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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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23 avril 2024 2 23 /04 /avril /2024 08:25

"Dans un futur proche", les Etats-Unis sont en proieà une guerre civile... Une sécession, donc, de plusieurs états (d'un côté, on apprend la constitution d'une puissante armée qui réunit l'Ouest derrière le Texas et la Californie, de l'autre la Floride est remuante) contre un gouvernement central devenu trop autoritaire, sous la domination d'un président qui ne sera pas nommé (Nick Offerman). En dépit de la propagande gouvernementale insistante ("nous savons que vous êtes au bout du roulea, nous accepterons votre reddition avec bienveillance"), la Maison Blanche est très mal partie...

C'est dans ce contexte plus que tendu qu'on fait la connaissance de quatre journalistes: Lee (Kirsten Dunst), une photographe réputée de l'agence Magnum, a acquis un regard aussi froid que possible devant le drame; Joel (Wagner Moura), un journaliste de l'agence Reuters, natif de Floride, est habitué à travailler avec elle. leur ami Sammy (Stephen McKinley Henderson) est un journaliste du New York Times, un vétéran, et en contraste, Jessie (Cailee Spaeny) est une aspirante photographe de 23 ans qui s'est imposée pour le voyage, pleine d'admiration pour Lee...

Le voyage commence à New York, où Lee et Joel annoncent à Sammy leur intention de se rendre à Washington pour y interviewer le président, auquel toute la population donne à peine un mois avant de capituler. Il leur faut traverser plus de 1000 kilomètres, dans un périple hasardeux. Jessie, qui a repéré Lee lors d'un attentat dans les rues de New York, a manoeauvré auprès de Joel pour s'ajouter à l'expédition, ce qui ne plait pas du tout à Lee...

Evacuons tout de suite les inévitables considérations et tentations de lecture: le glissement vers l'extrême droite, l'autoritarisme de plus en plus à la mode, Trump, Bolsonaro, les matamores à la tête de tant d'états, le Brexit, Orban, Poutine et l'attaque du Capitole... . Bien sûr qu'Alex Garland avait de quoi s'inspirer, mais il me semble que le film ne cadre avec aucun de ces événements en particulier, il est juste parvenu à capter de façon aigue et terriblement efficace une ambiance, la déliquescence des démocraties, et surtout la polarisation des esprits... Cette polarisation est le principal sujet du film, en particulier symbolisé par une séquence terrifiante, celle d'une rencontre inopinée entre les journalistes, avec deux de leurs collègues, et un petit groupe de soldats (de quelles forces? ils se revendiquent "Américains", et abattent froidement les deux journalistes amis, d'origine Asiatique): tout s epasse comme s'il n'y avait plus d'idéologie, d'ailleurs, juste une impulsion. Une autre scène le résume, en montrant des snipers, qui tirent sur un autre sniper isolé. A Joel qui demande à quel groupe appartient ce dernier, un tireur répond: "c'est un mec qui nous tire dessus"... On navigue entre cynisme et survie, et on est presque surpris lorsque la petite troupe arrive dans un camp de l'Armée de l'Ouest (qui, derrière la puissante Californie, l'état le plus riche des 50, a sacrément les moyens) et découvre une armée organisée, déterminée, conduite par un état-major qui a l'air de savoir où ils vont, avec du matériel à profusion et de la discipline... Donc, derrière le chaos ambiant, certains construisent... ou tirent les marrons du feu: on ne saura pas si à ce gouvernement autoritaire, qui a provoqué la sécession contre lui, les successeurs opposeront un retour à la démocratie, ou simplement une autre dérive autoritaire, voire un gouvernement fasciste. Un indice? Le rassemblement de l'armée de l'Ouest aura lieu dans les environs de Charlottesville, en Virginie. Un petit coin remuant du Sud, à deux pas de Washington, mais aussi le lieu en 2017 d'une émeute des factions d'extrême droite, que le président de l'époque avait refus de condamner.

Mais le film est surtout le voyage à l'intérieur de l'Est des Etats_Unis, en proie à l'incertitude constante, et dans la tête d'un petit groupe partagé entre nostalgie (Sammy, décidément au bout du rouleau), une certaine déprime désabusée (Lee, une photographe exceptionnelle, qui cache son désespoir derrière l'acuité de son regard), la tentation de la fuite (Joel, qui enchaîne les cigarettes qui font glousser comme pour fermer les yeux), et le mélange de naïveté et d'ambition de la jeunesse: Jessie est d'ailleurs celle qui a le plus de faculté à s'adapter, semble-t-il, et le voyage initiatique aux côtés de Lee va vraiment la révéler... Tous ces personnages, mais aussi ceux rencontrés en chemin, les deux journalistes de New York (probables compagnons de fumerie de Joel, se comportent comme des ados attardés, ce qui rend leur destin funeste particulièrement absurde), le soldat froid qui abat tout ce qui à ses yeux "n'est pas Américain" (Je n'avais jamais vu Jesse Plemons dans un rôle aussi inquiétant), les soldats en position, d'un côté ou de l'autre, et d'autres journalistes, manifestement passés clairement du côté des futurs vainqueurs: tous incarnent l'Amérique, celle de toujours, pourrait-on dire... A travers sa pluralité, sa sensibilité, mais aussi ses égarements, son laisser-faire à l'égard des pires dérives.

C'est un film-somme dans lequel la dystopie ne se cache que derrière une guerre factice et fratricide. Aucun autre dispositif ne vient clamer une quelconque appartenance du film à la Science-fiction, pas de technologie délirante, pas de changements drastiques dans l'architecture, si ce n'est des ruines de bâtiments qu'on identifie forcément, et qui renvoient à l'émarique d etoujours: gratte-ciels, stades universitaires, taggués à l'extrême, qu'on découvre au détour d'un chemin, à côté de camps de fortune, où personne, d'ailleurs, ne semble parler ni politique, ni prise de position belliciste: toute la population semble prise en tenaille...

Alex Garland a réussi à donner enfin à ses batailles de rue, nombreuses, un aspect tellement réaliste qu'il fait froid dans le dos. On reconnaîtra forcément des lieux emblématiques, surtout vers la fin lors d'une impressionnante bataille autour des hauts lieux Washingtoniens du gouvernement. La façon dont Garland, multipliant les angles (depuis des prises de vue "par hélicoptère", jusqu'à des plans de point de vue des journalistes, à la remorque d'une armée qui avance très vite), nous donne à voir une hallucinante fin du monde, culminera bien sûr dans la Maison Blanche.

Là, l'arrivée des soldats, tirant avec précision sur tout ce qui bouge, froidement, généralement sans sommation, et investissant les salons feutrés d'un bâtiment décidément magnifique, rappelle forcément les souvenirs de l'insurrection de 2021, tant montrée à la télévision. Mais l'uniforme, les armes, et l'atmosphère de bataille réussirait presque à faire passer la pilule!

Et puis pour finir, il y a le traitement de la presse dans le film, incarnée par tant de personnages. C'est comme un rappel nécessiare, à lheure où les politiques invoquent à tour de bras l'hydre d'une liberté d'expression qui serait empêchée par la presse, des médias supposés ne jamais véhiculer la vérité alors que tant de personnes croient s'informer sur TikTok, et le film nous montre des gens mus par une froideur certes inquiétante (Kirsten Dunst), mais salutaire: ne jamais intervenir, tenter de ne pas influer, faire son boulot, c'est à dire capter, retransmettre, et montrer. Un hommage à la confrérie, vue ici dans on élément, à savoir le chaos et l'urgence... En utilisant leur point de vue, et en se retranchant souvent derrière un dispositif qui mélange l'action et des clichés pris sur le vif, qui sont autant de ruptures dans le continuum, tout en lui offrant un prolongement, Garland trouve le moyen de rester objectif, ce qui me semble une belle démonstration du paradoxe de la presse: au coeur de l'action, mais presque transparente, ou du moins aspirant à le rester. 

Quoi qu'il en soit, le film est un tour de force du début à la fin, porté par une vision, qui a le bon goût de nous imposer aucune lecture idéologique, et qui va au bout de son propos: nous montrer un chaos terrifiant qui nous semble d'autant plus épouvantable qu'il est à portée de la main.

 

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Published by François Massarelli - dans Alex Garland