
Ca tient à peu de choses, une réputation... et puis quelques fois, ça ne passe pas les frontières.
Le sixième film de la saga James Bond, par exemple, s'il est considéré outre-Atlantique et outre-Manche comme l'un des meilleurs films toutes époques confondues par certains (fans et collaborateurs de la série), est considéré en France comme l'un des pires films.
Honnêtement, ça ne tient à mon sens qu'à un facteur qui joue, sans doute en sa défaveur: Sean Connery absent, il a fallu le remplacer par un acteur novice, qui n'avait pas l'approbation unanime des créateurs de la série, et qui n'a jamais transformé l'essai en tournant un second film.
Du coup, on ne sait pas quoi faire de ce grand dadais qui, clairement, n'est pas Sean Connery, ni Roger Moore, ni les autres. Pourtant, George Lazenby, c'est à mon humble avis une présence, un corps, un physique plus massif, d'ailleurs annonciateur de Daniel Craig, et le fait est que sa forte présence physique constamment soulignée dans un script dont on a enlevé tous ces gadgets ridicules qui encombraient déjà les Bond à cette époque, contraste efficacement avec une période de doute: Bond tombe amoureux, se fait virer de son enquête, menace de démissionner, et parle de tout lâcher par amour... Sean Connery l'aurait-il fait? Quoiqu'il en soit, Lazenby, Bond d'un jour, s'adresse à la caméra à la fin de la sempiternelle introduction du film, et le dit "Tout ceci serait-il arrivé à l'autre?"
Le film joue souvent sur l'essoufflement, l'équivoque, jusqu'à ces scènes qui voient un Bond efféminé, qui débarque dans une institution ou douze jeunes femmes (Dont Joanna Lumley) vont tester sa virilité dans une conversation truffée d'innuendos, jusqu'à ce que...
L'intrigue resserrée (totalement fidèle à Ian Fleming pour une fois) prend un dangereux contrepied sur les petites habitudes: Bond est en vacances, et tombe par hasard sur celle qui va devenir la femme de sa vie; il va aussi par hasard se retrouver à nouveau sur la piste de Blofeld (Telly Savalas), le chef du S.P.E.C.T.R.E., dont il va une fois de plus contrecarrer les plans. Mais l'insistance sur les vacances, les loisirs de Bond, est non seulement une occasion de fouiller un peu plus avant dans le personnage, c'est aussi le moment de révéler ses failles, son doute, son moi profond. D'ailleurs, cette histoire, plus longue qu'à l'accoutumée, laissera des traces, sous la forme du souvenir vivace d'une femme, celle qu'il aura épousée, et qu'il tentera de venger dans un prologue musclé à Diamonds are forever (Avec le retour de Sean Connery), une ouverture foutraque à For your eyes only (Réalisé par John Glen, monteur, réalisateur de seconde équipe ici, et fervent admirateur de ce film; interprété par Roger Moore), et une scène de visite amère au cimetière dans Licence to kill (De John Glen à nouveau, et avec Timothy Dalton). La romance entre Bond et la belle Teresa-Tracy n'aurait sans doute pas été si réussie si le personnage n'avait été interprété par la formidable Diana
Rigg: Bond a réussi à trouver l'ame-soeur...
Non seulement elle est une grande actrice confirmée, mais après son rôle dans la série The avengers, elle a prouvé qu'elle sait se battre! car le film n'est pas exempt de ces exploits particuliers qu'on attend d'un bon Bond: les scènes d'action prennent leur temps à venir, mais elles dépassent tout ce qui a été fait avant, et défrichent un impressionnant territoire, en particulier les séquences tournées en pleines Alpes suisses.
D'autres exploits, inévitables en ce terrain, feront grincer des dents par les temps qui courent, néanmoins ces conquêtes féminines à répétition font tellement partie intégrante d'une panoplie qu'il me semble impossible à prendre au sérieux, d'une part... Et d'autre part le rôle particulier joué par Tracy/Diana Rigg la fait anticiper sur les plus débrouillardes partenaires des années 90 et au-delà. Tracy n'est en riren une potiche, ni une conquête facile...
La photographie est constamment superbe, et surtout la lisibilité inhabituelle de ces cascades (Ski, Bobsleigh, voiture dans la neige, attaque d'un pic de montagne à même la glace...) laisse souvent pantois. Le film inaugure un rapport exalté entre Bond et les montagnes, qu'il ne va plus jamais se contenter de regarder de loin.
Bref, si effectivement George Lazenby n'est pas un Bond habituel, il faut dire qu'il a su payer de sa personne, et si la production l'a souvent relégué au second plan, il incarne malgré tout un Bond mémorable, de par ses doutes, mais aussi sa présence minérale, son flegme et la sensualité particulière de sa voix... Pour moi, ce Bond là est le meilleur, tant l'acteur que le film.
En guise de post-scriptum, dans ce film, une petite apparition qui fait chaud au coeur: une dame commente le passage éclair de Diana Rigg devant une table de jeu, au casino, alors que celle-ci vient d'être "sauvée "par une intervention de Lazenby-Bond: c'est une grande dame en effet, l'actrice Bessie Love, rescapée du cinéma muet. Ca fait plaisir.