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  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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31 mai 2019 5 31 /05 /mai /2019 16:28

Pour être franc, je n'attendais plus Spike Lee aux commandes d'une comédie, et le film n'appartient d'ailleurs finalement que de justesse au genre... Mais ce n'est pas ce qui fait son prix: Spike Lee, du début à la fin du film, joue avec talent la carte de la reconstitution d'une époque (en adoptant d'ailleurs le style du cinéma de l'époque), en retournant au début des années 70, pour nous raconter une anecdote 100% authentique, mais son but est ailleurs. J'y reviendrai...

Ron Stallworth (John David Washington) est motivé pour entrer dans les forces de police à Colorado Springs. Les autorités hésitent, car ce serait le premier membre noir parmi la police locale... quand il est finalement pris, c'est pour accomplir des tâches ingrates. Il insiste pour se voir donner des activités plus intéressantes, et obtient d'infiltrer un meeting d'un ancien des Black Panthers, où il va faire la connaissance de Patrice (Laura Harrier), une jeune étudiante très militante. Puis, avec son partenaire Flip Zimmerman (Adam Driver), il prend contact au téléphone avec le Ku Klux Klan local, dans le but de les infiltrer. Puisque c'est Ron qui a le premier téléphoné au Klan, il va désormais garder le contact au téléphone, mais pour tous ses déplacements en chair et en os, c'est son copain qui sera "Ron". Ce ne sera pas une mince affaire, car parmi les dingues du Klan, il y a Felix, un fou-furieux persuadé que "Ron" est Juif... Et justement, il n'a pas tort...

Le ton est badin, souvent ironique dans la première partie du film, mais justement, l'enjeu semble surtout être le fait pour Ron d'intégrer une organisation policière poussiéreuse, et disons-le, raciste. Le meeting est pour Ron une révélation, car il y découvre que sa vocation de policier n'est pas foncièrement en contradiction avec son origine Afro-Américaine. S'ensuivra d'ailleurs un dialogue avec Patrice, mais je ne pense pas que cette partie du film soit la plus passionnante... Non, ce qu'on veut voir, ce sont les efforts de Flip et Ron pour maintenir de la cohérence dans le personnage commun, pour l'un qui l'incarne en vrai et celui qui le joue au téléphone.

Et puis le voyage au pays du KKK est plus qu'intéressant, car les années 70 étaient celles de la tentation de normalisation, une période durant laquelle en surface l'organisation semblait s'assagir, voire s'embourgeoiser. On verra beaucoup d'éléments dans le film qui renvoient à l'idée d'un groupe désireux de se faire accepter dans la vie politique: des affiches dans lesquelles le Klan appelle à voter Nixon, par exemple. Ou encore le personnage intéressant de David Duke, grand dragon du KKK à l'époque, et qui essaie de faire le grand écart permanent entre une volonté de se recentrer, et des idées suprémacistes dont le discours raciste et antisémite ne laisse pas planer le moindre doute. 

Spike Lee garde du début à la fin ou presque un style qui est celui, plus ou moins, des films des années 70: on n'est pas loin, par exemple, de Serpico. Mais c'est un trompe-l'oeil, car derrière l'histoire édifiante, rigolote même, avec un quasi-happy end de rigueur, se cache une angoisse forte, une révélation qui est le fil rouge du film: on aura beau les infiltrer, les révéler, les mettre au grand jour, voire les réduire au silence, mais ces gens seront là toujours.

Une conversation entre Ron et ses collègues nous donne le ton, d'ailleurs: le héros du film ne veut pas croire qu'un jour, s'installera peut-être à la maison blanche, un président choisi et soutenu par le KKK. Lors d'une scène qui voit les bouseux du KKK se retrouver chez l'un d'entre eux, on entend distinctement l'un d'entre eux proposer de "make America great again". Et le final du film est sans aucune ambiguité: Lee choisit volontairement de ne pas finir son intrigue et de laisser Ron et Patrice en plan, et de montrer à la place les événements tragiques de Charlottesville en 2017, un discours du vrai David Duke qui juge, prenant appui sur la présence de Trump à la Maison Blanche, que le moment est venu de "reconquérir l'Amérique", et bien sûr il nous montre aussi le président en question, disant qu'une manifestation entre les gens du KKK et des anti-fascistes, est une confrontation entre deux groupes violents, et que les torts sont partagés entre ceux qui condamnent les agissements de néo-nazis, et ceux qui écrasent des manifestants en scandant des horreurs racistes et antisémites.

la présence de Trump dans le film était pourtant annoncée par un prologue au cours duquel Alec Baldwin, l'un de ses plus virulents détracteurs, qui a maintes et maintes fois incarné le président à la télévision, interprète un ponte du Klan qui débite ses horreurs, tout en montrant de nombreux extraits de The Birth of a nation de D.W. Griffith; un film que les braves gars du KKK se regardent en projection privée comme on se regarde un Disney en famille...

Le film n'est donc pas une comédie, mais un pamphlet vigoureux qui rappelle que le travail entamé par Martin Luther King, Malcolm X, les Kennedy, et tant d'autres, n'a pas été fini. Et qu'il ne sera peut-être non seulement jamais fini, mais qu'il faudra sans doute le faire et le refaire en repartant de zéro. Un message d'espoir? Même pas: je pense que c'est plutôt un message d'alarme, de la dernière chance, un message qu'il nous faut entendre, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi ici, en Europe.

...vaste programme? On n'a pas le choix.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Spike Lee
25 janvier 2014 6 25 /01 /janvier /2014 18:52

Il faut revoir ce film de Spike Lee aujourd'hui, plus que jamais, hélas. On avait tiré à boulets rouges sur l'initiative forcément louche d'un metteur en scène Afro-Américain, qu'on accusait de travestir la vérité à l'avantage de sa communauté en faisant de Malcolm Little dit X ce qu'il n'était pas supposé être, soit un martyr. On criait au communautarisme, à la déviance... L'impression étant que seul un homme centriste ou consensuel (King?) puisse sortir du lot de la communauté noire Américaine et être enfin considéré comme un personnage historique dont l'héritage soit incontestable... X était humain, nécessaire: A l'histoire, à l'humanité autant qu'à l'Amérique et aux noirs eux-mêmes. Il gênait parce qu'il embarrassait la mauvaise conscience d'une population blanche fautive, qui a laissé faire des siècles durant; une mauvaise conscience mal polie de l'Amérique, à laquelle on a reproché des provocations et des franchissements peu souhaitables de limites (Sa réaction à l'assassinat de Kennedy est un exemple dans le film), mais qui est montré ici comme un homme imparfait, dans un cheminement erratique mais constamment sincère. Et Lee, qui n'est pas lui-même un musulman, nous montre Malcolm X passer de la drogue et la délinquance à un Islam "arrangé" (La nation de L'islam, un groupe très controversé) à la sauce Américaine, militant de façon talentueuse et mordante pour une Amérique noire, ou un retour à l'Afrique, avant de trouver en un pèlerinage à La Mecque une nouvelle dimension spirituelle à ses croyances, devenant du même coup un vrai Musulman: tolérant, ouvert, aspirant à la paix et la fraternité, pas à l'expression désordonnée de la colère... Qu'il ait été de plus en plus attiré par une réunion de toutes les factions qui militaient pour la cause des noirs au moment de sa mort n'est en aucun cas un mystère. Que mandela soit vu à la fin du film enseignant à des élèves de primaire l'héritage de Malcolm X fait d'autant plus réfléchir maintenant que le grand leader (Incontesté, celui-là) Sud-Africain est décédé... Une bonne fois pour toutes, on saluera la prestation exceptionnelle, habitée de Denzel Washington...

 

Le film fleuve de Lee, son meilleur film haut la main, est passionnant par se sparti-pris et son impeccable cohérence narrative: il laisse la mise en scène épouser la vie de Malcolm au fur et à mesure, de plus en plus austère à mesure qu'on se rapproche de la fin. Il filme avec tendresse le Harlem des années 40, bigarré, mal poli, avec ses Zoot Suits, ses jeunes noirs qui se font défriser les cheveux, et la devanture des clubs ou passent Jimmie Lunceford, Dizzy Gillespie et Sarah Vaughan. Il convoque la Far east Suite de Duke Ellington lors des séquences consacrées aux voyage de Malcolm X en Afrique du nord puis à la mecque, Alabama de Coltrane pour les évocations des répressions musclées à la maison, et s'essaie à une représentation (Peu convaincante) du big band de Lionel hampton; enfin, Terence Blanchard accompagne de son score impeccable le souffle épique du film, qui nous montre finalement un héros Américain, un homme qui a su trouver son intelligence dans la dialectique, en étant jusqu'à la fin le poil à gratter de l'Amérique, celle qui vous met la tête dans le seau pour nous obliger à sentir les trucs pas propres qui y sont restés: bref, Malcolm X était vraiment, lui, ce que les provocateurs de tout poil qui tentent de se faire passer pour des agitateurs nécessaires ne seront jamais: un homme indispensable à son temps. Pas un homme parfait, non, mais un homme dont le chemin parcouru méritait bien ce film étonnant et qui ne ressemble à aucun autre biopic...

 

Et pour finir si ce film est indispensable aujourd'hui c'est bien sur parce que d'une part on n'a pas encore compris dans les pays occidentaux ce que l'Islam est vraiment: le film nous le montre dans ce fameux Pèlerinage... Spike Lee a beau ne pas être Musulman, il ne confond jamais les extrémistes, les terroristes d'une part, et les coyants d'autre part... Et puis, ce film commémoratif venait en un moment qu'on supposait apaisé, longtemps après la fin de la ségrégation..., Mais il montre brièvement en son générique une allusion à l'embarrassante affaire Rodney King, ce jeune noir tabassé à Los Angeles au début des années 90 par des flics blancs. En 1992, c'était de l'actualité récente... Mais on n'a hélas pas beaucoup avancé. Ici non plus, d'ailleurs!

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Published by François Massarelli - dans Spike Lee