Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

6 février 2023 1 06 /02 /février /2023 16:45

Lydia Tàr, chef d'orchestre internationalement reconnue, vit une période de surexposition médiatique: d'une part un livre va sortir, résultat d'entretiens basés sur sa personne, dont elle fait la promotion, et d'autre part elle s'apprête à finir d'enregistrer une somme qui est l'aboutissement de sa carrière: toutes les symphonies de Mahler, pour la prestigieuse compagnie Deutsche Grammophon, à la tête de l'Orchestre Berlinois qu'elle a l'honneur de diriger depuis quelques temps.

Le revers de la médaille, c'est qu'en coulisses, les nombreuses affaires et frasques auxquelles son statut de star intouchable semblait lui donner droit, lui reviennent en pleine poire: une difficile succession à la tête de l'administration de l'orchestre, le suicide louche d'une jeune femme qu'elle a tout fait pour étouffer, des rumeurs de promotions canapé de la part de jeunes femmes dont elle aurait abusé, et des remontées insistantes d'étudiants outragés par son comportement de provocation permanente...

D'autant plus qu'elle a commis une faute: attirée par une jeune violoncelliste Russe aussi jolie que prometteuse, elle va tout faire pour l'attirer vers elle, au vu et au su de tous y compris et surtout de sa compagne Sharon, qui est, justement, premier violon de l'orchestre, donc directement sous son pupitre...

On va le dire une fois pour toutes, du reste Todd Field l'a dit et redit, c'est un film tourné autour de, et à la gloire de, Cate Blanchett; l'actrice, qui a repris des leçons d'allemand, a intégré les rudiments de la direction (énergique) d'orchestre, a interprété Bach au piano, et mène son monde d'un pas étourdissant, à la fois fascinante dans son volontarisme et redoutable dans son approche agressive du monde en général et de la musique en particulier. Ce film, c'est le récit d'un dérapage généralisé d'une femme qui a cru pouvoir adopter la fuite comme unique stratégie sociale, et a surtout cru préserver son pré-carré, la conduction d'orchestre, un domaine dans lequel elle a, il est vrai, une vraie compétence... Mais aussi un certain aveuglement, car Lydia Tàr, qui occupe un poste de direction élevé, et se comporte de façon un peu trop libre, aurait du voir les signes annonciateurs de sa chute...

Le film est entièrement habité d'une impressionnante recréation de ce qu'est le monde de la musique, de façon intime: Lydia Tàr ne vit que pour et par la musique, se voyant d'ailleurs reprocher par sa compagne d'avoir conservé un appartement à l'écart de chez elles, où elle peut se consacrer à la musique, et aussi accessoirement à des invitations, par exemple d'une soliste afin de se rapprocher d'elle. On n'a qu'un seul exemple dans le film, mais de toute évidence c'est une habitude ancrée... Mais si elle se permet des écarts de conduite, c'est plus de par son statut hiérarchique qu'elle le fait: la musique, on le voit bien, prime sur tout, tout le temps. Au point qu'au fur et à mesure du film, on voit l'agacement dans lequel des parasites sonores la précipitent... une scène la voit même se réveiller parce qu'elle entend un battement régulier, d'abord presque indistinct dans la bande-son, puis de plus en plus fort. C'est un métronome dans un placard. Qui l'a placé là et l'a mis en route? Nous ne le saurons pas... Même sa fille, Petra, qui est de l'aveu même de Sharon la seule personne que Lydia aime vraiment, semble vouloir la rejoindre en jouant au chef d'orchestre: c'est donc sur le terrain de la mère qu'elles se rejoignent...

Le récit de cette chute est effectué par une mise en scène enlevée, habitée, au plus près des acteurs et surtout de celle qui est, omniprésente et tumultueuse, à la fois sujet et point de vue. Mais pour donner encore plus de substance à son sujet, Field a enveloppé le film des atours d'une certaine véracité: allusions à la pandémie comme une halte définissant de nouveaux comportements, conflit éditorial sur les formats de publication, entre le LP Vinyl et les formats numériques, Tàr étant plutôt en faveur du premier, contre un label qui souhaite contrôler le marché du streaming en priorité, et une magistrale plongée dans le monde de la musique, qui passe par des dialogues où les allusions à d'autres chefs d'orchestre (Leonard Bernstein, Claudio Abbado, ou le cas de James Levine, souligné dans le film à cause de sa chute assez proche de celle de Lydia Tàr), ou encore des rappels pertinents de l'histoire de la musique, pour lesquels on n'aura pas besoin d'une licence de musicologie ou d'un master d'histoire de l'art, tellement le film les rend à la fois pertinents et surtout clairs y compris pour ceux qui ne connaitraient pas le sujet...

Et c'est rendu possible par deux choses,

d'une part une exposition qui nous donne à croire que le film sera presque un biopic ronronnant, avec Tàr en maîtresse de cérémonie imbue de sa personne, dans le rôle à la fois de la cheffe d'orchestre habitée, de l'enseignante odieuse et provocatrice, de l'interviewée qui en jette, et de la bête médiatique courtisée et crainte par tous et toutes. Une entrée en matière qui nous place au coeur de la tempête, en quelque sorte... Une impression de véracité entretenue par le fait que tous les musiciens de premier plan dans le film sont incarnés par des acteurs qui jouent pour de vrai.

et d'autre part, un générique de début qui ressemble fort à un générique de fin (tous les techniciens du film, les lieux de tournage, etc), une façon comme une autre de nous faire comprendre qu'au moment où commence ce long et beau film, tout est déjà consommé

Mais magouilleuse en froid avec la justice, prédatrice sexuelle, manipulatrice, et même, dans une scène terrible, apparaissant comme une maniaque s'accrochant agressivement et désespérément à son pupitre, comment Lydia Tàr, fascinée et habitée par son art, réussira-t-elle à survivre à cette tempête? La réponse est dans le film. 

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Todd Field
18 août 2021 3 18 /08 /août /2021 18:10

Boston, 2006, quatre personnages:

Sarah (Kate Winslet), sans emploi, est mariée, a une fille de trois ans. Elle souffre de la solitude, et sait que son mari n'est pas heureux dans son couple depuis qu'elle l'a surpris dans son bureau, à se donner du plaisir en regardant les photos d'une internaute coquine, le nez dans une petite culotte... Elle passe donc du temps au square en compagnie d'autres femmes de Boston qui passent leur temps à juger l'humanité entière et à fantasmer sur...

Brad (Patrick Wilson), marié à une réalisatrice de documentaires (Jennifer Connelly), père d'un garçon, est diplômé en droit mais n'a toujours pas validé l'examen du barreau. Il est le père au foyer et semble s'en contenter. Il s'ennuie d'autant que son couple est tout entier dédié à leur fils. Du coup, il passe beaucoup de temps avec son garçon, fantasme sur sa jeunesse perdue en regardant les jeunes faire du skate, et sympathise avec Sarah, qui le lui rend bien. Et un soir par semaine, il joue au football avec...

Larry (Noah Emmerich) est un ancien policier, mis à la retraite anticipée après une bavure. Un homme un vrai, qui a créé un club de football Américain pour les gens comme lui, et pour se défouler d'un mariage raté et d'une vie foutue. Car la bavure qu'il a commise est du genre qu'on n'oublie pas: alerté à tort qu'un gosse se promenait avec une arme, il l'a abattu. C'était un jouet... Larry refoule toute sa haine de lui-même sur...

Ronnie (Jackie Earle Haley) vit avec sa mère, depuis qu'il a retrouvé la liberté: il a purgé deux années de prison pour exhibitionnisme devant mineurs, et il est, bien sûr, sous haute surveillance. Tout le mode dans le quartier a un avis tranché sur lui, la plupart des gens disant à qui veut (ou ne veut pas) les entendre qu'il conviendrait de le castrer... Ronnie sait qu'il a fait quelque chose d'abominable, et doute de sa réinsertion; mais sa maman, la dernière personne à qui il peut parler, souhaite le voir refaire sa vie car elle sait que ses jours sont comptés. Elle défend donc vaillamment son fils et leur foyer contre l'agression permanente du voisinage, et en particulier du comité de vigilance parentale mené par Larry...

C'est un film dur, violemment ironique, sur l'état des lieux et des consciences dans l'Amérique propre sur elle et puritaine sous George W. Bush. Ce n'est pas un hasard si dans cette intrigue dont le motif principal reste un adultère (devinez) on nous montre la rencontre (saumâtre) d'une femme qui trompe son mari et d'une mère-la-pudeur sarcastique, dans une discussion autour de... Madame Bovary. Todd Field adapte un roman de Tom Perrota et il réussit en 2 heures et 15 minutes à rendre parfaitement la dimension romanesque, justement, des quatre arcs narratifs qu'il entrecroise. Il joue en virtuose de l'ironie, et nous laisse assez libres de choisir notre camp. Mais surtout il donne à voir une impitoyable radiographie de l'Amérique critiquant la paille dans l'oeil du voisin, sans voir la poutre qu'elle a dans le sien. 

Les acteurs (quel casting!) sont tous formidables, et le film est un tour de force narratif, prenant dès la première seconde. Une mention spéciale doit aller à Jackie Earle Haley pour sa création provocante d'un pédophile qui est tellement sûr de sa propre nature qu'il sait qu'il ne sera jamais, comme le voudrait sa mère, "a good boy". Une des scènes clés du film le voit provoquer une panique dans une piscine publique en se baignant au fond du bassin avec un masque, des palmes et un tuba... Une scène impressionnante, dérangeante, et magistrale.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Todd Field