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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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25 janvier 2019 5 25 /01 /janvier /2019 10:26

Cette comédie noire comme le charbon est sans doute l'un des films les plus grand public de Gus Van Sant, en même temps qu'un de ses projets les plus élaborés en matière de narration... Plus que l'ascension d'une intrigante plus ambitieuse que quiconque l'a jamais été, il raconte le désir de cette jeune femme de réussir, et les dégâts ainsi causés.

Suzanne Stone (Nicole Kidman) est une jeune présentatrice de météo sur une chaîne locale insignifiante, dont le mari (Matt Dillon) a été retrouvé mort. Et, le générique nous l'apprend à travers des coupures de journaux, elle est soupçonnée d'avoir commandité le meurtre... Un certain nombre de témoins vont se succéder face à la caméra: Janice (Illeana Douglas), la soeur du défunt, qui est interrogée sur le lieu de ses entraînements (elle est patineuse), mais aussi Ben (Wayne Knight), l'employeur et collaborateur interrogé dans son studio de télévision; les parents de Suzanne (Kurtwood Smith et Holland Taylor) mais aussi ses beaux-parents, les Maretto (Dan Hedaya et Maria Tucci) sont quant à eux interrogés sur un plateau de télévision, d'une émission qui s'appelle The Suzanne Stone Show... Enfin deux adolescents, Jimmy et Lidya sont également amenés à témoigner: Jimmy (Joaquin Phoenix) en prison, et Lidya (Allison Foland) devant chez elle, dans un taudis au milieu des sous-vêtements qui sèchent...

D'une part, la caricature est féroce, réjouissante et sardonique, avec de gros traits soulignés avec adresse. Mais surtout l'ensemble du film est lié à une petite idée toute simple: toute cette histoire est introduite par la principale protagoniste elle-même, qui semble répondre à la sollicitation d'un intervieweur, et "vendre" sa propre histoire, celle qui lui a donné enfin ce qu'elle désire depuis toujours: elle est devant les caméras, et tout le monde la regarde, faisant enfin d'elle quelqu'un... Pas comme son mari, cet imbécile qui ne rêvait que d'une chose: une vie tranquille, avec des enfants...

Nicole Kidman est donc en registre poupée Barbie, en forçant avec génie le trait de l'égoïsme et du crétinisme total de son personnage: ce qui est souvent savoureux, mais volontiers grossier. Mais le format télévisuel choisi par Van Sant est justement l'occasion d'abandonner toute subtilité, qui serait dans ce contexte, totalement hors sujet. Les couleurs du film, ses décors, renvoient souvent au décorum et au faux assumé par la télévision, que ce soit dans les talk-shows ou dans les publicités, voire dans les sitcoms. Et Kidman se plie à cette règle du début à la fin.

Mais la narration est fabuleuse puisque si nombre de personnages, sitcom oblige, sont faits d'une seule pièce (Jimmy, l'ado qui n'a rien compris et qui parle de masturbation au bout de vingt secondes de son interview, ou encore Larry, le mari qui n'a pas compris grand chose non plus de ce qui lui arrive, joué par un Matt Dillon décidément excellent), ça n'empêche jamais le film de nous permettre de voir des zones d'ombre, des portes vers d'autres possibilités: notamment Janice, dont des fragments de la vie nous apparaissent ça et là, de façon troublante. Et si le film avait été l'histoire d'une patineuse ambitieuse? Et si sa jalousie était motivée par autre chose que le simple dégoût d'avoir vu son mari s'enticher de celle qu'elle considéère comme, disons, la "pire conne"? 

Comme pour nous instruire malgré nous, au milieu de cette narration en forme de soupe télévisuelle génialement restituée dans toute sa crasse, Van Sant a glissé un plan de quelques fractions de secondes, qui nous renseigne sur le futur de la principale protagoniste de ce jeu de massacre. Un plan perturbant parce qu'incompréhensible la première fois qu'on le voit. Mais à la fin, tout deviendra clair.

Ce "Citizen Suzanne Stone" est riche, réjouissant, et noir, le disais-je. Et aujourd'hui plus que jamais, ce portrait d'une ambitieuse (Toujours filmée à proximité d'un téléviseur, d'un micro, ou d'une caméra) est un visage horrifiant de l'Amérique à son pire. Dont je m'empresse d'ajouter qu'il s'agit aussi d'un film Américain, que seul un Américain aurait pu faire... et réussir.

 

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Published by François Massarelli - dans Gus Van Sant Comédie Criterion
1 avril 2018 7 01 /04 /avril /2018 08:52

On se rappelle de Elephant (2003) et sa narration en puzzle, qui multipliait les points de vue (tous d'adolescents) pour montrer une tuerie de masse dans un lycée Américain, sans juger qui que ce soit, et en laissant le spectateur recoller les morceaux à sa guise. Le film, tourné avec des amateurs, avait été la sensation partout ou il avait été montré, et avait récolté la Palme d'Or du festival de Cannes (ce qui certes n'a jamais été un gage de qualité, mais là c'était amplement mérité). Paranoid Park est dans une veine proche, notamment par l'utilisation des amateurs, par une narration qui évite la clarté chronologique, et par une bande-son étonnante. Mais il diffère aussi de l'autre film sur un point: ici, un seul point de vue.

Alex est un ado assez peu différent de ses camarades du lycée public de Portland qu'il fréquente; ses parents sont en instance de divorce, et si on n'a pas la moindre image pour le prouver, on se doute qu'il ne travaille pas vraiment en cours. Il est fanatique de skateboard, a une petite amie... mais il skate rarement, et généralement pas longtemps, et sa petite amie l'embarrasse: il souhaiterait la quitter, parce que "elle va vouloir coucher, et ça va devenir sérieux". Et surtout, Alex est fasciné par Paranoid Park, un skake-park en gestion libre qui tient plus du squat qu'autre chose, que son ami Jared lui a fait découvrir; il aime s'y rendre, et... regarder les autres skater, regarder les filles, et attendre.

Il le dit souvent, il n'est pas prêt pour Paranoid Park. Il n'est d'ailleurs pas prêt pour grand chose: sa seule expérience un tant soit peu physique avec Jennifer, sa copine, semble lui glisser complètement dessus... C'est la jeune femme qui fait tout, de la décision à la prise de responsabilité, jusqu'aux mouvements, pendant qu'Alex semble complètement ailleurs.

Et Alex est ailleurs, sans doute: un soir, à Paranoid Park, il a fait une rencontre, qui a mené à une promenade du côté du chemin de fer, qui a mené à un drame. Et la police enquête, d'autant qu'ils ont des indices troublants: un skateboard a été retrouvé pas loin des lieux, et comme Paranoid park est très proche de la scène du drame, les policiers interrogent tous ceux qu'ils appellent "la communauté du skateboard"...

Le film suit un stream of consciousness qui est clairement lié à l'indécision, à l'impossibilité d'Alex de se sentir concerné. Et la narration se recentre forcément autour de lui, de ce qu'il choisit de nous dire, ou non. Le malaise qui commence à s'installer au départ tient au fait qu'on part d'un moment A (Alex, le soir de l'accident qu'il va provoquer, nous raconte où se raconte tous les détails relativement peu signifiants de sa soirée) pour aller vers un moment C (Il recolle les morceaux les jours suivants, mais est troublé par l'intervention de la police qui l'interroge lui, mais pas les autres camarades de sa classe vu qu'ils ne font pas de skateboard), sans pour autant qu'on ait le moindre indice sur le moment B... A part à certains moments des bribes de sons qui semblent venir perturber Alex dans son déni.

Et c'est bien de ça qu'il s'agit, justement: Alex est dans le déni permanent. Déni de ce qui lui arrive chez lui ("C'est normal, tous les parents divorcent"), déni de toute possibilité affective auprès de Jennifer, déni d'implication dans l'activité qui est supposée le fasciner: le seul moment qui nous montre Alex utiliser son skateboard passe très vite, comme si cette occupation l'ennuyait... Le film semble pointer vers un éveil de la responsabilité qui ne viendra jamais, d'autant que tous ces moments sont contés par Alex, à un moment Z, quand le jeune homme suit le conseil d'une nouvelle petite amie qui ne connaît pas le problème, elle sait juste qu'il a un souci. Elle lui conseille donc d'écrire une lettre pour se débarrasser du problème, et justifie ainsi la narration du film, puisque tout vient de ce moment où, sur un banc, Alex essaie de raconter cette histoire, et cet accident dont il est partiellement responsable. ...Et que je vous laisse découvrir, si vous avez le coeur bien accroché.

...et si vous voulez voir le film.

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Published by François Massarelli - dans Gus Van Sant
24 juin 2016 5 24 /06 /juin /2016 18:59

Ce film fait partie d'une trilogie consacrée à la mort et est clairement basé sur le massacre au lycée Columbine High School, qui a eu lieu en avril 1999 dans le Colorado. Le lycée où ont lieu les événements ici est situé lui dans l'Oregon, comme on peut le déduire en étant attentif aux petits détails du décor, et c'est l'une des nombreuses qualités de cette oeuvre intrigante de nous en laisser justement le temps. Plutôt qu'une intrigue le film a un principe, celui de s'attacher à un certain nombre de personnages lors d'une journée ordinaire, tous vus à travers une demi-heure environ, et de revenir à certains moments-clés, qui seront aperçus selon plusieurs angles. Le résultat est un film d'une lisibilité absolue, et d'une franchise choquante; frustrés par leur sentiment d'être les victimes de tout, des adultes, de leurs camarades et du système scolaire, deux adolescents ont planifié une attaque en règle de leur lycée, et mettent leur plan à exécution...

C'est l'anti-Bowling for Columbine, le film de Michael Moore qui a à mon sens gâché une noble cause en laissant son auteur-intervieweur se placer systématiquement en vedette et vendre sa camelote en permanence, au mépris de la vérité le plus souvent. Le parti-pris de laisser la parole aux ados, tous interprétés par d'authentiques lycéens, dans leur lycée, donne ici l'impression d'assister à une vraie journée, d'autant que Van Sant a utilisé des plans-séquences et du matériel de vidéo légère. A aucune moment, le cinéaste n'intervient ou ne fait intervenir quelqu'un pour nous asséner une quelconque interprétation des faits, ils nous sont livrés dans toute leur horreur, et la violence brute et sèche du film évite aussi de reproduire les aspects les plus spectaculaires de Columbine: vous arriverez à ce film tel que vous êtes et en repartirez avec votre propre libre arbitre.

...Typiquement, on a accusé le film de provoquer les jeunes à se transformer en tueurs, puisque un assassin adolescent a tué des camarades 17 jours après l'avoir visionné. J'ai vu ce film trois fois, je n'ai encore tué personne. On notera que la plupart des gens qui se parlent dans le film font des plans d'avenir, que ce soit 'l'année prochaine, à l'université', ou 'ce soir au concert'... L'impression généralisée va à l'encontre de ce que la NRA et autres officines d'extrême droite disent du système éducatif public, les jeunes sont décents dans l'ensemble, tout au plus ont-il tendance à décharger leur rancoeur de façon verbale ou parfois un peu plus physique (L'un des futurs tueurs subit des vexations en cours). La vie du lycée y est détaillée avec une véracité tranquille qui se retourne contre le spectateur lorsque, comme si c'était là aussi dans la norme, une jeune fille se retrouve tuée à bout portant, la première d'une série de morts...

Quant au titre, outre le fait qu'il renvoie à une série d'allusions animalières (Le jeune John, sympathique blondinet, porte un T-Shirt avec le minotaure, il caresse un chien, etc...), il n'est pas comme on l'a dit une allusion au parti républicain dont l'animal est le symbole, mais plutôt une allusion au fait que le problème des ados tueurs est un phénomène aujourd'hui qui prend toute la place, mais dont personne ne va débattre. Comme si personne ne semblait gêné qu'il y ait un éléphant dans la pièce.

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Published by François Massarelli - dans Gus Van Sant