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2 novembre 2016 3 02 /11 /novembre /2016 11:09

 

Pas la peine de tourner autour du pot: il sera ici question de foi. Pas tant la foi dont il est question dans le film, qui déroule une improbable histoire de possession satanique vue du point de vue d'un scientifique chevronné et sceptique, non, plus de foi dans le cinéma, et plus particulièrement dans ce film... On fait grand cas, avec raison, du génie de Tourneur tel qu'il se manifeste dans l'époustouflant film Cat People; mais son meilleur film, selon moi, c'est celui-ci, une production Anglo-Américaine, effectuée sous l'égide de la Columbia et dans laquelle les artistes Britanniques occupent vraiment le terrain. Je vais profiter de cet espace pour parler un peu d'un malentendu tenace: non, Tourneur n'est pas un réalisateur de films fantastiques. Comme Tod Browning, il est souvent associé à ce domaine dans la mesure où il s'y est illustré, mais comme Tod Browning il a souvent touché à d'autres domaines, en particulier le film noir sous plusieurs formes (De Nightfall à Circle of danger, en passant par Experiment perilous et Out of the past), mais aussi divers films d'aventures et bien sur des westerns. Son étiquette "fantastique" est surtout due à ces trois films produits par Val Lewton pour la RKO, dont Cat people qui semble à lui tout seul résumer le style adopté par le réalisateur... Mais qui est si clairement supérieur aux deux autres!  Trois autres films doivent être ajoutés à cette galerie, les très inégaux Comedy of terrors et War gods of the deep, ses deux derniers films, mais aussi et surtout, donc, Night of the demon.

En Grande-bretagne, un scientifique qui enquêtait sur le culte satanique de l'étrange Julian Karswell (Niall McGinnis) trouve la mort dans des circonstances d'autant plus étranges que ce décès avait été "prédit" au défunt, à la date et l'heure exacte. Pourtant, si les spectateurs savent que c'est à une forme démoniaque que l'homme doit sa mort, tous les indices concourent à faire penser à un accident. Le lendemain, John Holden (Dana Andrews) un scientifique Américain arrive sur les lieux, et va lui aussi s'attaquer à Karswell, qui lui réserve également le même sort...

Il est difficile de résumer ce film en raison d'un fait tout simple: d'une certaine façon il viole dès le départ une loi du genre, en nous livrant de but en blanc la vérité toute crue: si Holden est un sceptique dur à cuire qui refuse d'admettre l'existence de la magie et des forces occultes, le spectateur sait lui qu'il se trompe sur toute la ligne. Et il devient même difficile ensuite de garder de la sympathie pour le bonhomme! C'est là qu'intervient Patricia Harrington (Peggy Cummins), la nièce du scientifique disparu, qui se retrouve entre ses propres questionnement et son attirance pour l'Américain. Elle l'humanise, au moins pour donner un enjeu au spectateur qui manque cruellement de billes pour conserver son affection envers celui qui est très officiellement le héros! Mais Karswell, interprété par un de ces acteurs géniaux dont la grande-Bretagne a le secret, même si McGinnis est lui-même d'origine Irlandaise, est tellement plus intéressant que Holden! Comme disait Hitchcock, plus le méchant est réussi, meilleur sera le film: Karswell est sans doute la clé de la réussite de ce film... Totalement impliqué dans son culte démoniaque, entièrement dédié à sa mission, qui consiste à mener une troupe de croyants pour lesquels "le bien c'est le mal, et le mal c'est le bien", Karswell est spirituel, cultivé, affectueux presque, rondouillard, et en prime il se comporte en brave citoyen qui organise des goùters pour Halloween avec des tours de magie! Mais sous ce masque bienveillant, est-il un inquiétant démiurge qui distribue la mort, ou un être humain qui est le jouet de forces démoniaques qui le dépassent? Veut-il par sa résistance à une enquête qui risque de gêner les affaires de son culte se protéger personnellement, ou éviter que trop de gens ne meurent?

On fait souvent tout un plat des prétends intérêts de Tourneur pour l'occulte, surtout autour de ses films fantastiques bien entendu. Mais je pense qu'il s'agit surtout d'une pose de dandy, d'un intérêt essentiellement esthétique. Ici comme dans Cat people, si on excepte les apparitions embarrassantes d'un monstre en peluche qui est moche comme tout, il fait merveille avec trois fois rien, utilisant la suggestion et l'atmosphère pour produire un effet maximal. Et ça marche d'autant plus qu'il y a quand même du suspense: oui, nous savons qu'Holden doit mourir, et nous souhaitons tout comme Patricia qu'il s'en sorte! Et nous avons vu ce qui est arrivé au professeur Harrington, donc il nous reste une inconnue: s'il y a de fortes chances que le héros s'en sorte, comment procédera-t-il? Mais pour revenir à Tourneur, qui reste bien flou sur le "culte" qui fait l'objet des investigations scientifiques de Harrington et Holden, il se sert ici de ces milieux occultes, démoniaques, satanistes, sorciers, etc, comme d'un révélateur pour quelque chose de bien plus réel, tout comme il utilisait une intrigue fantastique dans Cat people pour se livrer à un portrait en creux de la psychanalyse et de ses pratiquants...

Car le film est sans doute beaucoup plus une réflexion ironique sur la science, qui en ces triomphantes années 50 est en danger de se transformer en un monde de certitude sans âme. C'est l'une des raisons de la confrontation permanente de Holden d'une part, qui ne croit en rien, et affiche une obsession de la rigueur qui est en fait plus une fermeture totale de son esprit, et d'autres scientifiques d'autre part, qui gardent un esprit ouvert (Un Indien, lorsqu'on lui demande ce qu'il pense des démons et des esprits, répond: "Oh, j'y crois, absolument!"). Le film est le parcours d'un scientifique buté, qui résiste avec mauvaise foi durant toute ses aventures au pays de la magie, ce qui ne l'empêche pas, confronté à une énigme, d'être totalement dépourvu: c'est très certainement le sens de la très belle séquence qui voit Dana Andrews à Stonehenge... Le film termine sur une phrase d'une douce ironie, si on la compare à ces fameuses certitudes froides et envahissantes qui semblent être la seule motivation de Holden au début du film: "Quelquefois, c'est mieux de ne pas savoir". Tourneur semble dans une dernière pirouette nous donner son secret: il parle, finalement, de rien. Rien qu'on puisse prouver, rien qu'on puisse réfuter... C'est un illusionniste de première, et il nous a bien eu, avec ce film fantastique impeccable qui garde son pouvoir de fascination à la quarantième vision... A condition donc qu'on ait la foi dans le pouvoir subtilement vénéneux de ses images pas toutes expliquées, et qu'on ne soit pas rebuté par ce sacré monstre!!

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tourneur