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12 octobre 2014 7 12 /10 /octobre /2014 17:17

Les enjeux de ce film, en 1928, étaient de taille: après son impressionnant King of kings, mais à une époque ou le parlant menaçait plus que jamais les producteurs-réalisateurs indépendants dont DeMille était le plus visible représentant, il s'agissait pour lui de revenir à la peinture de l'époque contemporaine, en quelque sorte de reprendre le flambeau qui semblait être le sien à l'époque de The Cheat. La production, entamée sitôt le vaste projet biblique accompli, n'a pas débuté sous les meilleurs auspices: le film, sous le titre provisoire The Atheist, attirait déjà les foudres des anti-religieux, qui s'attendaient à une surdose de prêche de la part d'un réalisateur qui avait beaucoup versé dans ce domaine. Si le changement de titre laissait malgré tout le champ libre à ce genre d'inquiétudes (La fille sans Dieu), DeMille lui-même a vite rassuré les uns et les autres en clamant qu'il ne comptait en aucun cas faire un film religieux, mais un portrait sans concessions du système des centres de redressement Américains.

Le scénario, signé par l'inamovible Jeanie Mc Pherson et inspiré d'une série d'anecdotes mettant en scène des étudiants athées, concerne un groupe de lycéens Américains arrêtés lors d'une bagarre qui oppose des militants athées et des fanatiques religieux, sur leur campus, et rendus responsables du décès d'une jeune fille. Ils sont ensuite (Deux garçons et une fille) placés en centre de redressement, et accumulent les expériences malheureuses: privations, vexations, traitements inhumains, et tentative d'évasion malheureuse.

Pour parvenir à ses fins, le metteur en scène se documentera beaucoup, allant jusqu'à envoyer des espions dans ces centres, et en rapporter du vécu. Le résultat est non seulement conforme à ses dires, évitant dans l'ensemble le militantisme religieux, mais renvoyant sainement les extrémismes de tous poils dos à dos, et en prime le réalisateur en fait également son meilleur film (Pour autant qu'il me soit possible d'en juger), en effet: délaissant le style ampoulé et statique de ses productions précédentes, il utilise ici à merveille les ressources du cinéma de 1928, et tout dans ce film force l'admiration, depuis le scénario qui ne faillit qu'une fois, dans une ridicule scène de batifolage dans les foins avec scène de nu en flou artistique (On ne se refait pas), jusqu'au jeu des acteurs, en passant par la photo splendide de J. Peverell Marley, qui cadre au plus près des visages, et accumule les tours de force. Pour le reste, Demille fait une oeuvre salutaire: en cette fin des années 20, l'Amérique prend le temps de s'interroger sur la vitesse de la modernité de la société, et en plusieurs états à cette époque, le système des institutions pénitentiaires pour les jeunes était encore bien inadapté. On comptait notamment dans le Nebraska des prisons de ce type, où les grilles électrifiées et les molosses faisaient la moitié du travail... Avec ce film, DeMille fait un travail de dénonciation qu'il faut saluer, et il laisse parler une authentique indignation.

On se rappelle aussi du grand DeMille des années 1915/1918 grace à l'incroyable brutalité du film, qui s'est clairement fixé comme but de dénoncer un système jugé injuste par un film coup de poing. Le film accumule les morceaux de bravoure, et le fait très vite: la bagarre sur le campus est un tour de force, tourné au plus près des corps des jeunes acteurs, et est l'occasion de la première rupture de ton d'une oeuvre qui en compte beaucoup; le montage, le cadrage (Impliquant un système à la Seventh Heaven, avec une caméra montée sur un axe vertical qui suit les progressions des élèves -Et bientot leur mélange dans une rixe incroyable- dans les escaliers de l'établissement scolaire.); les échanges mémorables entre les deux amoureux, de part et d'autre d'une grille électrifiée, l'évasion de Bob, écoeuré par le traitement réservé à son camarade (DeMille a choisi d'accentuer la brutalité du gardien chef en filmant ses exactions de façon très fragmentée, suivant le point de vue d'un personnage qui, enfermé, ne peut tout voir) et bien sur l'incendie final qui va permettre à tous de réveler leur valeur: ce film accumule avec bonheur les très grands moments de cinéma. Le final lui permet aussi de céder à la tentation répandue (Voir Metropolis, Scaramouche ou Orphans of the storm à ce sujet) de la dénonciation des foules et de leur folie, lorsque les jeunes femmes emprisonnées se déchaînent durant l'incendie pour saboter les efforts des sauveteurs.

Le film n'aura hélas pas de succès , y compris dans une version parlante bricolée à l'insistance de Pathé (Qui distribuait) et obligera DeMille à abandonner son indépendance, et le poussera à une petite période de travail pour la MGM pour quelques-uns de ses pires films, dont Madame Satan, et un troisième Squaw Man, avant de retrouver le douillet berceau de sa Paramount, firme pour laquelle il filmera sans grande imagination jusqu'à la fin de ses jours.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet 1928 *