent (Un politicien soupçonné de trahison), de There was a crooked man (Un homme de loi qui se laisse corrompre de façon très inattendue), et bien sûr de Once upon a time in the west iront plus loin encore dans cette part d'ombre. Donc Hitchcock joue un peu, au début, avec cette possibilité, ou du moins si nous n'avons que peu de doute quant à son innocence, il apparaît plausible que ce grand gaillard qui ne sait pas où se mettre, soit après tout coupable. Vera Miles de son côté joue le rôle de l'épouse qui craque, plongeant dans l'hystérie puis le mutisme, d'une façon très convaincante. Elle n'en fait justement jamais trop, au contraire. Et Hitchcock la fait aussi jouer sur son apparence, en la faisant se maquiller de moins en moins, alors que le personnage plonge lentement mais sûrement dans la folie. Elle est l'ingrédient dramatique, un autre fil rouge, le plus important sans doute: lorsqu'elle perd le nord, Manny perd son soutien principal. Elle offre une image navrante, confirmant l'enfer dans lequel Balestrero est conduit... Et lorsque Manny est confronté au vrai coupable, la seule chose qu'il puisse lui dire est "Vous savez ce que vous avez fait à mon épouse?". L'autre ne dira rien. Que voulez-vous qu'il dise?

Je parlais de la mise en scène de ce film, comme bien autre chose que ce prétexte de réalisme avancé par Hitchcock lui-même. Bien sûr, Hitchcock ne peut pas faire autrement, il a la maîtrise absolue du cadre, sait parfaitement ce qu'il veut, et s'il n'hésite pas à forcer en effet sur le contexte hyper-réaliste, à mille lieues du glamour, sa mise en scène s'affiche comme d'habitude formidable: son jeu sur le point de vue par exemple, la façon dont dans une scène Manny entre, et nous avons désormais le point de vue d'une employée qui le voit à travers les barreaux de son guichet (Ce qui nous annonce ce qui va lui arriver), et la main dans sa poche, comme une inquiétante menace. Le point de vue sur l'affaire sera toujours celui des autres, les policiers (Qui font leur travail sans aucune flamme, ni aucune énergie phénoménale. De bons fonctionnaires sans histoire en réalité!), les témoins... Lorsque, au cours du procès, on a le point de vue de Manny Balestrero, c'est essentiellement pour nous indiquer, en caméra subjective, qu'il ne comprend rien à ce qui se passe, et qu'il est presque absent de ce procès qui semble même ne pas le concerner. Ce principe de caméra subjective est aussi présent lors de l'arrestation proprement dite, qui est privée de tout drame, et de tout dialogue, et qui est un tour de force. Le propos d'Hitchcock est bien sur de nous donner le pire rôle, celui d'être dans la peau du pauvre type sur lequel l'injustice s'abat et qui n'a après tout aucun argument à opposer...

Car Hitchcock avait semble-t-il une raison d'être obsédé par cette vision de la culpabilité comme un phénomène du hasard, prêt à s'abattre sur n'importe lequel d'entre nous. Il l'a souvent expliqué comme venant d'une anecdote célèbre: son père avait arrangé avec des copains policiers d'enfermer son fils pendant cinq minutes pour le punir, provoquant chez lui une trouille farouche et persistante à la fois de la police, et de l'erreur judiciaire. Que cette anecdote soit vraie ou fausse, il est sûr qu'Hitchcock avait vis-à-vis de la police une peur claire et nette, et que sa vision de l'erreur judiciaire était qu'elle était à la portée de n'importe qui! Mais Hitchcock, Catholique, savait que l'homme est par essence assimilé au crime, coupable par association parce qu'il fait partie de l'humanité. Une scène formidable, la plus notable sans doute du film, voit Fonda se tourner vers le fameux tableau de Jésus dans sa chambre, là même où un soir il a retrouvé son épouse prostrée, passée de l'autre côté de la folie: il est en gros plan, et il prie. En surimpression, une rue de la ville, la nuit. Un homme s'approche. D'abord en silhouette, puis on le voit de mieux en mieux, il porte les mêmes vêtements que ceux généralement portés par Fonda, et son visage vient se placer dans les contours de ceux de la star. C'est le bandit, le vrai. Il ne lui ressemble pas tant que ça, mais la confusion est possible. Réponse à sa prière, ou simple rappel du cinéaste pour dire qu'un homme et un autre homme, finalement, c'est la même chose? Tous coupables?

On est loin de Kafka, grâce justement à Hitchcock qui sait ne pas s'aventurer trop loin dans l'onirisme (Il le prouvera bientôt dans les deux films fantastiques qui sont parmi les plus réalistes de son oeuvre!), mais Hitchcock, avec ce film singulier, et dégagé de l'influence trop lisse des studios (C'est une production indépendante, distribuée par la Warner), me semble avoir une fois pour toutes établi son thème majeur, et le fait avec une classe incroyable, dans une démonstration qui réussit à ne jamais être austère. Il le fait aussi en redéfinissant son art et sa manière, et ce film tranchant et noir comme l'encre aura, qu'on le veuille ou non, des conséquences. qu'il l'ait fait en réagissant à une nouvelle donne du cinéma mondial (Le film ressemble souvent à une oeuvre européenne dans son réalisme froid) est une évidence, mais une fois de plus il sera à son tour le plus influent: Scorsese s'inspirera de cette vision sans concessions de New York (Taxi Driver), Friedkin y puisera la source de son style développé dans ses films French Connection et The exorcist (!!!).

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
18 décembre 2024 3 18 /12 /décembre /2024 21:55

Adapté d'une pièce à succès, Dial M for murder est sans doute l'un des films les plus connus d'Hitchcock. A première vue, c'est un film des plus ludiques, prétexte à essayer un système de 3D qui s'avèrera réussi, mais ce n'est pas beaucoup plus. Ce serait pourtant mal connaitre le réalisateur que de s'imaginer qu'il n'y avait pas dans ce film des ingrédients qui permettaient au moraliste Hitchcock de s'essayer à une nouvelle manipulation sur le public. Au-delà du glamour de tourner une adaptation d'une pièce de théâtre avec Ray Milland qui tente de tuer son épouse Grace Kelly, sous les yeux du limier John Williams, on voit le metteur en scène jouer avec le point de vue et évaluer la situation en observateur inconditionnel du péché, de la faute et de la culpabilité...

De la pièce, Hitchcock reprend tel quel l'argument, dans lequel Tony Wendice (Ray Milland), un joueur de tennis retraité qui a épousé une héritière riche (Grace Kelly), commandite son meurtre afin de toucher un héritage qui l'arrange d'autant plus que son épouse fricote avec un auteur Américain de romans policiers à succès (Robert Cummings). L'homme qui est supposé se charger de la besogne (Anthony Dawson) s'appelle Swann, et c'est un ancien condisciple de Wendice, que ses frasques passées fragilisent, le mettant en danger de chantage: c'est la condition qui permet à Wendice de faire pression sur lui pour qu'il accepte. Ce que ni Swann ni Wendice n'avaient prévu, c'est que Margot puisse tuer son attaquant, et non le contraire. Ce qui était encore moins prévu, c'est que malgré toute la préparation dont Tony fait preuve, un simple objet, une clé, ne vienne troubler son échafaudage alors que son épouse va être exécutée pour meurtre...

Le film ne respose pas, comme dans un whodunit, sur une simple recherche du coupable, mais au contraire sur la possibilité ou non que le personnage du meurtrier potentiel, joué par Ray Milland, se fasse pincer ou non. Le public est donc dès le départ dans la confidence, avec deux scènes de dialogues à la suite l'une de l'autre: entre les deux amants d'une part, qui discutent des mérites de mettre Tony au courant de leur liaison passée (et plus ou moins susceptible d'être ravivée), et entre Tony et Swann d'autre part, qui mettent au point le crime tel qu'il doit se dérouler.

Il est intéressant de constater que celui qui aurait pu être le héros d'un film plus classique, Robert Cummings, est laissé à l'écart par Hitchcock, alors que Ray Milland, bien que de toute évidence le criminel du film, reste absolument charmant, mettant au point tous les détails d'un crime dont il lui est facile de se distancier puisqu'il ne l'accomplira pas lui-même. Et Anthony Dawson, qui joue un homme qui a joué de malchance, reçoit ses instructions avec réticence. Tuer, il connait, il a déjà fait, et cela ne semble pas être de gaieté de coeur qu'il s'apprête à le refaire, d'autant qu'on le sait grâce à Hitchcock: Tuer est difficile, ce n'est pas à la portée de tout le monde...

Le metteur en scène, qui prétendait s'être contenté de filmer la pièce, s'est amusé à placer la caméra en seulement en fonction de la 3D (La scène du crime commence par un lent panoramique à 180°, afin de faire sentir l'espace à tout le public). La scène du crime lui-même est un modèle de ce qu'il faut faire avec la 3D, soit toujours moins, jamais plus... Mais Hitchcock place aussi son public en hauteur dans une scène qu'on pourrait imaginer prise directement telle quelle dans la pièce. C'est un plan-séquence, et Milland explique le déroulement de la soirée à Swann, le public est donc en hauteur, comme si les acteurs jouaient dans une fosse. Mais lorsque Margot montre des velléités de sortir, au lieu de rester sur place, permettant au crime de se tenir, nous en viendrions presque à trembler pour Tony! Comme d'habitude, Hitchcock s'amuse avec les frontières du bien et du mal dans ce film dont le héros après tout est un homme qui semble se chercher des excuses pour tuer sa femme! 

Le film est une oeuvre charnière, se situant entre la période Warner, parfois erratique, et la plénitude des années Paramount, pour laquelle il accumulera les chefs d'oeuvre. comme en plus, il tourne ici pour la première fois avec Grace Kelly, il est à l'aise, et le film passe comme une lettre à la poste. Un plaisir... Vénéneux, bien sûr!

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
18 décembre 2024 3 18 /12 /décembre /2024 21:53

Le catholicisme d'Hitchcock n'a probablement jamais été aussi amer que dans ce film austère et dépouillé, bien différent des oeuvres flamboyantes que le metteur en scène allai tourner à la Paramount dans les années suivantes; mal-aimé en raison de son manque d'humour, mal connu aujourd'hui (Après tout, il n'y a ni Grace Kelly, ni Cary Grant, ni la musique de Bernard Herrmann. Les repères manquent sans doute, le noir et blanc - magnifique - est un autre argument qui hélas joue contre le film!) I confess est pourtant bien plus qu'un intrigant interlude dans lequel le metteur en scène se tirerait une balle dans le pied en montrant sa star en prêtre ayant fait le voeu de chasteté...

Le film commence par une séquence d'une grande rigueur qui montre le metteur en scène en pleine possession de ses moyens: à Québec, au crépuscule, on suit un parcours fléché sous l'intrigante musique chargée en appréhension de Dmitri Tiomkin: des panneaux marqués "Direction" nous indiquent littéralement la marche à suivre... et pointent vers une fenêtre ouverte. La caméra y entre, et nous dévoile un corps à terre. La caméra ressort, et nous voyons une silhouette, celle d'un homme habillé d'une soutane, qui quitte la maison. Le plan suivant montre deux témoins, deux jeunes filles, qui ont aperçu l'homme. Celui-ci se rend ensuite à l'église la plus proche, et demande au prêtre, le Père Logan, de le confesser. Il lui avoue avoir commis un meurtre, celui d'un homme qu'il venait de dévaliser. Puis l'homme s'en va, et le père Logan, empêché par le secret de la confession, ne pourra rien révéler de l'entretien... Le meurtrier, Keller (Otto Hasse), est un Allemand réfugié avec son épouse Alma (Dolly Haas) après la guerre, et il travaille justement au presbytère, où il côtoie justement le père Logan (Montgomery Clift) tous les jours. Celui-ci, on l'apprendra bien vite, connaissait la victime. L'influent Villette avait en effet, quelques années auparavant, été témoin d'une relation entre le jeune homme qui n'était qu'un séminariste, et une femme mariée, la belle Ruth Grandfort (Anne Baxter). Il faisait chanter la jeune femme, et cela donne bien entendu au jeune prêtre un motif de le tuer... car bien sûr Logan ne pouvant absolument pas trahir le secret de la confession est vite le suspect numéro 1.

On le voit, Hitchcock confronte dans ce film sa propre vision de la culpabilité partagée des hommes, avec son propre catholicisme, qui pourtant n'est jamais aussi explicitement représenté dans son cinéma. Une critique assez répandue sur I confess est d'ailleurs qu'il est assez difficile à croire que Clift puisse être un prêtre, et Hitchcock a pour sa part dit que les Américains avaient rejeté le film à cause d'une incompréhension des protestants vis-à-vis du secret de la confession. C'est un peu court, à mon avis, d'autant que le film fait comme d'habitude preuve d'une vraie pédagogie à ce sujet!

Je crois plutôt que le rejet serait plus clairement du aux difficultés du public à accepter l'apparente inaction du personnage principal. Car Logan subit une vraie crise, à tous points de vue: il est trahi par Keller, qui sans jamais directement le dénoncer va tout faire pour que les soupçons se portent sur son confesseur. Il est trahi aussi par ses sentiments qu'il doit combattre, d'autant que Ruth n'est pas décidée à complètement abandonner la compétition pour le coeur du jeune homme! Il est enfin trahi par son implication, même indirecte, dans l'affaire: il ressent une part de culpabilité de savoir sans pouvoir s'en ouvrir, et par ailleurs de ressentir la délivrance grâce la mort de Villette, n'arrange rien: on peut dire que le principal motif pour l'inspecteur Larrue (Karl Malden) de soupçonner Logan est bien sûr le fait qu'on ressent inévitablement son trouble et son sentiment de culpabilité marqués sur son front dès qu'il est en face du policier!

A côté de Logan, le personnage de Keller est véritablement scindé en deux: d'un côté Monsieur, qui se confesse à son ami Logan dans la douleur, puis rentre chez lui et se sent si léger ("Dieu m'a pardonné"!) qu'il avoue le crime à son épouse sans aucun scrupule. De l'autre, Alma, qui va elle aussi, autant que le prêtre, ressentir la culpabilité de son mari, qu'elle ne peut dénoncer, de l'intérieur. Jamais la notion de culpabilité collective, du pêché de l'un dont la faute est partagée par tous, n'aura été aussi évidente chez Hitchcock.

Bien sûr, il y a des défauts, mais le manque d'humour parfois dénoncé ne me semble pas être à proprement parler si embarrassant. Après tout, le sujet ne prête pas forcément à la rigolade non plus. Et contrairement à Topaz, un autre film d'Hitchcock souffrant de cette absence d'humour, l'histoire au moins est passionnante! Et il y a une finesse d'observation chez Hitchcock qui le pousse à user d'un ton léger, notamment dans la description de la vie quotidienne du presbytère. C'est d'ailleurs amusant de constater à quel point les prêtres, dans la fiction, sont les protagonistes les plus à l'aise pour parler du trivial: ici, on débat d'un vélo mal placé, de la couleur des murs, comme si on devait résoudre une affaire de théologie compliquée!

Non, en revanche, Hitchcock a chargé avec une certaine méchanceté le personnage de Ruth, qui n'est pas qu'une oie blanche... Elle est assez ambiguë (Anne Baxter sera-telle toujours un peu Eve Kendall sur les bords?) voire manipulatrice: elle donne parfois l'impression de vouloir utiliser l'affaire et le scandale pour tester son mariage, et éventuellement reconquérir le père Logan. Lors d'un flash-back, elle apparaît comme une femme qui pourrait bien avoir utilisé un moyen de promotion assez classique... Bref, la misogynie légendaire d'Alfred Hitchcock, parfois, est plus qu'une légende. Mais la confusion sentimentale qui entoure les rapports de Logan et de Ruth reste un des aspects forts du film, car elle nous donne à voir la tempête sous le crâne du père Logan, et si jamais le jeune homme n'évoque explicitement le moindre doute quant à sa foi,on sait que ce lien avec une femme est sans doute son principal risque. Le chemin de croix (Rendu évident par une célèbre séquence) n'en sera que plus douloureux... Et qui mieux que Montgomery Clift pour incarner la douleur?

Et il ya un final d'une forme inattendue, fait de ruptures, de passage d'un procès à une scène de foule, d'un crime inattendu à un suspense lié à la présence du héros face à un homme qui risque de le tuer, de sacrifice et de vérité qui éclate en éclaboussant un peu plus les braves gens qui étaient prêts à montrer le héros du doigt. ...Et Logan trouvera le moyen de laisser la vérité se faire connaître sans trahir la loi de la confession, ce qui confirmera une bonne fois pour toute la pertinence de sa vocation.

Film sans doute mineur au regard de l'oeuvre exceptionnelle, I confess, avec la présence dans son titre de la première personne du singulier, est bien plus qu'une simple halte: il possède de nombreux aspects intrigants, en plus d'une élégance visuelle, due largement à l'utilisation impeccable du noir et blanc de Robert Burks. Ce sera, avant The wrong man et Psycho, l'antépénultième film du metteur en scène à ne pas bénéficier de couleurs, mais c'est tellement approprié pour cette sombre quête intérieure, entre une hypothétique mais significative libération par l'amour, et un doute qui gangrène la vocation, le tout sous la tension apportée par la culpabilité fondamentale de l'homme. Encore, toujours le péché originel...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
8 septembre 2024 7 08 /09 /septembre /2024 16:04

Celui de ses films qu'a longtemps préféré Hitchcock commence par une séquence qui utilise un motif qui reviendra: comme l'oeil d'un entomologiste, la caméra s'insinue à New York, visitant un quartier puis une rue, puis une maison, puis une fenètre, et enfin pénètre dans une chambre où un homme, allongé sur un lit, fume un cigare. A coté de lui, sur une table de nuit, des billets de banque...

On reverra ce dispositif, plus fluide encore, à l'ouverture de Psycho. dans les deux cas, il nous attire de suite l'attention sur un crime ou une faute (Dans Psycho, un adultère). On va donc très vite savoir que Charlie Oakley (Joseph Cotten) est un tueur de veuves, un Landru moderne, et que la police est à ses trousses. Il échappe d'ailleurs de peu à une confrontation avec deux détectives. Il prend la décision de partir vers l'ouest ou il va visiter la famille de sa soeur. Hitchcock nous invite donc à le suivre à Santa Rosa, Californie, et nous présente la famille de "l'oncle Charlie": sa soeur, aimante et aveugle à la nature profondément noire de son petit frère chéri, le beau-frère Joe, un banquier modeste qui trompe son ennui en discutant de criminologie et de meurtre avec son voisin Herb, les deux petits Ann et Roger et surtout la nièce préférée, qui s'appelle elle aussi Charlie. Mais si l'arrivée de l'oncle tueur va bouleverser la famille, c'est surtout la jeune charlie (Teresa Wright) qui va le ressentir: en effet, elle va découvrir la vérité sur son oncle, un homme qu'elle a toujours vénéré, et grandir de façon spectaculaire par la même occasion.

Charlie et Charlie: dès leur introduction, Hitchcock lie les deux membres de la même famille en les présentant dans la même position, pris dans une étrange connection télépathique... Alors que son oncle est en route pour Santa Rosa, la jeune Charlie qui s'ennuie, seule allongée sur un lit comme l'était Charlie Oakley dans sa chambre à New York, finit par aboutir à la conclusion que ce dont la famille (Et elle en particulier) a besoin, c'est de son oncle Charlie, pour les secouer un peu... Au moment d'envoyer un télégramme pour le faire venir, elle apprend qu'il est déjà en route. Cette connection entre eux (soulignée par un geste au début: l'oncle Charlie offre une bague à la jeune Charlie, un acte particulièrement chargé symboliquement) est l'élément principal qui précipite le drame: s'il dit souvent que Charlie est "sa nièce préférée", l'oncle sait aussi que la jeune femme est la plus à même de découvrir la vérité sur lui. Elle va en attandant se rendre compte assez vite que l'homme est un misanthrope, et un misogyne qui justifie ouvertement le meurtre de femmes inutiles dans une conversation à table, qui devient glaçante par l'utilisation d'un travelling lent et très précis, qui se termine sur le visage terrifiant du criminel...

La dualité entre les deux permet à Hitchcock d'explorer avec bonheur l'idée de l'intrusion du mal dans une famille Américaine aussi conventionnelle que possible (Certes, ils s'en défendent, et ils sont de braves gens, un peu excentriques, mais comme il en existe des milliers). Un Charlie est-il l'équivalent d'une Charlie? La jeune femme découvre avec effarement la proximité du crime, qui va de pair avec sa proximité avec l'oncle chéri... qui va vite devenir l'oncle dangereux, puis un meurtrier qui manquera par deux fois de la tuer.

Dans ce qui est le prototype de ses films noirs à venir, d'une rigueur impressionnante, Hitchcock observe une ville entière se mettre aux pieds d'un homme tellement flamboyant, si beau parleur, si séduisant, mais qui est le mal incarné. Je ne pense pas qu'il y avait chez le metteur en scène une intention de dénonciation des idéologies extrémistes en vigueur en Europe (Même si... le discours froid de l'oncle Charlie sur le fait de se débarrasser de vieilles dames inutiles, ou le plan qui voit le voyageur satisfait arriver et laisser toute sa famille courir devant avec ses valises, pendant que lui, l'homme supérieur prend son temps et flâne avec plaisir); il généralise, et fait de Charles Oakley le symbole du crime, qui nous est montré comme étant une possibilité dans des petites bourgades aussi normales et tranquilles que Santa Rosa: sans que personne ne s'en rende compte, le diable est arivé chez eux. Et quand il mourra, tout le monde le pleurera et lui fera même des funérailles en grande pompe, parce que dire la vérité, c'est admettre que le mal est partout, et ni la jeune Charlie ni son grand benêt de fiancé détective ne le souhaitent sans doute...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir