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14 juillet 2019 7 14 /07 /juillet /2019 16:48

De la comédie? Assurément: Henry Van Cleve (Don Ameche), septuagénaire, vient de décéder, et se rend donc à ce qu'il considère un rendez-vous inévitable: auprès de l'hôte (Laird Cregar) de l'endroit où il est sûr qu'il va lui falloir passer l'éternité. Après tout, n'est-ce-pas là qu'on lui a toujours prédit qu'il finirait? Devant son interlocuteur qui manifestement ne s'attendait pas à le voir, Henry raconte l'histoire de sa vie: aucun crime, dit-il, mais un festival permanent de délits... En fait de vie, c'est surtout de sentiments qu'il s'agit; car né dans une excellente famille de New York, Henry n'a pas besoin de travailler. Et il a pris très tôt l'habitude de s'occuper... On s'occupe comme on peut, et la passion de Henry, ce sont les femmes.

Oui, c'est de la comédie, d'un genre supérieur, même! Lubitsch profite des soixante-dix années de vie de Henry Van Cleve pour nous détailler le temps de vie moyen d'un homme. Qu'il ait choisi un gros feignant de bourgeois importe peu, car dans le cadre de son film, comment ne pas succomber au charme subtil de Henry Van Cleve? Mais le propos du film, de toute façon, n'est pas social: ici, il s'agit de voir si la vue vaut la peine... D'où un changement subtil dans le déroulement du film; en effet, la première partie est riche en scènes de comédie pure, qui sont bien évidemment du pur Lubitsch: subtil, toujours bien équilibré entre visuel et sonore, avec un dialogue superbe de Samson Raphaelson. Le metteur en scène a d'ailleurs eu tendance à s'approprier le script, notamment en changeant le personnage principal, dont le scénariste voulait faire un actif: pas le Henry Van Cleve du film, qui est un jouisseur, et je le répète, n'a absolument jamais travaillé de sa vie!

Alors le film en progressant, suit les années qui s'accumulent, et devient grave. Les gens importants de la vie de Van Cleve partent les uns à la suite des autres, bien sûr, et à chaque fois c'est traité verbalement. Le passage des années s'effectue, et on constate l'absence de quelqu'un. Une fois, une seule, un décès comptera vraiment plus qu'un autre: celui de Martha, l'épouse de Henry (Gene Tierney), qui nous est annoncé sur un plan où le couple, fatigué, danse: ce sera la dernière fois. Un écho à cette mort nous est donné dans une scène très belle, où Henry Van Cleve négocie avec son bon à tout de fils pour avoir accès à une jeune compagnie pour tromper son ennui. Il prend un livre, et... se trouve avec un ouvrage que nous avons déjà vu, et qui fait écho au personnage de Martha: toujours cette faculté étonnante, pour le metteur en scène, de pouvoir nous éclairer en un seul plan sur ce qui se passe vraiment, en l'occurrence ici l'absence cruelle de l'être aimé...

Et donc le film, derrière ses oripeaux de comédie subtile, située à ce tournant du siècle d'une Amérique prude, est en réalité un bilan de la vie d'un homme à travers celles qu'il a aimées, et ne pouvait pas être plus grave qu'il ne l'est. Tout en restant une comédie, bien entendu... Franchement, je pense que ce film, dans la distribution duquel on profitera, en plus, de Charles Coburn (le grand-père Van Cleve, le seul à soutenir le héros), Eugene Pallette (le père de Martha), Louis Calhern (le père) et la formidable Marjorie Main (la mère de Martha) n'a que pas ou peu de défaut. Même Gene Tierney, il est vrai réduite à un personnage qui est vu à travers le filtre de la nostalgie, s'en tire bien... Heaven can wait était en tout cas le premier acte d'un changement de direction pour Lubitsch désormais cinquantenaire. Quel dommage qu'il n'ait pas pu continuer... C'est aussi, et c'est notable, son tout premier film en couleurs. Il n'y en aura qu'un seul autre...

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Comédie Criterion