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29 décembre 2018 6 29 /12 /décembre /2018 08:33

Les historiens sont formels: de la bataille de Little Big Horn, historique à plus d'un titre, il n'y a eu aucun survivant parmi les blancs présents sur les lieux même de la bataille, juste des témoignages, le plus souvent partisans, mais aussi embarrassés: c'est la bataille qui n'aurait jamais du exister. Une charge suicide, celle d'un petit groupe d'hommes voués à y mourir, conduits par un fanatique idiot, persuadé jusqu'à la fin d'être supérieur aux Indiens, pourtant supérieurs en nombre, de par son appartenance à la communauté des blancs... Le film de Penn commence donc par un paradoxe: dans une maison de retraite, on interroge un vieil homme, Jack Crabb. Il a 121 ans, est il est un survivant des "guerres indiennes", ce qui a probablement poussé le journaliste qui l'interroge à le choisir. Mais si le vieil homme a l'air bien fatigué, il ne perd pas le nord, et intime l'ordre à son interlocuteur de se taire et de l'écouter: lui est un survivant, le seul blanc a avoir survécu au massacre. Il va raconter sa vie jusqu'à ce point de l'histoire situé en 1876...

Forcément, on a classé ce film dans la catégorie du "western révisionniste", du néo-western ou que sais-je encore: cette idée selon laquelle il y aurait un avant et un après dans le western. Mais un avant et un après quoi? Certes, on "traite" mieux les Indiens dans ce film que dans la majorité des films du genre tournés dans les années 50, mais on faisait des films sur les peuplades de l'Ouest dès les années 10: tout un pan de la production des films Biograph de David Wark Griffith y était consacré, et si Thomas Ince est passé dans l'histoire comme un abominable raciste militant dont les accointances avec le KKK ont été avérées, ses westerns montraient souvent une image juste et lyrique, profondément humaine; de l'Indien. On peut remarquer cette ouverture d'esprit chez John Ford, qui a toujours pris contact avec ses amis Navajo avant d'aller tourner chez eux, dans Monument valley, et... il a réalisé The searchers, en 1956. Bref: ce qu'il y a de nouveau dans Little Big Man, ce n'est pas tant le traitement des Indiens, mais le ton choisi. Et le fait d'avoir entièrement tourné un film autour d'un argumentaire pro-Indien, et anti-blancs... Mais il y a certainement plus...

Peu de temps avant ce film, en 1967 pour être précis, Penn avait tourné pour Warren Beatty le célèbre Bonnie and Clyde, qui contournait les codes du film de gangsters, avec un don impressionnant pour les ruptures de ton: les aventures de Jack Crabb seront elles aussi truffées de références à la comédie, et on pense en particulier à Tom Jones, à travers la narration souvent picaresque, et la composition de Dustin Hoffmann, qui traverse vingt années, d'abord enlevé par les Cheyennes en compagnie de sa soeur, puis élevé comme un des leurs par la tribus des "Etres humains" (le sens du mot Cheyenne dans leur langue), et profondément marqué par leur culture et leur philosophie, puis au gré des années, fils adoptif d'un pasteur rigoriste et de sa femme légèrement nymphomane, gâchette surdouée mais incapable de tuer un homme, scout dans l'armée (un éclaireur, le plus souvent d'origine Indienne), et enfin Cheyenne de nouveau... Durant tous ces avatars, Jack Crabb, qui emprunte là encore à la narration picaresque, rencontrera beaucoup de gens, parmi lesquels un bonimenteur vendeur de jus de serpent (Martin Balsam), la veuve de son prédicateur, devenue prostituée (Faye Dunaway), sa propre soeur, mais aussi deux figures historiques: Wild Bill Hickock (Jeff Corey), et le Général George Armstrong Custer (Richard Mulligan).

Un peu d'histoire: formé à West Point, Custer fait partie de ces jeunes loups de l'Armée Américaine, qui vont parvenir à leurs premiers commandements lors de la guerre civile. La réputation du jeune officier est imposante, dans l'ombre de son mentor, Ulysses S. Grant: pourtant les deux hommes ne s'aiment pas, mais alors pas du tout. Il est de notoriété publique que Custer, par ailleurs, est narcissique, sérieusement imbu de sa personne, et ambitieux, très ambitieux même; on lui prête des velléités présidentielles, même si peu de documents l'attestent. C'est durant le deuxième mandat de Grant à la Maison Blanche que Custer, qui est parti puis revenu à l'armée, et qui devient de plus en plus erratique, va devenir un agité particulièrement médiatique, publiant livre de souvenirs, tribunes politiques et revisites (à son avantage) de son expérience des guerres indiennes, publiées dans les journaux. Mais si l'idée était de se forger une destinée à coup de légendes (exactement ce qu'a fait Teddy Roosevelt pour accéder à la nomination en son temps), quoi de mieux qu'une bataille? Celle qui scellera la place de Custer dans l'histoire sera Little Bighorn, en 1876: réussissant l'impossible, à savoir faire l'unanimité des tribus contre lui et sa compagnie, Custer qui croyait dur comme fer pouvoir triompher de milliers de braves Indiens (Sious, Lakotas et Cheyennes) rien qu'avec une centaine de soldats (blancs) car il les croyait supérieurs, s'est fait écraser, entraînant près de trois cents morts dans son sillage. Il y a une justice: il en a fait partie, à sa grande surprise, d'ailleurs...

Et c'est sa part dans cette célèbre bataille que veut nous confier Jack Crabb. La question se pose, bien sûr: où était-il, dans quels rangs? Cheyenne, ou aux côtés de Custer, qui rappelons-le à l'époque jouissait de par son charisme d'une impressionnante cote d'amour (ce que montre et souligne Penn avec l'acteur Richard Mulligan)? Réponse dans le film, au terme de 140 minutes fantastiques... Sous la haute responsabilité de Dustin Hoffmann pour l'un de ses plus beaux rôles, qui le voit en cow-boy ET en Indien, jouer de sa petite taille (avec au passage une forte, très forte influence qui traverse certaines scènes, celle de Buster Keaton), et qui se rappelle aussi au bon souvenir des spectateurs de 1968 dans une réminiscence-clin d'oeil à son rôle alors célèbre dans The graduate de Mike Nichols...

Maintenant, si le film redistribue les rôles de l'Histoire, donnant une voix aux Cheyennes en la personnage du formidable Chief Dan George (qui joue le grand-père adoptif de Jack Crabb), il n'oublie pas non plus l'histoire récente, et le traitement d'un massacre par le 7e de cavalerie des femmes et des enfants d'un campement Indien, est certainement aussi une allusion directe à l'histoire récente, et au Vietnam, notamment au massacre de My Lai. Une tache particulièrement sordide de l'engagement militaire des Américains au Vietnam, qui doit sérieusement résonner dans l'esprit des spectateurs qui voient le film en 1970: ils seront nombreux, puisque Little Big Man est un triomphe, parfaitement documenté, passionnant de bout en bout. Et ce n'est finalement pas un "néo-western", un film "révisionniste", mais tout simplement un prolongement inévitable du genre, devenu à juste titre un classique à son tour.

 

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Published by François Massarelli - dans Western Arthur Penn