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En Angleterre, dans une petite paroisse bien comme il faut, John Carteret (Brian Aherne), un homme d'un certain âge, s'oppose à l'envie de sa fille adoptive d'origine Irlandaise, Kathleen (Jeanette MacDonald) de se marier: elle est amoureuse d'un Américain, Kenneth (Gene Raymond). Carteret est pourtant lui-même hanté, littéralement, par un amour disparu: la propre tante de Kathleen, Moonyean Clare (Jeanette MacDonald) est décédée tragiquement...
Moonyean Clare se manifeste très vite dans le film, tant Carteret est obsédé par son souvenir: elle apparaît au bout de queques minutes, sous la forme d'un fantôme, du moins c'est ainsi que Carteret en reçoit la visite. Le choix de faire de Jeanette MacDonald l'actrice pour la tante comme pour la nièe, dresse un parallèle entre elles, qui tend à prolonger cette impression d'un cercle de famille incomplet, fragile et dominé par le souvenir insistant d'une femme disparue. Borzage utilise la musique, en montrant Carteret accompagnant sa nièce au piano, quand celle-ci est une enfant, et la même chanson permet un voyage dans le futur, et à la fin c'est Jeanette MacDonald, assise au piano, qui finit l'interprétation de l'air... Une jolie idée, qui prolonge le quasi-fantastique de l'apparition citée plus haut...
La première apparition de Gene Raymond sera également traitée avec des ingrédients spéciaux: Kathleen, accompagnée d'un ami, Willie (Patrick O'Moore), se réfugie dans une demeure qu'ils croient abandonnés, quand ils sont surpris par la pluie. L'arrivée de Kathleen dans la maison semble la raviver... Là encore, on voyage dans le temps, puisque la maison semble ne pas avoir vécu depuis 1868 (date d'une lettre poussiéreuse posée sur la table)... Mais elle est pourtant habitée: pendant qu'ils y sont, Kenneth Wayne, descendant américain des anciens propriétaires de l'imposant manoir, fait son apparition... Sous son costume moderne, son apparence ne fait aucun doute, il est le sosie d'un ancien châtelain, dont le portrait sécère est bien en évidence...
Un lien s'établira entre John Carteret et son amour perdu, et le jeune wayne, à travers l'ombrageux Jeremy, le père de ce dernier, qui a une part importante de responsabilité dans le décès de la tante de Kathleen...
Dès le départ, et donc en une vingtaine de minutes, Borzage a établi une sorte de confusion ordonnée entre passé et présent, entre la tante disparue tragiquement, et la nièce un peu trop romantique pour son père adoptif... Aussi souvent que possible, il utilise la musique d'une façon beaucoup plus diégétique que la comédie musicale classique, intégrant ses chansons (Jeanette MacDonald oblige) dans le continuum de l'intrigue, en en faisant d'authentiques chansons, inteprétées dans un cadre réaliste. Ce n'est pas, il est vrai, son premier musical: mais ses efforts précédents dans le genre (Flirtation walk et Shipmates forever) étaient des oeuvres de commande sans âme ni intérêt.
Mais ici, il se retrouve, d'une certaine manière, chez lui, dans cette histoire exaltée d'amour sur deux temporalités, qui ous rappelle d'ailleurs vaguement Wuthering heights d'Emily Brontë, mais si c'est volontaire, c'est bien caché... Et les amours compliquées de Kenneth et Kathleen vont se prolonger sur fond de guerre, alors que lui est soldat blessé (ce qu'elle ignore) et elle engagée, de son côté, dans les auxiliaires féminines. Typiquement, Borzage garde les conflits armés au loin, ayant toujours la guerre en profonde horreur... mais il nous montre les conflits intérieurs entre les deux amants, et surtout, il nous montre le sacrifice de Ken, qui vient rendre visite à la femme qu'il aime, mais lui cache sa blessure, avant de la traiter avec une froideur feinte..
C'est le premier film en couleurs de Borzage, qui utilise ici le Technicolor devenu de plus en plus courant dans les productions de prestige de la MGM. Qu'il soit un musical, et en couleurs en plus, ne pouvait que pousser Louis B. Mayer, qui veillait jalousement sur la production de films de prestige pour toute la famille, à en superviser la production de façon importante. C'est ce qui fait qu'on est quand même devant un film MGM avant tout, qui plus est la troisième version de la même histoire après les deux versions réalisées par Sidney Franklin (1922, avec Norma Talmadge, puis 1932 avec Norma Shearer et Fredric March). Mais contrairement à ce qui s'est passé à la Warner, où Borzage a payé ses films plus intéressants avec deux abominables purges (les deux films cités plus haut), ici, il y trouve au moins la possibilité d'y expérimenter son sens du fantastique, et sa passion pour l'expression cinématographique du sentiment...
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