Une troupe d'acteurs Kabuki arrive sur une petite ville au bord de la mer. Le patron de la troupe, Kihachi, profite du séjour pour aller visiter son ancienne maîtresse, qui a eu un fils de lui. Celui-ci ignore tout de sa véritable filiation. Il a pris l'habitude de considérer Kihachi comme un oncle distant... Mais l'une des actrices de la troupe va provoquer un conflit dans cette fragile "famille" en séduisant le jeune homme...
Le film est souvent considéré comme une comédie, mais quelle amertume dans le destin de ces "herbes flottantes"... Bien sûr, ce sont les comédiens, qui se rendent en train de ville en ville et vivent sans jamais pouvoir totalement s'attacher. Mais si la troupe est probablement assez ancienne, on voit que les jeux de pouvoir et de rivalité ont fini par miner la bonne entente, et Kihachi accuse le coup. C'est la deuxième fois que Takeshi Sakamoto incarne un personnage de ce nom, et il est bien différent de son précédent avatar. Inquiet, amer, il semble arrivé au bout de ses chances de bonheur...
Le film est en même temps que cette chronique de l'amertume, un portrait triste mais tendre et vibrant, d'une profession sinon de ses membres, au vu des chicanes et de l'ambiance délétère de la troupe... Le cinéaste se plait à montrer ses acteurs dansles coulisses, en désacralisant avec humour la magie du spectacle. Il oppose aussi à Kihachi et son ménage secret, un acteur qui est le père d'un petit comédien, qui donne un écho burlesque à la situation principale, un enfant glouton, à l'hygiène déplorable (soulignée avec insistance par Ozu comme il le faisait tant)...
Le film, incidemment, est à la fois un remake officieux du film The barker de George Fitzmaurice, et la source d'un autre film d'Ozu, sorti en 1959 (et en très belles couleurs), intitulé cette fois simplement Herbes flottantes...
L'un des derniers films muets Chinois, La divine (Appelé The Goddess, soit "La déesse", en Anglais) est un pur produit du cinéma de Shangai: soigné, mélodramatique, et totalement sous l'influence des grands maîtres du cinéma Américain de la fin des années 20, Borzage en tête! Le film ne quitte jamais son environnement citadin, qui pourrait être Shangai by night: l'héroïne (Ruan Lingyu) est une jeune mère qui tous les soirs, s'occupe de son fils, le nourrit, le borde... avant de mettre une robe de soirée et de confier la garde du petit à sa voisine, parce qu'elle doit partir pour son travail. On se doute qu'elle n'est donc ni boulangère ni avocate, mais elle effectue son travail, jusqu'au soir où, pour fuir un raid de la police, elle doit se réfugier dans une habitation... Là, l'homme qui vit sur place accepte de la protéger contre la police le temps que la rafle se termine... Puis lui impose de passer le reste de la nuit avec lui. Elle est prise au piège, parce qu'il décidera de devenir son souteneur. Et surtout de se servir dans sa caisse dès qu'elle gagnera le moindre sou. Ce qui contrecarre prodigieusement les plans d'avenir d'une jeune mère qui se voyait déjà fournir une éducation décente à son fils... Elle va donc tenter le tout pour le tout, et fuir...
Le film entier est accroché à la performance de sa star, la grande actrice Chinoise Ruan Lingyu (1910 - 1935), dont la vie présente de façon troublante des échos de ce rôle, celui pour lequel elle est aujourd'hui encore reconnue. Ce sont précisément ces échos qui la décideront, suite à un scandale du à l'attitude indélicate de la presse (Qui aimait à la confondre avec ses rôles de prostituée!) mais aussi à celle d'un ancien amant. Mais justement, ce que le film montre, c'est le sacrifice absolu, total, d'une mère à son fils: elle sacrifie sa réputation, dans une scène perturbante, lorsque le directeur de l'école vient la cuisiner pour savoir si les rumeurs la concernant sont vraies, elle choisit de dire la vérité pour montrer justement qu'elle a tout donné pour son fils. Et elle va aller jusqu'à faire le plus ultime des sacrifices dans une scène inattendue, qui est le point culminant du film. On est confondus devant le talent de la dame, qui monopolise le regard de la caméra et le nôtre. Maintenant Yonggang a un oeil, et ce n'est pas un manchot: montage, cadrage, composition, mouvement... Il avait tout appris des meilleurs, et il avait tout retenu. Bref: un classique, un chef d'oeuvre... Foncez!
Fouiller la filmographie de Mizoguchi nous permet d’aboutir rapidement à la conclusion que la majeure partie de son œuvre muette est perdue. Sont aujourd’hui en circulation 5 de ces films, et tous ne sont pas complets. Les facteurs de cette perte importante sont connus : outre l’oubli immédiat dans lequel le muet est tombé après 1930 dans la plupart des pays, il faut ajouter les tremblements de terre successifs qui ont détruit la plupart des films japonais conservés dans les entrepôts des studios. Le Japon a pourtant produit des films muets ou seulement sonorisés jusqu’à 1935, pour tout un éventail de raisons. Ce film est un des films sonores de Mizoguchi: bien que muet, il est narré par des intertitres, lus et complétés par un bonimenteur (« Benshi »). C’est la principale source de gêne de cette version (Manifestement d’époque) : d’une part le Benshi est redondant, voire excessif dans son commentaire (Le final en particulier, un modèle d’économie et de subtilité à l’écran, devient franchement pesant avec l’ajout du boniment), et comme les éditeurs de la version publiée en France (Carlotta) on fait correspondre les sous-titres au boniment, au lieu des intertitres, cela se fait souvent au détriment de l’image.
Mais au-delà, le film est souvent étonnant, par l’audace de sa structure, avec deux flash-backs imbriqués l’un dans l’autre : L’histoire nous conte la rêverie d’un homme et d’une femme, réunis à leur insu sur un quai de gare par une panne d’électricité, et chacun d’entre eux associe le lieu à leur passé commun lorsque Geisha la jeune femme avait étudié le jeune homme étudiant, et lui avait sauvé la vie, tout en sacrifiant la sienne. A un moment, l’homme jeune génère un flash-back pour expliquer les circonstances dans lesquelles il a quitté sa grand-mère au village natal.
Egalement à noter, Mizoguchi en 1934 fait dire beaucoup de choses à ses plans, changeant de point de vue, en utilisant beaucoup l’arrière-plan, et bougeant la caméra de façon significative : on sait l’importance du plan-séquence dans les chef-d’œuvres futurs : ici, le vagabondage de la caméra dans une échoppe de nouilles nous montre d’abord un client qui demande l’addition, puis qui quitte le restaurant précipitamment lorsqu’il ne trouve pas sa bourse ; la caméra nous emporte alors à travers un rideau vers le couple de héros qui mange, pour une fois, à sa faim : la jeune femme fournit la nourriture : on sait qu’elle a volé, afin de nourrir son ami.
Avec ce mélodrame, la thématique de Mizoguchi est déjà en place, et cette histoire d’un couple qui va essayer de lutter contre le déterminisme social qui pousse les femmes vers la prostitution en annonce bien d’autres. Osen, la Geisha qui se rebelle contre les proxénètes-escrocs qui l’emploient, n’est pas encore un personnage aussi fort que Oharu, et ce film apre n’est pas aussi définitif que les œuvres des années 50, mais c’est une expérience qui en vaut bien la peine. Parmi les acteurs, il faut faire particulièrement attention à Isuzu Yamada, qui prête son beau visage à Osen, et qui brille de tous ses feux dans la séquence la plus sublime du film, lorsqu’au moment de son arrestation, elle sort de son kimono (Avec les dents) une cigogne en papier qu’elle fait s’envoler en soufflant vers son ami pour lui signifier que son ame veillera toujours sur lui. La cigogne, préparée de longue date, devient du même coup le symbole de la fatalité, mais nous rappelle que c’est en se saisissant d’un rasoir avec les dents qu’elle s’est enfuie et a déclaré son indépendance. Ces deux scènes nous montrent la limite du champ d’action d’une prostituée dans le japon de ce début de siècle…
Les films muets de Yasujiro Ozu sont un ensemble fascinant de cohérence, bien qu'il ait tourné à cette époque comédies, chroniques familiales, films de gangsters, chroniques sociales, drames... chacun de ces genres, pourtant le montre qui sait prendre son temps, avec déjà cet art pour trouver l'angle juste, la position de caméra idéale, et pour laisser le temps au geste de s'accomplir. Il savait mieux que beaucoup capter une ambiance, une certaine mélancolie sous-jacente, et ces films réalisés par un japonais très amateur du cinéma occidental sont aujourd'hui encore marqués par une certaine perfection. celui-ci a un handicap certain, puisque deux bobines ont été perdues, et ce sont la première et la dernière... Pourtant, pas de gène excessive une fois qu'on a accepté le fait qu'on ne verra pas le film en son entier, on peut au moins en apprécier les contours du drame.
Deux jeunes garçons perdent leur père, et ils font corps avec leur mère, jusqu'à ce que l'aîné apprenne ce que le public sait déjà: il est le fils d'un premier mariage. A partir de là, il va se sentir exclu, parfois trahi par les efforts de sa mère pour le traiter avec égalité. En réalité, il va aussi de lui-même tendre à se sacrifier afin de permettre à sa famille de joindre les deux bouts...
La situation de Sadao, le fils exemplaire, est cruelle, et on voit le glissement au fur et à mesure de la progression; la complicité imposante entre les deux jeunes hommes se change insidieusement en un fossé, de par la défiance de Sadao. Le film étant tourné du point de vue de ce dernier, on sent que la situation échappe à la mère, d'autant que ses efforts n'ont pas été appréciés à leur juste valeur. le film tel qu'on peut le voir aujourd'hui se termine sur une confrontation clé, qui donne lieu à une résolution satisfaisante pour tous... qui est contenue dans un intertitre. bien sur on peut toujours râler que le film n'ait pas été conservé, mais bon: on en dispose au moins de l'essentiel, et c'est un grand film d'Ozu.
Avant même le générique du film, des images de rue, comme en écho au concept soulevé par le titre: la rue comme métaphore de la vie en même temps que son cadre... les premières images sont énigmatiques, marquées par un montage serré, la touche des premiers Naruse. des gens qui vivents, se retrouvents, s'attendent, travaillent, passent dans la rue. Des éléments économiques aussi, une vitrine avec des bijoux, puis une autre avec des viennoiseries... la décor est planté, l'univers aussi, pour un film peu banal de Mikio Naruse: en conflit de plus en plus ouvert avec la Schochiku, il ne voulait pas de ce sujet. Des quatre autres films muets conservés de l'auteur de ce film, on constate qu'un seul n'est pas écrit par lui, le plus mélodramatique, Après notre séparation. Ici, c'est encore de mélo qu'il s'agit, et naruse n'en veut pas parce qu'il a trouvé son univers et ne souhaite pus revenir en arrière, à plus forte raison pour traiter un sujet qu'il considère comme un feuilleton sans envergure... le film lui sera imposé avec la condition qu'il fasse ce qu'il veut ensuite.
Sugiko est serveuse dans un bar, et elle a un amoureux, un homme dont la famille souhaite qu'il fasse un mariage prestigieux, mais lui n'en a cure: il veut Sugiko. Celle-ci est courtisée par un studio de cinéma qui s'intéresse à sa plastique, bref tout va pour le mieux... mais Sugiko a un accident, renversée par un jeune bourgeois, et son petit ami, sans nouvelles, disparait purement et simplement de la circulation. Sugiko commence à fréquenter Hiroshi, le riche automobiliste responsable de l'accident, et entre les deux, l'amour commence à poindre. Hiroshi va donc, contre la volonté de sa mère et de sa soeur, épouser Siguko. tout est pour le mieux? Pas sûr...
Le destin, une fois de plus incarné par non pas un, mais deux accidents de voiture, va donc placer Sugiko sur un terrain glissant, et son environnement aussi. Mais la cible de naruse, c'est aussi et surtout la bourgeoisie et ses préjugés, les manies qui consistent à privilégier le prestige sur l'amour, tout un carcan de conventions sociales qui emprisonnent aussi bien Hiroshi que Sugiko. comme en écho, l'amie serveuse de Sugiko qui a saisi l'opportunité laissée vacante par Sugiko et est devenue actrice: elle aussi est rattrappée par les préjugés, et demande à son petit ami de resteer à l'écart, puisqu'il est d'une autre classe... un monde de classes, donc, dans lequel il faut s'élever, et tout abandonner. Au beau milieu de ce film, la personnalité de Setsuko Shinobu domne sans mal, impérieuse, au visage de marbre, dur et sévère à la fin, autant qu'elle était douce et optimiste au début. On comprend un peu Naruse, qui souhaitait dépeindre un monde mois fermé, moins circonscrit par les conventions de la fiction: ici, l'histoire aboutit à une étape ou certains des protagonistes trouvent le bonheur, mais qu'on ne s'y trompe pas, cette Sugiko, qui choisit un conflit sans concessions contre sa belle-famille, qui reprend sa liberté dans un monde dominé par les hommes, au risque de rester dans l'incertitude - et au plus bas de la classe ouvrière - toute sa vie, avec la plus belle des dignités, est bien une héroïne de Mikio Naruse, une grande.
Le réalisateur, à la veille de s'essayer au cinéma parlant, utilise le montage d'une façon toujours aussi inventive, avec ses inserts étonnants (Et même déroutants parfois, comme cette conversation entre deux amants entrelacée de vues de lampes éclairées et de bâtiments), ses plans en mouvement qui balaient l'espace, ses séquences de montage rapide: l'accident de la fin, vu entièrement par le biais des obkets personnels des victimes qui dévalent une pente sans fin, et un chapeau qui arrête sa course sur un rocher... Naruse va donc faire ce qu'il veut à l'issue de ce film: quitter la compagnie à laquelle il a travaillé depuis 24 films.