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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 09:30

Retour au court métrage de deux bobines, retour à la farce, retour à la case départ? Pas tout à fait: l'observation à la base de ce film, des us et coutumes de la vie courante, a bien évolué depuis les années Keystone. Mais le fait est que dans ce film, Chaplin et Edna sont mariés, ont des enfants, une maison et une voiture. Un rappel, s'il en était besoin, que si le maquillage ne varie pas (A l'exception de tentatives comme The professor, qui sont de toute façon sans lendemain), les personnages eux sont multiples. et pour la troisième fois consécutive, Chaplin quitte la défroque du vagabond, auquel il reviendra comme chacun sait de façon spectaculaire avec The Kid.

Il ne se passe pas grand chose dans ce film par ailleurs très court, puisqu'à 25 images par secondes, on arrive à 17 minutes. Il est tentant de parler de panne d'inspiration, avec ce petit tour sur l'eau, suivi d'un détour par la ville, les deux parties n'étant liées entre elles que par la présence de la famille en voiture. Le père emmène toute la petite famille en vadrouille, mais ni Edna ni les enfants (Dont un tout petit Jackie Coogan) n'ont quoi que ce soit à faire dans ce film, à l'exception de la toute première scène, durant laquelle tout le monde fait manifestement bouger la voiture, pour en suggérer le hoquetage. Une scène tournée en un plan unique, voir la photo ci-dessus: on y aperçoit les constructions d'un faux village qui ont probablement servi à figurer la petite localité de Sunnyside...

La dernière partie reste la meilleure du film, qui montre un Chaplin vindicatif aux prises avec un policier et des passants qui empêchent sa voiture d'avancer. C'est, bien sûr, troublant: il est ici un bourgeois immobilisé par les autres et leur manque totale de réalisation de sa présence. Cette inversion des rôles cesse lorsqu'un peu de goudron permet à la comédie physique de s'installer. Un petit ballet comique se joue entre la voiture et ses occupants, le goudron frais qui retient les pieds des uns et des autres prisonniers, les policiers, une plaque d'égout, le tout sous les yeux de passants qui sont authentiques, la scène ayant été tournée en pleine rue.

Cette fois, c'est clair: Chaplin était heureux à la First National, au début. Puis les ennuis ont commencé, et la compagnie n'a en particulier pas voulu que Chaplin brise son contrat pour aller réaliser des films pour la United Artists, qu'il vient de créer, il lui faut en effet terminer le nombre de films dans ses obligations. Avec A day's pleasure, il a un film de plus à son actif.

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet Comédie
20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 17:51

Réalisé peu après Street angel, ce film de Frank Borzage va dans une direction différente des deux précédents films avec Charles Farrell: d'une part, pas de Janet Gaynor ici, l'actrice qui incarne le premier rôle féminin est Mary Duncan, d'un tout autre genre... Sinon, le symbolisme et la stylisation du décor et du travail de caméra disparaissent au profit d'un travail plus réaliste, qui a trompé certains historiens, Kevin Brownlow en tête, sur le lieu de tournage: ces cabanes dans les montagnes, cette rivière, tout ça provient bien des studios de la Fox... Le chef-opérateur Ernest Palmer, collaborateur déja sur les deux classiques précédents du metteur en scène, est malgré tout toujours de la partie. Le film n'a pas eu, à sa sortie, le succès des précédents, il faut dire qu'il est resté dans les placards assez longtemps, dans le but d'y ajouter des séquences parlantes (avec le consentement et la participation de Borzage, contrairement à ce qui s'est passé avec Murnau pour Four devils et City girl, dont les ajouts sonores ont été faits par des tiers); malgré ces additions, le film était sans doute encore trop muet pour un public qui avait oublié un peu vite les frissons de Street angel. Et puis, le film est sorti en France sous le titre de La femme au corbeau, où il a été (dans sa version muette), un gros succès. Les surréalistes s'en sont emparés, le film est ensuite entré dans l'histoire alors que toutes ses copies disparaissaient. Toute? Non, une copie 16 mm contenant 5 des 8 bobines, deux bobines 35 mm, et une séquence 35 mm d'environ 5 mn (des chutes coupées par la censure suédoise) ont survécu, ainsi que des éléments de la bande-son (de la version intermédiaire: sonore, mais pas parlante). La reconstruction a eu lieu en plusieurs temps, dirigée par Hervé Dumont: avant la découverte en Suède d'éléments coupés un peu partout, le film totalisait environ 48 minutes, dont de nombreux intertitres qui résument les séquences manquantes; il en fait maintenant 54.

Allen John Pender (Charles Farrell), un jeune voyageur, s'est arrêté sur une ville minière du nord de la Californie. Il se lie d'amitié avec un sourd-muet, Sam (Ivan Linow). un ami de celui-ci est tué par le contremaître Marsdon (Alfred Sabato), qui l'avait vu tourner autour de sa petite amie Rosalee (Mary Duncan). au moment de partir en prison, il confie à celle-ci son corbeau, qui va veiller sur la jeune femme... ici, le film tel qu'on le voit aujourd'hui commence.

Rosalee et Allen John se rencontrent à la faveur d'une baignade. Le jeune homme se prépare à abandonner sa péniche, et prendre un train pour aller passer l'hiver ailleurs, mais il en est empêché, pris dans sa conversation avec Rosalee. celle-ci s'amuse beaucoup de refaire le coup au jeune homme dont elle cherche bien vite la compagnie. La séduction devient de plus en plus brûlante entre les deux, surtout de la part de Rosalee...

Oui, Il s'appelle Allen John. Aucun rapport, bien sûr...

C'est hallucinant, et probablement unique dans l'histoire du cinéma, qu'un film évidemment tronqué ait pris autant d'importance. Ce qu'on a ici, ce sont les cinq huitièmes d'un film, dont on n'a ni l'exposition, ni l'ensemble de l'évolution des personnages, ni le dénouement (l'amour des deux héros, le retour de Marsdon, et le meurtre de celui-ci par Sam, puis une scène de sauvetage de Rosalee par Allen John largement annoncée par des séquences antérieures, dont la fameuse baignade). Autant dire qu'on devrait être devant un puzzle impossible à regarder, mais non: le film se voit et se revoit sans problème, et fascine. On peut multiplier les exemples de films incomplets, et constater que c'est irrémédiable: avec Confessions of a queen, de Sjöström, réduit dans des proportions à peu près similaires, le fait est que c'est juste le fantôme d'un film. Pire, les 10 minutes qui nous restent de The divine woman, du même Sjöström, nous laissent perplexes. Ici, on a presque l'impression de la perfection: tout le film tel qu'il existe est centré sur la séduction, lyrique, frontale et érotique, d'Allen John par Rosalee. Non que le jeune homme ne fasse rien, mais ses tentatives sont marquées par une certaine gaucherie, il est entendu que des deux, il est celui qui est vierge. Aucune impression salace, pourtant, c'est un rapprochement qui apparaît nécessaire, et même si Rosalee au début veut sans doute s'amuser un peu avec celui qu'elle a vu nu (dans une séquence qui joue avec la promiscuité, de façon troublante, comme souvent chez Borzage), elle finira par l'aimer, tout autant que lui l'aime. Les minutes retrouvées en Suède sont fascinantes par leur franchise, et tout ce qui était allusion dans le film tel qu'on le connaissait auparavant devient maintenant d'une sublime impudeur: Rosalee manipule Allen John afin qu'il la touche, et leur embrasement est d'une sensualité fabuleuse. Leur rencontre amène les deux êtres à se chercher, même à se battre, surveillés par l'omniprésence d'un corbeau dont l'ombre finit par prendre tellement de place que Rosalee tente de le tuer... Marsdon, le prisonnier qui emprisonne sa petite amie dans une cage virtuelle, n'est jamais très loin.

Cette rencontre, qui commence lors d'une baignade, culmine dans des scènes ou Allen John, désireux de s'imposer à Rosalee, fait montre de sa force physique en coupant du bois par un froid extrême, et va trop loin: frigorifié, il s'évanouit, et est retrouvé le lendemain à l'article de la mort par Sam. Celui-ci ramène le jeune homme à Rosalee, et le reste est dans les histoires du cinéma: le jeune femme le déshabille sans hésitation, et s'allonge sur lui pour le faire revenir à la vie. Et ça marche... La puissance des deux acteurs est évidemment une source de réussite ici, Farrell face à Mary Duncan, dont l'érotisme franc est pour le moins bien éloigné du style de Janet Gaynor, joue à merveille la fragilité, ce mélange de déraison et de force mal contrôlée qui manque de perdre son personnage. 

Il n'empêche, l'une des grandes originalités de ce film hors-normes, c'est de reposer sur une situation érotique inversée: les baignades prétextes à nudité d'actrices sont légion dans l'histoire du cinéma, de Dolores Del Rio (Bird of Paradise, Vidor) à Catherine Rouvel (Le déjeuner sur l'herbe, Renoir), en passant par Jennifer Jones (Duel in the sun , Vidor ...encore lui). Mais ici, la première séquence complète du film permet de montrer de quelle façon Borzage évite les pièges de la concupiscence traditionnelle, en commençant par exposer l'acteur et non la jeune femme.

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Dans un premier temps, Rosalee est interloquée par la vision.

 

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Elle ne détourne pourtant pas son regard, attend de voir le moment ou le jeune homme va découvrir qu'il n'est pas seul.

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Finalement, devant le calme de la jeune femme, Allen John au départ effarouché va se laisser aller, et parler avec elle. Une scène touchante (la naïveté du jeune homme), troublante (la jeune femme ne le lâchera plus), et pour tout dire comique (le jeu de Farrell, tout en gaucherie, en particulier lorsqu'il se cache, laissant juste voir ses yeux).

 

Ainsi réduit, le film nous apparaît malgré tout glorieux et inépuisable. Ce n'est pourtant pas la Vénus de Milo: si on peut un jour le compléter avec ce qui manque, on se jettera sur le résultat avec gourmandise, et si c'est un film dont les séquences ajoutées sont moindres, on se réjouira de retrouver la cohésion des intentions de Borzage. De fait, le soin apporté au décor, ici visible dans un court fragment de séquence au début, la relation entre les scènes du début, avec sa rivière pleine de tourbillons, et la séquence de sauvetage à la fin, le meurtre froidement assumé de Marsdon par Sam, et l'amour pleinement assumé de Rosalee et Allen John, tout ça on voudrait le voir un jour. Que la transformation, la sublimation d'Allen John par Rosalee et son contraire soient enfin révélés à leur juste mesure, et qu'on puisse remplacer ces séquences bouillonnantes de vie dans un écrin restauré. C'est tout ce que je demande, en tant qu'admirateur inconditionnel de ces 5/8e de film.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage 1928 Muet Film perdu **
20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 17:25

Sunnyside est, dans la continuation de A dog's life et Shoulder arms, un film de trois bobines. Ce serait le dernier, puisque après ce film Chaplin allait consacrer du temps à un court métrage (deux bobines) puis une année à un long métrage, un vrai. Mais ce que trahit ce film, dont le titre est à peine ironique, c'est le bonheur dans lequel Chaplin libre se trouve, à une époque décidément apparement libre de soucis. Le film est d'ailleurs contemporain du tournage des séquences documentaires de How to make movies, qui voient un Chaplin facétieux se laisser aller à la joie d'avoir son propre studio. Cet esprit de parfait bonheur tranquille a envahi le film.

Non que le personnage qu'il incarne ait une vie facile: dans ce village rural, situé comme il se doit en pleine vallée Californienne, Chaplin est l'homme à tout faire: garçon de ferme, barbier, réceptionniste de l'hôtel... l'homme qui l'exploite est interprété avec autorité par Tom Wilson. La première bobine plante le décor, et montre l'exploitation du héros, ainsi que son fatalisme tranquille, avec un petit passage onirique durant lequel Chaplin interprète en rêve un ballet avec quatre bacchantes à peine vêtues. Puis, nous dit un titre, il est temps de passer à la romance: Chaplin aime en effet une jeune femme locale, interprétée par Edna Purviance, et celle-ci le lui rend bien. La séquence durant laquelle Charlie rend visite à sa bien-aimée est gentille comme tout mais aussi très drôle. Puis un homme de la ville apparaît, et là, les choses se gâtent...

Si Chaplin imagine un suicide ici, il ne faut pas y voir pour autant une quelconque noirceur, le film reste une parenthèse bucolique dans l'oeuvre de Chaplin. C'est, bien sûr, beaucoup plus soigné que Work, et d'ailleurs le film profite bien d'avoir été tourné pour une large part en plein air. Les acteurs jouent à fond la gentille moquerie, et on n'est pas loin avec ce film du cycle de comédies rurales de Griffith. il y a un peu, mais pas trop, d'opposition entre la ville corruptrice et la campagne saine, à travers ce personnage, principalement rêvé, d'étranger, mais il est frappant de constater que celui-ci est à peu près aussi élégant que Chaplin dans la vraie vie, lui ressemble un peu, et semble même porter ses vêtements. N'y cherchons pas de message, Sunnyside est un film qui ne porte pas à conséquence, qui nous permet de rire avec tendresse. Une scène coupée de ce film circule généralement, celle durant laquelle le garçon de ferme improvisé barbier improvise une coupe à ce pauvre Albert Austin. Une fois de plus, la scène est longue, minutieuse, et il a sans doute fallu du courage pour la couper... Elle anticipe, mais juste un peu, sur The great dictator, ce qui confirme le cheminement des idées chez Chaplin, qui engrange, préserve, et finalement ressort ses idées au moment opportun, 20 ou 25 ans plus tard.

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Published by Allen john - dans Charles Chaplin Muet 1919 **
19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 08:15

Cruze, oublié aujourd'hui, a réalisé au moins un film important, The Covered Wagon. On peut estimer qu'une large part de ce que va être le western vient en effet de ce long métrage spectaculaire. Il ne faut pas s'étonner de trouver les mêmes ambitions dans un film comme Old ironsides, qui entremêle l'histoire sublimée par le patriotisme, l'anecdote épique et les histoires privées de quelques personnages.

Les horizons maritimes sont, si j'ose dire dans l'air durant les années 20, représentant un défi pour les cinéastes, ce que confirment beaucoup de films, classiques (The sea hawk, 1924, de Frank Lloyd, The black pirate, 1926, de Albert Parker avec Douglas Fairbanks), ou moins (The Viking, de Roy William Neill). toute personne qui a vu également le très beau Ben Hur (1925) de Fred Niblo doit avoir en tête les spectaculaires scènes de combat maritime. L'objectif premier d'un film comme celui-ci est avant tout de participer à cette compétition stimulante, et c'est bien sur ce que recherche la Paramount. Mais Cruze, qui vient après Frank Lloyd (The Sea Hawk), a sur ce dernier des avantages: d'une part, il parle d'histoire là ou le film de Lloyd jouait sur une invention romantique. Ensuite, Cruze a donné le tout pour le tout en livrant une mise en scène énergique, volontariste et en obtenant de ses acteurs des performances qui vont également dans cette direction.

Charles Farrell est un jeune homme naïf qui veut s'engager sur la frégate Constitution (Surnommée Old Ironsides), afin de participer à la lutte contre les pirates qui infestent la méditerranée. Il en va de l'avenir du commerce et de la jeune République des Etats-Unis... mais un Wallace Beery très roublard qui cherche des marins pour son bateau (L'Esther) va lui tendre un piège, ainsi qu'à un canonnier interprété par George Bancroft. Esther Ralston interprète quant à elle une passagère du bateau, qui va très vite tomber amoureuse de Farrell, et réciproquement.

 

Farrell ne sera une star qu'après ce film. pour l'instant, tout s'est passé comme si les studios ne savaient pas quoi faire de ce grand gaillard gauche. mais Cruze lui donne un emploi qui lui convient: fragile, indécis, sachant exprimer l'incertitude de l'amour de façon physique, et faire passer la soudaine maîtrise de son corps, sans que ça ait l'air plaqué, Farrell développe déjà avec ce film un personnage dont Borzage, Murnau ou Hawks saurant se souvenir à la Fox. Face à Esther Ralston, dans la fameuse scène de séduction durant laquelle la jeune femme laisse le vent dessiner avec précision les contours de sa silhouette, il est irrésistible. il n'est pas le seul, remarquez. La présence de Bancroft et de Beery, lui-même au générique de The Sea Hawk, aussi, permet de compenser en picaresque et en bourru le coté hésitant assumé de la vedette, un peu comme Ford met la même année George O'Brien un peu en retrait par rapport à l'action de Three bad men, incarnée par les vieux briscards Tom Sanstchi, J. Farrell McDonald et Frank Campeau...

Un film comme celui-ci nous rappelle opportunément que le cinéma muet était en 1926 à son zénith. Le soin apporté à une telle production était énorme, et le cinéma parlant accusera le coup avant de pouvoir reprendre le chemin du spectaculaire! Un film à ranger dans la même catégorie que Wings ou The big parade, avec une réserve quand même: le message ici, s'il y en a un, est surtout de donner du grand, du beau spectacle. Comme avec The covered wagon, on est un peu dans la commémoration figée d'actes fondateurs, et l'histoire privée des amours de ces tourtereaux n'est que la jolie cerise sur le beau gâteau...

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Published by françois Massarelli - dans Muet 1926 James Cruze **
15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 19:01

Il aura cette fois fallu 5 mois (De mai à  septembre 1918) pour réaliser ce film de trois bobines, qui permet une deuxième fois à Chaplin d'étendre son registre, dans tous les domaines après la réussite de A dog's life. Ce film frappe fort, très fort, mais pas forcément dans le sens où on l'entend d'habitude, plutôt par sa rigueur et sa construction: malgré les nombreux écrits de George Sadoul, un inconditionnel du cinéaste, et un farouche défenseur d'un Chaplin "révolutionnaire", ce film n'est pas la charge violente, anti-guerrière qu'on voulait parfois décrire. Une explication, du reste, s'impose afin de dédouaner le grand historien: celui-ci a vu les films de Chaplin dans sa jeunesse, et ils ne sont ressortis des placards que longtemps avant: nous avons, nous, la chance de pouvoir y accéder tous les jours...

3 bobines, donc, c'est un format idéal, pour l'instant, qui permet à Chaplin une fois de plus d'étendre son propos et l'univers qu'il dépeint. Les premiers plans forment une scène d'exposition qui est un régal d'économie, et du pur Chaplin: les soldats à l'exercice, permettent en un seul plan d'établir une bonne fois pour toutes son personnage, sa différence et son rapport aux autres mâtiné de maladresse comique: on voit le bataillon au garde à vous, et la caméra glisse lentement vers la gauche, montrant un soldat qui décidément n'est pas comme les autres. A coté de lui, Albert Austin va souffrir de la très personnelle façon qu'a son voisin de tenir son fusil. L'officier, qui comme tout bon officier aboie sur ses hommes, est interprété par Tom Wilson, préposé aux rôles autoritaires. A la fin de la séquence, les soldats sont au repos, et Chaplin s'endort...

Les tranchées sont sans doute le décor le plus spectaculaire du film. Elles sont particulièrement réalistes, fonctionnelles, en même temps permettent une série de gags, comme la grenade au Limburger (un fromage qui sent épouvantablement... Un fromage, donc), ou encore la façon dont Chaplin utilise les tirs ennemis pour allumer ses cigarettes. et puis les logis souterrains vont être pour lui un moyen sûr de décrire les conditions de vie atroces de ses soldats (un passage obligé chez lui, ne l'oublions pas), en montrant la faculté tranquille d'adaptation des troufions, notamment à une inondation. Le jeu de Chaplin avec son demi-frère Sid, qui a rarement été aussi présent que dans ce film, est dans toutes les mémoires, et il est hallucinant de voir le metteur en scène Chaplin jouer aussi adroitement sur le fil du rasoir, constamment entre drame et comédie, entre justesse et excès, sans tomber jamais d'un côté ou de l'autre.

Dans ce film, Chaplin est donc un héros! On n'y croit que dans la mesure ou on connait la fin du film, mais c'est un premier indice qui nous prouve que si Chaplin s'amuse à un moment de l'héroïsme de son héros, qui se porte volontaire mais se dégonfle en apprenant qu'il s'agit d'une mission suicide, il y abat consciencieusement de nombreux ennemis, se bat clairement pour l'Oncle Sam (Ce qu'il revendique dans une scène superbe de fraternisation avec une jeune femme Française interprétée par Edna Purviance, qui est un prétexte à pantomime: ils ne se comprennent pas), et il va jusqu'à "encercler" 13 soldats Allemands, pour les faire prisonniers. On est loin du délire évoqué par les historiens, dans un film ou on est supposé attendre de notre héros qu'il distribue les coups de pieds au président Wilson, Poincaré autant qu'au Kaiser. Le film ne nous montre Chaplin utiliser ses pieds que sur l'arrière-train d'un officier minuscule interprété par Loyal Underwood, et sur le Kaiser, une fois de plus son frère. Chaplin n'était pas franchement un pacifiste en 1918, du reste il participait à la propagande activement comme chacun sait. Son film est une comédie, irrévérencieuse juste ce qu'il faut, et c'est déjà un grand pas dans la représentation de la guerre: je trouve le film d'ailleurs plus réaliste que d'autres, dans des genres différents: Hearts of humanity, ou même The four horsemen of the Apocalypse...

Pour finir, je m'en voudrais de ne pas évoquer une scène qui me touche particulièrement: je parle de celle durant laquelle Chaplin est déguisé en arbre pour infiltrer les lignes ennemies. L'arbre en question, un costume en caoutchouc, est une image qui me hante, depuis la première vision du film, sans que je puisse expliquer pourquoi. Chaplin est un immense acteur, on sait qu'il se déguisera un jour en poulet, et de façon probante. Ici, il est un arbre, et caché dans une forêt, recherché par un Henry Bergman en uniforme Prussien, le plan durant lequel cet arbre s'anime a un pouvoir onirique qui a peut-être échappé à son créateur...

Pourtant celui-ci a tout prévu: il a même pour son film, résolu de couper une bobine entière qui montrait la vie de son héros avant l'armée, et qui était composée de gags parfois très drôles, avec un Albert Austin en médecin militaire, et une scène d'ombres chinoises. Le film avait tout pour être un ambitieux projet qui aurait approché une heure de comédie. Le résultat aurait sans doute été un peu moins bon, mais non: le film tel qu'on peut le voir est franchement supérieur. Chaplin cinéaste savait parfois faire des choix hallucinants, et souvent justes, la preuve!

Une fois sorti ce film, c'en est fini de l'année 1918. si on excepte The Bond, qui reste un effort mineur de propagande avant tout, à part dans l'oeuvre, Chaplin est passé de 14 films en 1915, puis 8 sortis en 1916 (Easy Street est sorti en janvier 1917), puis 4 en 1917, à seulement 2 en 1918. Il impose son rythme, prend son temps. Le résultat lui donne raison.

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet Première guerre mondiale 1918 **
15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 18:53

Réalisé après Seventh heaven, dont il approfondit le style dans la direction montrée par le Sunrise de Murnau, interprété par les mêmes acteurs et réalisé par la même équipe, Street angel a eu un succès exceptionnel, le plus important pour la carrière muette de son réalisateur, et l’un des plus gros succès de la (première) Fox. Ajoutons à cela le fait qu’il ait été tourné en 1928, l’année de The wind, The wedding march, The cameraman, Speedy, Beggars of life… Une année exceptionnelle, mais aussi la période des derniers feux du muet, et des premiers cafouillages du parlant : Lights of New York, The singing fool

L’intrigue nous conte les aventures d’un couple : un homme-enfant, peintre visionnaire (il ne voit pas « les choses qui sont derrière les choses », il essaie de peindre la femme de sa vie telle qu’elle est et non telle qu’elle se montre), et une jeune femme orpheline, prématurément vieillie (et rendue triste et un brin cynique) par les vicissitudes de la vie : sa mère est morte parce qu’elle a été arrêtée le jour ou elle tentait de trouver l’argent pour la soigner en se prostituant. Ils se rencontrent en terrain neutre: le cirque avec lequel elle a mis du champ entre elle et la police... Mais à la suite d’un accident, Gino prend l’initiative de ramener Angela à Naples, une ville dont il ignore qu’elle a une relation avec le passé trouble de sa bien-aimée.

Le film est resserré par rapport à l’univers très cohérent créé autour de Chico, Diane, et de leur paradis dans Seventh Heaven, ces personnages secondaires qui baignent tout l'autre film: Boul, son taxi, le collègue-voisin et son épouse, etc. Ici, Angela (Gaynor) et Gino (Farrell) sont, sinon seuls au monde, en tout cas les seules attractions permanentes. Les lieux varient: on commence à Naples (Une série de ruelles et de maisons recrées en studio, on est encore en pleine période post-Sunrise), et au gré des déplacements du cirque, on voyage un peu avant de revenir à Naples, mais vue de deux points de vue diamétralement opposés. La mise en scène, d’ailleurs, va souvent dans ce sens : les deux amoureux sont apparemment sur la même planète, mais vont dans des directions opposées ; le thème éminemment Borzagien de l’élévation, toujours apparentée au cheminement spirituel des personnages, surtout depuis Seventh Heaven, est repris dans Street Angel, mais en y faisant un usage inhabituel de la différence de taille, il est vrai spectaculaire, entre les deux acteurs: Farrell vise les étoiles, le bonheur, le ciel, la lumière et pousse le couple vers le haut. Elle campe, les pieds sur terre, la tête sur les épaules, et elle est celle qui revient constamment à la réalité: ainsi le premier plan de Janet Gaynor au cirque sera-t-il un plan de ses jambes, avec des collants noirs, nonchalamment exposées, avant un échange qui la voit affirmer son insouciance et son refus de l’amour, tout en croquant une pomme. En tant qu’artiste, elle monte sur des échasses, mais là encore les échasses seront vues non comme un moyen d’élévation, mais plutôt comme une façon de garder le contact avec le sol, la caméra nous révélant les échasses d’abord, avant de nous faire comprendre que c’est Angela qui y est juchée. Et d’ailleurs, du haut des échasses, elle peut voir les gendarmes, et elle tombe… Ou encore, après l’accident, Borzage nous montre ses pieds et ses mains, ayant placé sa caméra au ras du sol, afin d’identifier son personnage comme quelqu’un de foncièrement terre-à-terre, pas au sens négatif du terme, mais au sens réaliste : elle sait que son destin, qui la lie à Naples, l’amènera en prison tôt ou tard.

De son coté, Gino (dans leur appartement à Naples, ils font chambre à part, elle est en bas, et lui en haut, forcément!) est celui dont le but est d’enluminer le plus haut des murs de sa peinture, et de prendre la jeune femme dans ses bras pour la soutenir. Découvrir la vérité, de la bouche d’une prostituée (Natalie Kingston, la partenaire d’Harry Langdon dans les courts Sennett, et Jane dans un serial Tarzan de 1929), devient une descente aux enfers. Mais le retournement de situation, qui entraînera enfin le couple dans la même direction, est sis dans une église, ce qui confirme le gout de Borzage pour la chose religieuse, oui, mais vue d’un point de vue légèrement profane: poursuivant la jeune femme dans une église, Gino s’apprêta à la tuer, lorsqu’il voit un tableau qu’il a peint d’elle, maquillé par un escroc afin de le faire passer pour une toile de maitre. Elle y est devenue une Madone, et elle, qui a purgé sa peine, et qui vient de se reconnaitre enfin dans ce tableau, lui fait comprendre qui elle est vraiment, et ils repartent à zéro. Donc oui, ils ont bien été sauvés par la Madone, mais cette Madone a été obtenue par des moyens assez peu orthodoxes : la tentation de personnaliser la religion est là encore une tendance très représentée chez l’auteur de The mortal storm : voir le nombre de mariages de fortune avec un substitut de prêtre (Ici, Gino donne une bague à Angela dans une barque, et cela revient à les marier, d'autant qu'ils vont vivre ensemble après), ou de liens spirituels peu communs dans ses films, sans parler de Ian Hunter dans Strange cargo.

Borzage, qui avait fait des pas de géant (en compagnie de Ernest Palmer, qui revient ici éclairer le film d’une manière sublime, dans une sorte de préfiguration de ce que fera Joseph August pour Ford dans The Informer) en matière de mise en scène et de scénographie, confirme et renforce encore son style, avec des plans-séquences splendides, qui définissent les personnages : Janet Gaynor, dans les rues de Naples, est en territoire connu, et salue tous et toutes, retrouve son chemin. La caméra est assez distante et nous permet d’appréhender sans effort l’ensemble du parcours. Farrell, quelques minutes plus tard, cherche sa bien-aimée, ne la trouve pas. La caméra est en pleine rue, derrière lui, et le suit dedans des pérégrinations qui mettent en valeur son sentiment d’être perdu. Il ne reconnait ni les gens qui l’entourent, qui se transforment petit à petit en ombres, ni les lieux. A la fin de la séquence, dos à un mur blanc, il est seul dans le champ, vide, et assiste au ballet des gens qui ne sont pour nous que des ombres qui passent. Quelle maitrise dans les plans-séquences, et quel bonheur visuel dans ce film. On y voit généralement l’influence de cette étrange bête à cornes qu’on nomme le plus souvent l'"Expressionisme Allemand". Je crois qu’il faut surtout rappeler que Murnau faisait encore autorité à la Fox, et que Borzage était sans doute le meilleur de ses élèves. La première partie, le noir conte d'Angela à Naples, est magnifique, avec ses jeux d'ombres, ses plan-séquences, l'épopée tragi-comique d'Angela dans les rues, qui essaie d'aguicher tous les hommes qu'elle rencontre. le brouillard vient s'ajouter à la partie, et continue à nimber les scènes de mystère, et petit à petit de plus en plus, d'une certaine odeur de sacré...

Si Borzage ici enfonce le clou de sa peinture de l'amour absolu, représenté par le lien très fort entre ces deux êtres, son travail auprès des acteurs est remarquable, dans la mesure ou il leur demande des variations, infimes pour Farrell, mais très impressionnantes pour Gaynor, de leurs personnages. Angela est un sacré bout de bonne femme, mais on n'est pas loin, avant son accident, de constater qu'elle est revenue de tout. La maquillage bien sur joue un rôle, mais Janet Gaynor joue la carte de l'impulsivité, de la colère, avec un brio phénoménal. L'éventail de son jeu tel qu'il apparaît dans le film est d'autant plus impressionnant que tous ces changements n'affectent en rien la cohérence de son personnage. A Farrell, Borzage donne une fois de plus le rôle de l'optimiste, du naïf, mais cette fois le peintre Gino ne sait pas, contrairement au très sur de lui Chico. Il ressent les choses, et a besoin de sa muse. L'épisode qui le voit incapable de peindre une fresque, parce qu'il a perdu la femme de sa vie, nous le montre immobile, de dos, sur un échafaudage: coincé entre deux mondes. IL a besoin d'elle pour accomplir, créer, travailler donc: c'est lui qui accomplit le travail sur Angela, par un étrange ballet lié au tableau: celui-ci va dire une vérité sur la jeune femme, malgré elle et malgré le peintre. Le travail d'escrocs sur le tableau va devenir une représentation de sa personne une fois que la jeune femme aura purgé sa peine. Ce que confirme le départ de Lisetta et Angela de prison: Lisetta retourne en bas, vers la rue, et Angela monte, pour rejoindre Gino...

Le titre fait allusion, dans la bouche peu sainte de Lisetta, à la prostitution. Elle utilise le terme pour se désigner elle-même. Le mot Angel revient aussi chez Angela, lorsqu'elle déplore le départ du tableau que Gino vient de vendre; elle dit, à juste titre, que c'était un peu leur "ange gardien". La fin lui donnera raison, mais Gino, bien sur, est l'ange d'Angela, celui qui la sortira définitivement de son destin, et celui qui saura voir la vraie sainte qui est en elle. Enfin, Angela, vue en femme sublimée par Gino, transformée en Madone par les contrefacteurs, et reflet d'elle-même dans la scène finale de l'église, ne s'appelle pas ainsi pour rien... Film majeur de la fin du muet et de son auteur, Street angel est un autre chef d'oeuvre de Frank Borzage.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage 1928 Muet **
13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 17:56

A nouveau contrat, nouveau studio: Chaplin est encore mieux loti à la First National qu'à la Mutual, et a obtenu la construction d'un studio. Nouvelles résolutions aussi: désormais il n'en fait qu'à sa tête, et la compagnie va relativement laisser faire dans un premier temps, engrangeant des revenus substantiels de ces films qui seront tous des succès... A dog's life montre une nouvelle direction, marquée en particulier par l'allongement du film (trois bobines) et une utilisation de l'espace qui prend désormais ses aises, la consécration d'un travail d'équipe, la plupart des collaborateurs importants des films de la Mutual étant confirmés dans leur fonction, et complétés par de nouveaux acteurs. Tout va bien donc...

A dog's life est justement célèbre, et retourne dans la veine sociale qui a fait la réussite de nombreux films, de The tramp à The Vagabond. Alors que le vagabondage de Easy street s'arrêtait dès le premier plan, ici, Chaplin habite dans la misère: il dort à même le sol d'un terrain vague. Le décor de taudis du film est impressionnant par son étendue, et sa cohérence à défaut de réalisme. Chaplin se réveille, et commence une journée de débrouille, qui va le voir voler un marchand ambulant (Sidney Chaplin), trouver l'amour (Edna Purviance) dans un bouge dont il va se faire vider parce qu'il n'a pas de quoi se payer à boire, échapper à un flic (Tom Wilson), et voler des voleurs, trouvant ainsi de quoi alimenter ses rêves domestiques avec Edna... Et surtout il va trouver un compagnon canin aussi mal loti que lui, le "bâtard pur race" Scraps!

Le film ose beaucoup plus qu'avant développer les scènes, certains réglées comme des ballets: la recherche de travail passe par une compétition marquée par un jeu physique de chaises musicales qui est à la fois tragique (Charlie se fait avoir) et terriblement drôle. La notion de ballet s'applique aussi au jeu particulièrement précis entre Sidney et son frère, lors de la séquence ou Chaplin mange tout ce qui dépasse dès que le commerçant a le dos tourné. une large part du film se passe dans le restaurant-bar, dont Chaplin s'attarde à nous montrer le fonctionnement: le patron engage des filles pour faire boire et danser les clients, et Edna, la chanteuse, est mise à contribution, carrément exploitée. Chaplin montre une fois de plus ses sympathies, en se référant toutefois plus à Dickens qu'à Marx... Le maître-mot de ce film qui prend donc son temps, c'est la survie, le lutte pour travailler, manger, protéger ceux qu'on aime, avancer, et à la fin, planter quelque chose pour laisser fonctionner le cycle de la vie. Le film ne se terminera d'ailleurs pas sur une poursuite, même s'il y a une pagaille du tonnerre de Dieu dans le restaurant, entre Chaplin, Edna d'un coté, et les deux voleurs menaçants incarnés par Albert Austin et un homme qu'un jour nous identifierons un jour... Non, le film va plus loin que le simple énoncé nihiliste qui clot le chapitre urbain du film, par la destruction et la bagarre: Edna et Charlie ont droit au bonheur... il y aura dans Modern Times un retour en arrière, comme chacun sait, et des réminiscences de ce film.

La construction du film profite donc pleinement de l'espace permis par les trois bobines de ce film, qui dépasse largement la demi-heure, ce que Chaplin voulait faire on s'en rappelle depuis 1915 et le projet Life. Finies aussi les années Mutual, avec les deux bobines aux titres génériques, on entre définitivement dans une nouvelle période, dont les films vont continuer à creuser les thèmes définis par ses douze précédents courts métrages, tout en diversifiant la longueur, et même la forme. A dog's life n'est pas qu'une étape brillante qui prouve à quel point Chaplin avait raison de vouloir étendre son champ d'action, c'est aussi un classique! ...un de plus.

 

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1918 **
13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 17:15

Au moment d'aborder le chapitre suivant dans la carrière de Chaplin, après la fin de son contrat Mutual, il est intéressant de se pencher sur le cas des films inachevés ou parallèles de sa filmographie. L'un de ces deux exemples est sans doute plus connu: Chaplin a réalisé The Bond dans le cadre de la propagande de guerre, afin d'inciter les gens à acheter des bons de la liberté (Liberty bonds) pour permetre d'accroître l'effort de guerre. Le film n'est pas que de la simple propagande, en dépit de son exceptionnelle austérité (des décors ultra-stylisés, sur un fond noir): Chaplin y présente les liens humains ("Bond"), celui de l'amitié (Un petite saynète de pantomime assez traditionnelle avec Chaplin et Austin en ami qui tape son copain à la suite d'une interminable conversation), celui de l'amour (Chaplin séduit Edna et reçoit une flèche décochée par Cupidon), et enfin celui du mariage, avant de passer au plus important "bond", celui de la liberté, dont Chaplin incite les Américains d'une façon pédagogique qui n'a rien à envier aux dessins de presse de l'époque, avec son Oncle Sam, son Kaiser, son représentant de l'industrie (Tom Wilson, non pas en financier, mais bien en artisan-armurier: on ne se refait pas.); des gags, donc, qui tranchent sur la propagande, et un film réalisé avec soin, et même avec énergie, par un Chaplin qui s'adresse directement au spectateur.

How to make movies n'a jamais été exploité entier du vivant de chaplin, et est fascinant à plus d'un titre: d'une part, il s'agit d'un documentaire, réalisé par chaplin pour présenter son sutdio, son personnel, et bien sur la vision du nouveau studio de Chaplin pour first national est fascinante: c'est de là que sont partis The Kid, Shoulder arms, The pilgrim ou ses films United artists! Ensuite, le projet a été longuement muri, puisque il incorpore des plans pris sur le lieu de construction du styudio avant l'ouvrage: on y voit Chaplin, auquel un génie (Albert Austin, semble-t-il) accorde son rêve le plus précieux: un studio. Puis des prises de vue enchainées nous montrent en quelques secondes la construction, et enfin, Chaplin heureux comme un gosse arrive sur place. Le maquillage est là, mais pas la moustacche, et le patron est en costume de ville. Le tour du studio est vu avec humour, et on assiste à des recréations de tournage et de répétition (D'après les costumes de Loyal Underwood et Henry Bergman, c'est au moment du tournage de Sunnyside que ces plans ont été tournés), mais qui sont l'objet de vrais gags. On voit aussi les pin-ups convoquées par Chaplin pour la danse de Sunnyside faire les bathing beauties au studio, le minuscule Loyal Underwood se faire malmener, les acteurs bullant se mettant soudain à travailler à l'approche du patron, etc. On voit aussi Chaplin en plein montage, seul, come le veut la légende, et Albert Austin, sans maquillage, supervisant le développement de la pellicule. Enfin, un exemple de film est montré, et pour le film Chaplin a recyclé un film Mutual inédit sur le golf, avec Eric Campbell et John Rand. Le fait de tourner ce film consistait pour Chaplin en une déclaration d'amour au cinéma, une affirmation aussi de sa puissance, il est clairement le patron. la forme très pince sans rire est une excellente surprise. La joie d'un studio nouveau était une autre motivation, mais le choix de ne pas le montrer est sans doute du à une volonté de contrôler au maximum son image, et son influence: il ne se fera pas facilement photographier, ou filmer par la suite en pleine action, à part pour Souls for sale (1923). Le film de 16 minutes a été préservé par chaplin, et monté par Kevin Brownlow et David Gill qui en ont montré des extraits dans Unknown Chaplin. Il me semble un passage obligé pour qui s'intéresse à Chaplin, à son art, et à son style, parce que ce faux documentaire est totalement empreint de son esprit...

 

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet
11 mai 2011 3 11 /05 /mai /2011 16:27

Grâce à deux coffrets à la fois austères et pleins de bonnes choses, on peut se faire une petite idée du travail de ce pionnier, Albert Capellani, l'un des grands réalisateurs Français des premiers temps qui comme Tourneur ont fait un petit tour aux Etats-Unis, de 1915 à 1923. Pour commencer, on peut s'intéresser à ses films courts, avant qu'il ne se lance dans des adaptations fleuves de grands classiques littéraires (Zola, Hugo surtout). Ces films sont des purs produits de Pathé, plus prolétarienne que la conservatrice Gaumont; les films sont réalisés par des "spécialistes": George Monca a en charge la comédie, Segundo de Chomon la féérie (Largement imitée de Méliès), et Zecca, Nonguet et Capellani se chargent quant à eux des drames.

 

Les films courts de Capellani disponibles dans les coffrets, à une exception près, font partie de cette catégorie. Tous sont très courts, ils atteignent parfois ou dépassent les dix minutes. Beaucoup sont marqués par une approche cruelle, violente et graphique, qui culmine dans des scènes de mort, et le principal sujet reste les amours cruelles, et leurs horribles conséquences. Tous les films alternent déja des séquences d'intérieur parfois tributaires de décors bien mal fichus (Le pavillon de chasse en carton-pâte dans L'age du coeur, par exemple), d'autres fois plus soignés, et des extérieurs qui sont frappants par leur simplicité et leur naturalisme. La caméra reste à bonne distance, mais on a le sentiment que les acteurs trouvent un juste milieu, le bon geste, dans ce qui est une utilisation très efficace de l'espace. A coté de ces six films, on remarquera un autre court, le plus long de fait, qui est une féérie, dans laquelle Capellani profite des bons offices de Segundo de Chomon, opérateur spécialiste des effets spéciaux, et spécialiste maison chez Pathé des films merveilleux. On peut rapprocher ce film d'un autre plus connu, le court métrage La légende de Polichinelle, avec un jeune Max Linder d'avant Gaumont et la gloire, et qui est attribué à Capellani également. Enfin, le dernier film est à ranger dans les moyens métrages, totalisant trois bobines, et anticipant sur les films plus longs et plus ambitieux de Capellani: c'est, déjà, une adaptation de Zola...

Le chemineau (1905) La première adaptation de Hugo n'est pas comparable par sa durée à celles qui suivront, mais elle est remarquable, pour ce qui est, pour autant qu'on en croire les dernières recherches ayant fait état de la filmographie du bonhomme, le deuxième de ses films (Et le plus ancien conservé). Le chemineau, c'est Valjean bien sur, et Capellani réalisera en 1912 une adaptation impressionnante des Misérables. En attendant il se concentre sur l'épisode de Jean Valjean recueilli chez Monseigneur Myriel, le vol, et l'arrestation du vagabond. La résolution du film manque, les copies conservées étant incomplètes, mais le film (de moins de six minutes) est fascinant: Capellani, durant cette aube du cinéma, avait déjà des idées picturales qui l'élevaient au-dessus du lot: ce premier plan de vagabondage hivernal, tout en atmosphère, avec son héros qui s'avance vers l'écran, puis le panoramique chez Myriel qui se substitue à un montage, permettant à un changement de décor dans le plan de faire office d'ellipse, sont plus que prometteurs...

 

Drame Passionnel (1906)

le titre est très clair, le drame en question nous est narré par le menu: un homme quitte sa maitresse, mère d'une petite fille, et se marie pour l'argent. Lors du mariage, l'ex est là, décidée à se venger... un film assez direct, cru, d'une grande clarté.

 

Mortelle Idylle (1906)

Là encore, on ne peut pas dire que le titre soit vraiment crypté. Une femme trahit l'amour de son ami d'enfance, celui-ci se venge d'une façon expéditive. Le film montre un exemple très intéressant de construction de suspense, puisque il y a une tentative de meurtre avant que le tueur n'atteigne son but. Ainsi, le spectateur est placé dans l'attente de ce qui va venir... Encore une fois, un film choc, qui atteint son but en peu de temps.

 

L'age du coeur (1906)

Ce dur film conte les mésaventures d'un couple "mal assorti", nous dit un intertitre: il est vieux, elle est jeune, le premier gandin qui passe devient un amant. une bonne âme prévient le mari, qui jure de se vanger... Mais il en est incapable, alors... il retourne dans sa chambre et se suicide, de façon très graphique. On est ici à deux doigts du grand guignol, avec un alliage astucieux de trucage cinématographique (On arrête tout simplement la caméra et le mouvement) et de maquillage sanglant. Le cinéma de Capellani va déja vers le réalisme sans concessions...

 

La femme du lutteur (1906)

Vu à plus grande distance que les autres, ce film incorpore un grand nombre de figurants, ce qui est d'autant plus justifié qu'une partie de l'action se place dans le cadre forain: un lutteur à succès se laisse draguer par une riche bourgeoise, et abandonne roulotte, femme et enfants pour s'installer dans la belle vie. Le sujet parle d'abandon du domicile conjugal, d'adultère, et donc de sexe. Le fait que l'homme fasse un usage professionnel de son corps est à prendre en compte. En tout cas, cette fois, il y a utilisation d'arme blanche. A noter aussi, dans tous ces films, le crime est la fin: la police n'intervient pas, en tout cas pas dans l'espace filmique, tout comme, on le verra, dans l'assommoir... Pas de résolution bourgeoise, donc.

 

Pauvre mère (1906)

Encore un film dur! cette fois, une mère dont la fille s'est tuée sombre dans l'alcoolisme, devient folle, et s'empare dans un jardin public d'une fillette qu'elle prend pour la sienne. Elle meurt dans un couvent, "visitée" une dernière fois par le fantôme de sa fille. On notera qu'elle est seule, sans qu'on puisse déterminer si elle est veuve, divorcée, ou... pire. Au mur, dans la première scène, un portrait anonyme d'un monsieur en moustache permet éventuellement de rassurer le bourgeois!

 

La fille du sonneur (1906)

Un vieil homme, sonneur de cloches à Notre-Dame, désavoue sa fille qui fricote avec un monsieur pas comme il faut. La fripouille abandonne la jeune femme avec un bébé, et celle-ci n'a d'autre solution que de laisser la petite à son père, qui la prend en charge, avec suffisamment d'amour. Mais la mère cherche ensuite à revoir la petite, contre l'avis du grand-père. La copie dure dix minutes, et est un condensé du film. un mélodrame, donc, mais marqué par la composition, la scénographie et l'utilisation parcimonieuse de figuration: on est devant un film qui ménage ses effets, et si certaines scènes avec le vieux sonneur, au jeu excessif, vont trop loin dans le pathos, on le suit avec tension. Une scène avec le vieux sonneur à coté d'une gargouille, qui contemple l'horizon, et donc les toits de Paris, atteint à la grandeur: c'est un moment de pure poésie. N'oublions pas que Capellani réalisera une version de Notre-Dame de Paris, en 1911...

 

Aladin ou la lampe merveilleuse (1906)

Très décoratif, ce film assez peu intéressant est typique de la production féérique, avec ses tableaux et son final en forme de ballet ou de revue. Segundo de Chomon a donc contribué avec ses effets, qui sont très bien amenés, mais les deux minutes de danseuses exotiques avec couleurs au pochoir nous donnent envie de retournenr à notre Paris des passions en 1906 tel que le dépeint Capellani...

 

La légende de Polichinelle (1907)

Parfois attribué à Nonguet, parfois à Capellani, ce Polichinelle est très soigné mais souffre des mêmes défauts que le précédent film. il n'apporte pas grand chose de plus à notre affection pour Max Linder, pas vraiment dans son élément, et rien du tout à notre intérêt pour Capellani, dont on veut découvrir les beaux films, séance tenante!

 

L'assommoir (1909)

Cette adaptation de Zola en trois bobines est excellente. En dépit de la longueur du film, à une époque ou on ne s'aventurait pas dans le long métrage en effet, la maitrise de l'ensemble est impressionnante. En dépit de sa brièveté, on suit ici l'évolution de personnages, et le décor, tant humain que matériel, est très réaliste, ou pour reprendre l'expression consacrée, tant pis pour le cliché, "naturaliste". c'est du Zola, après tout, et pas encore passé par la censure, on y appelle un chat un chat. il y est question de vie 'à la colle', de saoulographie, de crise de delirium, d'absinthe, de basse vengeance, le tout dans une atmosphère ô combien populaire.

 

Un grand cinéaste, de toute évidence!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Albert Capellani
8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 17:27

Avant même le générique du film, des images de rue, comme en écho au concept soulevé par le titre: la rue comme métaphore de la vie en même temps que son cadre... les premières images sont énigmatiques, marquées par un montage serré, la touche des premiers Naruse. des gens qui vivents, se retrouvents, s'attendent, travaillent, passent dans la rue. Des éléments économiques aussi, une vitrine avec des bijoux, puis une autre avec des viennoiseries... la décor est planté, l'univers aussi, pour un film peu banal de Mikio Naruse: en conflit de plus en plus ouvert avec la Schochiku, il ne voulait pas de ce sujet. Des quatre autres films muets conservés de l'auteur de ce film, on constate qu'un seul n'est pas écrit par lui, le plus mélodramatique, Après notre séparation. Ici, c'est encore de mélo qu'il s'agit, et naruse n'en veut pas parce qu'il a trouvé son univers et ne souhaite pus revenir en arrière, à plus forte raison pour traiter un sujet qu'il considère comme un feuilleton sans envergure... le film lui sera imposé avec la condition qu'il fasse ce qu'il veut ensuite.

Sugiko est serveuse dans un bar, et elle a un amoureux, un homme dont la famille souhaite qu'il fasse un mariage prestigieux, mais lui n'en a cure: il veut Sugiko. Celle-ci est courtisée par un studio de cinéma qui s'intéresse à sa plastique, bref tout va pour le mieux... mais Sugiko a un accident, renversée par un jeune bourgeois, et son petit ami, sans nouvelles, disparait purement et simplement de la circulation. Sugiko commence à fréquenter Hiroshi, le riche automobiliste responsable de l'accident, et entre les deux, l'amour commence à poindre. Hiroshi va donc, contre la volonté de sa mère et de sa soeur, épouser Siguko. tout est pour le mieux? Pas sûr...

Le destin, une fois de plus incarné par non pas un, mais deux accidents de voiture, va donc placer Sugiko sur un terrain glissant, et son environnement aussi. Mais la cible de naruse, c'est aussi et surtout la bourgeoisie et ses préjugés, les manies qui consistent à privilégier le prestige sur l'amour, tout un carcan de conventions sociales qui emprisonnent aussi bien Hiroshi que Sugiko. comme en écho, l'amie serveuse de Sugiko qui a saisi l'opportunité laissée vacante par Sugiko et est devenue actrice: elle aussi est rattrappée par les préjugés, et demande à son petit ami de resteer à l'écart, puisqu'il est d'une autre classe... un monde de classes, donc, dans lequel il faut s'élever, et tout abandonner. Au beau milieu de ce film, la personnalité de Setsuko Shinobu domne sans mal, impérieuse, au visage de marbre, dur et sévère à la fin, autant qu'elle était douce et optimiste au début. On comprend un peu Naruse, qui souhaitait dépeindre un monde mois fermé, moins circonscrit par les conventions de la fiction: ici, l'histoire aboutit à une étape ou certains des protagonistes trouvent le bonheur, mais qu'on ne s'y trompe pas, cette Sugiko, qui choisit un conflit sans concessions contre sa belle-famille, qui reprend sa liberté dans un monde dominé par les hommes, au risque de rester dans l'incertitude - et au plus bas de la classe ouvrière -  toute sa vie, avec la plus belle des dignités, est bien une héroïne de Mikio Naruse, une grande.

Le réalisateur, à la veille de s'essayer au cinéma parlant, utilise le montage d'une façon toujours aussi inventive, avec ses inserts étonnants (Et même déroutants parfois, comme cette conversation entre deux amants entrelacée de vues de lampes éclairées et de bâtiments), ses plans en mouvement qui balaient l'espace, ses séquences de montage rapide: l'accident de la fin, vu entièrement par le biais des obkets personnels des victimes qui dévalent une pente sans fin, et un chapeau qui arrête sa course sur un rocher... Naruse va donc faire ce qu'il veut à l'issue de ce film: quitter la compagnie à laquelle il a travaillé depuis 24 films.

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse Muet 1934 Criterion *