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  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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1 avril 2018 7 01 /04 /avril /2018 08:52

On se rappelle de Elephant (2003) et sa narration en puzzle, qui multipliait les points de vue (tous d'adolescents) pour montrer une tuerie de masse dans un lycée Américain, sans juger qui que ce soit, et en laissant le spectateur recoller les morceaux à sa guise. Le film, tourné avec des amateurs, avait été la sensation partout ou il avait été montré, et avait récolté la Palme d'Or du festival de Cannes (ce qui certes n'a jamais été un gage de qualité, mais là c'était amplement mérité). Paranoid Park est dans une veine proche, notamment par l'utilisation des amateurs, par une narration qui évite la clarté chronologique, et par une bande-son étonnante. Mais il diffère aussi de l'autre film sur un point: ici, un seul point de vue.

Alex est un ado assez peu différent de ses camarades du lycée public de Portland qu'il fréquente; ses parents sont en instance de divorce, et si on n'a pas la moindre image pour le prouver, on se doute qu'il ne travaille pas vraiment en cours. Il est fanatique de skateboard, a une petite amie... mais il skate rarement, et généralement pas longtemps, et sa petite amie l'embarrasse: il souhaiterait la quitter, parce que "elle va vouloir coucher, et ça va devenir sérieux". Et surtout, Alex est fasciné par Paranoid Park, un skake-park en gestion libre qui tient plus du squat qu'autre chose, que son ami Jared lui a fait découvrir; il aime s'y rendre, et... regarder les autres skater, regarder les filles, et attendre.

Il le dit souvent, il n'est pas prêt pour Paranoid Park. Il n'est d'ailleurs pas prêt pour grand chose: sa seule expérience un tant soit peu physique avec Jennifer, sa copine, semble lui glisser complètement dessus... C'est la jeune femme qui fait tout, de la décision à la prise de responsabilité, jusqu'aux mouvements, pendant qu'Alex semble complètement ailleurs.

Et Alex est ailleurs, sans doute: un soir, à Paranoid Park, il a fait une rencontre, qui a mené à une promenade du côté du chemin de fer, qui a mené à un drame. Et la police enquête, d'autant qu'ils ont des indices troublants: un skateboard a été retrouvé pas loin des lieux, et comme Paranoid park est très proche de la scène du drame, les policiers interrogent tous ceux qu'ils appellent "la communauté du skateboard"...

Le film suit un stream of consciousness qui est clairement lié à l'indécision, à l'impossibilité d'Alex de se sentir concerné. Et la narration se recentre forcément autour de lui, de ce qu'il choisit de nous dire, ou non. Le malaise qui commence à s'installer au départ tient au fait qu'on part d'un moment A (Alex, le soir de l'accident qu'il va provoquer, nous raconte où se raconte tous les détails relativement peu signifiants de sa soirée) pour aller vers un moment C (Il recolle les morceaux les jours suivants, mais est troublé par l'intervention de la police qui l'interroge lui, mais pas les autres camarades de sa classe vu qu'ils ne font pas de skateboard), sans pour autant qu'on ait le moindre indice sur le moment B... A part à certains moments des bribes de sons qui semblent venir perturber Alex dans son déni.

Et c'est bien de ça qu'il s'agit, justement: Alex est dans le déni permanent. Déni de ce qui lui arrive chez lui ("C'est normal, tous les parents divorcent"), déni de toute possibilité affective auprès de Jennifer, déni d'implication dans l'activité qui est supposée le fasciner: le seul moment qui nous montre Alex utiliser son skateboard passe très vite, comme si cette occupation l'ennuyait... Le film semble pointer vers un éveil de la responsabilité qui ne viendra jamais, d'autant que tous ces moments sont contés par Alex, à un moment Z, quand le jeune homme suit le conseil d'une nouvelle petite amie qui ne connaît pas le problème, elle sait juste qu'il a un souci. Elle lui conseille donc d'écrire une lettre pour se débarrasser du problème, et justifie ainsi la narration du film, puisque tout vient de ce moment où, sur un banc, Alex essaie de raconter cette histoire, et cet accident dont il est partiellement responsable. ...Et que je vous laisse découvrir, si vous avez le coeur bien accroché.

...et si vous voulez voir le film.

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Published by François Massarelli - dans Gus Van Sant