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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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22 janvier 2025 3 22 /01 /janvier /2025 17:36

Vertigo, c'est l'un des films les plus importants d'Hitchcock, l'un des plus aboutis; c'est aussi un monument incontournable du cinéma Américain, une valse triste de mort, d'amour et d'obsession sexuelle...

Il y a semble-t-il un petit nombre de fans du maître qui confessent une certaine gêne avec ce film, en raison de sa lenteur: de fait, Hitchcock adopte un rythme particulièrement lent, en particulier dans la première partie de l'intrigue. Il s'agit pour lui de suivre le point de vue de John Scotty Ferguson (James Stewart), le détective en retraite qui a été obligé d'abandonner son métier en raison d'un accident survenu à cause de son vertige, qui a couté la vie à un officier de police. Dans ce rôle qui le voit assumer avec panache son âge, pas question pour Stewart de jouer au héros d'action, et de la sorte, "Scotty" devient un nouveau héros Hitchcockien, un de ces Mesieurs Tout-le-monde qui hantent son cinéma dans les années 50 et 60.

En faisant son enquête sur le personnage d'une jeune femme (Kim Novak) hantée par l'étrange présence d'une morte, Scotty doit prendre le temps de se confronter à l'étrange parcours qu'on lui soumet, et le spectateur avec; et puis il faut à tout ce petit monde rentrer dans le ton de cette poursuite avec la mort... Et le spectacle en vaut la peine, comme lors de cette vision presque sortie d'un Norman Rockwell, d'une femme en gris, au milieu d'un parterre de couleurs, chez un fleuriste, ou ce magnifique plan de Madeleine, qui sort d'une voiture sous le Golden Gate, et se place un instant au bord de l'eau, avec un voile qui peine à rester en place... avant de se jeter à l'eau.

Il y a deux énigmes au coeur de l'intrigue de ce film, du moins la première fois. Aucune, finalement, n'a d'importance: oui, on apprend très vite que cette histoire de hantise n'est qu'une supercherie, destinée in fine à se débarrasser en toute impunité de quelqu'un. La victime collatérale sera Scotty, qui se verra proposer toutefois une seconde énigme: il verra, après avoir assisté à la mort de la femme dont il est tombé amoureux, la même jeune femme dans la rue, avec quelques menues différences (Couleur de cheveux, maquillage, etc...). L'énigme qu'il s'impose est la suivante: à partir de cette ébauche prometteuse, peut-il totalement reconstituer Madeleine? Elle n'est proposée qu'à lui, puisque le pot-aux-roses est également expliqué aux spectateurs en même temps que le fin mot de la première partie... le film se transforme ainsi en un spectacle rare: le spectateur du film voit un homme s'embarquer dans une quête obsessive et profondément égoïste, qui consiste à recréer une femme aimée et morte, au détriment d'une femme vivante et aimante. Et bien sûr, elles sont une et une seule... Dès la deuxième vision, toutefois, ces énigmes laissent la place à une série de constructions, à des échafaudages qui certes tiennent du roman-feuilleton, mais mettent en valeur des pans habituellement laissés de côté par le cinéma Américain, entre sacrifice odieux, folie morbide et amour égoïste...

Le vertige de Scotty, son statut de vieux célibataire, son passé à peine évoqué avec son amie Midge, et un certain nombre de symboles concourent par ailleurs à faire du film une parabole de l'impuissance sexuelle. Ca culmine évidemment lors d'une scène célèbre, durant laquelle les héros doivent monter une tour. Scotty abandonnera avant la fin, et cela résultera en une mort soudaine... Le symbole sexuel se double pour une bonne part du film d'un jeu sur la mort, avec une forte utilisation, concernant Madeleine, de codes de couleurs: elle porte du blanc, du gris... Et occasionnellement, du vert. Ce vert se voit en particulier pour faire un lien avec Judy Barton, le sosie, qui porte une robe d'un vert voyant, mais après tout, la voiture de Madeleine était déjà vert bouteille. cette même couleur verte, provenant des néons d'une enseigne d'hôtel, projette sur Scotty inquiet de la réussite de la transformation de Judy en Madeleine, un teint qui le montre plus inquiétant qu'autre chose, et lors de la scène de la transformation ultime, un halo verdâtre transforme Madeleine en fantôme...

Pour faire passer tout ce sous-texte scabreux ou morbide, Hitchcock se sert d'un organe qui est cité dès le générique, à savoir l'oeil. Il donne à voir au spectateur un homme qui subit une mise en scène permanente, un tissu de bobards d'abord destiné à l'appâter afin qu'il accepte le travail qui lui est proposé et qu'il participe involontairement au plan démoniaque de celui qui l'a engagé; ensuite, une première vision de "Madeleine" entrevue dans un restaurant, habillée d'une robe flamboyante, éclairée comme à la parade: une apparition de star, en fait. Puis l'intrigue qui lui est montrée s'épaissit, mais de nombreux détails confinent à la mise en scène cinématographique, et à l'acte de raconter des films: lorsque Scotty et Midge se rendent dans une librairie pour y glaner des détails sur un à-côté de l'affaire, la lumière de la boutique baisse jusqu'à la fin de l'histoire qui leur est contée. Quand ils quittent les lieux, la lumière revient soudainement, comme quand une séance de cinéma se termine...

La magnifique musique de Bernard Herrmann, la photographie constamment inventive, se conjuguent avec l'utilisation fabuleuse des extérieurs: Hitchcock, qui détestait tant tourner en extérieurs, a magnifiquement su montrer la ville de San Francisco, mais aussi d'autres paysages de la Californie du nord. Comme d'habitude, il combine la réalité d'un lieu, et les raccourcis locaux (Goden Gate, missions Espagnoles), au profit d'une intrigue assez folle: une histoire d'amour, d'amour fou bien sûr, mais qui aboutit à la mort, avant de tourner à la folie maniaque. Un joyau noir, donc, d'un des cinéastes les plus doués de tous les temps.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
11 janvier 2025 6 11 /01 /janvier /2025 16:16

S'il est un thème omniprésent dans l'oeuvre d'Hitchcock, c'est bien celui du faux coupable. Ca commence avec The lodger en 1926, et ça n'attendra pas qu'Hitchcock revienne au thriller pour continuer: dès 1927 et Downhill, cette vision obsessionnelle de la fausse culpabilité d'un protagoniste revient dans un grand nombre de films. Murder, The 39 steps, Young and innocent en particulier proposent dans le cadre du film policier et d'aventures une vision de cette thématique.

Les films Américains du metteur en scène vont ajouter de façon sophistiquée des intrigues basées sur la non-culpabilité d'un suspect, à travers l'élégance trompeuse du film noir flamboyant Suspicion, du petit film d'aventures et d'espionnage Saboteur, ou de l'étude grinçante de moeurs I confess, tout en continuant à fournir des policiers plus classiques sur le même thème (Dial M for murder), en continuant à faire des variations sur le cas de figure (Stage Fright), et en raffinant son art jusqu'à d'impressionnants chefs d'oeuvre (Strangers on a train). Les années 50 sont la période la plus heureuse de la carrière du metteur en scène, qui a créé son propre univers, et est désormais à l'aise pour utiliser son nom et sa réputation, et confectionne amoureusement des films d'une rare classe (To catch a thief, et son faux coupable une fois de plus) dans le cadre rassurant de la Paramount. Mais Hitchcock ne s'arrête jamais, et ce thème qui le turlupine, il y revient (Et y reviendra, dans North by northwest en 1959 et dans Frenzy en 1972) avec un film en apparence totalement à part, qui s'intitule justement The wrong man.

Le titre (Traduit pour une fois fort judicieusement Le faux coupable) nous indique ce qu'on n'a pas besoin de nous dire trop longtemps à la vue du film, à savoir que le personnage de Manny Balestrero, l'infortuné contrebassiste accusé à tort de plusieurs attaques à main armée, et autres cambriolages, est parfaitement innocent. Mais il est surtout malchanceux: venu chez un agent d'assurances pour emprunter sur la police de son épouse, il est reconnu par plusieurs employées comme étant l'homme qui a commis une attaque sur le bureau, et les boutiquiers amenés à témoigner vont aussi le reconnaître, pour la plupart. N'étant pas un professionnel de l'alibi, Manny ne parviendra pas à se disculper, et sa famille va devoir subir l'humiliation de la justice dans toute sa splendeur.

Hitchcock nous a prévenus au début, il fait une sorte d'apparition bien différente de ses "cameos" habituels: vu depuis le plafond d'un studio, une simple silhouette qui se dégage au milieu d'un plateau. Dans son univers en quelque sorte... Il insiste sur le réalisme de l'histoire qu'il va nous conter. Apparemment similaire à ses présentations télévisée, mais très éloignée en fait, cette introduction est un peu trompeuse: les faits rien que les faits, nous promet-il... Mais le metteur en scène est aussi un vieux renard qui sait communiquer. Le film aura l'apparence du "docudrama", mais c'est un film superbement mis en scène dans lequel la touche Hitchcockienne se fait certes discrète... Mais elle est là. Tout comme sont là les fidèles, le producteur Herbert Coleman, le chef-opérateur Robert Burks, et bien sur Bernard Herrmann, compositeur attitré, dont le rôle dans ce film austère est pourtant réduit à la portion congrue. Mais à part Vera Miles, qui reviendra dans Psycho, on n'est pas confronté ici à un casting "hitchcockien". En lieu et place de, disons, Cary Grant ou James Stewart, on a Henry Fonda.

Manny Balestrero est un personnage formidable, par sa gaucherie, son inadaptation à sa situation délirante dans laquelle il est fourré totalement malgré lui. Italien d'origine, il est catholique, et c'est un des fils rouges de ce film, dans lequel en proie au doute on le voit se tourner vers la religion au moins de deux façons: en contemplant un petit tableau de Jésus dans sa chambre, et en priant silencieusement durant son procès, égrenant son chapelet. J'y reviendrai. Mais le personnage est aussi un brave homme, timide et effacé, et totalement conforme à la vision de l'homme de la rue par Hitchcock, qui dès les années 20 et 30 aimait à peupler ses films de petites gens, comme dans Sabotage, dans Blackmail, dans l'ouverture de The 39 steps, et on peut bien sûr continuer avec des films comme Shadow of a doubt. Notre contrebassiste un peu austère fait partie de cette catégorie, et sans nul doute c'est un homme sans histoire: il a trouvé un travail qui lui plaît, il a une épouse aimante, deux enfants, ils ont quelques difficultés, mais ce n'est pas bien grave. Fidèle à sa manière, Hitchcock caractérise Fonda en quelques plans: il joue de la contrebasse dans un orchestre de danse au Stork Club, finit son set, et silencieusement sort, prend les transports en commun: les pages du journal qu'il feuillette nous renseignent sur son cas: il consulte les résultats des courses, et tombe sur une publicité qui détaille des prix exorbitants. Une conversation avec son épouse nous éclaire un peu plus: elle souhaite se faire extraire les dents de sagesse, mais recule devant le prix de l'opération. Voilà qui motive en effet l'emprunt sur l'assurance. Le problème de Manny, c'est que ça motive aussi les crimes qui lui sont imputés.

Fonda, c'est le petit homme par excellence, celui qui ne sortira de sa réserve que si c'est nécessaire, trop grand pour le monde, un peu comme James Stewart, mais plus enclin à rentrer dans le rang pour ne pas se faire voir... C'est aussi un acteur plus doué que Stewart pour l'ambiguïté: il y a toujours, derrière le Stewart "sombre", des motifs nobles, mais le Fonda de The Ox-Bow incident est un alcoolique bagarreur sans raison apparente, et dans The Grapes of Wrath, Tom Joad a tué un homme. Les personnages de Advise and consent (Un politicien soupçonné de trahison), de There was a crooked man (Un homme de loi qui se laisse corrompre de façon très inattendue), et bien sûr de Once upon a time in the west iront plus loin encore dans cette part d'ombre. Donc Hitchcock joue un peu, au début, avec cette possibilité, ou du moins si nous n'avons que peu de doute quant à son innocence, il apparaît plausible que ce grand gaillard qui ne sait pas où se mettre, soit après tout coupable. Vera Miles de son côté joue le rôle de l'épouse qui craque, plongeant dans l'hystérie puis le mutisme, d'une façon très convaincante. Elle n'en fait justement jamais trop, au contraire. Et Hitchcock la fait aussi jouer sur son apparence, en la faisant se maquiller de moins en moins, alors que le personnage plonge lentement mais sûrement dans la folie. Elle est l'ingrédient dramatique, un autre fil rouge, le plus important sans doute: lorsqu'elle perd le nord, Manny perd son soutien principal. Elle offre une image navrante, confirmant l'enfer dans lequel Balestrero est conduit... Et lorsque Manny est confronté au vrai coupable, la seule chose qu'il puisse lui dire est "Vous savez ce que vous avez fait à mon épouse?". L'autre ne dira rien. Que voulez-vous qu'il dise?

Je parlais de la mise en scène de ce film, comme bien autre chose que ce prétexte de réalisme avancé par Hitchcock lui-même. Bien sûr, Hitchcock ne peut pas faire autrement, il a la maîtrise absolue du cadre, sait parfaitement ce qu'il veut, et s'il n'hésite pas à forcer en effet sur le contexte hyper-réaliste, à mille lieues du glamour, sa mise en scène s'affiche comme d'habitude formidable: son jeu sur le point de vue par exemple, la façon dont dans une scène Manny entre, et nous avons désormais le point de vue d'une employée qui le voit à travers les barreaux de son guichet (Ce qui nous annonce ce qui va lui arriver), et la main dans sa poche, comme une inquiétante menace. Le point de vue sur l'affaire sera toujours celui des autres, les policiers (Qui font leur travail sans aucune flamme, ni aucune énergie phénoménale. De bons fonctionnaires sans histoire en réalité!), les témoins... Lorsque, au cours du procès, on a le point de vue de Manny Balestrero, c'est essentiellement pour nous indiquer, en caméra subjective, qu'il ne comprend rien à ce qui se passe, et qu'il est presque absent de ce procès qui semble même ne pas le concerner. Ce principe de caméra subjective est aussi présent lors de l'arrestation proprement dite, qui est privée de tout drame, et de tout dialogue, et qui est un tour de force. Le propos d'Hitchcock est bien sur de nous donner le pire rôle, celui d'être dans la peau du pauvre type sur lequel l'injustice s'abat et qui n'a après tout aucun argument à opposer...

Car Hitchcock avait semble-t-il une raison d'être obsédé par cette vision de la culpabilité comme un phénomène du hasard, prêt à s'abattre sur n'importe lequel d'entre nous. Il l'a souvent expliqué comme venant d'une anecdote célèbre: son père avait arrangé avec des copains policiers d'enfermer son fils pendant cinq minutes pour le punir, provoquant chez lui une trouille farouche et persistante à la fois de la police, et de l'erreur judiciaire. Que cette anecdote soit vraie ou fausse, il est sûr qu'Hitchcock avait vis-à-vis de la police une peur claire et nette, et que sa vision de l'erreur judiciaire était qu'elle était à la portée de n'importe qui! Mais Hitchcock, Catholique, savait que l'homme est par essence assimilé au crime, coupable par association parce qu'il fait partie de l'humanité. Une scène formidable, la plus notable sans doute du film, voit Fonda se tourner vers le fameux tableau de Jésus dans sa chambre, là même où un soir il a retrouvé son épouse prostrée, passée de l'autre côté de la folie: il est en gros plan, et il prie. En surimpression, une rue de la ville, la nuit. Un homme s'approche. D'abord en silhouette, puis on le voit de mieux en mieux, il porte les mêmes vêtements que ceux généralement portés par Fonda, et son visage vient se placer dans les contours de ceux de la star. C'est le bandit, le vrai. Il ne lui ressemble pas tant que ça, mais la confusion est possible. Réponse à sa prière, ou simple rappel du cinéaste pour dire qu'un homme et un autre homme, finalement, c'est la même chose? Tous coupables?

On est loin de Kafka, grâce justement à Hitchcock qui sait ne pas s'aventurer trop loin dans l'onirisme (Il le prouvera bientôt dans les deux films fantastiques qui sont parmi les plus réalistes de son oeuvre!), mais Hitchcock, avec ce film singulier, et dégagé de l'influence trop lisse des studios (C'est une production indépendante, distribuée par la Warner), me semble avoir une fois pour toutes établi son thème majeur, et le fait avec une classe incroyable, dans une démonstration qui réussit à ne jamais être austère. Il le fait aussi en redéfinissant son art et sa manière, et ce film tranchant et noir comme l'encre aura, qu'on le veuille ou non, des conséquences. qu'il l'ait fait en réagissant à une nouvelle donne du cinéma mondial (Le film ressemble souvent à une oeuvre européenne dans son réalisme froid) est une évidence, mais une fois de plus il sera à son tour le plus influent: Scorsese s'inspirera de cette vision sans concessions de New York (Taxi Driver), Friedkin y puisera la source de son style développé dans ses films French Connection et The exorcist (!!!).

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
18 décembre 2024 3 18 /12 /décembre /2024 21:55

Adapté d'une pièce à succès, Dial M for murder est sans doute l'un des films les plus connus d'Hitchcock. A première vue, c'est un film des plus ludiques, prétexte à essayer un système de 3D qui s'avèrera réussi, mais ce n'est pas beaucoup plus. Ce serait pourtant mal connaitre le réalisateur que de s'imaginer qu'il n'y avait pas dans ce film des ingrédients qui permettaient au moraliste Hitchcock de s'essayer à une nouvelle manipulation sur le public. Au-delà du glamour de tourner une adaptation d'une pièce de théâtre avec Ray Milland qui tente de tuer son épouse Grace Kelly, sous les yeux du limier John Williams, on voit le metteur en scène jouer avec le point de vue et évaluer la situation en observateur inconditionnel du péché, de la faute et de la culpabilité...

De la pièce, Hitchcock reprend tel quel l'argument, dans lequel Tony Wendice (Ray Milland), un joueur de tennis retraité qui a épousé une héritière riche (Grace Kelly), commandite son meurtre afin de toucher un héritage qui l'arrange d'autant plus que son épouse fricote avec un auteur Américain de romans policiers à succès (Robert Cummings). L'homme qui est supposé se charger de la besogne (Anthony Dawson) s'appelle Swann, et c'est un ancien condisciple de Wendice, que ses frasques passées fragilisent, le mettant en danger de chantage: c'est la condition qui permet à Wendice de faire pression sur lui pour qu'il accepte. Ce que ni Swann ni Wendice n'avaient prévu, c'est que Margot puisse tuer son attaquant, et non le contraire. Ce qui était encore moins prévu, c'est que malgré toute la préparation dont Tony fait preuve, un simple objet, une clé, ne vienne troubler son échafaudage alors que son épouse va être exécutée pour meurtre...

Le film ne respose pas, comme dans un whodunit, sur une simple recherche du coupable, mais au contraire sur la possibilité ou non que le personnage du meurtrier potentiel, joué par Ray Milland, se fasse pincer ou non. Le public est donc dès le départ dans la confidence, avec deux scènes de dialogues à la suite l'une de l'autre: entre les deux amants d'une part, qui discutent des mérites de mettre Tony au courant de leur liaison passée (et plus ou moins susceptible d'être ravivée), et entre Tony et Swann d'autre part, qui mettent au point le crime tel qu'il doit se dérouler.

Il est intéressant de constater que celui qui aurait pu être le héros d'un film plus classique, Robert Cummings, est laissé à l'écart par Hitchcock, alors que Ray Milland, bien que de toute évidence le criminel du film, reste absolument charmant, mettant au point tous les détails d'un crime dont il lui est facile de se distancier puisqu'il ne l'accomplira pas lui-même. Et Anthony Dawson, qui joue un homme qui a joué de malchance, reçoit ses instructions avec réticence. Tuer, il connait, il a déjà fait, et cela ne semble pas être de gaieté de coeur qu'il s'apprête à le refaire, d'autant qu'on le sait grâce à Hitchcock: Tuer est difficile, ce n'est pas à la portée de tout le monde...

Le metteur en scène, qui prétendait s'être contenté de filmer la pièce, s'est amusé à placer la caméra en seulement en fonction de la 3D (La scène du crime commence par un lent panoramique à 180°, afin de faire sentir l'espace à tout le public). La scène du crime lui-même est un modèle de ce qu'il faut faire avec la 3D, soit toujours moins, jamais plus... Mais Hitchcock place aussi son public en hauteur dans une scène qu'on pourrait imaginer prise directement telle quelle dans la pièce. C'est un plan-séquence, et Milland explique le déroulement de la soirée à Swann, le public est donc en hauteur, comme si les acteurs jouaient dans une fosse. Mais lorsque Margot montre des velléités de sortir, au lieu de rester sur place, permettant au crime de se tenir, nous en viendrions presque à trembler pour Tony! Comme d'habitude, Hitchcock s'amuse avec les frontières du bien et du mal dans ce film dont le héros après tout est un homme qui semble se chercher des excuses pour tuer sa femme! 

Le film est une oeuvre charnière, se situant entre la période Warner, parfois erratique, et la plénitude des années Paramount, pour laquelle il accumulera les chefs d'oeuvre. comme en plus, il tourne ici pour la première fois avec Grace Kelly, il est à l'aise, et le film passe comme une lettre à la poste. Un plaisir... Vénéneux, bien sûr!

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
18 décembre 2024 3 18 /12 /décembre /2024 21:53

Le catholicisme d'Hitchcock n'a probablement jamais été aussi amer que dans ce film austère et dépouillé, bien différent des oeuvres flamboyantes que le metteur en scène allai tourner à la Paramount dans les années suivantes; mal-aimé en raison de son manque d'humour, mal connu aujourd'hui (Après tout, il n'y a ni Grace Kelly, ni Cary Grant, ni la musique de Bernard Herrmann. Les repères manquent sans doute, le noir et blanc - magnifique - est un autre argument qui hélas joue contre le film!) I confess est pourtant bien plus qu'un intrigant interlude dans lequel le metteur en scène se tirerait une balle dans le pied en montrant sa star en prêtre ayant fait le voeu de chasteté...

Le film commence par une séquence d'une grande rigueur qui montre le metteur en scène en pleine possession de ses moyens: à Québec, au crépuscule, on suit un parcours fléché sous l'intrigante musique chargée en appréhension de Dmitri Tiomkin: des panneaux marqués "Direction" nous indiquent littéralement la marche à suivre... et pointent vers une fenêtre ouverte. La caméra y entre, et nous dévoile un corps à terre. La caméra ressort, et nous voyons une silhouette, celle d'un homme habillé d'une soutane, qui quitte la maison. Le plan suivant montre deux témoins, deux jeunes filles, qui ont aperçu l'homme. Celui-ci se rend ensuite à l'église la plus proche, et demande au prêtre, le Père Logan, de le confesser. Il lui avoue avoir commis un meurtre, celui d'un homme qu'il venait de dévaliser. Puis l'homme s'en va, et le père Logan, empêché par le secret de la confession, ne pourra rien révéler de l'entretien... Le meurtrier, Keller (Otto Hasse), est un Allemand réfugié avec son épouse Alma (Dolly Haas) après la guerre, et il travaille justement au presbytère, où il côtoie justement le père Logan (Montgomery Clift) tous les jours. Celui-ci, on l'apprendra bien vite, connaissait la victime. L'influent Villette avait en effet, quelques années auparavant, été témoin d'une relation entre le jeune homme qui n'était qu'un séminariste, et une femme mariée, la belle Ruth Grandfort (Anne Baxter). Il faisait chanter la jeune femme, et cela donne bien entendu au jeune prêtre un motif de le tuer... car bien sûr Logan ne pouvant absolument pas trahir le secret de la confession est vite le suspect numéro 1.

On le voit, Hitchcock confronte dans ce film sa propre vision de la culpabilité partagée des hommes, avec son propre catholicisme, qui pourtant n'est jamais aussi explicitement représenté dans son cinéma. Une critique assez répandue sur I confess est d'ailleurs qu'il est assez difficile à croire que Clift puisse être un prêtre, et Hitchcock a pour sa part dit que les Américains avaient rejeté le film à cause d'une incompréhension des protestants vis-à-vis du secret de la confession. C'est un peu court, à mon avis, d'autant que le film fait comme d'habitude preuve d'une vraie pédagogie à ce sujet!

Je crois plutôt que le rejet serait plus clairement du aux difficultés du public à accepter l'apparente inaction du personnage principal. Car Logan subit une vraie crise, à tous points de vue: il est trahi par Keller, qui sans jamais directement le dénoncer va tout faire pour que les soupçons se portent sur son confesseur. Il est trahi aussi par ses sentiments qu'il doit combattre, d'autant que Ruth n'est pas décidée à complètement abandonner la compétition pour le coeur du jeune homme! Il est enfin trahi par son implication, même indirecte, dans l'affaire: il ressent une part de culpabilité de savoir sans pouvoir s'en ouvrir, et par ailleurs de ressentir la délivrance grâce la mort de Villette, n'arrange rien: on peut dire que le principal motif pour l'inspecteur Larrue (Karl Malden) de soupçonner Logan est bien sûr le fait qu'on ressent inévitablement son trouble et son sentiment de culpabilité marqués sur son front dès qu'il est en face du policier!

A côté de Logan, le personnage de Keller est véritablement scindé en deux: d'un côté Monsieur, qui se confesse à son ami Logan dans la douleur, puis rentre chez lui et se sent si léger ("Dieu m'a pardonné"!) qu'il avoue le crime à son épouse sans aucun scrupule. De l'autre, Alma, qui va elle aussi, autant que le prêtre, ressentir la culpabilité de son mari, qu'elle ne peut dénoncer, de l'intérieur. Jamais la notion de culpabilité collective, du pêché de l'un dont la faute est partagée par tous, n'aura été aussi évidente chez Hitchcock.

Bien sûr, il y a des défauts, mais le manque d'humour parfois dénoncé ne me semble pas être à proprement parler si embarrassant. Après tout, le sujet ne prête pas forcément à la rigolade non plus. Et contrairement à Topaz, un autre film d'Hitchcock souffrant de cette absence d'humour, l'histoire au moins est passionnante! Et il y a une finesse d'observation chez Hitchcock qui le pousse à user d'un ton léger, notamment dans la description de la vie quotidienne du presbytère. C'est d'ailleurs amusant de constater à quel point les prêtres, dans la fiction, sont les protagonistes les plus à l'aise pour parler du trivial: ici, on débat d'un vélo mal placé, de la couleur des murs, comme si on devait résoudre une affaire de théologie compliquée!

Non, en revanche, Hitchcock a chargé avec une certaine méchanceté le personnage de Ruth, qui n'est pas qu'une oie blanche... Elle est assez ambiguë (Anne Baxter sera-telle toujours un peu Eve Kendall sur les bords?) voire manipulatrice: elle donne parfois l'impression de vouloir utiliser l'affaire et le scandale pour tester son mariage, et éventuellement reconquérir le père Logan. Lors d'un flash-back, elle apparaît comme une femme qui pourrait bien avoir utilisé un moyen de promotion assez classique... Bref, la misogynie légendaire d'Alfred Hitchcock, parfois, est plus qu'une légende. Mais la confusion sentimentale qui entoure les rapports de Logan et de Ruth reste un des aspects forts du film, car elle nous donne à voir la tempête sous le crâne du père Logan, et si jamais le jeune homme n'évoque explicitement le moindre doute quant à sa foi,on sait que ce lien avec une femme est sans doute son principal risque. Le chemin de croix (Rendu évident par une célèbre séquence) n'en sera que plus douloureux... Et qui mieux que Montgomery Clift pour incarner la douleur?

Et il ya un final d'une forme inattendue, fait de ruptures, de passage d'un procès à une scène de foule, d'un crime inattendu à un suspense lié à la présence du héros face à un homme qui risque de le tuer, de sacrifice et de vérité qui éclate en éclaboussant un peu plus les braves gens qui étaient prêts à montrer le héros du doigt. ...Et Logan trouvera le moyen de laisser la vérité se faire connaître sans trahir la loi de la confession, ce qui confirmera une bonne fois pour toute la pertinence de sa vocation.

Film sans doute mineur au regard de l'oeuvre exceptionnelle, I confess, avec la présence dans son titre de la première personne du singulier, est bien plus qu'une simple halte: il possède de nombreux aspects intrigants, en plus d'une élégance visuelle, due largement à l'utilisation impeccable du noir et blanc de Robert Burks. Ce sera, avant The wrong man et Psycho, l'antépénultième film du metteur en scène à ne pas bénéficier de couleurs, mais c'est tellement approprié pour cette sombre quête intérieure, entre une hypothétique mais significative libération par l'amour, et un doute qui gangrène la vocation, le tout sous la tension apportée par la culpabilité fondamentale de l'homme. Encore, toujours le péché originel...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
8 septembre 2024 7 08 /09 /septembre /2024 16:04

Celui de ses films qu'a longtemps préféré Hitchcock commence par une séquence qui utilise un motif qui reviendra: comme l'oeil d'un entomologiste, la caméra s'insinue à New York, visitant un quartier puis une rue, puis une maison, puis une fenètre, et enfin pénètre dans une chambre où un homme, allongé sur un lit, fume un cigare. A coté de lui, sur une table de nuit, des billets de banque...

On reverra ce dispositif, plus fluide encore, à l'ouverture de Psycho. dans les deux cas, il nous attire de suite l'attention sur un crime ou une faute (Dans Psycho, un adultère). On va donc très vite savoir que Charlie Oakley (Joseph Cotten) est un tueur de veuves, un Landru moderne, et que la police est à ses trousses. Il échappe d'ailleurs de peu à une confrontation avec deux détectives. Il prend la décision de partir vers l'ouest ou il va visiter la famille de sa soeur. Hitchcock nous invite donc à le suivre à Santa Rosa, Californie, et nous présente la famille de "l'oncle Charlie": sa soeur, aimante et aveugle à la nature profondément noire de son petit frère chéri, le beau-frère Joe, un banquier modeste qui trompe son ennui en discutant de criminologie et de meurtre avec son voisin Herb, les deux petits Ann et Roger et surtout la nièce préférée, qui s'appelle elle aussi Charlie. Mais si l'arrivée de l'oncle tueur va bouleverser la famille, c'est surtout la jeune charlie (Teresa Wright) qui va le ressentir: en effet, elle va découvrir la vérité sur son oncle, un homme qu'elle a toujours vénéré, et grandir de façon spectaculaire par la même occasion.

Charlie et Charlie: dès leur introduction, Hitchcock lie les deux membres de la même famille en les présentant dans la même position, pris dans une étrange connection télépathique... Alors que son oncle est en route pour Santa Rosa, la jeune Charlie qui s'ennuie, seule allongée sur un lit comme l'était Charlie Oakley dans sa chambre à New York, finit par aboutir à la conclusion que ce dont la famille (Et elle en particulier) a besoin, c'est de son oncle Charlie, pour les secouer un peu... Au moment d'envoyer un télégramme pour le faire venir, elle apprend qu'il est déjà en route. Cette connection entre eux (soulignée par un geste au début: l'oncle Charlie offre une bague à la jeune Charlie, un acte particulièrement chargé symboliquement) est l'élément principal qui précipite le drame: s'il dit souvent que Charlie est "sa nièce préférée", l'oncle sait aussi que la jeune femme est la plus à même de découvrir la vérité sur lui. Elle va en attandant se rendre compte assez vite que l'homme est un misanthrope, et un misogyne qui justifie ouvertement le meurtre de femmes inutiles dans une conversation à table, qui devient glaçante par l'utilisation d'un travelling lent et très précis, qui se termine sur le visage terrifiant du criminel...

La dualité entre les deux permet à Hitchcock d'explorer avec bonheur l'idée de l'intrusion du mal dans une famille Américaine aussi conventionnelle que possible (Certes, ils s'en défendent, et ils sont de braves gens, un peu excentriques, mais comme il en existe des milliers). Un Charlie est-il l'équivalent d'une Charlie? La jeune femme découvre avec effarement la proximité du crime, qui va de pair avec sa proximité avec l'oncle chéri... qui va vite devenir l'oncle dangereux, puis un meurtrier qui manquera par deux fois de la tuer.

Dans ce qui est le prototype de ses films noirs à venir, d'une rigueur impressionnante, Hitchcock observe une ville entière se mettre aux pieds d'un homme tellement flamboyant, si beau parleur, si séduisant, mais qui est le mal incarné. Je ne pense pas qu'il y avait chez le metteur en scène une intention de dénonciation des idéologies extrémistes en vigueur en Europe (Même si... le discours froid de l'oncle Charlie sur le fait de se débarrasser de vieilles dames inutiles, ou le plan qui voit le voyageur satisfait arriver et laisser toute sa famille courir devant avec ses valises, pendant que lui, l'homme supérieur prend son temps et flâne avec plaisir); il généralise, et fait de Charles Oakley le symbole du crime, qui nous est montré comme étant une possibilité dans des petites bourgades aussi normales et tranquilles que Santa Rosa: sans que personne ne s'en rende compte, le diable est arivé chez eux. Et quand il mourra, tout le monde le pleurera et lui fera même des funérailles en grande pompe, parce que dire la vérité, c'est admettre que le mal est partout, et ni la jeune Charlie ni son grand benêt de fiancé détective ne le souhaitent sans doute...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
30 août 2024 5 30 /08 /août /2024 22:09

On peut difficilement faire plus Hitchcockien que ce film merveilleux, l'un des chefs d'oeuvre du metteur en scène. Il se fait plaisir, avec une adaptation d'un livre, dont il a confié la mise en oeuvre à son épouse Alma, assistée de Joan Harrison; le roman Before the fact, de Francis Iles, avait presque tout pour intéresser Hitchcock: une intrigue classique située dans le sud de l'Angleterre, une narration à la première personne par une femme qui allait être la victime d'un meurtre, et le découvrait progressivement. Parmi d'autres mensonges du maître, naïvement colportés par François Truffaut, Hitchcock est supposé avoir regretté toute sa vie avoir "trahi" son idée initiale en changeant le personnage de Johnny Aysgarth qui dans son film devient innocent de tout crime. On ne croit pas une seule seconde à cette hypothèse: d'une idée amusante dans le roman, Hitchcock passe à une étude noire sur l'âme humaine, doublée d'un regard impressionnant sur la psychologie d'une femme qui a toute sa vie réprimé sa sexualité, et éprouve les plus grandes difficultés à y faire face...

Johnny Aysgarth, meurtrier potentiel et play-boy invétéré, ce sera donc Cary Grant, pour le premier de quatre rôles en or pour Hitchcock. Et face à lui, déjà sollicitée par Hitchcock pour Rebecca, on trouve Joan Fontaine dans ce qui est peut-être son meilleur rôle...

Lina, une jeune femme très comme il faut d'une famille respectable, rencontre le flamboyant Johnny Aysgarth, un play-boy aux manières déplaisantes... dont elle tombe amoureuse de suite. Sans trop attendre, et bien sûr contre l'avis des parents de la jeune femme, ils se marient, et commencent à vivre une vie de luxe, avant que Lina ne se rende compte que son mari n'a en réalité pas un sou... Et si son comportement irresponsable et insouciant ne l'inquiète pas trop, elle réalise assez vite que le tempérament de Johnny ne s'accommode ni d'un travail à plein temps, ni de plaies d'argent. Lorsque il se lance en compagnie d'un ami dans une affaire un peu louche, et que cet ami meurt d'une façon étrange, se peut-il que Johnny ait provoqué sa mort pour mettre la main sur ses parts? Et quand viendrait donc son tour à elle?

Oui, le film est nettement plus intéressant si le soupçon de meurtre n'est qu'un soupçon, et si tout, finalement, est dans la tête de Lina. Tout commence dans l'obscurité, de façon inattendue: on entend la voix de Cary Grant, et la lumière se fait: nous sommes dans le compartiment d'un train qui vient juste de passer sous un tunnel, et Johnny Aysgarth vient d'entrer là ou seule Lina se tenait. Elle lisait, et tout est fait pour nous la présenter comme une vieille fille typique: lunettes, tenue très austère, et un livre de psychologie sur les genoux. Mais Johnny, quand il la reverra, aura le coup de foudre: débarrassée de ses lunettes, à cheval, le sourire aux lèvres, Lina est une femme bien plus belle qu'elle n'y paraissait... Une bonne part de la première moitié du film est consacrée à cette métamorphose à caractère sexuel. Et Hitchcock fait jouer tous les éléments en faveur de la séduction de Lina par Johnny...

C'est pourtant le point de vue de Lina qui est l'unique vecteur de l'intrigue, et c'est ce qui donnera à la deuxième moitié, celle durant laquelle les soupçons s'installent, tout son intérêt: tout commence lorsque Aysgarth, sans émotion apparente, dit à son épouse que leur ami Beaky ne devrait pas boire de Cognac, car ça le tuera un jour: on passe de la comédie sentimentale, basée essentiellement sur l'embarras d'une jeune femme riche qui découvre la vie un peu dangereuse de son flambeur de mari, à un drame psychologique dans lequel une femme qui s'est donnée à un homme découvre des facettes de plus en plus inquiétantes de son caractère. Et la mise en scène d'Hitchcock se métamorphose de séquence en séquence, tendant inéluctablement vers une confrontation entre les soupçons de l'une et la vérité de l'autre, qui est aussi du même coup un test pour les sentiments de l'une et de l'autre.

La séquence la plus célèbre de ce film est bien sûr celle du verre de lait, durant laquelle Lina, qui s'est apparemment résignée à l'hypothèse que son mari veuille l'empoisonner, va se coucher pendant que Johnny va lui chercher la boisson. La maison dans laquelle la plupart des scènes se passent est un endroit très lumineux, mais qui sait devenir inquiétant à l'occasion. Cette scène est fabuleuse pour la science des ombres et de la lumière du metteur en scène, et bien sûr pour une idée simple, mais géniale: une source de lumière cachée à l'intérieur du verre de lait, et il nous est impossible de regarder autre chose... Tout le film brille d'une mise en scène assurée, sans aucun effet gratuit, qui joue sur les impressions, le non-dit, et utilise toutes les ressources du décor, et de l'intrigue... Voire les deux: une scène voit Lina recevoir des nouvelles de l'ami Beaky, et comme elle commence à soupçonner son mari, elle reçoit des policiers qui lui donnent un article de journal à lire. Ce qu'elle fait, mais non sans avoir chaussé ses lunettes, et pris place sous le regard inquisiteur d'un portrait de son très sévère père disparu, qui désapprouvait tant son choix de se marier avec Johnny Aysgarth. Elle redevient à cet instant la vieille fille à la sexualité réprimée... En confondant systématiquement ces deux aspects du personnages, Hitchcock nous livre une fois de plus un portrait époustouflant d'un personnage. Il nous fait part aussi de ses propres vues sur la sexualité féminine; on remarquera au passage que parmi les personnages qui "aident" Lina à comprendre, ou plutôt à se méprendre sur Johnny, figure Isobel, une amie autrice de romans policiers, qui a quelques habitudes masculines, et vit avec une femme. Comme toujours hélas, l'homosexualité est indissociable de l'erreur chez Hitchcock!

Mais quoi qu'il en soit, ce film magnifiquement construit, qui voit Hitchcock faire semblant de retourner en Grande-Bretagne, reconstruite en Californie (les matte paintings étaient nécessaires pour transformer le ciel radieux en univers nuageux...) est une oeuvre parfaitement maîtrisée, qui aboutit à une superbe étude du soupçon chez une personne autrement parfaitement sensée. Et nous, spectateurs, n'avons-nous pas eu les mêmes soupçons? Et n'en reste-t-il pas un peu au moment ou le mot fin apparaît? Ce film noir, élégant, est un plaisir sans cesse renouvelé, dans lequel on retrouve deux acteurs au sommet de leur art, et en prime la superbe musique de Franz Waxman.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir Cary Grant
22 août 2024 4 22 /08 /août /2024 18:06

Dans un cabaret New Yorkais, les artistes vivent et survivent... Parmi eux, Deborah Hoople qui répond surtout au nom de scène de Dixie daisy (Barbara Stanwyck) semble savoir plus que les autres ce que survivre veut dire. Elle qui subit les avances d'un comédien insistant ne se laisse pas faire car elle en a vu d'autres... Mais la rivalité entre les différentes divas du burlesque confine à l'hostilité pure et simple... Jusqu'au jour où l'une des stars du show, la plus méchante au passage, se fait tuer, étranglée par son string! ...Qui aurait pu aller jusqu'à l'assassinat?

...d'autant que tout le monde avait une bonne raison de le faire!

C'est un classique: un lieu de spectacle, des numéros à accomplir, et un meurtre qui va provoquer une enquête. C'est le principe de The last warning de Paul Leni, ou de Murder at the vanities de Mitchell Leisen. Dans le cas de ce dernier film, d'ailleurs, le show primait au point où le film en devenait presque un musical. Ce n'est pas tout à fait le cas ici, même si Wellman a eu l'intelligence de demander à la grande Barbara Stanwyck de s'impliquer dans un peu de spectacle: chant et danse... Bien sûr l'effeuillage est limité au maximum, on est en pleine période du code de production. 

Mais il est fort probable que c'est cet aspect de domaine interdit qui a attiré Wellman dans cette adaptation d'un roman noir de Gipsy Rose Lee dont le titre est plus qu'évocateur, tout en étant partculièrement appropprié: The g-string murders, soit Les meurtres au string... Il faut sans doute préciser que l'autrice était justement une actrice de burlesque elle-même. Ainsi, sous couvert de raconter une intrigue criminelle, dans laquelle la solution sera inévitablement crapuleuse, elle avait à coeur de faire partager l'expérience fragile du quotidien dans un tel environnement. Que le cinéma s'y intéresse n'était pas inévitable, tant le sujet devait faire peur aux studios, peu habitués à s'aventurer dans un tel sujet!

C'est d'ailleurs sous la responsabilité de Hunt Stromberg, un producteur indépendant, et avec un contrat de distribution de United Artists, alors moins regardants que les autres structures de diffusion d'oeuvres cinématographiques, que Wellman a pu obtenir le feu vert. Il a su trouver la façon de faire en liberté son film, en dosant au plus près et au plus précis la peinture franche d'un univers, et les épices les plus difficiles à faire passer. A noter qu'il a demandé (et obtenu) de Barbara Stanwyck un investissement particulièrement important, elle qui passe le plus clair de son temps dans des tenues plutôt suggestives. Pourtant le seul grief de l'administration de censure sera l'impotance du string dans les meurtres!

Au final, ce film extrêmement attachant qui nous montre un univers assez fermé, aux codes inattendus, est une incursion presque tendre, souvent drôle, de la part d'un homme qui ne se fait jamais d'illusions sur les apparences, mais qui sait la valeur des humains. Et il semble presque compléter un cycle ouvert par le méconnu You never know women...

 

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Published by François Massarelli - dans William Wellman Noir Barbara Stanwyck
21 août 2024 3 21 /08 /août /2024 08:52

Ce film est le premier à aborder un sujet qui est associé uniquement, aujourd'hui, à la Guerre Froide, il est le journal d'une défection... Et il est aussi le premier à aborder (voire définir) ce qu'était, justement, la Guerre Froide, dans une scène: le héros, agent et fonctionnaire zélé de l'Union Soviétique, questionne l'idée qu'on puisse être ennemis entre alliés face à la menace fasciste. On lui répond qu'il n'y a pas lieu de sympathiser avec les capitalistes... Un aveuglement qu'on pourra bien sûr retourner en affichant le même fanatisme de l'autre côté, il suffit pour s'en convaincre d'écouter les propos des candidats Républicains à l'élection présidentielle de 2024...

Mais revenons au film: Wellman a toujours affiché dans la dernière parti de sa vie un anticommunisme acharné, dont ce film est le point de départ. Il raconte la défection d'Igor Gouzenko (Dana Andrews), fonctionnaire à l'embassade d'URSS à Ottawa, en poste durant la guerre... Arrivé en petit soldat zélé, il a progressivement laissé le style de vie plus chaleureux infuser son existence, et a fait venir son épouse (Gene Tierney), qui l'a aidé à encore plus se laisser convaincre... Très vite, le couple s'est trouvé en danger...

Dans ce qu'il a voulu traiter comme une chronique très claire et directe des événements, Wellman s'est de lui-même trouvé emprisonné dans un de ses traits narratifs les plus remarquables: cette propension à laisser de côté des événements, des aspects attendus qu'on ne montrera justement pas. Ici, il a choisi de ne jamais montrer directement les Soviétiques en action, autrement que dans leur paroles et attitudes. On ne verra jamais de torture, ni punition... On n'est pas dans un film de John Wayne! 

Mais le film en devient sec, austère, et avec Andrews et Tierney en transfuges soviétiques, je ne surprendrai personne si je dis qu'on a du mal à y croire! Le traitement en film noir, bénéficiant du savoir-faire des techniciens de la Fox,  est esthétiquement engageant, mais ce récit vaut sans doute surtout par un final en crescendo dans lequel les deux héros sont menacés d'un risque tellement invisible que personne n'y croit. Une sorte d'anticipation sur les flms de science-fiction anticommunistes dont Hollywood allait faire une spécialité...

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Published by François Massarelli - dans William Wellman Noir
1 juillet 2024 1 01 /07 /juillet /2024 15:47

A Londres, en 1929, juste un jour comme les autres pour la police: appréhension d'un coupable, manquement de délit de fuite, arrestation, interrogation... Un jeune détective (John Longden) retrouve sa petite amie (Anny Ondra), et ils sortent... Mais aussi se disputent. Il faut dire que la jeune femme a une idée derrière la tête: elle passerait bien un peu de bon temps avec un autre homme. Celui-ci la ramène chez lui, mais ils ne sont pas d'accord sur la marche à suivre, et elle le tue alors qu'il tente de la violer. Elle part chez elle, hagarde, et se réveille pour apprendre qu'il y a eu un meurtre dans le quartier; et non seulement elle a laissé suffisamment de traces de son passage pour que son fiancé comprenne qu'elle a fait le coup, mais en plus il y a eu un témoin (Donald Calthrop), et celui-ci a décidé de la faire chanter...

Film muet, film parlant? A en croire Hitchcock, il avait commencé ce film en muet, et a paré à toute éventualité en préparant chaque scène pour une hypothétique synchronisation... Pas sûr que ce soit la vérité, car j'imagine que la production d'un film parlant devait quand même, au moment de redéfinir complètement les contours du métier, mais aussi les studios, le matériel, etc, prendre un peu de temps, un peu de planification, et disons un peu de réflexion aux dirigeants d'un studio! et du reste, la compagnie British International Pictures a tout bonnement sorti les deux versions du film simultanément: la version parlante pour Londres, mais aussi pour se pavaner dans les festivals et aux Etats-Unis, où la transition du muet vers le parlant était déjà bien avancée; et la version muette pour le reste du monde.

Je pense que c'est justement cette version silencieuse qui a été vue le plus en cette année-là, mais jusqu'à une date récente, c'est malgré tout la version parlante qui faisait foi. Les différences sont infimes, et une bonne part du film parlant est effectivement une "redite" du film muet. Le début du film, pendant une dizaine de minutes, est d'ailleurs de fait totalement muet, avec accompagnement musical sur bande-son. Les différences se font sensibles sur deux scènes: celle du meurtre, qui se voit ajouter un accessoire intéressant avec un piano, et celle, célèbre, dans laquelle le mot "knife" est prononcé tellement de fois devant la coupable, qu'elle en perd le reste du dialogue...

La version parlante est riche en superbes idées, mais possède un défaut rédhibitoire: le son. Pas au point, bien sur, on est en 1929... Mais le film reste vraiment très intéressant, ne serait-ce que par le naturel (Relatif) des débits et des accents. Il y a quand même un souci de rythme, et une ou deux scènes qui traînent inutilement en longueur. Mais on peut noter que si la version muette est clairement supérieure, elle n'est qu'à peine plus courte! Et l'essentiel du film est là dans les deux, avec cette histoire de jeune femme qui, cette fois-ci, est bien coupable de meurtre! Que celui-ci soit justifié ou non importe peu finalement, car d'une part le film développe quand même une situation propre à alimenter la misogynie (un défaut qu'Hitchcock n'est pas près d'abandonner!), et d'autre part on peut quand même se demander quelle était la motivation de cette jeune femme, pour abandonner son fiancé, et venir chez ce peintre! Mais, et ça, le metteur en scène le sait déjà, le public se fait avoir dans les grandes largeurs: oui, elle a tué, et que ce soit légitime ou non importe peu: nous sommes désormais de son côté, instinctivement... Comme son fiancé qui va tout faire pour qu'elle se disculpe. Ce qui nous arrange, c'est qu'il y a bien pire qu'elle, et on peut applaudir la prestation de Donald Calthrop en maître-chanteur, il est fantastique!

En fait, en se frottant pour son dixième film à une nouvelle histoire policière à suspense (Et ce n'est que la deuxième fois après The Lodger), Hitchcock retrouve une situation qui le motive, qui lui permet d'organiser ses idées visuelles, les rendre très efficaces, et faire ses gammes: il joue avec le son pour passer d'une séquence à l'autre (La découverte du corps, un procédé qui reviendra dans The 39 steps), il imagine des visions délirantes (La jeune femme pour laquelle les enseignes lumineuses "rejouent" la scène du crime), et il utilise avec une maestria impressionnante le procédé Shüfftan pour faire croire au spectateur que'une scène de poursuite a été tournée au British Museum! Bref, il s'amuse, beaucoup plus que dans The Manxman, ou Champagne et on sait combien c'est important pour ce réalisateur! Et tout en nous attirant dans ses filets pour nous obliger à endosser une part de responsabilité dans un crime en en développant le suspense, il nous montre le renoncement d'un homme, un policier qui est désormais motivé pour que la vraie coupable d'un meurtre ne se fasse pas prendre! 

Avec ce film, certes, le cinéma Britannique fait brillamment le passage vers le parlant, mais Hitchcock, lui, trouve enfin sa vocation.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir Muet 1929 **
26 juin 2024 3 26 /06 /juin /2024 08:48

Le Docteur Alex Cross (Morgan Freeman) est un inspecteur et psychologue basé à Washington. Il décide d'aider sa famille dans une affaire de disparition: sa nièce, en effet, est portée disparue dans le cadre d'une affaire d'enlèvements en série, et on a trouvé plusieurs corps de victimes... Il se rend en Caroline du Sud,autour de l'université, et mène l'enquête, pendant qu'une jeune femme médecin, Kate McTiernan (Ashley Judd) est enmevée à son tour. Mais elle parvient à s'évader...

C'est l'une des belles idées, qui permet d'ailleurs au film d'échapper à l'accusation de surfer sur le succès de Seven! Car le film de Fincher se tenait strictement dans le point de vue des enquêteurs, opposant les visions et méthodes sérieusement différentes de Brad Pitt et Morgan Freeman... Ce film en revanche va unir les points de vue de Kate McTiernan, victime mais pas du tout potiche, et d'Alex Cross.

Et un fantôme inévitable va se manifester, qui donne tout son sens au fait qu'Alex Cross se devait d'être un Afro-Américain: si le film se déroule en mettant en parallèle (de façon très embrouillée, si vous voulez mon avis) deux enquêtes, l'une à l'est, l'autre en Californie, une des clés du film reste strictement localisée en Caroline, dans le Sud, donc, dans une maison de l'horreur dont les fonctionnalités remontent à l'esclavage et à la Guerre Civile. Bref: on n'en sortira jamais...

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Published by François Massarelli - dans Noir