Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

9 avril 2023 7 09 /04 /avril /2023 08:43

En 1895, le 28 décembre précisément, a été présentée au Grand Café une sélection de courtes bandes du Cinématographe: c'est en allant directement les montrer au public, que les frères Lumière ont testé leur invention. C'est qu'il faut bien comprendre le contexte: contrairement à ce qu'on répète l'envi depuis, ils ne sont pas du tout les inventeurs de la photograpnie animée, mais juste des participants à une sorte de compétition informelle, qui paraissait gagnée d'avance par les Américains, et ce depuis l'invention par William K.L. Dickson (et Thomas Edison, et au vu du pedigree de ce dernier en matière de vol des inventions des autres, on se méfie de l'info) du Kinetoscope: oui, des images qui bougent, ça existe depuis 1888... 

Mais d'une part, on n'est pas en cette fin de XIXe siècle dans une économie globale des médias, et si effectivement on peut se rendre dans des nickelodeons pour visionner en solo des films au Etats-Unis, la France n'a pas vu jusqu'à présent d'invention significative. En Grande-Bretagne, en Allemagne, des "petits cousins" des Lumière travaillent à leur système. Mais si les deux Lyonnais ont choisi une présentation publique pour une audience populaire (même si j'imagine que le Grand Café est tout sauf un estaminet pour tire-laines situé dans un coupe-gorge), c'est qu'ils sont sûrs de l'atout principal de leur invention: la projection...

Et c'est l'une des innombrables choses que nous rappelle ce film, montage de 114 films des frères Lumière, et établi d'après la restauration de tous ces films, dont souvent les éléments ont été préservés dans un état très avantageux. Les Frères Lumière avaient trouvé un procédé qui donnait une image stable, et qui pouvait être élargie sur un écran de vaste proportion, pour être vu d'un grand nombre, sans perte excessive de qualité. Et la beauté photographique des films présentés est une preuve de la réussite des inventeurs.

"Inventeurs" plutôt que cinéastes, j'assume le terme, d'une part parce que des deux frères, seul Louis a vraiment assumé le rôle de faiseur de films; ensuite parce qu'il ne l'a pas tant fait que ça, les deux frères ayant payé de collaborateurs pour sillonner la planète et en ramener des images, à leur initiative. Frémeaux, dans son commentaire (au passage, globalement d'une rigueur exemplaire), nous en rappelle les noms: ceux qu'on connaissait déjà, comme Félix Mesguich; et ceux qu'on est content de découvrir (en ce qui me concerne, je n'avais pas connaissance d'Alexandre Promio). Enfin, Louis Lumière, dans une rencontre qui tient du passage de témoin, a rencontré Méliès, et lui a tenu un discours qui minimisait sérieusement la portée artistique du cinématographe, qu'il disait concevoir comme une possibilité de garder des fragments du passé sur pellicule, et permettre aux hommes de voir le monde, mais guère plus. Méliès, lui, avait compris que ça pourrait aller plus loin et l'a démontré.

Il n'empêche: par le choix de montrer les films, rien que les films, entiers et sans fioritures, et de les commenter tranquillement, Frémeaux va démontrer que, tels des Jourdain du cinéma, les deux Lyonnais ont inventé sans le savoir des principes de mise en scène, en particulier lorsqu'ils ont établi, par exemple, des angles de prise de vue qui permettaient une plus grande efficacité (cette utilisation de la diagonale dans la composition de L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat, par exemple, qui va devenir la règle pour les scènes de rue), ont su bénéficier de la météo qui les encourageait à sortir la caméra, et ont même à plusieurs reprises réalisé des comédies, de la mythique L'arroseur arrosé, à La charcuterie mécanique, avec son cochon qu'une machine transforme en cochonailles... Ils ont restitué et parfois transformé et prolongé le réel. Ils ont influé sur les journées de quelques quidams, croisés dans la rue et gardé pour la postérité; certains d'entre eux n'ont d'ailleurs pas pu s'empêcher de se faire remarquer, permettant à Lumière d'être aussi l'inventeur malgré lui du cabotinage cinématographique (les trois Sortie d'usine). Ils ont enfin gardé des images de moments, de rues, de lieux, disparus ou altérés depuis. Ils ont inventé non pas l'image qui bouge, mais sa meilleure représentation, et nous en sommes infiniment reconnaissants.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Documentaire Muet Lumière