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22 mai 2014 4 22 /05 /mai /2014 17:22

Spartacus, ou le film que les admirateurs de Kubrick aiment haïr. Elu par principe au rang de pire film du réalisateur par ses fans, relayés par le maître lui-même, une fois son indépendance acquise, et sa singularité établie avec Dr Strangelove ou 2001, a space odyssey. Mais le fait est qu'il n'aurait sans doute jamais pu faire ces films sans passer par Spartacus. Lui-même, une fois le tournage achevé, a avoué qu'il était désormais un vrai réalisateur, ayant honoré une commande avec brio. Rappelons toutefois, afin de rendre à César ce qui lui appartient, que le film est d'abord et avant tout une production Bryna, de Kirk Douglas, qui s'était mis en tête de concurrencer Ben-Hur sur son propre terrain en offrant au péplum une alternative laïque, un film sur l'antiquité sans Jésus, ni son ombre, situé avant. Et avant J.C., comme Jésus Christ certes, mais aussi comme Jules César, d'ailleurs présent en jeune loup du sénat dans ce film, mais un jeune loup qui a tout un apprentissage à faire. L'intrigue du roman d'Howard Fast est située en 71 avant J.C, soit 20 ans avant Gergovie... Elle reprend la légendaire figure de Spartacus, qui mena une révolte des esclaves posant une véritable menace sur la République Romaine; mais ce fut l'occasion pour l'ambitieux Crassus d'asseoir son pouvoir et poser la première pierre d'un futur Empire dont on sait que c'est finalement Auguste qui en récoltera les fruits, après les tentatives de Crassus, Pompée, et César, les trois ambitieux qui formeront un triumvirat à la tête de la République branlante après cette malheureuse affaire d'esclaves en rébellion. Spartacus est un rôle tout trouvé pour l'acteur Douglas, et il a décidé de s'entourer, en engageant pour le rôle de Crassus Laurence Olivier. Autour de Spartacus, on reconnaît Tony Curtis et Jean Simmons, et dans les rôles de Romains Charles Laughton, Peter Ustinov, Nina Foch ou John Gavin en jeune César. Le film, lancé en 1958, devait être mis en scène par Anthony Mann, mais Douglas aurait profité du premier prétexte venu pour le licencier et donner le projet à Kubrick... La principale raison pour laquelle celui-ci a accepté est qu'il venait de se faire débarquer d'un film avec Brando (One-eyed jacks), qui avait finalement décidé de le réaliser lui-même. On le voit, Kubrick était clairement en recherche de reconnaissance.

Par rapport à la vérité historique, le Spartacus du romancier Howard Fast devient presque un humaniste du XXe siècle, par opposition au gladiateur révolté qui a impitoyablement rendu la pareille à tous les Romains qui tombaient entre ses mains. Fast, auteur communiste, va faire de son héros un champion de la lutte pour la liberté, lutte collective, dans laquelle l'union fait la force. Il faut un leader, oui, mais tous sont égaux dans la lutte, chacun avec ses compétences... A ce pedigree déjà explosif dans les décombres du McCarthysme, Douglas va ajouter une autre provocation: il confie à Dalton Trumbo, auteur black-listé, la place de scénariste... Et contrairement à d'autres producteurs qui l'avaient employé en douce sous un faux nom, Douglas décide de le créditer sous son vrai patronyme. Sous la plume de Trumbo, Spartacus devient un vrai bilan ironique des quelques années qui viennent de s'écouler, et le scénariste ajoute une scène durant laquelle Crassus fait sa propre chasse aux sorcières au Sénat, avec sa propre liste noire. Crassus est également obsédé par l'image de son principal adversaire Spartacus, dont il souhaite non seulement la mort, mais il veut aller jusqu'à effacer l'idée même du leader des esclaves! Le film fait la part belle à la basse politique Romaine, grâce en particulier aux manoeuvres de Crassus (Olivier) d'un côté, et de Gracchus (Laughton) parfois secondé par le lanista (Entraineur de gladiateurs) Batiatus (Ustinov). La réalité rejoignant parfois la fiction, Ustinov et Laughton s'entendent parait-il très bien durant le tournage, mais Olivier et le vieil acteur vont en revanche se mener une guerre redoutable...

Le très long film, qui entend rappelons-le concurrencer Ben-Hur, commence en Lybie ou Spartacus est esclave, puis le suit à Capoue, ou il devient gladiateur sous la supervision de Batiatus. Celui-ci reçoit la visite de Crassus qui demande pour satisfaire les caprices des deux femmes qui l'accompagnent, à assister à la lutte à mort de deux paires d'hommes. C'en est trop pour les gladiateurs, qui se rebellent, et détruisent tout, mettant en fuite Batiatus. Celui-ci va rejoindre Gracchus, son protecteur à Rome, pendant que le Sénat commence à évaluer une stratégie pour contrer Spartacus dont la longue marche commence à menacer la capitale de la République. On assiste à l'amour, né de leur passage chez Batiatus, des esclaves Varinia (Jean Simmons) et Spartacus, à l'arrivée auprès des Gladiateurs en révolte d'Antoninus (Tony Curtis), le délicat poète évadé de la maisonnée de Crassus. C'est justement Crassus qui va finalement s'imposer, et en finir avec la rébellion de manière spectaculaire dans une bataille sanglante. Mais de toute évidence, la révolte des esclaves et gladiateurs était vouée à l'échec dès le départ... C'est malgré tout un magnifique désastre...

Le film prend acte d'un nouveau ton en développement dans le cinéma Américain, et sous l'impulsion de Kubrick, qui ne mâchai déjà pas ses mots dans ses quatre premiers longs métrages, la franchise règne: Les scènes de violence et de batailles sont d'une violence graphique intense, et renvoient d'ailleurs à Griffith et à Intolerance qui déjà marquait les esprits (Décapitation, truquages gonflés, etc). Kubrick reprend à son compte certains trucs parfaitement rendus dans ses confrontations musclées. La sexualité est très présente (Beaucoup plus que dans Ben-Hur, mais il y a de toute façon plus de sexe dans les 101 dalmatiens que dans Ben-Hur!), utilisée d'ailleurs de main de maître pour souligner la conception humaine de la liberté qu'on trouve chez Spartacus et Varinia: ils se rencontrent lorsque la jeune femme est désignée par Batiatus pour aller offrir le repos du guerrier au gladiateur en devenir, et une fois entrée dans sa cellule, se déshabille sans un mot, résignée. Mais Spartacus qui sait qu'ils sont observés, décide de ne pas la toucher. Une fois libres, ils ont une relation qui est de toute évidence très charnelle, assumée avec gourmandise par l'un et l'autre dans une scène sensuelle de baignade, dans laquelle Varinia apparaît rayonnante face à celui qu'elle appelle son mari... On peut aussi citer la bisexualité impliquée de Crassus (Dans une scène encore controversée par certains qui estiment qu'elle n'a jamais pu être intégrée dans la continuité au moment de la sortie du film, et que Kubrick n'en voulait pas). Le ton du film est épique, le souffle provient essentiellement de cette quête de liberté, et on notera que celui qui donne le signal de la révolte est un gladiateur noir, Draba (Woody Strode, qui venait de tourner pour Ford Sergeant Rutledge): pas un hasard, bien sur, au moment où les Noirs du Sud tentaient d'abolir la ségrégation née dans leurs états de la défaite du sud et de l'abolition de l'esclavage: une analogie cohérente tant les deux luttes sont liées... Mais l'ironie domine souvent les propos politiques du film. Et Kubrick est partout: il n'est pas ici qu'un officiant, aussi talentueux soit-il. Il nous montre deux machineries dans lesquelles les grains de sable vont changer la donne: Spartacus est bien sur une épine dans le pied de la grandeur de Rome, un homme qui va planter la petite graine de la division qui finira par avoir la peau de l'empire; et Crassus est celui qui va attendre le moment propice pour s'emparer de la République et commencer à façonner l'Empire, ce qui fait d'ailleurs de ce vieux grigou de Gracchus un personnage plus positif qu'autre chose! Spartacus et Crassus sont d'une certaine façon tous deux nés de Rome, et la conduiront à sa perte...

On retrouve bien sur aussi la patte de Kubrick dans cette façon qu'il a de traiter les foules, en filmant des acteurs et figurants en marche, péniblement, dans la neige ou dans un désert brûlant, vers une liberté qui leur coûtera cher; dans le choix que l'ancien photographe de génie va faire de figurants regroupés en famille, de nous montrer leur vie, leur évolution, leurs joies leurs peines... leur mort aussi: parmi les corps jonchant la plaine à la fin du film, on reconnaît les personnages sans noms que le réalisateur nous a si souvent montrés. Et la bataille de la fin, orchestrée depuis une colline, est un exemple de mise en scène tous azimuts, dans laquelle le metteur en scène alterne les plans au plus près des corps, et ceux qui sont vus des collines environnantes. S'il n'a pas forcément adhéré aux bons sentiments du maître d'oeuvre Douglas (Qui s'opposait parfois à sa froideur documentaire notamment pour les scènes de bataille), le réalisateur de Paths of glory, au message humaniste très à gauche n'a probablement pas trop souffert de l'idéologie progressiste manifestée dans ce film... Il n'a pas souffert outre mesure non plus de l'obligation d'utiliser l'écran large avec lequel il continuera jusqu'à la fin des années 60 à expérimenter avant de s'en éloigner avec A clockwork Orange. Quoiqu'il en soit, Spartacus est le film qui lui a permis ensuite de vraiment prendre le large, après en avoir accompagné la promotion jusqu'en Europe, ravi d'être le réalisateur fêté d'un gros succès montré à toutes les têtes couronnées...

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Published by François Massarelli - dans Stanley Kubrick
17 mai 2014 6 17 /05 /mai /2014 18:13

Des soldats qui avancent tant bien que mal sur un champ de bataille, une image somme toute banale dans le cinéma, vue dans tant de films de guerre, les uns à la suite des autres. Quelques séquences se distinguent malgré tout: la vision frontale de soldats Américains avançant inexorablement dans un sous-bois pendant que certains d'entre eux tombent, touchés par les balles ennemies, dans The big Parade; l'avancée colossale d'une armée au sol relayée par les longues files d'avions qui se dirigent tous vers le même point, un front qui promet du chaos et du sang, dans Wings; plus très de nous, les tranchées arrosées de sang et jonchées de cadavres d'hommes et d'animaux d'Un long dimanche de fiançailles... Je n'ai bien sur pas pris mes exemples au hasard: Vidor, Wellman, Jeunet on tous en commun d'avoir souhaité illustrer la grande guerre afin de dénoncer la guerre. Et c'est ce que fait, bien sur, ce quatrième long métrage de Stanley Kubrick. Il va donc lui aussi sacrifier à cette tradition, et montrer à son tour le coeur d'une bataille. Il choisit une voie particulièrement difficile, en phase avec des plans-séquences d'un type fréquent dans le premier acte: la caméra montre la progression d'hommes dans une tranchée, soit en reculant afin de montrer les hommes marchant en avant derrière elle (Un général qui se donne bonne conscience en public en venant visiter 'ses' hommes, et en insultant comme un salaud les hommes qui semblent souffrir), soit en suivant un homme qui avance dans la tranchée, se rendant d'un pas sur vers une but inéluctable (Kirk Douglas mène l'assaut avec ses hommes et est le premier à sortir de la tranchée). Kubrick a donc choisi de couvrir la bataille en deux ou trois plans, tous en travelling latéral, nous montrant ainsi la bataille et ses difficultés dans une cohérence impressionnante, sans pour autant avoir recours à des inserts de détails. Les acteurs souffrant de façon visible, on peut avancer l'idée qu'il s'agit de l'une des traces de la vérité, cet ingrédient omniprésent des premiers films du metteur en scène, nés de sa fibre documentaire. C'est aussi un moyen honnête d'aborder la peinture des combats dans un film qui dénonce la guerre dans des termes d'une violence inédite.

L'intrigue de ce film est inspirée de plusieurs faits réels, qui eurent lieu à divers endroits du front entre décembre 1914 et l'ensemble de l'année 1915: l'Armée Française, afin de "galvaniser le moral des troupes", tout en décourageant les éventuels déserteurs, a procédé à des punitions de bataillons, considérés comme fautifs du péché de lâcheté, en tirant au sort des hommes et en les exécutant après un faux procès (On appelle ça une cour martiale, et comme les juges, jurés et avocats sont des militaires, c'est forcément truqué). Il n'est donc pas étonnant que Les sentiers de la gloire ait été empêché de sortir en France durant 18 ans: il ne fut pas censuré, mais il était déconseillé aux United Artists de tenter de l'y distribuer, distinction subtile. C'est Kubrick lui-même qui a été à l'instigation du script, dont il a écrit le premier traitement, à la demande de Dore Schary qui se voyait bien inviter le metteur en scène de The Killing à la MGM! Mais ce sera finalement la toute petite mais vaillante compagnie de Kirk Douglas, Bryna, qui permettra au film d'exister, moyennant, bien sur, un rôle héroïque pour l'acteur.

A deux pas du front, deux généraux (George Macready et Adolphe Menjou) devisent et prennent la décision de faire un coup fumant: ils sentent que le front ne bouge plus, qu'on s'installe dans la routine d'une guerre de tranchées, et décident de prendre une colline stratégiquement bien placée, et qui résiste vaillamment. C'est quasiment impossible, mais le calcul du général Mireau (Macready) est simple: si on lance une compagnie suffisamment forte en nombre, les trente ou quarante pour cent d'hommes qui survivront à l'attaque seront en nombre suffisant pour ensuite garder l'objectif. le colonel Dax (Douglas), commandant les bataillons en question, refuse dans un premier temps mais est obligé d'accepter les ordres. L'attaque est une telle débâcle que Mireau perd son sang froid: dans un premier temps, il demande à l'artillerie de viser les troupes Françaises, puis devant le refus des artilleurs, prend la décision de faire un exemple, en désignant cent hommes à prendre dans les dix bataillons. Raisonné par le général Broulard (Menjou) et par Dax, il finit par accepter de porter l'exemple sur trois hommes seulement: les soldat Arnaud et Férol, et le Caporal Paris. Les trois hommes sont défendus par Dax, avocat dans le monde réel, mais le procès est écrit d'avance...

Le film n'est pas remarquable que pour la force de ses idées, bien sur, mais elles sont particulièrement singulières dans le contexte des "Trente Glorieuses" et du conformisme des années Eisenhower. Bien sur, le film n'attaque en apparence qu'une armée étrangère, dans un contexte totalement éloigné des préoccupations de l'Amérique qui rappelons-le n'était pas encore impliquée dans le conflit au moment des faits... Mais ce n'est pas à l'armée Française que s'attaquait Kubrick: il semble bien qu'il s'en prenne aux militaires, au militarisme, et à la guerre en général. Et surtout il en profite pour déboulonner de façon spectaculaire la notion même de héros: d'une part, un acte héroïque, dans le film, est surtout une affaire de hasard, un geste pas forcément anticipé dans le chaos ambiant; on voit bien que l'ensemble des soldats du film (Je parle ici des humains, pas des officiers professionnels, qui sont du reste retranchés dans leur château) y compris le colonel Dax qui lui vit au plus près des hommes, dans la tranchée, cherche essentiellement à survivre; comme le dit Férol en pleurant avant d'être exécuté, 'Je ne vais plus jamais voir personne': c'est la mort qui occupe les esprits. Un autre condamné se rend compte au matin de son exécution qu'il n'a "pas eu de pensée sexuelle" depuis le moment de sa condamnation, et n'en revient pas avant de s'effondrer. Il n'y a pas de héros, que des survivants et des morts en sursis.

Et Kirk Douglas dans tout ça? la chance pour Dax de sauver ses hommes est minime, et de toute façon purement symbolique. il gesticule bien sans relâche pour porter à ses supérieurs un point de vue humain, pour leur demander de reconsidérer, et va non seulement défendre les trois hommes devant une cour odieuse par son indifférence à toute argumentation contraire, mais aussi tenter plusieurs dernières chances: l'une d'entre elles va être de porter à l'attention de Broulard l'anecdote de Mireau demandant à faire canonner ses propres troupes durant le combat. Bien sur, le vieux Broulard va tourner l'affaire à son avantage, ne sortant le brûlot devant Mireau qu'une fois l'exécution accomplie... Dans ces conditions, Dax, dont Broulard est persuadé qu'il n'est motivé dans ses actions que par la perspective d'hériter du siège de Mireau. Seul face à une hiérarchie campé sur ses privilèges, sans aucune considération pour les hommes de la troupe, Dax n'a aucune chance de faire aboutir ses tentatives.

Kubrick a encore progressé de façon impressionnante depuis The Killing, comme on l'a dit au sujet de son utilisation de la caméra mobile (Qui ne le quittera bien sur jamais désormais). Il mène de main de maître un film dans lequel il reconstitue de façon impressionnante (A l'exception de la coiffure de Kirk Douglas, bien entendu) l'atmosphère de 1915; et il se livre à des expériences payantes, lors du tournage des scènes situées dans l'énorme château ou vivent les officiers à deux pas des tranchées: il utilise des lentilles qui vont souligner l'espace incroyable dont disposent les généraux, les tableaux aux murs, et les domestiques (Ou ordonnances, on est chez les mirlitaires, après tout) à l'arrière-plan qui déménagent le mobilier ou les tableaux au gré des caprices des officiers. Il ajoute à ceci un son dominé par des prises en direct, dans une réverbération qui souligne encore plus l'espace vide des lieux, qui contrastent terriblement avec l'univers des tranchées. Il compose ses plans d'une façon assurée, comme en témoigne la belle illustration de fusillade au dessus de ce texte. On peut aussi noter l'apparition d'un sens du détail qui ne quittera jamais Kubrick, avec en particulier une statuette du minuscule empereur Napoléon, célèbre dictateur d'un tout petit pays au XIXe siècle, durant une scène cruciale... Cette manifestation d'ironie n'est bien sur pas la seule, puisque le générique du film est accompagnée d'une martiale Marseillaise, dont le dernier accord est faussé.

Ce beau film impitoyable et triste se termine sur une scène étrange, presque énigmatique. Un compère un brin sadique présente à une assemblée de soldats carnassiers une jeune Allemande, une 'prise de guerre' (Christiane Harlan, future Mrs Kubrick). Elle chante, devant des hommes qui se calment progressivement, un chant qu'ils finissent par accompagner en fredonnant, pleurant tous. Un exorcisme, en quelque sorte, pour les soldats qui sont les survivants d'un traumatisme, mais qui vont quelques instants après, repartir au combat... Dax les a vus, entendus, et décide de leur donner encore quelques minutes... Cette séquence superbe finit de rattacher ce film aux grandes oeuvres humanistes qu'étaient Wings, The Big parade ou All quiet on the Western front. Tous ces films avaient aussi leur séquence de fraternité, ou d'échange, ou d'oubli. Reculer pour mieux se faire flinguer, en quelque sorte... Par qui, par l'ennemi, ou par les siens? Comme le dit le général Mireau au début du film: si toute la compagnie participe à l'effort, 5% d'entre eux seront tués automatiquement par les tirs de leurs camarades. Sinon, on peut aussi les fusiller.

 

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Published by François Massarelli - dans Stanley Kubrick Première guerre mondiale Criterion
15 mai 2014 4 15 /05 /mai /2014 16:10

Dans la région de New York, sur un champ de courses, des hommes préparent un coup fumant: ils s'apprêtent à mettre main basse sur la recette des paris, et l'affaire a été pensée dans ses moindres détails. Ils sont une poignée, mais chacun a une tâche bien précise à accomplir dans l'équipe: un policier lassé de son train-train, et qui a de sérieuses (et dangereuses) dettes, un caissier du champ de courses, un barman, etc... Chacun va accomplir sa part, chacun va rencontrer son destin. Au centre, le principal malfaiteur, instigateur et chef charismatique du gang, Jonnny Clay (Sterling Hayden); ils sort de prison, où il a végété cinq années durant, il est déterminé à tout faire pour gagner le gros lot et vivre la belle vie avec celle qui l'a attendu. Mais il y aura des grains de sable.

la narration commence par le champ de courses et le début de la mise en place du coup. Kubrick utilise de fait la métaphore des paris et de la course afin de mettre en évidence le rôle du hasard dans son film... à moins qu'il s'agisse du destin? On a laissé le metteur en scène faisant avec The killer's kiss un grand écart entre la vérité d'un style documentaire, et la stylisation baroque du film noir. Le glissement vers le cinéma sur-contrôlé qui sera le sien fait de nouveaux pas en avant avec ce nouveau film noir: à des images une fois de plus tournées dans des environnements réalistes comme précédemment, correspond une voix off qui va guider le spectateur, et trahir comme la présence d'un démiurge: comme Hitchcock quelques années plus tard, la précision (Parfois absurde) des informations et des horaires, alliée à une omniscience narrative, font semblant de donner un fil narratif réaliste: on est de fait en pleine fiction, tout est cuit d'avance, et le narrateur le sait. Le but de ce film n'est pas de nous raconter un coup, qu'il soit réussi ou raté, mais de nous dire de quelle façon il a raté.

Le metteur en scène s'amuse justement à impliquer le spectateur en détaillant chaque étape, parfois plusieurs fois en changeant le point de vue (Un point crucial de la course, un cheval qui tombe, abattu par un des gangsters afin de créer une diversion, sera vu ou entendu ainsi par quatre fois, avec à chaque fois des variations sur le protagoniste impliqué); en dépit des allers-retours dans la narration, il construit ainsi un suspense, qui rend l'arrivée de chaque grain de sable encore plus forte... Et au passage, dans ce monde de minables, de hors-la-loi avec une revanche à prendre, de laissés pour compte voire de frustrés, il montre une vision de l'humanité Américaine qui tranche sur l'image véhiculée par la télévision, les séries Leave it to Beaver ou I love Lucy. On est loin de l'optimisme béat des années Eisenhower. Le film s'inspire d'ailleurs de Asphalt jungle dans sa galerie de personnages, mais une grosse dose de romantisme en moins.

Ce troisième film, tout en mélangeant de nouveau les mêmes ingrédients que les deux précédents (Voix off, images très réalistes, cadre plausible, cinéma de genre) mais dans des proportions radicalement différentes, permet au metteur en scène d'affirmer loin et d'une voix forte sa présence sur le cinéma Américain, et va lui ouvrir toutes grandes les portes d'Hollywood. Il dirige non seulement ses acteurs, mais aussi un grand chef-opérateur, Lucien Ballard, auquel il a pu faire la leçon; il montre ainsi qu'il maîtrise tous les aspects du cinéma, truffant déjà ses plans de détails significatifs, liés à son sens de l'observation. Et à sa façon, The killing est devenu un classique du film noir... dans lequel Kubrick se garde le droit de donner à voir une fin d'une grande ironie: tout ça, vous le verrez, pour pas grand chose, et pourtant... ça a bien failli réussir!

 

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Published by François Massarelli - dans Stanley Kubrick Criterion
14 mai 2014 3 14 /05 /mai /2014 17:06
The killer's kiss (Stanley Kubrick, 1955)

Dès son titre, le deuxième long métrage de Kubrick est un exercice de style qui avait tout pour être boiteux, mais réussit à échapper au désastre: un film sorti sous la bannière d'une micro-compagnie, réalisé par un amateur qui savait pertinemment qu'au mieux, il lui servirait de carte de visite pour une éventuelle carrière de metteur en scène et ne rapporterait rien... Un film noir, réalisé dans les rues de New York en pleine nuit plus pour des raisons économiques que par réel défi artistique, avec une énième histoire de femme fatale et de boxeur qui fricote un peu trop près de la pègre: on sent venir l'histoire remplie à ras-bord de clichés:

Davey Gordon, un boxeur fini sans jamais avoir percé, est amoureux de sa voisine, la jolie Gloria. Celle-ci travaille en tant qu'hôtesse dans un bar où elle danse avec les clients, et son patron, Vinnie Rapallo, a des vues sur elles. Un soir que Rapallo a raccompagné Gloria chez elle, Gordon intervient pour l'empêcher de violer la jeune femme. Rapallo envisage de se venger, et paie des truands pour qu'ils donnent une correction au boxeur, mais ils se trompent et tuent le manager de celui-ci à la place, pendant que Rapallo enlève Gloria...

Pour un metteur en scène aussi calculateur que va le devenir Kubrick, le film a l'air souvent improvisé, tourné en pleine rue, avec des événements qui font tellement authentiques qu'on les croirait improvisés sur le plateau: une rencontre entre Gordon, en pleine rue, avec des joyeux fêtards qui lui prennent son écharpe, une poursuite sur les toits durant laquelle les gangsters trébuchent... De même , le film n'est pas avare de plans volés, tournés à une certaine distance dans la rue, au milieu des passants. De même, le combat de boxe et sa préparation renvoient-ils à Day of the fight, à tel point qu'on croirait voir un remake de ce documentaire! Tous ces plans réalistes, quasi-documentaires, renvoient au premier métier de Kubrick et à ses photos, et d'ailleurs le film a été certes mis en scène par le jeune homme, mais il en est, comme sur Fear and Desire, le chef opérateur également. Sa science de l'image est ce qui trahit dans ce film le futur démiurge: si parfois on a l'illusion de l'intrusion de la vie et de ses accidents, l'agencement des plans, la science du contraste, l'utilisation fascinante de l'ombre et de la lumière sont clairement planifiés, et souvent la forme du film passe sur le devant de la scène.

L'itinéraire de Davey Gordon, premier héros solitaire (Par opposition aux militaires groupés de Fear and desire) de Kubrick, dont l'amour pour Gloria sera difficilement payé de retour tant la vie que vit celle ci est dégueulasse, est dès le départ celui d'une chute: il est un boxeur raté, qui va de défaite en défaite sans jamais avoir été reconnu. Il est prisonnier d'une spirale d'échec, d'une trajectoire pessimiste qu'on retrouvera bien entendu de film en film. Mais le passage le plus emblématique du film est une confrontation entre Gordon et Rapallo, située dans un hangar où le personnel d'un grand magasin a entreposé des mannequins. L'accumulation de ces corps de plastique, évocateurs de la nudité féminine, sont un écho de la raison de la rivalité entre les deux hommes, et un moment de style qui place d'une certaine façon The Killer's kiss dans la filiation des grands films noirs. On retiendra plus facilement du film ce commentaire ironique sur la féminité que le happy end de circonstance, qui garde au moins l'avantage d'être plaqué sur des images documentaires impeccablement prises, Kubrick ayant placé son couple qui s'embrasse en pleine rue, au milieu de passants qui ne savent sans doute pas qu'un tournage a lieu...

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Published by François Massarelli - dans Stanley Kubrick
11 mai 2014 7 11 /05 /mai /2014 17:40

Fear and desire a été interdit de projection par Kubrick lui-même pendant à peu près 40 ans, parce que le metteur en scène estimait que son premier long métrage était trop amateur... Il était photographe auparavant, et avait glissé vers le cinéma en réalisant deux courts documentaires. Après Fear and desire, il allait encore réaliser un moyen métrage pour honorer une commande, The seafarers, sur un sujet sec mais sympathique: un syndicat de travailleurs de la mer y présente son organisation, ses services et ses locaux; le deuxième film, The flying Padre lui, est insolite, Kubrick s'y attache à un prêtre qui utilise un avion pour se rendre aux quatre coins de sa paroisse, un coin désolé du Nouveau-Mexique. Pas de commentaire ni d'ironie sous-jacente: les faits rien que les faits... Et puis il y a Day of the fight, le premier et le meilleur des trois. La journée d'un match déterminant nous suivons les pas d'un boxeur qui va jouer sa carrière. Le suspense monte alors que le champion, suivi de près par son frère jumeau (Qui est aussi son avocat, et on le devine, son agent) vaque à ses occupations quotidiennes. Kubrick filme au plus près, et nous attache malgré nous à cet homme qui va tout jouer à la fin de ce film de douze minutes...

Venons-en donc à Fear and desire, qui partage la redoutable distinction d'être le premier long métrage d'un génie reconnu et connu pour son talent inné pour le cinéma. Tourné en toute indépendance pour ne pas dire en amateur, Kubrick avait préféré ne pas capter le son sur place, et s'en est mordu les doigts lorsqu'il a fallu le post-synchroniser de A jusqu'à Z, ce qui ne fut pas une mince affaire. C'est un film de guerre, sans qu'on y identifie aucun conflit. L'essentiel de l'action se situe dans un sous-bois; on y suit quatre soldats (Qui pourraient être Américains) qui tentent de trouver un moyen de retourner à leur base. Ils commettent une action d'éclat, puis attendent une occasion de fuir, qu'ils trouvent lorsqu'ils attaquent une base près de laquelle un aérodrome leur offre une pore de sortie... Mais tous les quatre ne s'en sortiront pas vivants.

Les quatre soldats sont très différents les uns des autres, et dans cette guerre symbolique, située dans un paysage qu'il nous est impossible d'identifier, les quatre hommes incarnent eux aussi des aspects différents de l'être humain; ils semblent fonctionner à la fois par affinités, ou par différences de l'un à l'autre: le métis, un sergent, dur et volontiers ironique, ressemble à un homme né dans la rue; le lieutenant, avec son allure de boy-scout, est quant à lui issu a priori d'une bonne famille. Fletcher, simple soldat, marque le lieutenant à la culotte, alors que le jeune Sidney est un électron libre. Le plus jeune, il va perdre totalement l'esprit lors de la garde d'une prisonnière qu'il a essayé de violer, et qui s'enfuit: il l'abat... et devient fou.

Dès le départ le groupe nous est montré comme un microcosme humain, dans lequel l'individualité est effacée par les aspects cinématographiques: la bande-son nous fait partager en voix off les pensées des quatre hommes à la fois... Le film nous montre chaque acte guerrier comme un coup de poker, une impulsion aussi: l'attaque d'une cabane par les quatre hommes, essentiellement motivée par la faim, sera l'occasion pour le spectateur de voir les héros se livrer à ce qui est un massacre, et Sidney commencer à dévier lentement vers la folie. La fin est on ne peu plus pessimiste: deux hommes en réchappent provisoirement, alors que les deux autres dérivent sur un radeau, l'un fou et l'autre mourant...

Si on suit l'observation de Deleuze, selon laquelle chaque film de Kubrick serait une métaphore d'un cerveau qui fonctionne de travers, on constate que ce premier effort, aussi amateur soit-il, s'applique bien à montrer l'humanité guerrière comme une machinerie qui a de sérieux ratés. Le film a des affinités en ce domaine avec tous les films de guerre que ce passionné de stratégie (Il était paraît-il redoutable aux échecs) a pu tourner: Paths of glory, Dr Strangelove, Full metal jacket, et montre aussi de sérieux points communs avec The killing et Barry Lyndon. Surtout, pour un homme qui se défendait en ces vertes années d'avoir le moindre style, il est d'une beauté visuelle remarquable, en dépit de quelques erreurs de jeunesse...

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Published by François Massarelli - dans Stanley Kubrick