Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

15 septembre 2023 5 15 /09 /septembre /2023 21:26

Les années 50: dans un quartier de Manhattan condamné à plus ou moins brève échéance (un panneau devant les ruines de vieilles maisons insalubres qui ont déjà été détruites annonce fièrement la construction du Lincoln Center), les jeunes Américains défavorisés s'affrontent: d'un côté, les Jets, les petits voyous blancs, qui revendiquent haut et fort leur mainmise sur le quartier, ce qu'ils affirment comme un droit inaliénable, obtenu par leur naissance sur place; de l'autre, les Sharks, la bande des garçons Porto-Ricains, arrivés massivement dans les années 50 sur la métropole, et qui eux aussi revendiquent leur citoyenneté, ce que les autres refusent de reconnaître... Fatigués, les policiers comptent les points entre cynisme et curiosité. Les jeunes Porto-Ricaines, plus désireuses que leur frères et fiancés de s'assimiler, restent aussi sur la touche. C'est dans ce contexte qu'à la faveur d'un bal organisé par des organisations de charité, Tony (Ansel Elgort), l'ancien Jet qui a fait de la prison, rencontre Maria (Rachel Zegler), la jeune soeur de Bernardo, le caïd des Porto-Ricains. Le coup de foudre est instantané, les ennuis aussi...

Ce n'est que la troisième fois que Spielberg effectue un remake; la première fois, c'était avec Always en 1989, un film mineur adapté d'un pur film de studio, A guy named Joe, réalisé en 1943 par Victor Fleming). Puis il y a eu War of the worlds en 2006. C'est significatif, d'autant que jusqu'à présent, Spielberg a surtout fonctionné en références aux genres plutôt qu'à des films particuliers. Il aurait pu, par exemple en lieu et place de 1941 ou Raiders of the lost ark, refaire n'importe quelle comédie musicale ou n'importe quel film d'aventures, mais il a toujours préféré réaliser des oeuvres originales, même si parfois il y glissait des bribes d'autres choses, comme des péripéties de The lost world (1997) qui faisaient furieusement penser malgré l'intrigue très différente à The lost world, l'adaptation de 1925 d'un roman de Conan Doyle... Mais avec West Side Story de Robert Wise, on s'attaque à du lourd, du mythique même, et ce à plus d'un titre: le film d'abord, réalisé par Wise suite à un immense succès sur Broadway, qui lâchait (ou semblait le faire) dans un New York contemporain les bandes rivales qui s'affrontaient sur fond de désoeuvrement, de crise identitaire et d'histoire d'amour mal partie; l'oeuvre théâtrale ensuite, qui avait été simplifiée voire édulcorée afin de cadrer avec le code Hays, et qui cette fois en 2020 pouvait être abordée plus frontalement.

Plus que jamais, c'est Romeo and Juliet, ce que Spielberg a souligné de façon plus nette encore que dans le film de 1961: l'intrigue de  la pièce de Laurents, Sondheim et Bernstein ne faisait pas mystère d'avoir été entièrement créée dans le moule de la tragédie de Shakespeare, mais le parler contemporain, l'environnement urbain et les circonstances socio-économiques étaient utilisées pour le gommer, pour fondre la tragédie dans les années 50-60. L'idée maîtresse de Spielberg est de garder le socio-économique en étant plus réaliste encore, tout en soulignant sans aucune ambiguité la provenance initiale de la tragédie, parfois en faisant directement référence au texte de Shakespeare. Oui, car (et j'imagine que ça a été critiqué) le dialogue du film a été réécrit, justement parce qu'en 2021, il y a des choses qu'un film peut afficher sans complexe, mais qui était impossible en 1960. Les personnages de cette nouvelle version ONT une sexualité, elle est affichée sans qu'on puisse s'y tromper. 

Ils SONT aussi, et sans ambiguité là non plus, Porto-Ricains ou Polonais, Italiens ou Cubains. C'était je pense une nécessité absolue principalement pour les personnages d'origine Hispanique, et en maintenant cette exigence ethnique sur le casting, Spielberg s'est rajouté une difficulté supplémentaire, car il a fallu recruter à tour de bras des acteurs-chanteurs-danseurs... Et le pari est plus que réussi. A Natalie Wood et George Chakiris viennent désormais se substituer Rachel Zegler (d'origine Colombienne), Anita DeBose (d'origine Portoricaine) ou David Alvarez (Canadien, d'origine Cubaine). L'énergie dont ils font preuve est complétée par l'authenticité culturelle. Cette exigence n'est jamais que décorative dans le film, puisqu'il est évident qu'au-delà du projet personnel fou de Spielberg qui voulait donner à voir, dit-il, une nouvelle version d'un des spectacles préférés de son père, le film se veut une nouvelle parabole sur l'état des Etats-Unis ou du monde à l'issue de quatre années de délire trumpiste... Dans ces conditions, le choix de restituer fermement à ses personnages leur vraie dimension culturelle et ethnique fait sortir le film du pittoresque pour lui donner une dimension de tragédie ancrée dans la réalité. Un tour de force, après tout, pour une comédie musicale...

En choisissant de garder l'intrigue dans les années 50, Spielberg permet au jazz et au cinéma de se mélanger en toute cohérence, et ne se prive pas de demander à ses acteurs d'évoluer dans une reconstitution à l'authenticité indéniable des quartiers de New York; mais il permet aussi d'éclaircir la lecture socio-économique de son intrigue, sans la polluer de façon excessive par un recours au monde des années 2020. Puisque le monde s'enfonce dans le brouillard ethnique et raciste des années 50, autant y retourner, donc... Ce qui n'empêchera pas le couple de Tony et Maria de poser les bonnes questions et d'apporter les bonnes réponses, mais pour le reste de l'humanité présente sur le film, il n'y a pas de doute: c'est chacun chez soi, chacun pour soi, et tout le monde contre tout le monde. Une simplification donc, qui sert le propos, puisqu'on sait que la lecture contemporaine du monde simplifie tout à l'extrême et que désormais ce qui marche en toute circonstance c'est le "nous" contre "eux", voir à ce sujet les incidents de Charlottesville, les réactions de la droite Américaine à Black Lives Matter, la politique de Poutine et son invasion (motivée par une propagande qui souligne la noblesse de la démarche, si "nous" ne sommes pas coupables, alors forcément c'est "eux"), la montée (relative et pour l'instant enrayée mais sachons nous méfier) d'un nouveau candidat aux idées ouvertement fascistes en France, présenté comme le sauveur face à l'obscurantisme, ou enfin la simplification des forces politiques autour des Musclor de tout poil: Bolsonaro, Orban, Poutine ou Le Pen...

Donc le film, en soulignant les années 50 rend beaucoup plus facile la peinture de nos années troublantes. Ce qui le situe en droite ligne de ses films les plus "sérieux", les oeuvres épiques (Empire of the sun) romanesques (The color purple, The war horse) ou historiques (Schindler's list, Amistad, Saving private Ryan, Munich, Lincoln, The Bridge of Spies ou The Post).

Et à partir de tous ces ingrédients, Spielberg réussit là où on attendait parfois un ratage par trop de précautions. Après tout, c'est un peu son habitude, celle de réussir l'impossible, ce dont il a fait une marque de fabrique (j'ai toujours pensé que son péché mignon était précisément rendre visible ce qui était impossible). Cette virtuosité se conjugue ici à un sans faute à tous points de vue: le film est respectueux des différences et de la vérité des comportements, montre clairement deux mondes s'affronter mais souligne les parcours individuels; la tragédie musicale s'effectue sous nos yeux et à nos oreilles avec une énergie constante, et reprenant génialement à son compte les déambulations dans les quartiers de New York, et en permettant aux danseurs de se cogner allègrement dans le décor, mais cette fois la caméra est au plus près de l'action: toutes les scènes sont basées sur une utilisation du cadre, du mouvement d'appareil, du placement aussi de la caméra (le bal, en particulier, avec une utilisation magistrale de la technique du motion control pour nous montrer un vrai, un beau coup de foudre), qui nous rappelle que Steven Spielberg est l'un des plus grands (non, LE plus grand, assez de faux semblants) de la première génération des cinéastes innés, ceux qui sont nés dans un monde dont le cinéma était déjà la principale activité culturelle et en ont développé une connaissance profonde et naturelle... Ici, ça se voit, si on y prête attention, sans qu'il y ait ce besoin irrépressible et ridicule de bouger la caméra pour bouger la caméra (hello, Peter Jackson)... Et sinon, narrativement tout le monde y trouve son compte. Les acteurs sont tous danseurs, chanteurs, et le naturel est permanent; le film est remarquable aussi en élargissant significativement la thématique des errements du "nous contre eux" dont je parlais plus haut: non seulement le film illustre les égarements de l'affrontement ethnique, mais aussi (déjà présent dans le texte original avec la splendide chanson America) un affrontement des genres, avec deux sensibilités qui se font face: les hommes perdus dans leur lutte identitaire à coup de barres de fer, les femmes désireuses de s'assimiler... Une lutte des sexes parfois drolatique, qui débouche tout à coup sur le drame lorsque Anita (Ariana DeBose) va se faire violer par les Jets en colère... puis on se rendra directement vers la tragédie.

Un personnage qui a fait couler beaucoup d'encre contre lui est celui de Buddy Boy, qui apparaît dans le contexte des années 50 comme la fille qui refuse de ne pas être un garçon, un personnage trans qui refuse la binarité donc. Certains pays ont réagi par de la censure, et d'autres ont condamné une manipulation qui serait hors de propos ou hors contexte. Mais de même que d'accepter des sexualités différentes en 2020 n'empêche pas l'homosexualité, par exemple, d'avoir toujours existé (il faut être un tout petit triste sire comme Eric Zemmour pour s'imaginer que le monde est en proie à une soudaine "mode LGBTQ"), le personnage d'Anybody (iris menas), rejeté par tous, en particuliers par ses pairs, les garçons qui se reconnaissent dans les Jets, est une façon de souligner la complexité du rejet. Une façon qui n'a rien de binaire, dans un monde qui cherche désespérément à le rester... En développant le personnage de "garçon manqué" dans cette direction, le film achève de relier les deux époques.

Bon, on l'aura compris, ce film qu'on n'a pas forcément vu venir, dont la nécessité n'apparaissait pas de prime abord, est en réalité un chef d'oeuvre de son auteur, un film qui coche toutes bonnes cases certes, mais qui le fait avec naturel. En reprenant l'actrice Rita Moreno qui interprétait Anita dans le film de Wise et Robbins, en soulignant au générique final la proximité avec celui de 1961 (ici, les noms viennent se surimposer sur des plans de murs, portes, ruines, autant d'éléments rouillés, poussiéreux ou en lambeaux; l'original montrait dans son générique des murs surchargés de graffiti, qui étaient bien sûr les crédits des protagonistes et techniciens du film) , Spielberg nous rappelle d'où vient son film. Un remake qui n'oblitère jamais l'original, mais qui part avec bonheur dans de nouvelles directions, la principale étant de se situer paradoxalement dans notre monde à tous, tout en étant furieusement situé dans les années 50 à partir d'une intrigue née en 1594. Un film à la sensibilité à fleur de peau aussi, qui culmine dans une représentation déchirante d'un amour fou qui est arrêté en plein vol. Un film majeur de Steven Spielberg.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Musical Steven Spielberg Danse
18 février 2023 6 18 /02 /février /2023 11:02

Paris, 1900, on fait la connaissance de Gigi (Leslie Caron), fille d'une cantatrice (qu'on ne verra jamais) et dont l'éducation a été largement confiée à sa grand-mère (Hermione Gingold) et sa grand-tante (Isabel Jeans). Ces deux-là sont des légendes du tout-Paris, des cocottes, ou demi-mondaines: pas des prostituées, non, mais des poules de luxe, des femmes dont le destin évident est d'être entretenues. Et justement, Gigi est éduquée dans ce sens...

Nous faisons aussi la connaissance de Gaston Lachaille (Louis Jourdan), le neveu d'Honoré Lachaille (Maurice Chevalier): Gaston est riche, établi, séduisant, mais tout l'ennuie... Sauf les conversations avec Gigi. Sous l'oeil d'Honoré, rompu aux coutumes de la bonne société (c'est-à-dire grand séducteur lui-même, et constamment vu aux bras d'une ravissante créature ou deux), les deux jeunes gens s'aiment, mais sans nécessairement s'en apercevoir. Leur amour triomphera-t-il des convenances paradoxales d'une société qui accepterait d'eux qu'ils aient une certaine promiscuité, mais pas qu'il se marient?

Je vais le dire de suite: je n'ai jamais adhéré à ce film, qui a tout du chef d'oeuvre officiel: Oscar 1958 du meilleur film, récompenses en pagaille, sélection automatique au festival de Cannes, et un pedigree impressionnant, en tant que dernière superproduction musicale de Arthur Freed pour Minnelli (leur unique collaboration ultérieure, Bells are ringing en 1960 serait nettement plus modeste), et par dessus le marché des extérieurs systématiquement tournés à Paris... 

Le choix de Minnelli pour le tourner s'imposait, en raison des affinités (déjà explorées partiellement dans An American in Paris) du réalisateur pour la période de l'impressionnisme, et la profonde marque de ce style sur l'imagerie du Paris de 1900... Et c'est d'abord en tant que peintre que le metteur en scène a conçu son approche sur ce film, aux costumes, comportements, et jusqu'aux coiffures, impeccables. Cette histoire qui a tout pour être scandaleuse mais ne l'est pas tant que ça, passe d'abord par les salons, où l'on se montre, et les rues, où l'on voyage en voiture à chevaux. On a rarement aussi bien montré une période au cinéma, et avec tant de goût.

Mais voilà, on a beau dire, on a beau faire, impossible de s'intéresser à Gigi et Gaston, impossible de ne pas bailler d'ennui, sauf quand un détail nous fait relever la tête, comme ces soudains arrêts de eu chez Maxim's, qui accompagnent le boniment de l'oncle Honoré, montrant qui s'affiche avec qui... Ou ces quelques conversations relevées entre Isabel Jeans, survoltée, et le reste de l'humanité... Les chansons lassent, le ton très "chic Parisien, revu et corrigé par Hollywood", agace, et l'accent Français de certains protagonistes me hérisse le poil. Donc c'est beau, pas plus.

Mais c'est déjà ça, non?

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Musical Vincente Minnelli
18 décembre 2022 7 18 /12 /décembre /2022 16:52

Une compagnie propose à ses clients de répondre à leur place, de passer des messages, et une de ses standardistes, Ella, a pris l'habitude de rendre des services à ses clients  parce qu'elle est bonne comme le pain (comme on dit): elle tombe amoureuse de l'un d'entre eux... Et ça tombe mal parce que la police soupçonne (à tort) que le service est une couverture pour un réseau de prostitution... Pendant ce temps, un escroc tente de se servir de la compagnie pour faire passer des paris illégaux...

Bells are ringing est la réunion de la MGM et de l'immense succès de Broadway de Judy Holliday, dont les chansons avaient été écrites par Comden et Green. plus encore: c'est la toute dernière collaboration musicale de Minnelli avec Arthur Freed pour la MGM!! Et le résultat est...

...Sympathique.

Judy Holliday est l'héroïne, donc, et elle est particulièrement atypique. A la fois douée pour un comique verbal et farfelu, ponctué de gestes incohérents en apparence mais qui à chaque fois sont motivés par ses émotions, elle est constamment intuitive. Je ne sais pas si son style était si approprié pour travailler avec un metteur en scène aussi porté sur le contrôle de ses films que Minnelli... L'actrice fait partie de ces météores, ces artistes partis trop tôt parce qu'ils se sont détruits, parce qu'ils étaient malades, ou qu'ils étaient incorrigibles dans leurs associations. Holliday, pour sa part, était malade (Un cancer, dont elle souffrait déjà lors du tournage de ce film semble-t-il), se détruisait (L'héroïne, la cocaïne, et tout un tas d'autres saletés), et le faisait en compagnie d'un incorrigible junkie, Gerry Mulligan, qui d'ailleurs joue dans ce film.

...Il est amusant.

Elle aussi, parfois, parce qu'elle a quand même tendance à prendre toute la place.

Comden and Green, on ne les présente bien sur plus: d'ailleurs ici, il y a des chansons monumentales, comme The party's over. Ou Just in time, interprétée par Judy Holliday avec Dean Martin.

...Il est saoul.

Tout le temps, et ça se voit.

Et pour finir, on se fait la réflexion: Minnelli, c'est The bandwagon, The pirate, Lust for life, The bad and the beautiful... et Gigi: Oscar du meilleur film en 1958. Au milieu de cette galerie prestigieuse, cet étrange petit film si différent, à la loufoquerie parfaitement assumée (ah, la chanson consacrée au name-dropping!) fait figure de vilain petit canard, ce qui finalement n'est pas si mal!

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Vincente Minnelli Musical
17 décembre 2022 6 17 /12 /décembre /2022 23:22

Tony Hunter (Fred Astaire) était un grand nom du show business dan les années trente, mais il est fini... Lassé d'Hollywood qui est manifestement lassé de lui, il rentre à New York et retrouve ses amis les Marton: Lester (Oscar Levant) est compositeur et Lily (Nanette Fabray) écrit des paroles... Ils ont un projet énorme, une comédie musicale qui mettrait en vedette Tony, et qui serait mise en scène par le nouveau prodige de Broadway, Jeffrey Cordova (Jack Buchanan); celui-ci a des idées folles pour le spectacle, ce qui laisse Tony sceptique: une vision sombre, peu compatible avec le style de comédie musicale qui a rendu Hunter célèbre; une intrigue qui louche sur Faust... Et surtout une co-star qui pose un gros problème à Tony: Gabrielle Girard (Cyd Charisse) est en effet une ballerine, et pour le danseur de claquettes, c'est une source de complexes... 

Alors bien sûr que la vision délirante de Cordova sera un désastre, bien sûr que le couple Marton manquera de se déchirer sous la pression de l'intensité des répétitions, et évidemment qu'entre Hunter et Gabrielle, ça n'ira pas du tout, les deux ayant épouvantablement peur de l'autre, Gaby de la stature légendaire de Tony et Tony du savoir-faire de danseuse classique de Gaby... Ils ne s'entendront tellement pas qu'on n'aura aucune peine à voir l'alchimie amoureuse entre eux! ...et du désastre naîtra un succès énorme.

Mais ce que raconte vraiment le film, ce n'est ni le succès ni l'échec, c'est la camaraderie, la solidarité des gens de spectacle, leur capacité à travailler ensemble y compris quand ils le font pour de mauvaises raisons (l'égo surdimensionné de Jeff, le conflit matrimonial des Marton ou bien sûr la rivalité des deux stars qui cache bien mal leur amour gauche...). Le film part d'un constat, celui qui admet qu'une star, justement, a des hauts et des bas. L'intelligence du film est d'une part dans le fait d'utiliser la situation réelle de Fred Astaire, totalement lessivé et remplacé par aussi bien Gene Kelly que Frank Sinatra; on utilise aussi le talent phénoménal de Cyd Charisse, repérée l'année précédente dans une scène fabuleuse de Singing in the rain: pas besoin de doublure quand elle danse... et d'autre part, ici, le bon vieux truc de scénario qui consiste à faire raconter à un film la mise en route d'un projet de spectacle (Gold diggers of 1933, 42nd street, Footlight parade ou encore Give the girl a break sont tous passés par là) est poussé dans ses derniers retranchements avec la présence écrasante de Jeff Cordova qui permet de prolonger la réflexion sur l'évolution du monde du spectacle entamée par la présence d'un vétéran face à une nouvelle venue... 

Et on se retrouverait,  rien qu'en s'en tenant au script, face à un film très complet, mais voilà: les stars d'une part, tous absolument géniaux, et parfaits dans leurs rôles, la musique ensuite (due comme le script à Betty Comden et Adolph Green, et ils ont vraiment mis le paquet: chef d'oeuvre après chef d'oeuvre), et une chorégraphie splendide (Fred Astaire n'est pas Gene Kelly, il a donc fallu faire appel à Michael Kidd qui a su trouver les chorégraphies idéales pour ce petit monde recréé en studio: Kelly n'aurait jamais voulu!), tout se conjugue sous la direction habitée de Minnelli et concourt à accomplir un film dans lequel le monde du spectacle se moque gentiment de lui-même, avec goût, exubérance, et un talent qui explose partout, tout le temps. Comment s'étonner après qu'on le considère comme un tel chef d'oeuvre? Le film est drôle, prenant, sensible et joyeux. Enivrant, sans les effets secondaires d'une boisson alcoolisée, on n'a donc pas besoin de le consommer avec modération, au contraire.

Minnelli, parfaitement à son aise dans ce film, nous rappelle à quel point il avait du talent pour ce genre, auquel il apporte non seulement énergie, une direction d'acteurs sans faille, et sa palette légendaire, avec ce goût prononcé pour les couleurs primaires, et le chic pour en affubler son actrice principale... C'est donc l'un de ses meilleurs films et l'un des meilleurs musicals de la grande époque. 

Car comme disait (presque) Shakespeare:

The world is a stage, the stage is a world of entertainment...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Vincente Minnelli Musical
5 décembre 2022 1 05 /12 /décembre /2022 17:42

Un prince de sang royal se meurt au Portugal... Il se remémore sa jeunesse: son désir (c'est le mot) d'être pompier, puis ses premiers pas dans la carrière sous la supervision d'Alfonso, et enfin la découverte de l'amour auprès de ce dernier...

C'est un moyen métrage taillé pour la télévision, et dont une version longue a été montrée à Cannes, ainsi qu'en salles, déclenchant des critiques embuées, et globalement s'il fallait suivre les Inrockuptibles et Télérama, il faudrait crier au chef d'oeuvre.

Bon.

Eh bien non, ce sont 44 minutes brouillonnes, mal foutues, montées et jouées comme un téléfilm dont la post-production aurait été bâclée, et en 44 minutes, c'est fou ce qu'on a le temps de s'ennuyer! Les parties musicales (dont un ballet loufoque) sont sans doute le meilleur du film, donc quand je vous dirai qu'elles ne sont pas terribles, tout sera dit:

Elles ne sont pas terribles...

Tout est donc dit.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Musical
4 novembre 2022 5 04 /11 /novembre /2022 16:13

On était prévenus, finalement: Roger Waters, lassé de l'économie classique d'un groupe de rock (Studio, album, promotion, tournée, studio...) avait décidé que son grand oeuvre serait non seulement un album (double), mais se déclinerait ensuite en un spectacle aux accents théâtraux, puis un film afin de donner toute sa mesure à la chose...

Pink est une rock star, qui a grandi privé de son papa, et sous la domination d'une mère plus qu'envahissante. Il est tombé dans tous les excès possibles et imaginables du rock 'n roll, et a construit autour de lui-même un mur psychique qu'il alimente et a alimenté de tout ce qu'il a subi: la frustration de la mort de son père en 1944, la puberté compliquée par sa mère, le mariage qui flanche, les drogues... Il fait une overdose qui va avoir des conséquences désastreuses, non seulement sur sa vie, mais aussi sur le cinéma, au vu de ce qui se passe dans les 30 dernières minutes de ce long métrage...

Le disque est une cause célèbre, car si on avait été impressionné à l'époque (retour éclatant de Pink Floyd au devant commercial de la scène avec Another brick in the wall part II, leur premier single depuis... 1968, quadriphonie, double album, concept esthétique particulièrement intrigant, son extraordinairement travaillé avec le producteur Bob Ezrin), il faut aussi dire que The wall porte en lui les stigmates de tout ce qui n'allait pas à l'époque dans Pink Floyd: en particulier, la prise de pouvoir par Roger Waters, qui y racontait sa vision de lui-même. 

Oui, s'il y a un moment dans l'histoire du rock où le "je" devient le centre, le nombril (pour ne pas dire le trou du c...) du monde, c'est avec cet album. Je lui ai déjà taillé un costard, en lui reconnaissant quand même quelques qualités, sur ce blog: 

http://spiral.over-blog.com/2022/10/pink-floyd-the-wall-harvest-emi-1979.html

Consacrons-nous donc au film, qui a échoué sur les genoux d'Alan Parker, touche-à-tout Anglais, et cinéaste furieusement attaché à l'idée d'être et rester à la mode (Midnight express, Bugsy Malone, Fame, Birdy, Mississippi Burning...). Il consiste en un mélange constant de visions esthétiques inspirées des chansons, véhiculant ou non une histoire cohérente avec Bob Geldof dans le rôle de Pink, de séquences d'animation inspirées des illustrations de Gerald Scarfe, et de tout ce qui passait par là. En matière de cohérence, c'est un clip géant, c'est-à-dire que, comme à l'opéra, il vaut mieux avoir le livret sous la main si on veut bien comprendre, et sinon le film propose des versions parfois recréées de certaines des chansons. Notons pour finir que Waters, déjà auteur des paroles de Pink Floyd à 100% depuis 1973, a en plus ici écrit le scénario tout seul... Des fois qu'on n'aurait pas compris qui était l'auteur.

Et justement, l'auteur... Le problème, c'est que si on met de côté cette entité laissée pour compte qu'est Pink Floyd, justement (dont les musiciens sont devenus au mieux les assistants, au pire les employés, de Waters), on se retrouve avec un scénariste-auteur-parolier-chanteur (Waters) particulièrement ombrageux, un réalisateur exigeant (Parker) et un graphiste dingo (Scarfe) qui a dû faire des pieds et des mains pour transcrire sa vision de l'univers de l'opéra de Waters. Et tout ça a du faire bien des étincelles...

Le propos du film, qui part d'une idée simple (tirée d'une anecdote qui a inspiré la chanson Have a cigar: quand le groupe a rencontré un producteur Américain qui leur a demandé lequel d'entre eux était Pink), est quand même bien obscur, et surtout totalement centré sur une personne, qui règle ici ses comptes avec sa mère, les femmes en général (dire du film qu'il est misogyne est très en dessous de la vérité), l'éducation trop rigide, le monde du rock (tous des fascistes), les fans (tous des cons), avec l'humanité toute entière enfin qui l'a privé de son père. On ne sait plus s'il se représente en bourreau, ou en victime, ou... probablement les deux. Comme l'album, le film, et ce sera le mot de la fin, est inutile, excessif, souvent ridicule et encore plus souvent boursouflé. 

Et en plus il est copieusement mal foutu...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alan Parker Musical
25 octobre 2022 2 25 /10 /octobre /2022 23:36

La vie et surtout, semble-t-il, la mort de Brian Jones, le membre des Rolling Stones qui est à l'origine de l'existence du groupe, celui dont on dit souvent (et en particulier dans ce film) qu'il était au début l'âme du groupe, et qui fait partie du célèbre soi-disant Club 27, donc un artiste parti trop tôt, dans la destruction, avant ses 28 ans...

d'une part, le film fait la part belle au destin tourmenté et surtout à la mort de son sujet, une mort annoncée de multiples façons, dans le film, à travers l'accent sur les mauvaises décisions, pratiques, fréquentations, tout en passant de manière exagérément rapide sur un certain nombre de points: je ne parle même pas de l'anecdote la plus embarrassante sur Jones, la fameuse histoire de l'uniforme nazi (dont une photo nous est présentée), mais... de sa participation au groupe. Alors oui, on verra quelques images et on entendra quelques sons, mais l'impression est qu'en 6 ans, il a traversé le groupe dont on nous dit qu'il l'a fondé sans faire trop de vagues! 

Sans doute y'avait-il un problème de droits, sans doute les survivants ont-ils soit décliné leur participation, soit demandé un prix exorbitant, ou se sont-ils opposés à ce que le film parle trop d'eux.  Peut-être que pour les concepteurs du film, le groupe était finalement accessoire! Presque un accident dans la carrière de Brian Jones...

Mais l'impression qui domine, j'en ai peur, c'est que Brian Jones lui-même a sans doute été un accident dans la carrière du groupe! Une impulsion géniale, un coup d'envoi, puis une lente descente vers la déliquescence pendant que les quatre autres (cinq, en comptant le fidèle Ian Stewart) entamaient une série de décennies impressionnantes, et comme chacun sait ils nous enterreront tous... Sauf Charlie Watts.

Non, ce que veut raconter ce film, à grand renfort de théories, de témoignages dont certains littéralement fumeux (hum...), et tous vaguement contradictoires, c'est que la mort de Jones est en fait un meurtre, voilà tout. Je ne suis pas convaincu, et j'ai tendance à considérer tout film un tant soit peu complotiste comme un machin à éviter, à plus forte raison quand il tente de se déguiser avec les accents de la vérité! Tout le monde n'a pas le talent d'Oliver Stone quand il se lance dans un délire paranoïaque, comme JFK, il peut au moins, lui, le faire avec un certain génie, et c'est de toute façon de la fiction... Ce documentaire musical sans musique déçoit et nous laisse sur notre faim parce qu'ici, les Rolling Stones sont absents. Même Brian Jones!

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Documentaire Musical
12 juillet 2022 2 12 /07 /juillet /2022 09:13

Le vieux Sud, avant la guerre civile... Le planteur Van Horn s'est installé depuis sa Pennsylvanie natale, et bien il vit remarié avec une (insupportable) ancienne "belle" locale, et avec son grand fils Carl. Celui-ci a rencontré une jeune femme, Dixiana (Bebe Daniels), qui est chanteuse à New Orleans. Avec le soutien de son père, il la ramène chez eux pour se marier, mais la belle-mère s'oppose au mariage quand elle apprend que Dixiana a travaillé dans le cirque... Elle doit quitter la plantation et décide de le faire sans Carl, dont elle pense qu'il ne doit pas mettre son avenir en danger.

Cinématographiquement, c'est du pur Musical de 1930, cette fois servi par la RKO: intrigue vague d'opérette, répartition parfois hasardeuse des ingrédients (chants, danse, comédie, et intermèdes de music-hall) dans laquelle les trois vedettes sont Bebe Daniels (compétente en dépit du matériau usé jusqu'à la corde qu'on lui confie), et les insupportables comiques pas drôles Wheeler et Woolsey, dont je ne vais pas plus parler parce qu'ils n'en valent pas la peine. Everett Marshall, le chanteur qui joue Carl, est nul. Le film vaut sans doute plus par ses vingt minutes finales en Technicolor qu'autre chose, et son méchant est épouvantablement fade...

Sinon, c'est le Sud tel que le cinéma s'est toujours obstiné à le représenter: douceur de vivre, mint juleps, et "mes esclaves chantent mieux que les esclaves des autres, c'est parce qu'ils aiment leur maître"... Bref.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Pre-code Musical Technicolor
18 juin 2022 6 18 /06 /juin /2022 13:43

Eve (Emily Browning) est australienne, elle vit en Ecosse, pour ses études du moins c'était l'idée. Internée dans un hôpital où elle est soignée pour son anorexie, elle fait le mur et rencontre dans un concert James (Olly Alexander), un guitariste-auteur-compositeur qui souhaiterait percer. Elle aussi... Une fois remise sur pied, au début de l'été, elle se met en quête de le retrouver pour lui exposer son projet: chanter, faire de la scène, arranger et enregistrer ses chansons. Avec leur amie Cassie (Hannah Murray), les deux s'y mettent...

C'est un projet de longue date, subliminalement autobiographique, de Stuart Murdoch, chanteur et auteur compositeur du groupe de Glasgow Belle and Sebastian. Il souhaitait élargir sa palette en créant un nouvel univers en chansons; le film s'est fait grâce à la création des service de Kickstarting...

On retrouve la patte du groupe Belle and Sebastian, d'ailleurs, cette pop sucrée, allusion permanente aux grands moments d'une sunshine pop des années 60 (un single de The left banke, pourtant un authentique groupe Américain, est visible sinon audible dans une scène). Le film semble nous montrer un univers parallèle sur une sorte de planète pop... Où les gens courent après les groupes de rock dans les rues, ce qui nous rappelle fortement quelque chose...

Emily Browning et Hannah Murray prêtent leur étrangeté et leur gentille excentricité au projet: Browning en particulier est, visuellement totalement compatible avec un projet qui tente de se reconnecter avec la pop de 1966, mais tout ça est bien léger, trop sage et souvent trop retenu... Comme Stuart Murdoch lui-même, tiens donc.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Musical
13 avril 2022 3 13 /04 /avril /2022 07:47

1861: la Comtesse Angelina de Bergamo (Betty Grable) épouse le Baron Mario (Cesar Romero), et tout le monde se réjouit... Sauf que c'est le moment choisi par une colonne de Hongrois pour prendre le château. Avant même le début de la lune de miel, le Baron doit fuir... Inspirée par la légende locale, selon laquelle 300 années plus tôt, la Comtesse Francesca (...Betty Grable) aurait tenu tête à une autre invasion, Angelina se prépare à accueillir les Hussards, menés par le Colonel Teglash (Douglas Fairbanks Jr) à sa façon...

Le script est de Samson Raphaelson, adapté d'une opérette de 1919; comme on le voit, Lubitsch en retournant à la comédie musicale avec ce film renouait à plus d'un titre avec les racines de son art, renvoyant non seulement à l'époque de son règne sur le cinéma Allemand et de ses comédies de 1919-1920, mais aussi au cycle fabuleux de comédies musicales qu'il avait dirigées au début des années 30. D'ailleurs, le metteur en scène souhaitait qu'Angelina et Francesca soient interprétées par Jeannette MacDonald.

En lieu et place, Betty Grable, favorisée en raison de sa popularité contemporaine, se débrouille comme elle peut, et est au moins une actrice énergique, dotée d'un partenaire exceptionnel: je sais que Fairbanks a souvent dit à quel point ce film était un ratage (j'y reviendrai), mais il a au moins le mérite de montrer aujourd'hui à quel point le fils du grand Doug était un acteur fin, capable, versatile et souvent unique dans son style. Le reste de la distribution est tout à fait adéquat et donne vraiment l'impression que le maître à bord était, de bout en but Lubitsch: les servant, domestiques, aides de camps et sous-fifres sont donc une faune abondante, qui relaie en permanence la vie de leurs maîtres, gradés et employeurs, avec les sous-entendus de rigueur...

Et le film ose parler d'adultère, le centre même du film. Nous savons dès le départ qu'aussi poli et respectueux qu'ils soient, les deux jeunes mariés ne s'aiment pas, du moins la Comtesse n'aime-t-elle pas son mari. L'arrivée du flamboyant colonel de hussards va donc être un catalyseur puissant pour précipiter le drame, aidé par le fantôme de la première Comtesse... Car c'est l'un des atouts de ce film, et c'est là encore un trait foncièrement Lubitschien: la réalité, le rêve, la fantastique et la chanson s'y mêlent intimement, créant un univers constamment décalé, régi par ses propres lois, ce qui permettrait d'expliquer comment la production a réussi à imposer la coquinerie ambiante...

Mais Lubitsch ne verra jamais le film terminé, puisqu'il est décédé après 8 jours du tournage des scènes principales. Otto Preminger a été désigné pour prendre le relais et s'est engagé à scrupuleusement respecter les plans du maître, son style et a été jusqu'à refuser de signer le film, afin qu'il ne soit crédité qu'à Ernst Lubitsch... Et ça y ressemble fort. Les récriminations citées plus haut sont liées à la rancoeur du principal acteur contre le metteur en scène de remplacement: bon, Preminger n'était pas Lubitsch, mais surtout leurs méthodes, leurs humeurs dirons-nous, n'étaient pas les mêmes. S'il a réussi à pasticher le style de Lubitsch, c'est évident, la façon d'y parvenir a dû sérieusement différer... Mais quoi qu'il en soit, le film tient sérieusement la route, tout en étant un peu une certaine forme d'anachronisme. Encore un trait Lubitschien?

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Comédie Musical