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14 novembre 2016 1 14 /11 /novembre /2016 14:06

Le film commence dans les coulisses d'une représentation miteuse, d'une pièce du répertoire. Pas de glamour, ici, juste des gens qui travaillent et se plaignent du retard qu'ils risquent de prendre: ils sont en tournée... Et l'acteur dont dépend la fin de la pièce, Saint-clair (Louis Jouvet), tout à la satisfaction d'être le héros du drame, fait durer justement. Mais ils attraperont leur train, quand même. Pour Saint-Clair, ce sera la dernière fois, car comme il le dit pudiquement, "il a pris la décision de se mettre au vert"... en réalité, il se rend dans une maison de retraite pour vieux comédiens. Mais saint-Clair, pas plus que la plupart des autres pensionnaires de l'établissement, n'a pas l'intention de raccrocher... Le vieil acteur flamboyant va essayer de maintenir l'illusion de sa magnificence, comme il va continuer à séduire des femmes qui sont autant de conquêtes anonymes. et il s'ajoute donc à la longue liste des pensionnaires qui tentent d'entretenir la flamme, comme l'illusion: Cabrissade (Michel Simon), le cabot qui accumule les farces de mauvais gout et qui fait le mur tous les soirs, Marny (Victor Francen) l'acteur qui a toujours été plus apprécié de ses pairs que du public, tous les acteurs, finalement, sont à l'affût de la moindre chance de retourner, un instant, vers leur passé... Et en dépit du pittoresque de certaines situations, le drame pointe le bout de son nez.

C'est un film magnifique, mais quelle noirceur! Duvivier n'avait pas beaucoup plus de pitié que Clouzot, finalement, mais montre assez joliment son affection réelle pour ces vieux comédiens qui essaient tant bien que mal de faire survivre leur vocation, leur art, voire de faire croire qu'ils avaient du talent, car dans le cas de Cabrissade, il a passé sa vie de doublure à attendre qu'on veuille bien lui confier un rôle, et n'a jamais fait ses preuves! Du coup, la pension est pour lui un endroit ou son énergie va pouvoir lui permettre, parfois au dépens des autres et en particulier de Marny, de briller un peu par ses blagues et son cabotinage incessant. Et il y a Saint-Clair, qui dans un premier temps nous apparaît comme un salaud, mais n'est-il pas l'homme qui refuse le plus le vieillissement, jusqu'à la folie? son traitement des autres, et des femmes en particulier, est celui d'un fou, et il finit par être plus pathétique encore que tous les autres...

Ce très beau film se veut finalement plus qu'un portrait affectueux mais triste du crépuscule des comédiens (Joué par tant d'acteurs, jeunes et moins jeunes, dont certains sont d'authentiques très vieilles gloires du théâtres, dont Coquelin, ou Sylvie, ou pierre Magnier...): Duvivier nous dresse un beau tableau de l'humanité vieillissante, et nous montre ainsi les coulisses inattendues de nos vies, à travers des gens qui n'ont pas fini de vivre, voire pour certains n'ont pas encore commencé! Les numéros d'acteurs sont présents bien sur, Jouvet et Simon (Absolument génial, mais c'est Michel Simon, donc...) en tête, mais tous sont époustouflant, dans ce film plus que jamais tourné à hauteur de comédien, au plus près du souffle, par une caméra qui s'invite au milieu de la vie.

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Published by François Massarelli - dans Julien Duvivier
30 juin 2014 1 30 /06 /juin /2014 15:49

Le milieu dans lequel commence le film, c'est un petit matin de travail comme les autres au près des halles de Rungis: André Chatelin (Jean Gabin) y tient un établissement fort couru; il vient de se voir honoré d'une publicité inattendue: un article élogieux dans le journal récompense le traiteur! Le restaurant se met en route, et une jeune femme venue de nulle part semble hésiter à entrer: c'est Danièle Delorme. Elle finit par sauter le pas, et parle au restaurateur: elle est la fille de son ex-femme, Gabrielle. Celle-ci est décédée récemment, ce qui ne semble pas émouvoir le patron qui en a fait son deuil depuis fort longtemps. André accueille la jeune femme chez lui afin de lui permettre de rebondir, la présente partout puis finit par lui proposer de travailler au restaurant. Et surtout il la présente à Gérard (Gérard Blain), un jeune étudiant en médecine qui est un peu le fils qu'André n'a pas eu. Lorsqu'il finit par se décider à la demander en mariage, c'est trop tard: nous savons, nous, que Gabrielle est encore en vie, et que Catherine, la jeune femme, est en mission: le but de la manoeuvre est de saigner Chatelin à blanc, de le faire cracher... Il faut dire que Gabrielle est morphinomane, et que son métier (du moins ce qu'on en devine) doit certes se faire couchée, mais en relativement bon état... A Catherine donc de mettre le grappin sur André, d'éloigner Gérard, ainsi que la fort acariâtre maman Chatelin, qui a détesté cordialement la mère et n'est pas prête à avaler la fille...

C'est on ne peut plus noir: Voici le temps des assassins est sans doute le film le plus sombre de Duvivier, en même temps que l'une de ses réussites les plus convaincantes, toutes tendances confondues. Il obtient de ses acteurs une interprétation totalement aboutie, et Gabin, s'il est déjà un patriarche (Le film lui permet un grand nombre d'allusions à son âge), n'est pas encore bloqué en pilotage automatique: il met encore du coeur à l'ouvrage. Et Danièle Delorme en garce "à la Duvivier" (Qu'on se rappelle Viviane Romance dans La belle équipe, on sait que c'est un peu la spécialité du metteur en scène!) est absolument époustouflante. L'humour est aussi au rendez-vous,un humour d'observation essentiellement, mais souvent noir: on notera ainsi que si André est et reste un brave homme, il aurait pu mal tourner: sa mère est une abominable tenancière de guinguette qui tue ses poulets à coups de fouet! Et il y a en particulier une scène d'anthologie, durant laquelle Catherine doit se débarrasser d'un corps, un homme mort au volant d'une voiture. Nous savons exactement quel est son plan, nous le désapprouvons évidemment, mais elle le pousse avec difficulté dans un plan d'eau, et la scène anticipe en matière de suspense pervers, mettant le spectateur du mauvais côté de la morale, sur rien moins que Psycho, d'Hitchcock. Pourtant, on est loin de Norman Bates avec cette Catherine chez laquelle tout est calculé, froidement. Elle n'a rien d'une psychopathe... Bref, un chef d'oeuvre malsain, et exemplaire d'une certaine idée du film noir à la française.

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Published by François Massarelli - dans Noir Julien Duvivier