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21 février 2020 5 21 /02 /février /2020 15:52

De tous les films du metteur en scène Afro-Américain Micheaux, ceci, son troisième et dernier film muet conservé (sur une vingtaine!), est son plus célèbre. Et pour cause(s): d'une part, c'est son film le plus direct et le plus simple; ensuite, c'est celui qui a longtemps été la seule trace viable de son oeuvre... Enfin, il y a, et c'est une exception dans son oeuvre, un acteur de premier plan, le comédien Paul Robeson, personnalité du théâtre légitime qui en dépit de sérieuses réserves quant au contenu du film, a fini par accepter d'y jouer un intéressant double rôle...

Robeson y est donc "Body" and "Soul", corps et âme, encore qu'il y ait une ambiguité quant au sens à attribuer à chaque terme, car l'un des deux personnages joués par l'acteur est un clergyman, doc on serait tenté de le considérer comme l'âme... Mais le pasteur Jenkins, ou celui qui se fait passer pour le pasteur tant il apparaît comme un escroc, est un sale type peu recommandable: menteur, ancien condamné, voleur, et même, dans la pure tradition du mélodrame, violeur!

A côté de lui, Sylvester, l'autre homme interprété par Robeson, a tout du gendre parfait, ce qui nous amène à nous demander ce qui motive la mère (Mercedes Gilbert) de la jeune Isabelle (Julia Theresa Russel) à refuser que sa fille convole en justes noces avec lui! C'est sans doute d'une part parce que bien que travailleur et sobre il n'est pas aisé; et puis, il y a le charisme du faux prêtre, sa capacité à envoyer toute la paroisse en pâmoison! Lors d'un rêve qui sonnera comme une descente aux enfers, finalement, la maman verra enfin la vérité sur celui dont elle voulait faire son gendre...

Jamais personne ne semble remarquer que dans ce film, les deux personnages masculins, celui qui pourrait accompagner Isabelle vers le bonheur, Sylvester (soul) et celui qui l'emporterait avec lui en enfer, le pasteur (body) sont ressemblants comme deux gouttes d'eau! On échappe même au terrible coup de théâtre qui nous révélerait qu'il s'agit de la même personne! Pourtant, les appels du pied à l'histoire marécageuse du mélo sont nombreux dans le film, mais son principal intérêt repose dans l'obstination remarquable de Micheaux de faire un pamphlet dans lequel il accuse la religion de faire le jeu de la ségrégation en laissant les noirs dans l'ignorance...

Un message rare, et probablement précieux au regard du fait qu'il ait fallu attendre l'arrivée en 1955 sur le devant de la scène de Martin Luther King pour qu'enfin une possibilité de fédérer les Afro-Américains derrière leurs leaders religieux ait, enfin, du poids... A travers ce mélo boiteux mais énergique, plus concentré et plus soigné que les deux autres films muets qu'il nous a laissé, Micheaux aurait-il vu juste?

 

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Published by François Massarelli - dans Oscar Micheaux Muet 1925 **
19 février 2020 3 19 /02 /février /2020 16:04

Ceci est le quatrième long métrage de Micheaux, et le deuxième à avoir survécu. A l'instar de Within our gates, il y expérimente avec un style qui lui fait jongler avec les genres, entre pamphlet sérieusement anti-ségrégationniste, mélodrame basique et tragédie baroque. 

De même que pour Within our gates, il y a un passage du Sud vers le Nord, présenté comme un endroit moins propice à la ségrégation, mais dans lequel on retrouve quand même un peu de ces lois et convenances que les Noirs du Sud avaient regroupées sous le terme ironique de Jim Crow... Evon (Iris Hall) est une jeune femme qui a perdu sa famille, en particulier son grand père, et qui prend possession d'une cabane qui lui appartenait. Elle va se retrouver au milieu d'une série d'intrigues, entre le mulâtre qui refuse d'admettre son appartenance à la communauté Afro-Américaine, le brave voisin noir qu'elle voudrait tant aider, et les blancs qui s'organisent en société secrète (du genre qui ne sort que la nuit, et avec des déguisements encore) afin d'exproprier les noirs...

On est bien sûr tenté de dire "quelle salade", mais ce serait une erreur, car les films de Micheaux ont tous en commun d'être en effet soumis aux lois du genre mélodramatique. La seule façon pour le réalisateur, de pousser son avantage, lui qui réussissait, parfois au prix de grands sacrifices, à financer des films qui allaient ensuite être montrés dans les cinémas pour la clientèle noire, savait à quel point il lui était important de fidéliser son public en lui proposant, en quelque sorte, une version totalement acceptable de qu'ils pouvaient éventuellement voir du cinéma des blancs: donc, dans ce film comme dans les autres, il y a des larmes, des coïncidences, des flash-backs appropriés, des gags aussi (et comme dans Within our gates, ils impliquent E.G. Tatum, un acteur de comédie qui joue un noir assez proche de la caricature des afro-américains vue dans les comédies...).

Tout était permis, qui permettait à Micheaux de montrer le racisme en action, de questionner la suprématie blanche, de montrer aussi cette obsession ignoble de la race et de la pureté, mais l'ironie était que Micheaux était par ailleurs forcé, si'l ne voulait pas être censuré et emprisonné, de se soumettre aux lois du pays, et donc de montrer les blanches avec les blanches et les noirs avec les noires, d'où une scène finale un peu étonnante, où tout rentre enfin dans l'ordre. Un autre aspect de ses films apparaît ici: la façon dont il attribue les rôles des gens les plus sophistiqués à des acteurs et actrices (souvent des amateurs, incidemment) qui sont plus pâles que les autres. c'est gênant, bien sûr: mais il n'avait sans doute pas le choix...

Il est dommage que ce film soit incomplet: sous-titré "A story of the Ku-Klux-Klan", il montrait la société secrète en action dans deux bobines, ce sont justement celles qui se sont décomposées, pourtant à l'abri de toute intervention des "chevaliers", puisqu'on a retrouvé l'unique copie du film, avec des intertitres Français et Flamands, à Amsterdam...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1920 Oscar Micheaux **
18 février 2020 2 18 /02 /février /2020 17:45

Sorti en 1920, le deuxième long métrage de Micheaux est aussi, aujourd'hui, le plus ancien de ses films à avoir survécu, et l'un des seuls trois rescapés de sa période muette... Micheaux, réalisateur indépendant, est un autodidacte noir qui a tout fait pour devenir à sa façon un incontournable du cinéma Afro-Américain, ce qu'on appelait les "race films", destiné d'abord et avant tout à la clientèle des cinémas exclusivement noirs des grandes villes. Mais surtout, c'était quelqu'un qui, s'il lui arrivait (plus souvent qu'à son tour, selon l'expression consacrée) de sacrifier aux tendances les plus éculées du mélodrame le plus vil, tendait aussi à vouloir choquer les consciences, en rappelant les habitudes folkloriques des blancs du Sud, comme il le fait dans ce film: selon la légende, c'était sa réponse au dégoût engendré par The birth of a nation, sorti en 1915 par Griffith...

L'intrigue du film est un peu confuse, et touche à un grand nombre de thèmes qui sont brassés par Micheaux avec parfois la main lourde d'un réalisateur qui veut tout faire et trop vite: le désir d'élévation des populations noires, les différences Nord-Sud (soulignées dès le début par un intertitre qui ne fait pas dans la dentelle), la criminalité importante, mais aussi l'existence d'une bourgeoisie cultivée: la jeune Sylvia Landry (Evelyn Preer) s'apprête à se marier avec un géographe, Conrad James Ruffin), mais celui-ci rompt après un traquenard tendu à Sylvia par sa cousine Alma (Floy Clements) qui aime Conrad. De dégoût, Sylvia retourne vers le Sud où elle s'intéresse à une école qu'un révérend noir souhaite promouvoir afin d'avancer la communauté: Sylvia retourne donc dans le Nord pour y prospecter d'éventuels donateurs et mécènes. Elle va aussi bien tomber sur des blancs progressistes que des racistes soucieux d'empêcher l'étendue du savoir des noirs. Et surtout, elle va rencontrer le Dr Vivian, un afro-américain qui va tomber amoureux d'elle...

Les scènes s'enchaînent, les coups de théâtre et autres secrets inavouables aussi. Mais on ne s'en plaindra pas trop, car le coeur du film est précisément un de ces secrets, révélé sur la fin du film par Alma, lors d'un flash-back: on apprend à la fois que Sylvia est la fille légitime d'un blanc marié en secret à une noire dans le Sud, mais aussi qu'elle a échappé à un lynchage géant, organisé autour d'une machination ignoble. La scène de lynchage est impressionnante, et Micheaux y utilise le montage avec énergie sinon avec adresse. Et il fustige non seulement les blancs et leur tendance à avoir la corde chatouilleuse, mais aussi les "Oncle Tom", ces noirs accusés de vouloir jouer trop facilement la carte de leurs tortionnaires en se faisant bien voir: le portrait de Efrem (E.G. Tatum), le noir qui dénonce la famille de Sylvia, est un étrange mélange d'excès indigne et d'humour corrosif, et on verra que dans le film, celui qui a voulu s'attirer les bonnes grâces des blancs finira lynché à son tour, pour passer le temps...

Within our gates, y compris avec ses maladresses, sa tendance à l'excès en tous genres, son interprétation parfois erratique, est malgré tout un moment important: non seulement la communauté Afro-Américaine a commis le film, mais on y aborde des thèmes qui n'étaient jamais exploités, ou alors tellement dilués dans le cinéma mainstream Américain de l'époque. Il s'y exprime une conscience dure, froide et peu encline au pardon, de l'injustice ethnique aux Etats-Unis. Et rien que pour ça, sa valeur est immense...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1920 Oscar Micheaux **