Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

24 novembre 2019 7 24 /11 /novembre /2019 11:58

Oubliez les fadaises de la critique ("L'Exorciste de sa génération", ça veut dire quoi, exactement?) et concentrons nous sur les multiples facettes de ce film enthousiasmant, première oeuvre de longue haleine d'un metteur en scène qui s'est distingué par des courts métrages qui questionnent la place d'un individu au sein de la famille, tout en utilisant à merveille les codes narratifs d'un cinéma du contemporain. Pas de costumes anciens chez Ari Aster, on est devant le monde d'aujourd'hui...

Une femme vient de mourir, une vieille dame qui laisse assez peu de monde derrière elle. Essentiellement, ils sont quatre: la fille d'Ellen Leigh, Annie Graham (Toni Collette) et son mari Steven (Gabriel Byrne), ainsi que leurs deux enfants Peter (Alex Wolff) et Charlie, sa petite soeur (Milly Shapiro). Lors des funérailles, Annie ne fait pas mystère des relations compliquées qu'elle entretenait avec Ellen... 

Puis la vie reprend son cours: Steven retrouve son travail (qui nous restera inconnu, on peut juste espérer que lui sache ce qu'il fait, mais il est de toute façon très effacé dans cette famille), Peter et Charlie retournent au lycée; lui est un élève médiocre travaillé par son insécurité, ses hormones, et l'envie de fumer des trucs bizarres l'emporte sur les résultats académiques. Charlie, elle, est "différente", réservée jusqu'au mutisme, isolée, murée même dans une créativité étrange: elle confectionne des poupées de bric et de broc, allant jusqu'à récupérer la tête d'un pigeon mort pour la greffer à un personnage! Et elle dessine, bien plus qu'elle ne parle.

Quant à Annie, c'est probablement celle qui apporte le plus d'argent dans le couple; elle est artiste, et s'exprime par des maisons de poupées qu'elle expose, dans lesquelles elle crée, ou recrée plutôt, le quotidien de familles qui ressemblent beaucoup à la sienne. Par exemple, dans sa création en cours, elle a intégré le séjour en hôpital de sa mère, mais aussi ses rancoeurs vis-à-vis d'elle... 

Comment s'étonner que dans cette famille dysfonctionnelle qui vit dans une grande demeure à tiroirs, au fin fond de l'Utah, des fantômes (Ellen, bien sûr), puis des phénomènes étranges fassent leur apparition? Comment s'étonner que tout parte en cacahuète, et qu'un des deux enfants disparaisse dans des circonstances plus que tragiques?

Le premier niveau de lecture, bien sûr le moins intéressant, est celui d'une sorte de grand roman d'épouvante avec tous les ingrédients nécessaires, traité dans une mise en scène d'une précision infernale, avec les inévitables trucs du genre, depuis le rythme lancinant, jusqu'à la bande-son envahie de bruits bizarres, qui augmente le malaise. Le tout, vu selon le point de vue de trois personnages surtout: Annie, et ses deux enfants. Steven reste l'outsider éternel... Cette histoire d'épouvante va partir loin, très loin, abandonnant ses fausses pistes qui jalonnent la première partie en prenant du reste le risque d'abandonner ses spectateurs. On va vers du rituel simili-satanique, et le film affiche vers la fin un humour particulièrement noir et assez franchement salvateur... Un brin déstabilisant, certes.

Mais la deuxième lecture est bien plus intéressante, si vous voulez mon avis. C'est bien sûr la famille qui est ici la cible, d'ailleurs le titre ne nous échappe pas, dans sa volonté de souligner que quand Annie raconte à quel point sa mère était envahissante, étouffante, folle dans sa volonté de tout manipuler autour d'elle à commencer par les êtres, elle parle, aussi, d'elle-même... Cette hérédité va d'ailleurs plus loin, car le film esquisse deux relations entre Annie et Charlie d'un côté, et entre Annie et Peter, de l'autre, qui sont particulièrement complexes. Si Charlie a hérité de sa mère un don artistique obsessionnel, qui remodèle et refait le monde, son mutisme pourrait être provoqué par sa méfiance à l'égard d'une mère qui a eu des passages de folie dans le passé, ou quelque chose dans ce genre... De même Peter a-t-il parfois du mal à aimer et comprendre cette mère qui ne l'a pas désiré, et semble pour sa part avoir hérité cette incertitude constante qui l'anime, de son père...

Le drame des deux enfants se verra renforcé par une scène parmi les plus traumatisantes qu'il m'ait été donné de voir, une scène située au beau milieu du film, si forte et si folle qu'il m'est impossible de la décrire sans trop en dire. Disons qu'elle est épouvantablement graphique, et montée à la perfection, en laissant le spectateur se débrouiller avec des informations incomplètes au pire moment possible. Comme si on voyait, dans Psycho, la mère de Norman Bates entrer dans la salle de bains où Marion se douche, mais sans assister au meurtre... Pour situer.

Et puis, d'autres lectures sont possibles, remarquez: par exemple, une porte est ouverte par Aster dès le premier plan, qui nous montre l'atelier d'Annie. Parmi les "maisons de poupée", la caméra choisit une réplique de la chambre de Peter, et nous y amène: nous sommes désormais dans la maison des Graham, c'est le jour de l'enterrement d'Ellen et Steven entre dans la chambre de son fils pour lui demander de se lever et de s'habiller; certes, on ne reviendra pas sur cette idée, de se situer sur deux niveaux, sur cette mise en abyme des "maisons dans la maison", et sur cet énoncé explicite de la position potentielle de démiurge d'Annie. Mais c'est une autre lecture, ici, qui devient possible... Comme d'autres, j'en suis sûr, car Aster a fait le pari, comme d'autres avant lui, de laisser la porte ouverte à la fin du film. 

Donc certes le film peut faire peur, mais il va surtout vous déstabiliser, vous mettre mal à l'aise et vous laisser gérer son venin pendant des jours. Les acteurs sont formidables (Toni Collette et Milly Shapiro, en particulier), et la caricature de l'Amérique de 2018, sur son versant "aisé", est d'une grande acuité. Et en cerise sur le gâteau, il présente un rôle en or pour la grande Ann Dowd, sur laquelle je ne me suis pas exprimé. Et pour cause, je ne voulais pas trop en dire...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Ari Aster