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15 août 2013 4 15 /08 /août /2013 10:23

A boom, dans les Flandres, en 1616. On apprend que l’occupant Espagnol s’apprête à traverser le village, et les bourgeois s’inquiètent: ne vont-ils pas procéder à des massacres, des pillages, des viols en série comme ils en ont la réputation? Le bourgmestre (André Alerme) croit avoir trouvé la parade: il va se faire passer pour mort, fraîchement décédé, ce qui devrait calmer les ardeurs de l’envahisseur. Mais son épouse (Françoise Rosay) et les autres dames de notables ont une autre idée: celle d’accueillir avec bienveillance (Et plus si affinités) les espagnols, qui vont effectivement s’arrêter, et profiter de l’aubaine en festoyant, fraternisant, et bien plus… La ville se souviendra longtemps de cette occasion, à n’en pas douter.

Feyder ne faisait rien comme tout le monde. Pas même, semble-t-il, comme lui-même! Ce film, son plus connu, et l’un des rares à avoir une réputation internationale, est totalement éloigné des préoccupations habituelles de l’auteur de L’Atlantide, Carmen, ou Le grand jeu: pas ici de personnage lancé dans une fuite en avant mortelle, pas de noirceur et de destinée… Juste une farce, pour reprendre les propres mots du metteur en scène, qui avait envie avec son co-scénariste Charles Spaak d’une fantaisie historique, creusant son sillon avec une nouvelle fois, la troisième consécutive, la place de choix offerte à son épouse, qui revient après son rôle exceptionnel dans Pension Mimosas, en dame bourgmestre, qui prend le pouvoir avec panache derrière le dos de son mari. On pourra tout de même trouver ici des parallèles avec deux films muets de Feyder : d’une part, il y a derrière Françoise Rosay, comme un rappel de l’art de la manipulation subtile telle que Gribiche la pratiquait, en 1925; et le ton satirique n’est pas non plus éloigné de celui des Nouveaux Messieurs, l’ironie s’appliquant ici non sur la vie politique, mais plutôt sur le comportement des échevins, tous pleutres, et unis dans leur lâcheté derrière leur chef en petitesse, le bourgmestre. 

Si Jan Bruegel est l’un des personnages du film, (Il est l’amoureux de Siska, la fille du bourgmestre que ce dernier a promise au boucher), c’est que Feyder a souhaité souligner de multiples façons la principale influence picturale de son film, mis en images avec un soin rare dans le cinéma Français de l’époque par Harry Stradling: les citations des maîtres Flamands abondent, et le film voit ses personnages se réfugier dans plus d’une fête nocturne, permettant la reproduction des ambiances festives des tableaux qui l’inspirent. Mais on note que cette référence à la peinture passe uniquement par des aspects festifs, justement : là encore, il n’y aura pas de heurts ni d’intrigues: tous les personnages qui tentent de tromper, manœuvrer, contrer même les plans de madame la bourgmestre trouveront à qui parler: Delphin, interprétant le nain qui suit le duc Espagnol, ou encore les échevins qui tentent de reprendre le dessus voyant la situation leur échapper, ne parviendront pas à changer la donne: le passage des Espagnols sera sans douleur, juste un rêve. 

Et c’est là que l’histoire, de façon inattendue, s’en mêle: d’une part, le film a été produit avec des capitaux européens, dont Allemands (Il en existe même semble-t-il une version Allemande, comme pour le film Les gens du Voyage réalisé à Munich trois ans plus tard); ensuite, il dépeint une atmosphère d’angoisse liée à l’occupation qui ne se résout que grâce à une collaboration active de la part de la population féminine trop heureuse de l’aubaine. Le salace et l’ironie déboucheront inévitablement, pas tout de suite, mais a posteriori au regard de la position importante du film dans les années 30, sur des accusations de mauvais goût et d’apologie de la collaboration… Pourtant ce que Feyder voulait, c’était prendre du bon temps, et montrer les femmes prendre le pouvoir, lui qui s’était amusé en 1928 à montrer l’assemblée Nationale occupée par des ballerines! Si Goebbels a souvent été cité comme ayant particulièrement apprécié le film, il n’en reste pas moins que celui-ci sera interdit durant la guerre, sur recommandation des autorités d’occupation justement. Pour une fois, on peut citer Sadoul, lui-même communiste et résistant, qui a toujours défendu le film de Feyder qu'il trouvait purement magnifique.

Halte bienvenue dans le parcours de Feyder, La kermesse héroïque a été un succès certain, gagnant même des prix en France et en Europe. C’est justice, le film étant un parfait équilibre entre l’ironie, le mauvais goût calculé (Et magnifiquement enluminé et costumé ce qui ne gâche rien), la subtilité et le ton farceur invoqué. Et c’est un bien beau film, dans lequel on peut savourer encore et toujours le métier de Françoise Rosay, confrontée cette fois à Louis Jouvet, menant une étrange fable au féminisme, disons, terrien.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Feyder