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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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4 décembre 2021 6 04 /12 /décembre /2021 10:47

Okajima (Tokihiko Okada) travaille dans une compagnie d'assurances de Tokyo, où la prime annuelle va bientôt être distribuée. Au milieu de a fébrilité ambiante ( le bonus est bien plus avantageux qu'anticipé) il remarque un vieil employé prostré: il vient d'être mis à l'écart. Okajima, poussé par les autres, va se plaindre du traitement réservé à son collègue, et est licencié. Commence alors pour lui la galère de devoir trouver un travail alors qu'il est trop qualifié, l'humiliation pour lui et sa famille quand il doit accepter des travaux indignes, et finalement l'entraide des anciennes fréquentations universitaires...

Et pourtant c'est bien une comédie, assez typique de la façon dont Ozu traite de la vie quotidienne avec un regard inspiré de Harold Lloyd, son idole! La vie de tous les jours ne vient malgré tout pas en droite ligne de Safety last, ou de Hot water, deux films qui restent fermement optimistes, mais plus d'une lecture subtilement contestataire vis-à-vis du capitalisme triomphant adopté par le Japon impérialiste... Le patron d'Okajima est montré classant des bagues de cigare de sa collection avant de se livrer à un licenciement sec: Ozu charge le patronat, d'une façon étonnante, et qui lui passera d'ailleurs assez rapidement, pour adopter en permanence le point de vue d'un homme victime de comportements plus que de circonstances... On n'est pas non plus devant un pamphlet communiste, le licenciement d'Okajima étant après tout provoqué par la vindicte syndicale des collègues, qui le poussent à agir tout en s'écrasant!

Mais cette lecture sociale ne fait de toute façon absolument pas de ce classique, l'un des meilleurs films muets de son auteur, un brûlot. Son propos est plus d'étudier avec sa caméra placée au plus près des hommes et des femmes, l'effet de l'embarras sur les gens, la façon dont les dispositions économiques défavorables s'insèrent entre les gens et le bonheur. Okajima chômeur devient irascible, colérique, perd patience avec ses enfants; Mme Okajima ne comprend pas que son mari s'abaisse à accepter de devenir homme-sandwich, par exemple... 

Tout cela n'empêche pas les gags, comme une ouverture très chorégraphiée avec une revue de détail à l'université (tous les étudiants y portent un uniforme) effectuée par un professeur excentrique (Tatsuo Saito, très présent à l'époque dans les films d'Ozu), puis une séquence enlevée et osée, où les toilettes communes deviennent le seul endroit où les employés peuvent aller compter les sous de leur prime! La dernière partie permet au professeur facétieux de revenir et au ton de redevenir léger, mais on ne s'y trompera pour autant pas: quand Okajima retrouvera du travail, ce sera pour quitter Tokyo, déraciner sa famille et affronter l'inconnu. Toute opportunité a sa part d'ombre...

Pour finir, la petite fille aperçue en haut sur la gauche de la photo, n'est autre qu'Hideko Takamine (1924 - 2010), actrice qu'on retrouve souvent chez Mikio Naruse, et qui fera jusqu'aux années 70 une belle carrière...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Yasujiro Ozu 1931 Criterion
6 août 2021 5 06 /08 /août /2021 06:26

Un étudiant en fin de parcours porte une monumentale barbe, et est particulièrement conservateur. Il porte des vêtements traditionnels, observe un entraînement rigoureux et à la lettre du kendo, etc. Il fascine ou agace les uns et les autres... Notamment la famille d'un camarade, qui le ramène chez lui pour l'anniversaire de sa soeur, dont il gâche sérieusement la célébration. Il a sauvé une jeune femme (en kimono) d'une agression par des voyous, dont une jeune femme habillée à l'occidentale. Il se lie d'amitié avec la victime, qui lui conseille de raser sa barbe s'il veut trouver du travail...

C'est une intéressante synthèse, située tôt dans la carrière du metteur en scène, de tout l'univers de ses films muets: la comédie estudiantine, même si pour le héros il s'agit de quitter la condition d'apprenant pour se lancer dans la vie active; la comédie familiale avec ses conflits de génération déguisés en un choc burlesque entre tradition et modernité: la barbe, bien sûr, symbolise ici ce fossé entre les tenants conservateurs des traditions médiévales du Japon, et la "contamination" de la modernité à l'occidentale, représentée en particulier par ces gangsters à chapeau et une femme de mauvaise vie, qui va justement être fascinée par cet étudiant d'un autre âge, et lui avouer son amour dans une scène troublante. Et tout en restant fermement une comédie, Ozu en profite pour y injecter une dose de son style de films de gangsters aussi, qui lui permet une fois de plus de montrer son affiliation avec les meilleurs films Américains.

Mais grâce au personnage principal, on reste du coté du burlesque, avec un comique d'embarras tel que celui qu'on trouve dans les films Roach (On pense à Charley Chase) ou chez Harold Lloyd, ne fois de plus. Ozu continue à montrer sa fascination du cinéma Américain en exhibant dans les décors les pièces d'une impressionnante collection d'affiches de films: cette fois, on verra beaucoup une affiche de The rogue song, de Lionel Barrymore, un extravagant film en Technicolor, une comédie musicale avec le baryton Lawrence Tibbett, et rien moins que Stan Laurel et Oliver Hardy...

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Yasujiro Ozu Muet 1931
5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 17:07

Arriver à Tabu, c'est s'attaquer au dernier film d'un grand cinéaste. Souvent, on hésite dans ces cas-là: la fameuse théorie des derniers films qui sont souvent forcément impersonnels, ratés, tournés dans l'urgence voire la panique, dans des conditions limites... La prisonnière de Clouzot, Family plot d'Hitchcock, A countess from Hong Kong de Chaplin tendent à illustrer de diverses manières cet aspect souvent vérifiable: la chute peut être dure, ou en tout cas laisser une impression plus que mitigée...

Pas avec Tabu, et pour cause: à 43 ans, en pleine gloire et en pleine possession de ses moyens, le metteur en scène a fait, en toute liberté, et selon son coeur, le film qu'il souhaitait faire. Et il n'est évidemment pas question de dernier film, le réalisateur, anticipant le succès de son film, a des projets plein la tête... Lors de son accident fatal de 1931, il meurt au sommet, malgré un revers de fortune particulièrement angoissant: il est venu en triomphateur à Hollywood à la demande de William Fox, mais n'a pas pu s'imposer au studio malgré l'exceptionnelle qualité de ses trois films; il refuse le parlant, et a choisi tout simplement de s'exiler et de faire des films dans des conditions proches du documentaire, sans jamais lâcher la fiction. C'est sans doute dans ce sens qu'il s'est lancé dans une collaboration avec le célèbre documentariste maverick Robert Flaherty, qui ne durera qu'une poignée de jours... On lui doit quelques plans des premières scènes du film.

On a beaucoup écrit de bêtises en d'autres temps (on n'avait pas les DVD ou autres moyens pour tutoyer nos films préférés à cette lointaine époque), sur la collaboration de Robert Flaherty avec le cinéaste Allemand. Des historiens attribuent le film aux deux metteurs en scène (Les mêmes créditent à tort le film de 1928 White shadows of the south seas à Flaherty autant qu'à Van Dyke), mais la relation a été de courte durée. De fait, les deux hommes avaient des conceptions radicalement opposées de leur métier, et chacun d'entre eux avait un tempérament peu propice à la concession. C'est clairement Murnau qui a gagné, et Tabu est son film. L'équipe constituée autour du metteur en scène comprend en particulier Floyd Crosby, un chef-opérateur qui va vite devenir incontournable, et dont c'était la première collaboration importante. Les acteurs du film sont pour la plupart des amateurs, et beaucoup de gens locaux vont aider le tournage d'une manière ou d'une autre. Tout sera tourné sur place, entre Bora-Bora et Tahiti, dans des décors aussi naturels et authentiques que possible; Flaherty prêtera son yacht (Le Moana) pour quelques scènes-clés, et pourtant à aucun moment cette impression de bricolage ne se fait sentir, dans ce qui est un film parfaitement maitrisé, avec lequel Murnau mène à leur accomplissement certains thèmes et motifs de son oeuvre, réussissant le tour de force quand on connait son oeuvre de mêler aussi bien l'expression d'un destin amoureux brisé d'un coté, et une sensualité expressive de l'autre... 

Le film se divise en deux parties, opportunément appelées "Paradise" et "Paradise lost"; dans la première, on y célèbre l'insouciance d'une société qui laisse tout un chacun assumer le plaisir et le jeu, les jeunes hommes y pêchant et y lutinant les filles sans vergogne... Mais arrive alors, amené symptomatiquement par un bateau occidental, un vieil homme, qui vient en quelque sorte opérer un rappel à l'ordre: il vient chercher Reri, une jeune femme qui va remplacer une vierge sacrée qui vient de décéder. Reri n'est pas enchantée, mais son nouveau fiancé Matahi voit carrément rouge, et enlève la jeune femme afin de la soustraire à un destin plutôt peu enviable... ils sont désormais tabou tous les deux, et une menace de mort pèse sur eux, comme sur le vieux prêtre Hitu.

Dans la deuxième partie, on assiste à la suite des aventures de Reri et Matahi: ils se sont installés pas loin d'un comptoir Français, et Matahi dans un premier temps apprécie d'être devenu la coqueluche locale avec ses talents de plongeur: il dépense sans compter, s'endettant sans s'en apercevoir. Quant à Reri, inconsciente de ces problèmes économiques, elle a d'autre soucis: Hitu est revenu, et la presse de revenir, sinon Matahi pourrait en pâtir. Tout en restant unis, les amants sont tous deux entrés séparément dans une spirale obsessionnelle qui va les engloutir: Reri cherche un moyen pour échapper à Hitu et son destin et préserver Matahi. celui-ci cherche un moyen pour rembourser ses dettes, et leur permettre de payer un voyage qui les emmènerait aussi loin que possible. Il va risquer sa vie pour aller chercher une perle colossale, gardée par un requin gigantesque...

Les premières images, dues comme je le disais à Flaherty, ont été gardées par Murnau, et il y a une certaine ironie d'y voir ces athlètes quasiment nus, comme si le dernier film de Murnau ne pouvait que laisser éclater sa passion pour les jeunes personnes qu'il a cotôyés durant ses repérages locaux, et qu'il lui fallait détourner les images "documentaires" de son confrères afin d'installer une sensualité homoérotique somme toute assez rare dans son oeuvre. Mais ce coming-out initial reste discret, et on reprend vite le fil de ce qui est bien une intrigue: on rencontre la jovial Matahi d'abord, qui participe avec les autres garçons à la chasse aux filles, lorsqu'ils les voient se baigner dans un étang sous une source. avec eux, mais souvent cadré seul, le jeune homme va vite se distinguer des grands gaillards qui l'entourent. Il a repéré Reri, qui elle aussi est à l'écart des autres filles. Le reste de l'exposition là encore insiste sur cette idée: déjà amoureux l'un de l'autre, les deux héros sont mis à l'écart du groupe, et lorsque le bateau qui amène le vieux Hitu arrive au large, tous se précipitent, mais Matahi est tout de suite isolé, arrivant en retard, alors que Reri est désignée par le vieil homme, et du même coup isolée elle aussi par la composition des plans tournés sur le bateau. A la fin de la séquence, lorsque Matahi a entendu à quel destin la jeune femme sera désormais soumise, on ne voit plus que l'ombre du jeune homme qui vient lentement ramasser une couronne de fleurs, symboles de l'insouciance désormais passée du couple, et de l'île elle-même...

Le film vire vite au noir, y compris dans la deuxième partie de sa partie supposée paradisiaque. Un aspect particulièrement daté concerne le thème de la "corruption de la civilisation" (L'arrivée du bateau en est la première manifestation tangible, même si c'est pour amener Hitu à Bora-Bora), un passage obligé qui était de fait le principal argument du très beau film de Van Dyke White shadows of the south seas... Ici, cet aspect apparaît plus clairementsous la forme des profiteurs qui se jettent avidement sur le pauvre Matahi pour le presser comme un citron, et le pousser à fêter richement ses succès. Les commerçants y sont Chinois, les autorités (Corrompues) y parlent Français, et sont jouées par des métis... Murnau se sert de ces anecdotes surtout dans le but de montrer la confusion linguistique et économique de Matahi, donnant corps à son problème qui va finir par l'aliéner de sa fiancée... ce que Reri, de son coté, vit, est plus la malédiction culturelle de sa propre civilisation, qui repose elle aussi sur des clichés romantiques de la vie dans les mers du sud, et qui seront repris par d'autres, en particulier King Vidor et son impayable Bird of Paradise, qui doit décidément beaucoup à Tabu!

Ce qui frappe dans ce film, quand on le revoir dans le contexte de l'oeuvre de Murnau, ce sont bien sur les similarités de fait avec tant d'aspects des films du metteur en scène, mais surtout avec Sunrise, dont il est par certains cotés un négatif, et Nosferatu! De Sunrise, le metteur en scène retient le voyage "à Tilsit", du nom de l'oeuvre qu'adaptait ce beau film Fox de 1927, et les rites de mariage détournés qui remplissaient la partie du film consacrée aux pérégrinations du couple dans une ville qui n'était pas hostile, mais bien étrangère. Leur décalage est ici ressenti de façon cruelle devant l'incompréhension de Matahi, et leur danse requise par les citadins (Sans doute pour se moquer d'eux) trouve ici un écho sardonique, avec beaucoup de viande saoule autour  des tourtereaux... les amants de Sunrise mettaient à profit leur voyage pour se retrouver, ceux de Tabu vont se perdre dans leur fuite. La proximité avec Nosferatu est plus inattendue, sauf si on a en mémoire que du compte Oetsch (Schloss Vogelöd) à Lem Tustine (City girl), en passant par la vamp de la ville (Sunrise), Mephisto (Faust), et Tartuffe soi-même, les "empêcheurs d'aimer en rond" sont légion chez Murnau et sont tous assimilables à l'intrusion démoniaque du vampire. c'est d'autant plus vrai ici que Murnau cite sciemment son film de vampire, de plusieurs façons: il profite du physique du vieux Hitu, pour en faire un double du vampire, qui apparaît tel un fantôme dans l'espace d'une porte, comme enfermé le temps d'une vision fugitive dans ces cadres à l'intérieur du cadre qu'affectionnait le cinéaste; on distingue son ombre qui parcourt la plage à coté de laquelle les deux héros se sont installés pour vivre, et qui tout à coup se penche sur eux, Reri couvrant de son corps celui de Matahi pour le protéger. Le film séminal de Murnau est aussi cité à travers l'utilisation de la silhouette du bateau, symbole répété de l'arrivée des ennuis comme celui qui emportait Nosferatu à Wisborg allait y apporter la peste.

Dans ces circonstances, Murnau reste plus que jamais le maître du cadre, aussi bien celui du plan que celui qu'il va souvent là encore placer à l'intérieur, pour mieux y enchâsser ses personnages, faire resurgir leur isolement, ou l'espace d'un instant les fixer dans leurs situation en porte-à-faux de leur environnement. Il choisit (Avec l'aide de Flaherty, on s'en rappelle, sur la première partie) des images de bonheur un peu enfantin qui vont vite tourner au cauchemar, et va parfois avoir recours, surtout sur la deuxième partie, à des truquages, et à un montage plus serré afin de pallier à l'absence de la logistique du studio. Son requin, en particulier, n'est pas des plus convaincants, mais on remarque l'utilisation de plans très courts pour suggérer l'irruption du danger lors de la plongée, l'utilisation du suspense aussi: la première rencontre du spectateur avec le requin est observée depuis le bateau d'un ami d'un plongeur, qui regarde la corde qui est son seul lien avec l'infortuné negeur qui va se faire manger tout cru; la corde se déroule d'un bon rythme, puis s'arrête: le plongeur est arivé au fond  de l'eau, va faire sa récolte. Le requin est aperçu: la corde repart de plus belle pour signifier la panique...

Pour finir, le film est une réussite d'une grande rigueur. Loin des studios, le metteur en scène, qui a sans doute encore appris, en matière de construction de ses films, lors de son passage à la Fox (un passage béni des dieux, on ne le dira jamais assez), a su donner à son film l'allure d'une quintessence. Il a su diriger ses acteurs au-delà du simple vol d'expressions ou de situations forcées qu'on aurait pu craindre d'une collaboration avec Flaherty... Il a aussi, on l'a vu, procédé à une synthèse des traits dominants de son oeuvre, finissant d'exécuter le bel amour qui chez lui n'a jamais été aussi mal loti que chez les deux amants Reri et Matahi, seuls chacun de son coté. le final glaçant, simplissime, qui donne à Hitu la victoire d'un seul plan parfait (Matahi nage dans les eaux agitées à la poursuite du petit bateau qui emporte Reri et le vieux Hitu vers la mort; Reri n'a pas vu Matahi, qui s'est approché de la barque au point de prendre une corde et de s'y accrocher le temps de reprendre son souffle. La main du vieil homme entre dans le champ afin de couper la corde, et Matahi s'éloigne du bateau, et va se noyer sous nos yeux...). comme d'habitude, Murnau laisse le dernier mot non au montage, mais directement à l'image, à ce qui se passe sous nos yeux.

Et ce film superbe nous donne envie d'une part de pousser une grosse colère contre cet abruti de chauffeur qui n'a pas été foutu de ne pas envoyer sa voiture dans un ravin, et d'autre part de revoir séance tenante tous les films de Murnau.

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1931
23 avril 2011 6 23 /04 /avril /2011 15:54

http://storage.canalblog.com/52/01/110219/49947142.pngCe film muet tardif est le plus ancien des films de Naruse à être parvenu jusqu'à nous, un rescapé de nombreuses catastrophes comme tous les quelques pauvres films muets survivants de Mizoguchi, Shimizu, ou encore Ozu. Il reflète particulièrement l'époque durant laquelle il a été filmé, en termes cinématographiques: Naruse s'amuse à enchainer les ruptures de ton, et à utiliser le montage afin de donner des illustrations, digressions et contrepoints. L'influence d'un cinéma bouillonnant et expérimental, du cinéma Européen des années 1925-1930 notamment, se fait sentir dans un montage qui part dans tous les sens et qui donne une grande énergie à ce film court.

L'histoire est à la base une comédie, ce qui surprendra bien sur un peu les familiers de l'oeuvre du cinéaste, et qui plus est, cette comédie est centrée sur un homme, père de famille et modeste employé d'une compagnie d'assurance. Le film le voit à la fois travailler (ni avec un grand talent, ni grande efficacité) à essayer de placer ses assurances, et échapper à sa condition d'adulte. Il essaie d'être un père modèle, encouragé par sa femme, mais se cache lorsque le propriétaire vient réclamer son loyer, et joue à saute-mouton avec les enfants d'une cliente pendant qu'un concurrent réussit à embobiner cette dernière et lui refourgue une assurance-vie... Bref, un enfant, coincé dans une vie mal partie; mais jusqu'à un certain point, la vie reste belle, et le personnage principal réussit même à retourner la situation en sa faveur, et se rend ainsi capable de réaliser son (petit) rêve, acheter un jouet à son fils. C'est à ce moment que ce dernier est impliqué dans un accident très grave...

Le passage délicat de la comédie de caractères à un drame très noir, c'est sans doute la caractéristique la plus notable du film. Du reste, le drame inspire Naruse, qui déploie les grands moyens du clair-obscur dans les scènes d'hopital, absolument magnifiques y compris dans cette copie bien malade. De même, le morceau de bravoure le plus commenté du film, le moment ou on apprend la sale nouvelle au héros, brille-t-il par une séquence de 20 secondes en montage rapide qui nous montre les associations d'idées, souvenirs et regrets à cent à l'heure du personnage. Le film n'est pas, évidemment, comparable à ces grands drames familiaux et pessimistes qui s'attachent à décrire des personnages féminins en lutte quotidienne avec les éléments, mais il est une introduction plus que plaisante à l'univers d'un très grand cinéaste. Il faut remercier Criterion et Eclipse d'avoir une fois de plus permis l'accès à des films rares avec ce coffret des films muets de Mikio Naruse.

 

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse Muet 1931 Criterion
29 janvier 2011 6 29 /01 /janvier /2011 10:53

Faut-il présenter ce film? Pas touché par l'apparition du parlant, qui était désormais bien installé en 1929, et amené à se généraliser, Chaplin se lance dans un muet, avec pour seule idée l'envie de placer son personnage de vagabond dans la ville. Par la ville, c'est toute la société, voire l'humanité qui est visée par Chaplin, pourtant il n'y a pas ici, pas plus que dans ses deux précédents longs métrages, d'intention de satire sociale: en dépit de quelques remarques acerbes et guoguenardes sur l'homo Américanus, c'est un mélodrame comique mais pur, juste une histoire d'amour impossible, pour un homme qui n'a plus rien à attendre de la vie, et qui va se trouver tout à coup, pendant quelques jours, une raison de vivre, et un but impossible à atteindre.

L'histoire très simple est bien connue: un vagabond tombe amoureux d'une jeune vendeuse de fleurs, aveugle, qui le croit riche. Les circonstances vont l'aider à entretenir cette illusion, lorsqu'il va "sauver" un homme riche et saoul du suicide, et devenir son meilleur ami; le problème étant que lorsqu'il est sobre l'homme ne le reconnait plus, et que l'illusion est très difficile à maintenir...

L'ouverture "parlante" parodique de ce film, manifeste burlesque qui voit les officiels s'exprimer dans une langue canardesque avant que le vagabond qui se réveille vautré sur la statue qu'on inaugure ne leur fasse littéralement des pieds de nez, place City lights dans la continuité directe de son oeuvre de comédie; pourtant l'auteur va souvent laisser la mélancolie s'installer. Les scènes de comédie, nombreuses et variées, sont parmi les meilleures de toute l'oeuvre: la scène de boxe, la meilleure de tous les temps (Je confesse détester cette occupation brutale, mais le cinéma a su souvent rendre ce sport, que je juge d'une absolue stupidité, intéressant...) avec sa chorégraphie hilarante partagée avec Hank Mann. Les scènes des joyeux fêtards, où Chaplin est plus brillant que jamais, ou encore la courte scène avec Albert Austin... En revanche, Chaplin, à en croire le fabuleux documentaire Unknown Chaplin de Kevin Brownlow et David Gill, était très peu satisfait de Virginia Cherrill. N'empêche! On à peine à imaginer la fleuriste jouée par une autre. Georgia Hale, qui a failli prendre sa place en 1929, aurait sans doute été compétente, mais le film a trop marqué les mémoires pour qu'on spécule des heures durant de façon inutile. Tel quel, il nous présente une version idéalisée de l'étoile impossible à atteindre, presque rêvée. Cette notion éclaire d'ailleurs la scène finale d'un jour intéressant, et d'une multitude d'interprétations; j'y reviendrai. En attendant, le film donne définitivement raison à Chaplin, dont on sait que ce film représente le plus extrême exemple de ses méthodes de travail: deux ans durant, il s'est livré à de l'improvisation sur pellicule, faisant sortir des développements, des situations inattendues; rien n'était écrit; le résultat est d'une rare perfection, d'une grande poésie, et chaque séquence brille par la fluidité de sa narration, et par l'éloquence de ce qui est montré. Deux exemples parmi d'autres: la scène de la rencontre, qui bloqua Chaplin durant plusieurs mois, tient à un seul fil, ou plutôt un seul plan: le vagabond, qui passe par les voitures elles-mêmes pour traverser une route encombrée, est appelé par la jeune aveugle, qui désormais, ayant entendu une portière, va croire que son client est riche. La simplicité de la scène à l'écran est une des sept merveilles du muet. Comme un écho à cette scène, la fin voit Chaplin se battre contre des gamins, et on s'aperçoit après quelques instants que la jeune femme, qui voit désormais, a été témoin de la scène. Elle est désormais libre de tout souci, et propriétaire d'un magasin. Elle n'imagine pas que ce vagabond aux habits déchirés, parfaitement ridicule, puisse être son prince charmant. Tout ici passe par le regard, et bien sur le geste qui va tout faire comprendre à la jeune femme, soit le fait de toucher la main du vagabond. La scène est très belle, et ouverte: on a le droit de considérer que les deux amis vont continuer leur chemin ensemble, mais Chaplin a aussi chargé son personnage comme jamais: il est sale, pathétique, et semble-t-il irrécupérable. Il sort de prison. Ce peut donc être aussi leur dernière rencontre. Sinon, la scène est cruelle, puisque non seulement les gamins en ont après Chaplin, mais la jeune femme avant de le reconnaître se moque ouvertement de lui.

Le film ne se départit pas d'une certaine ironie, incarnée par Harry Myers et son valet, Allan Garcia, qui jouera le patron dans Modern Times: bref, un type désagréable. Myers est le sympathique ivrogne devenu absolument imbuvable (Si j'ose dire) quand il est sobre: un commentaire acerbe sur les années qui viennent de s'écouler, faite de divertissements orgiaques et dans lesquels les Etats-Unis viennent de s'oublier. Chaplin n'a pas été en reste, et à travers ce personnage de soiffard schizophrène, il y a probablement un peu de lui même. Mais le valet, lui, n'a qu'une seule personnalité: c'est lui qui jette Chaplin sans ménagement, qui veille au grain, qui est la bonne conscience conservatrice de son maître... Autre ironie, celle qui consiste à faire de la jeune orpheline pauvre et aveugle, qui vend des fleurs, et qui rêve du prince charmant, quelqu'un de finalement plus riche que le 'prince' lui même. Cette ironie éclate également dans la dernière scène, bien plus complexe qu'il n'y paraît. Elle ne s'attend pas du tout à ce que ce moins que rien soit effectivement son prince charmant, parce que c'est tout simplement impossible...

Ce qu'il a fini par transformer en un film muet militant n'était pourtant pas parti sur ces auspices. Mais Chaplin l'a transformé en un manifeste de l'art muet dans toute sa splendeur, toujours aussi beau à la dixième vision; je le sais, j'ai compté. Film parfait, quoi qu'on dise de Virginia Cherrill, film qui nous rappelle que le cinéma, c'est de l'émotion pure, et ici, ce sont toutes les émotions.

 

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1931 Comédie Criterion