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2 janvier 2020 4 02 /01 /janvier /2020 10:59

La phrase qui sert de titre au film contient les mêmes ingrédients que les titres du film précédent de Tourneur et Lewton, Cat people, ainsi que du troisième, The leopard man, sorti un mois et demi après celui-ci (!): l'onirisme factice et indicatif du genre fantastique, dans son versant le moins noble d'un côté, et une description désarmante de fidélité d'un aspect réel du film d'autre part, car l'héroïne jouée par Frances Dee a effectivement "marché avec un zombie"!

L'infirmière Betsy Connell (Frances Dee) est engagée pour s'occuper d'une malade bien particulière, dans une petite localité des Caraïbes. Durant le voyage en bateau, elle rencontre son employeur, le séduisant Paul Holland (Tom Conway). Son épouse est depuis quelques années dans un état de catatonie permanent... Elle rencontre aussi, dans une propriété dont les domestiques, tous noirs, sont adeptes de nombreux aspects du vaudou, la mère de Paul, le Docteur Rand (Edith Barrett), qui tient un dispensaire local, et son fils d'un autre mariage, le demi-frère de Paul Wesley (James Ellison), qui va bien vite, malgré lui, lui révéler l'abominable secret de la famille: c'est en essayant de fuir Paul avec Wesley que Jessica Holland (Christine Gordon) a été frappée par la fièvre, suivie de sévères complications...

Résumer l'intrigue du film est d'une grande difficulté, car la narration, qui incombe à Betsy, et donc à la personne étrangère du logis où se déroule l'essentiel de l'action, est marquée par les émotions ressenties. C'est même assez poisseux, pour ne pas dire boueux: de ces boues qu'on trouve à des milliers de kilomètres, dans le Yorkshire, sur la lande... Car le script est fortement inspiré de Jane Eyre de Charlotte Brontë, en contrebande bien entendu. Et puis Tourneur, qui est ici très à son aise, a décidé de laisser les rites Vaudou, et cette atmosphère de sorcellerie au quotidien, dicter le rythme du film.

Bien plus qu'un film d'horreur ou d'épouvante, I walked with a zombie ressemble à un voyage initiatique inachevé, dans lequel le spectateur en saura toujours plus que les personnages, tout en ne disposant pas de toutes les clés. Inachevé, car pour reprendre les mots de la fin de Night of the demon, prononcés par le Dr Holden: "Sometimes it's better not to know", quelquefois il est préférable de ne pas savoir. Et c'est justement le credo de Tourneur, un homme qui prétendait être fasciné par l'occulte et les fantômes, mais qui n'avait pas son pareil pour le mettre en scène avec les artifices les plus simples. Un "croyant" selon ses propres termes qui ne dédaignait jamais de tricher avec le spectateur, d'où l'impression que son film ne voudra pas choisir entre le rationalisme occidental (représenté par la famille Rand-Holland) et l'attrait de l'onirisme et de la culture Vaudou.

Mais voilà: Tourneur s'est senti particulièrement proche de cet aspect du sujet, lui qui avait déjà évoqué le Vaudou dans son court métrage Tupapaoo... Il a donné à ses manifestations de sorcellerie des images sublimes, définitives (et parfois sacrément effrayantes), et a été plus loin encore: car I walked with a zombie, sans se livrer à la moindre exploitation gratuite (contrairement par exemple à Angel Heart d'Alan Parker), est une exploration honnête d'un des fondements du particularisme Vaudou, le fait que c'est un culte qui vient de l'inégalité de l'esclavage et de la nécessité de développer une culture parallèle pour survivre en tant que peuple, pour les esclaves arrivés là contre leur gré, et assujettis à leurs maîtres. Le film souligne fortement cet héritage de multiples façons, en laissant la part belle à une interprétation strictement surnaturelle, qui est opposée mais pas contredite par les interprétations des occidentaux: ce qu'on voit à l'oeuvre dans ce film, c'est donc la confrontation de deux mondes séparés par l'horreur de l'esclavage... 

Tout ceci permet à ce film étrange et formellement très beau, d'accéder à une position très particulière dans l'oeuvre de Jacques Tourneur, un cinéaste qui s'est toujours intéressé aux histoires d'exclusion et d'ostracisme, jusque dans les recoins les plus sombres de Stars in my crown, Out of the past ou Great day in the morning.

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tourneur