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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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21 janvier 2024 7 21 /01 /janvier /2024 12:51

Un inventaire à la Bunuel: un documentaire sur les scorpions, des bandits très fatigués, un quarteron d'évèques psalmodiant, comme plantés sur des rochers au bord de la mer... Une inauguration officielle sanctifiée par la présence du clergé et de l'armée: on érige la première pierre de la ville de Rome... Une cérémonie perturbée par un couple qui se vautre (littéralement) dans la fange... Une vache s'est égarée sur un lit, un marquis semble ne pas prêter attention aux mouches qui envahissent son visage... un garde-chasse se fâche après son fils qui l'empêche de fumer, et l'abat à bout portant...

Le film n'est pourtant pas qu'une accumulation de transgressions (on devine qu'au moment d'écrire le script du film, Bunuel et son copain, Dali ont du beaucoup reposer sur l'écriture automatique et les cadavres exquis), et possède une intrigue, en quelque sorte, propice à des charges énergiques contre l'église omniprésente, le bon goût et la bourgeoisie: un homme et une femme s'aiment et on un tel désir l'un pour l'autre qu'ils ne sauraient se retenir. Et l'homme, par ailleur chargé d'une mission par le gouvernement, arrivera à la réception organisée par les parents de la jeune femme, pour pouvoir être avec elle sans retenue... Mais polluée par ses valeurs bourgeoises (elle fait partie d'une famille "installée" de la bonne société) la jeune femme le quitte pour un chef d'orchestre, qui est sous le coup d'une forte émotion après avoir conduit un ensemble qui jouait Tristan et Isolde de Wagner...

Cette intrigue est donc enchassée entre deux séquences: un prologue en forme de documentaire sur les scorpions, et un épilogue qui nous montre les participants de l'orgie des 120 jours de Sodome du Marquis de Sade, quitter le château qui fut le théâtre de leurs actes dépravés. le dernier à sortir est le Christ, qui revient en arrière pour éliminer une des victimes qui a échappé au massacre!

Le film est aussi truffé de passages qui sont à peine des digressions, depuis un homme qui se promène, un âin sur la tête, au passage des bandits épuisés (leur chef est interprété par Max Ernst) qui meurent en se rendant au combat ("quelle couillonnade!"), et les collages provocateurs abondent: un tombereau passe dans la maison où une réception huppée se déroule, dans l'indifférence des participants; Gaston Modot, qui doit accomplir une mission dont dépend la vie de centaines d'hommes, de femmes et d'enfants, n'accomplit pas son devoir et il reçoit un coup de téléphone qui lui annonce que les gens en question sont tous morts! Sinon, l'acteur attaque en permanence tout ce qui renvoie aus bonnes manières, les chiens, mais aussi un aveugle qui passe sur le trottoir...

Et sinon, le film transgresse presque en douceur, en réussissant à parler et presque montrer séduction, tendresse, sexualité, désir, orgasme, caresses, sans pour autant la moindre image ocntraire aux bonnes moeurs... L'implication de Lya Lys et Gaston Modot est totale, et le film ose aller assez loin comme lorsqu'une image fantasmée nous montre la jeune femme dans les toilettes, en paralle avec des images de lave... 

Le film est un des premiers films sonores français, sorti en novembre 1930: il a du, je pense, être prévu en muet, mais sonorisé au fur et à mesure; il ne contient sans doute qu'une quinzaine de minutes, pas plus, contenant des dialogues, et fait une fort belle utilisation du son: musique, contrepoint dialogué, voix off, bruitages fins, le résultat est d'autant plus spectaculaire que le réalisateur se considérait lui-même comme débutant (ce qu'il n'était pourtant pas). Ne voyant pas comment organiser son tournage, Bunuel l'a filmé en séquence, d'ailleurs... 

Les surréalistes, qui avaient été surpris par Un chien Andalou en 1929, vont aider le tournage au point pour certains d'y participer pour certains... Par contre le film va donner lieu à une bataille rangée dans les rares salles où on le projette, avec des combats entre des humains (surréalistes, amateurs, curieux) et des hominidés et autres primates (royalistes, extrême droite, ligues fascistes), ce qui va provoquer l'interdiction du film. Quand les salauds s'agitent devant un film, évidemment, ce ne peut être que la faute du film...

 

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Published by François Massarelli - dans Luis Bunuel Table de dissection Parapluie Machine à coudre
9 avril 2019 2 09 /04 /avril /2019 09:23

C'est en voyant le film La coquille et le clergyman, de Germaine Dulac sur un scénario d'Antonin Artaud, que le BBFC (The British Board of Film Censors, le distingué organisme de Censure de sa gracieuse Majesté) a rendu un bilan historique: arguant du fait qu'on n'y comprenait rien, le compte-rendu de visionnage cachait une phrase historique: "If there is a meaning, it is doubtless objectionable"... En d'autres termes, on n'y avait rien compris, mais alors rien, mais une chose était sûre: si dans ce film étrange (il l'est, en effet), se cachait un sens, alors il fallait l'interdire, car il ne faisait pas de doute qu'il soit immoral...

C'est contre ce genre de comportements, je pense, que Bunuel et son copain Dali ont eu l'idée de faire ce court métrage. Probablement avaient-ils une furieuse envie de participer à ce qu'Alain et Odette Virmaux appellent, dans leur Anthologie du cinéma Surréaliste, la "Fête": dans la deuxième moitié des années 20, des dizaines de films plus ou moins inspirés du groupe d'André Breton sont sortis, des bons, des moins bons, et des formidables... Bunuel et Dali se sont sans doute demandé: pourquoi pas eux?

Mais contrairement à beaucoup de ces cinéastes d'une saison qui sont des poètes, des photographes (Man Ray a réalisé une poignée de films devenus des classiques), des écrivains, Bunuel lui est un cinéaste, un vrai: passé par la décoration, le poste d'assistant-réalisateur, et même, sous la supervision de Benito Perojo notamment, des réalisations non créditées... Et le métier du bonhomme se voit rudement, dans un film qui n'est pas que l'accumulation rigolarde d'images pour emm... les bourgeois: il y a de la rigueur dans Un chien andalou

On ne tentera pas d'y apposer un quelconque résumé, tant la gratuité revendiquée des liens y est évidente: le film use et abuse des intertitres du genre 'pendant ce temps', 'vingt ans avant', et le fait probablement en hommage à Buster Keaton (qui s'amusait souvent à détourner ces conventions narratives en début et en fin de ses courts métrages). Buster Keaton auquel pour moi le visage ombrageux et la gestuelle de Pierre Batcheff renvoient de façon évidente; c'était l'un des meilleurs acteurs Français, quel dommage que sa carrière ait été si courte... Ici, il se prête avec une joie évidente au jeu, participant à ce conte de transgression, dont les première images sont restées si célèbres: Bunuel y tranche l'oeil d'une femme avec une lame de rasoir dans une séquence au découpage étudié. C'est cette rigueur dans le montage, la construction du film et celle des séquences, qui fait que le film marche si bien, au-delà de ses idées visuelles parfois impressionnantes (une femme habillée en homme, en contre-plongée, bouge avec sa canne une main coupée recouverte de fourmis), salaces (Batcheff se précipitant la bave littéralement aux lèvres sur les seins de Simonne Mareuil), voire carrément ouvertement vulgaire (les poils des aisselles qui se retrouvent en barbiche). La bienséance, la morale, les codes, et bien sûr la religion en prennent pour leur grade. Mais ce qui importe, c'est que cette mystérieuse boîte de Pandore que Batcheff porte à son cou, ait été ouverte, inaugurant enfin d'une introduction digne de ce nom des idées surréalistes dans le cinéma.

La "fête" du cinéma surréaliste, avant Un chien Andalou, était surtout une beuverie joyeuse mais un brin désorganisée. Avec ce film, le cinéma va considérablement changer.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Parapluie Machine à coudre Table de dissection Luis Bunuel