Retour à la noirceur... Ce film prend une fois de plus prétexte de flash-backs à la recherche de secrets de famille plus ou moins enfouis, pour fouiller dans l'âme de certaines femmes. Les hommes? A l'image de cette statuette d'argile souvent montrée dans le film, et qui est la production de l'une des protagonistes, ils ont le sexe érigé, mais coupé à la moitié: ils sont bien sûr souvent l'objet des secrets, mais n'en sont jamais le sujet, et ils restent à l'écart; une fois de plus, c'est une affaire de femmes.
Julieta s'apprête à tirer un trait sur sa vie à Madrid, une vie uniquement passée à attendre que sa fille Antia qui l'a quittée il y a douze ans, donne de ses nouvelles ou revienne, et elle va donc suivre son amoureux Lorenzo au Portugal... mais peu avant le départ, elle croise Béa, la meilleure amie de sa fille quand elle était adolescente, et celle-ci lui dit qu'elle a vu Antia. Elle va bien, elle a des enfants... Bouleversée, Julieta annule son départ, et sous le prétexte d'écrire à sa fille, replonge dans ses souvenirs, à partir d'une nuit dans un train, lorsqu'elle a fait la rencontre de Xoan, un jeune homme séduisant. Un pêcheur passionné, retenu à terre par la maladie de sa femme... Une nuit d'amour dans le train plus tard, les destins de Xoan et Julieta allaient être liés... Du moins pour un temps.
Aucune provocation, aucun humour non plus. Almodovar retrouve avec ce très beau film qui vous agrippe et ne vous lâche plus, la rigueur de La fleur de mon secret, de Volver ou de Etreintes brisées, mais il se refuse à détacher son regard et le nôtre, par des notations humoristiques, du drame de cette femme, qui vit dans l'éternelle incompréhension d'une absence. Celle-ci ne sera d'ailleurs pas totalement ni comprise, ni résolue dans le cours du film, mais Almodovar s'est plu à en montrer l'effet, les contours, avec l'aide de plusieurs actrices: Adriana Ugarte interpète Julieta jeune, et Emma Suarez à quarante-cinq ans.Tout autour d'elle est fait de regret, de souvenirs aussi, ce n'est d'ailleurs pas un hasard si un épisode prémonitoire du flash-back nous raconte la visite de Julieta à sa maman atteinte d'Alzheimer. Car le souvenir a beau être douloureux, au point qu'on veuille s'en débarrasser, il est aussi vital, et Julieta âgée est en grand danger de se perdre en essayant d'oublier son passé.
La mise en scène est faite de cette magnifique passion des personnages, suivant Julieta surtout dans ses recherches, égarements, décisions et regrets. chaque détail bien sûr compte, et Almodovar se permet parfois une douce ironie: lorsqu'on dit à Julieta qu'elle n'est pas vieille, un poster au fond la pièce annonce la production d'une pièce: The old woman... Une scène superbe lui permet de nous surprendre en passant d'une actrice à l'autre au sein de la même période temporelle, comme pour montrer le poids d'un traumatisme sur le personnage de Julieta. Il se livre aussi à une belle auto-parodie, en choisissant de privilégier pour la jeunesse de Julieta la palette de couleurs vives voire criardes qui était la sienne à ses débuts, pour contrer avec les nuances plus sobres et naturelles des scènes contemporaines.
Bref: un film magnifique, un de plus.