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21 avril 2021 3 21 /04 /avril /2021 09:12

Espagne, de nos jours... Dans un désert du Sud, on tourne un film publicitaire. C'est Toby (Adam Driver), un réalisateur ombrageux et revenu de tout, qui est aux commandes. Son ego le pousse à la confrontation systématique, avec ses techniciens, ses producteurs, son agent, et même ses amis. Lors d'une soirée, un gitan mystérieux lui donne un DVD pirate d'un vieux film tourné en Espagne: Toby y reconnaît son film de fin d'études, un Don Quichotte en noir et blanc tourné avec des acteurs non-professionnels... Il se rend compte qu'il avait oublié cette partie de son passé et décide d'aller faire un tour sur les lieux du tournage situés à deux pas, et d'essayer de renouer les liens avec les gens qu'il avait rencontrés à cette époque...

...Il n'aurait pas du. Il va revoir quelques fantômes du passé, et s'apercevoir que Javier (Jonathan Pryce), le cordonnier qui interprétait Don Quichotte dans son film, est devenu fou et se prend effectivement pour le chevalier de Cervantès. Pire: il est tellement obsédé par la perte de Sancho Panza (l'acteur qui l'interprétait est décédé) qu'il décide sur le champ que Toby est son compagnon et faire-valoir!

Après les faux départs de 1989, 2002, 2015, Gilliam a fini par le faire, son film maudit! Forcément, il a bien du changer et évoluer en fonction des nouveaux interprètes, et de la nouvelle donne mondiale. Par exemple, il est souvent question de l'obsession terroriste avec des gens qui crie à l'assassin dès qu'ils rencontrent des musulmans! Il y a sans doute beaucoup de Gilliam lui-même dans le personnage de Toby, même si on a du mal à le reconnaître dans cette créature insatisfaite et si facilement prise au jeu du compromis... Mais le lien essentiel entre un artiste, son oeuvre, son évolution, ses principes et sa vie personnelle ne peuvent que résonner dans la tête de Terry Gilliam, le fou de cinéma qui n'a jamais été capable de compartimenter sa vie de quelque manière que ce soit...

Et le film lui ressemble aussi, tant il est "gilliamesque": un homme oris et balloté entre deux mondes, et un autre qui est définitivement passé de l'autre côté: avec Toby et Javier, Gilliam nous donne deux créatures que nous avons déjà vues dans ses films, entre Sam Lowry, Parry, le baron de Mücnhausen, James Cole, et Qohen. De même, son histoire a déjà été traitée sous une forme évidemment différente dans The fisher king, mais nous savions déjà que Gilliam est un artiste avec une thématique féconde mais délimitée... Ce qui change dans ce film soigné, c'est à quel point le drame qui se joue nous apparaît comme une comédie, faisant presque (j'insiste sur le presque) de ce film sur le lien ténu entre un artiste et sa création, et son effet sur le monde, une comédie...

Adam Driver est formidable, ce qui n'est pas nouveau, mais se confirme de film en film... Dans le personnage qu'il a créé (avec un costume blanc du plus haut prétentieux, des mocassins - sans chaussettes! -, et une queue de cheval), il apparaît en effet comme le type imbuvable, revenu de tout qu'il semble être. Mais le traitement que lui inflige Gilliam va le faire passer par toutes les horreurs et toutes les couleurs! Il réussit à intégrer la comédie façon Gilliam y compris physiquement, c'est troublant. Le film bénéficie aussi d'un tournage en Espagne, où Gilliam a pu avoir la satisfaction de ne pas avoir à créer des merveilles en studio ou en images de synthèse: à plusieurs reprises, le cinéaste capte des images sublimes... 

Mais il y a un bémol, de taille. Non que cette histoire, qu'il a essayé de filmer cent fois jusqu'à l'obsession, parce qu'elle ressemble tellement à son cinéma et en fait à tous ses films, soit inintéressante. Non: cette histoire qui ne fait pas mentir son titre se joue essentiellement entre deux hommes, et quel que soit le talent des autres interprètes (et Rossy de Palma, Sergi Lopez, Stellan Skarsgaard, ou Olga Kurylenko ONT du talent), ils peinent à exister, et la cavale magnifique se transforme parfois, dans ce film où la patte du créateur est si permanente, en une représentation de guignol avec des pantins agités: bref: c'est un film de Terry Gilliam, pour le meilleur et pour le pire.

 

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam