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13 mai 2018 7 13 /05 /mai /2018 18:26

Ceci est le film choral ultime, dans lequel sans thématique préalable, sans lien réel entre les personnages, une vingtaine de personnages vivent trois jours à Los Angeles, et le spectateur est comme un visiteur qui aurait le droit de soulever le toit des maisons pour les regarder vivre. Trois jours, depuis le moment précis lorsque sur ordre des autorités locales, un bataillon d'hélicoptères pulvérise des doses massives d'insecticides pour préserver la population d'attaques de plus en plus fréquentes de mouches des fruits (une espèce de diptère particulièrement invasif et agressif), jusqu'à un tremblement de terre qui apporte une sorte de résolution à un certain nombre de personnages, et semble aussi marquer le début des ennuis pour d'autres...

C'est une somme, en soi, d'une dizaine d'intrigues, toutes adaptées (Sauf une, ajoutée par Altman) de Raymond Carver, et de neuf de ses nouvelles, plus un poème. Afin d'apporter de l'unité, un certain nombre de liens ont été créés pour le film, des liens familiaux, ou environnementaux: telle personne devient ainsi le voisin de telle autre, et dans certains cas les personnages font un peu plus que marcher dans le décor des histoires des autres, mais ce n'est pas de lien qu'il est question dans le film, plutôt d'une tentative de singer la vraie vie des vraies gens, en particulier des W.A.S.P. de Los Angeles: un pilote d'hélicoptère qui en a marre de partager sa femme avec la terre entière, un flic matamore qui trompe son épouse et est persuadé qu'elle ne le sait pas, une chanteuse de jazz revenue de tout, qui ne se rend pas compte qu'elle a totalement négligé sa fille unique, grandie dans la frustration de ne pas avoir connu de père, un couple bancal, à l'histoire tordue, formé d'un chauffeur à louer alcoolique et d'une serveuse qui essaie de s'en sortir... A une ou deux exceptions près (un médecin très en vue, et un chroniqueur vedette de la télévision), les gens sont d'extraction modeste, et parfois ont du mal à joindre les deux bouts. Mais surtout ils ont la frustration visible, le mal-être à fleur de peau: on rit parfois, mais jamais longtemps. 

Tourné dans un Cinemascope superbe, le film est une plongée magistrale dans le quotidien pas toujours reluisant des Américains des années 90. Altman se contente (Si on peut dire) de travailler autour de ses acteurs, qui ont une part importante dans l'improvisation: le metteur en scène utilise sa méthode développée à l'époque de M.A.S.H. et Nashville: filmer autour, laisser vivre, et voir où ça va aller pour prendre la bonne décision au montage. A chaque fois, le plan de départ est représenté par la nouvelle adaptée, et le résultat est d'un réalisme, et parfois d'un naturalisme, assez affolant. Pour finir, j'ajoute que tous le acteurs sont des pointures (Chris Penn, Tom Waits, Jennifer Jason-Leigh, Madeleine Stowe, Matthew Modine, Tim Robbins, Lyle Lovett, Andie McDowell, Bruce Davison, Julianne Moore, Huey Lewis, Frances McDormand, Annie Ross, Lily Tomlin, Lili Taylor, Robert Downey Junior, Lori Singer, Anne Archer, et Jack Lemmon!), que les trois heures passent comme cinq minutes...

 

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Published by François Massarelli - dans Robert Altman Criterion
11 avril 2018 3 11 /04 /avril /2018 16:24

Griffin Mill (Tim Robbins) est un décideur doué pour un studio; pourtant il semble être sur une pente glissante: on parle beaucoup de Larry Levy (Peter Gallagher), un autre wonder-boy avec les dents qui rayent le parquet, et qui pourrait bien prendre sa place sous peu. Et par dessus le marché, Griffin reçoit des messages de menace insistants, qui font allusion à son rôle comme étant celui d'un "ennemi des auteurs". Il finit par comprendre qu'il est la cible de la colère d'un scénariste qui s'est vu refuser un script. Il pense que c'est David Kahane (vincent D'Onofrio), et va le trouver pendant la projection du Voleur de Bicyclette, de Vittorio de Sica: la discussion s'envenime et dans la foulée, Griffin tue Kahane. Dès le lendemain, non seulement Mill est le principal suspect du meurtre, mais les messages de menace continuent d'affluer...

Le jeu de massacre commence, dans ce film, par un plan-séquence qui est l'occasion non seulement d'une petite démonstration de bonne santé du maître Altman (qui revient de loin après des années 80 en forme de bêtisier!), mais aussi d'une série de mises en abyme assez virtuoses: la caméra cadre une peinture qui représente un tournage, mais au milieu duquel on aperçoit un clap sans équivoque: The Player, de Robert Altman... Puis l'objet disparaît, et la caméra recule pour révéler qu'on est au siège d'un studio. Elle virevolte d'un bungalow à l'autre, captant les conversations des uns et des autres, pour revenir plusieurs fois avec insistance sur Griffin Mill en plein exercice de son métier. Parmi les conversations, un crétin en costume cite l'ouverture de Touch of evil, de Welles, et son plan-séquence diabolique...

Le ton est donné, mai Altman va resserrer ses séquences autour de son personnage principal. On peut faire la plus absolue confiance à Tim Robbins pour être à l'aise avec un personnage comme celui-ci: séducteur, Mill est néanmoins obsédé par le risque de chuter. Ce qui rend sa position de meurtrier difficile. C'est un homme-clé du système du studio, dont il connait parfaitement les rouages, ce qui ne l'empêche ni d'avoir une véritable sensibilité artistique (il aime vraiment et connait vraiment ses classiques... Il n'a juste plus le temps de les revoir, c'est tout!), ni de tomber authentiquement amoureux, d'ailleurs, de l'ex de l'homme qu'il a tué par mégarde!

Et le film, mis en scène avec rigueur, mais oui, par un réalisateur plus connu pour sa tendance à l'accumulation foutraque que pour autre chose, est un portrait d'Hollywood au vitriol, loin de tous les clichés des histoires de naïfs qui viennent pour réussir dans la capitale du cinéma: non, tous les protagonistes vivent du cinéma, sont à Hollywood, et font du sexe dans des piscines. Ils tiennent juste à conserver leurs positions de pouvoir respectives. Et pour ça il faut savoir temporiser, composer, se compromettre, et bien sûr tuer.

Pas dupe, Altman se débrouille pour replacer une allusion à son propre film dans ce contexte et brosse des scènes de comédie autour du fameux happy end comme étant la panacée pour faire avaler n'importe quoi au public, et lâche en liberté dans son film un certain nombre d'acteurs (beaucoup d'entre eux sont des copains et certains reviendront pour jouer dans Short Cuts, le chef d'oeuvre qui suivra), et de célébrités authentiques dans leur propre rôle, qui rendent le film plus troublant encore...

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Published by François Massarelli - dans Robert Altman Comédie Noir