Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

27 décembre 2010 1 27 /12 /décembre /2010 11:03

Après Double indemnity, Sunset Boulevard est certainement à nouveau un immense pas en avant dans la carrière de Wilder. Comme l’autre film, il s’agit en prime d’un classique indémodable, et que nous considérerons comme indiscutable. Il y aura toujours des gens pour se plaindre, soit de la voix off envahissante de William Holden, qui selon moi est indispensable au projet tout simplement parce qu’elle colore le film d’un teinte « film noir » qui n’est qu’une des nombreuses fausses pistes lancées par Wilder et Brackett. De même, il y a lieu de se plaindre de l’insupportable jeu de Gloria Swanson, mais ce serait oublier qu’elle est ici dans son propre rôle, et que le surjeu, la grandiloquence, le coté diva insupportable sont ici un salutaire second degré. Parce que ce film, énorme et lourd, n’en est pas moins un film de Billy Wilder que les autres. Pas plus qu’avec Double indemnity, il ne faut se laisser avoir par les aspects tragiques, nous sommes d’ailleurs ici confrontés à une satire au vitriol plus qu’à une tragédie classique. Les ruptures de ton sont systématiquement masquées par les allusions aux autres genres, et le résultat final est d’une grande classe. Je n’envisage du reste pas du tout de distribuer les étoiles : c’est un chef d’oeuvre, point final. S’il y des défauts, eh bien ils font partie du tout, ça n’enlève rien, et je n’en vois de toute façon aucun.

Le scénariste Joe Gillis nous raconte comment un homme mort a pu arriver dans une piscine, sur Sunset Boulevard, à Hollywood, et souiller de sa médiocrité l’une des avenues les plus riches du monde : il conte comment, alors qu’il cherchait à échapper à des créanciers qui voulaient lui confisquer sa voiture, il s’est engagé sur une allée privée et a dissimulé son véhicule avec un pneu crevé dans le garage d’un propriété qu’il croyait vide. Et là, il a fait la connaissance de Norma Desmond, et de son valet-majordome-chauffeur Max Von Mayerling, deux reclus survivant de la période dorée des années 20, lorsque Miss Desmond était l’une des plus importantes actrices d’Hollywood. Celle-ci jette son dévolu sur Gillis, l’engageant d’abord pour qu’il l’aide à finir un script infilmable avec lequel elle souhaite effectuer son grand retour, auprès de Cecil B. DeMille, mais elle va très vite dépasser cet arrangement professionnel et demander bien plus.

Le début, qui fut très difficile à mettre en route, est désormais classique : le générique commence par la plaque « Sunset Boulevard », avant que le reste ne se déroule sur fond d’une route qui défile. On arrive avec la police devant une piscine, et c’est le petit matin : la silhouette sombre du cadavre se détache parfaitement dans l’eau claire. C’est le premier pavé dans la mare Hollywoodienne. Il y en aura d’autres, bien sur largement relayés par la voix off profondément cynique de Gillis, et comme on se doute dès le début qu’il est le cadavre, on peut lui autoriser tous les cynismes. Le personnage de scénariste blasé, revenu de tout et raté avant d’avoir vraiment entrepris quelque chose est comme souvent chez Wilder, un peu annoncé par le coté quelconque de son nom, qui tanche bien sur avec le nom de l’exécutif (Sheldrake, un nom qui reviendra dans The apartment), qui sonne comme ces mots-valises, complexes, qui partent dans deux directions différentes, et suggèrent soit la duplicité, soit la complexité; Gillis, lui, est une affaire entendue : il est destiné à être minable. Et pourtant, derrière la noirceur, grâce à la voix off, les scénaristes lui offrent des chances de rachat: Betty Shaeffer (Nancy Olsen), une jeune assistante qui croit en lui, parce qu’elle sait ce qu’il vaut, et qui est prête à tout pour le sortir de son piège ; une tentation de tout larguer, et de retourner dans l’Ohio, sans doute pour y finir pauvre et inconnu, mais au moins sans avoir à se compromettre… enfin, Gillis se sacrifie afin d’éviter de compromettre celle qu’il aime, et on pourrait aller jusqu’à dire qu’il pilote son propre assassinat.

Les deux autres personnages sont donc le plus pur produit des années 20, et l’idée de génie est bien sur d’en avoir confié l’interprétation à des vrais reliques, et non des moindres : Gloria Swanson, interprète géniale des films de Cecil B. DeMille, Allan Dwan, et Raoul Walsh, devient donc Norma Desmond, interprète déchue de films muets, balayée par le parlant, et qui aurait interprété une douzaine de films en compagnie de… Cecil B. DeMille! Max Von Mayerling, ombre ou éminence grise de Norma Desmond est en réalité un ancien réalisateur lui aussi lessivé par les années 20, dont on devine que le sens de la compromission et la modestie n’était absolument pas son fort, et c’est bien sur à Stroheim que Wilder a confié le rôle. Cet étonnant jeu de miroir est orchestré de main de maître par un Wilder qui sait parfaitement ce qu’il fait, déléguant à Joe Gillis les commentaires acerbes sur l’âge, voire la péremption des deux ex-grands noms ; au public, il offre surtout un voyage grinçant dans une maison hantée (la musique de films d’épouvante qui accompagne la première visite de Gillis, alors qu’un chimpanzé mort attend sa sépulture, ne dit pas autre chose…) et le regard fasciné sur la confrontation entre les stars déchues et le raté, vite suffisamment lucide pour ne pas laisser passer l’occasion de se refaire financièrement, mais pas assez pour entrevoir le piège dans lequel il tombe.

Si Gillis se fait avoir, et y laissera la peau, le pouvoir de fascination incarné par les vieilles gloires du muet reste entier, mais juste réservé à un ensemble d’initiés ; lorsque la magnifique voiture de miss Desmond, conduite par le mutique ex-réalisateur arrive au studio, tout le monde rigole, sauf un vieux vigile, qui a reconnu tout de suite « miss Desmond », et la laisse entrer illico. Et parmi les gens qui se jettent sur elle pour lui rendre hommage lors de sa visite sur le plateau ou DeMille tourne, on reconnaitra les acteurs fidèles de DeMille sur ses films depuis 1918, dont Julia Faye, qui a partagé l’affiche avec justement Gloria Swanson. Lorsque DeMille, ému d’avoir vu son ancienne protégée venir et se faire humilier dans le studio, a un réflexe protecteur, on ne rit plus du tout, on mesure l’effet du temps, et le respect de Wilder à l’égard de celle dont on croirait que seul son pouvoir de mante religieuse l’intéressait.

Max Von Mayerling est l’une des clés du film, celui qui va fournir d’ailleurs à Brackett et Wilder des petits cailloux intéressants : Gillis commente à son sujet : ‘j’allais beaucoup en apprendre sur lui’, dit-il au début du film. On saura plus tard qu’il était l’un des maris, puis on apprendra qu’il était réalisateur. Mais Mayerling est resté ;, parce qu’on ne quitte pas Norma Desmond, on la sert jusqu’à la mort… Le jeu extraordinairement sobre de Stroheim, ici, est combiné par Wilder à un certain nombre de touches très stroheimiennes, justement : la façon dont il compose des plans (avec le chef-opérateur John Seitz, autre vétéran du muet), qui mettent en avant tel ou tel détail de la tenue du majordome, notamment ses gants lorsqu’il joue de l’orgue, alors que Joe Gillis est en arrière plan, rapetissé par l’angle de prise de vue, l’omniprésence mutique de l’ex-réalisateur, nous préparent au grand final, celui durant lequel Norma Desmond succombe à sa folie, sous les projecteurs, manipulés par celui qui semble la mettre en scène une dernière fois… Et bien sur, Stroheim est discrètement à l’honneur, lorsqu’il a fallu choisir un extrait de film qui aurait été interprété par « Norma Desmond », et que celle-ci montre à Gillis Queen Kelly dans son salon. Le fait que le film ait été interdit de sortie aux Etats-Unis, fait de la pellicule ainsi montrée un film quasi fictif pour 1950, mais la beauté de les plans du film de Stroheim, la jeunesse de Swanson magnifient le passage, et font mentir le commentaire cynique de Gillis. Il faudrait être fou pour ne voir en ce film qu’une simple chronique méchante de plus sur les mœurs hollywoodiennes, il y a beaucoup plus : un hommage, une ode, un requiem, mais en tout cas, il y a du respect, y compris dans ces recours à la vérité, comme ce passage ou Anna Q. Nilsson,et H. B. Warner, d’ailleurs tous deux interprètes de DeMille, et aussi Buster Keaton, tous dans leur propre rôle, jouent au bridge avec ‘Norma Desmond‘. Gillis les appelle des figures de cires (waxworks) . Mais à la fin, contrairement au héros… Ils sont toujours vivants.

Un film miraculeux, donc, qui va dominer cette première partie des années 50, qui s’annoncent une période-clé de la carrière du grand Wilder. Quelle ouverture fracassante!

Partager cet article
Repost0
Published by Allen john - dans Billy Wilder