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4 août 2016 4 04 /08 /août /2016 09:42

Un paradoxe impressionnant que ce film: c'est le compte-rendu documentaire, minutieusement préparé, planifié, d'un échec. Glorieux, certes, mais un échec tout de même, du reste plus ou moins inévitable. C'est en tout cas la version actuelle des événements, avant qu'une hypothétique découverte sur les lieux de l'action ne vienne le démentir... Rappel du contexte: après une expédition vers le sommet de l'Everest qui s'était soldée par un autre échec, assorti de la mort plus qu'embarrassante de sept sherpas, le montagnard George Mallory avait pris la décision de retenter, en mettant toutes les chances de son côté: apport scientifique (Avec le concours du jeune Andrew Irvine, 22 ans, un montagnard novice mais prometteur, mais surtout un prodige en matière de mécanique et d'ingénierie, spécialiste de l'apport d'oxygène), prudence calculée, et équipe rodée à éviter justement les drames, et comme l'expédition précédente, la présence de John Noel, un membre dont le rôle serait d'immortaliser par des photos et un film le périlleux voyage. L'expédition avait commencé par attaquer, comme l'autre expédition déjà tentée, la route vers l'Everest par le Nord, donc par le Tibet (L'Everest faisant partie de la barrière montagneuse qui sépare ce pays du Népal), et des prometteuses avancées ont été effectuées, deux membres ayant été jusqu'à tenter une ascension décisive... Mais sans apport d'oxygène (Atteignant quand même 8570 m, ce qui restera un record longtemps). C'est donc avec des bouteilles encombrantes que Irvine et Mallory ont tenté le tout pour le tout, s'éloignant du camp de base au matin du 8 juin 1924.

L'histoire s'arrête, car si on sait bien sûr qu'ils sont morts quelque part là-haut, on ne sait pas, et on ne saura sans doute jamais s'ils ont atteint leur but. C'est du reste peu probable, la découverte du corps bien conservé de Mallory en 1999 ayant confirmé qu'ils avaient eu des difficultés matérielles, la pire étant que les précieuses bouteilles de gaz, avec leurs 15 kg, les ralentissaient plus qu'autre chose... Mais le mystère demeure. Ce n'est de toute façon pas le propos du film, gardien de leur légende, qui tente de rendre compte tout en préservant l'héroïsme des membres de l'expédition, tous d'ailleurs: sauf les Sherpas, qui ne sont pas nommés, bien sûr: on est en 1924, et l'Angleterre n'oublie pas ses traditions coloniales. On les voit, lors d'un plan, et pour le reste ils sont le plus souvent absents du voyage, du moins sur la pellicule.

Mais le film est fascinant, et par bien des égards assez représentatif d'un genre alors en pleine ébullition... Noel avait reçu des instructions très strictes de Mallory qui voulait d'une part que l'attention de chacun soit concentrée sur les dangers, par sur une caméra ou un appareil photo, et qui souhaitait noblement sacrifier son ego (Si tant est qu'il soit possible de le faire quand on dirige une expédition sur l'Everest!), et donc lui avait demandé de filmer les exploits, pas les hommes, a pu quand même structurer son film en trois parties, et a réussi à faire tant bien que mal un peu de cinéma avec le peu d'images que les circonstances lui ont permis de prendre des tentatives les plus spectaculaires. Du reste, le matériel cinématographique a été confiné sur un des camps à la base de l'Everest. Mais Noel l'avait prévu, ayant déjà vécu la tentative précédente: il avait amené un téléobjectif puissant, bricolé par ses soins...

La première partie concerne donc l'approche, la traversée du Tibet, qui est une prouesse en soi, le pays faisant partie à cette époque des endroits les plus reculés de la planète. On y voit assez facilement la fascination de Noel pour les gens rencontrés, leur joie, et il est amusant de constater que la condescendance de rigueur dans les intertitres (L'ironie malsaine de ces commentaires sur ces gens simples, pas lavés et ignorants) contraste avec les images radieuses des autochtones qui viennent apporter leur joie de vivre aux montagnards... Qu'on verra peu lors de ces scènes: la volonté de Mallory était très claire. En attendant, Noel a aussi à sa disposition des images de la nature, qui sont magnifiques.

Le deuxième partie prend acte du suspense naturel inhérent à ce genre d'entreprise, et comme le but de cette portion du film est d'atteindre le pied de l'Everest, ce suspense a l'avantage, contrairement à ce qui se passera dans la troisième partie, d'aboutir à son but. Les scènes les plus marquantes voient les membres de l'expédition traverser des paysages hallucinants de glaciers gigantesques et menaçants. L'Everest est souvent présent dans le champ, bien entendu... la promesse objective du film est bien sûr qu'on y va!

Et la troisième partie contient donc les images des hommes qui installent leur camp en bas de l'impressionnante montagne, avec ces trois mille mètres de quasi-falaise; on y verra quelques tentatives, des images aussi absurdes, parfois: Noel a essayé de filmer au téléobjectif une opération d'ailleurs réussie (Ce que nous disent les intertitres) de sauvetage de membres coincés sur une paroi, mais ce qu'on voit est tout simplement réduit à des points noirs qui se déplacent au loin sur un fond blanc. C'est hélas lors de cette partie que le film montre ses limites...

Mais une certaine magie demeure, sans doute parce que le film est l'un des morceaux du puzzle, et que ce puzzle reste un mystère aujourd'hui. Après tout, la découverte du corps de Mallory n'a rien résolu, rien prouvé, confirmé, ni infirmé; mais le film a au moins l'avantage de fournir de précieuses images qui prouvent au moins que si Mallory était obsédé par l'Everest (La fameuse phrase pour justifier l'ascension, "Because it's there!", c'est de lui) au point d'y donner sa vie, Noel était lui fasciné par la montagne, ça oui, mais il n'avait pas oublié en consacrant, une partie de son film à ce qui précède l'ascension, de rendre compte de sa propre passion pour la région, et sa fascination tendre pour ses habitants. Il nous donne à voir avec les moyens du bord, une nature vertigineuse, magnifiée par les éléments (Noel s'amuse à reproduire du mieux qu'il peut l'impression de miraculeuse beauté des effets de l'ombre et de la lumière sur la montagne, et c'est beau à pleurer). Et aussi bancal qu'il soit en raison de sa résolution en forme de point d'interrogation amer, ce film reste touchant, émouvant, et superbement incomplet plus de quatre-vingt-dix années plus tard.

The epic of Everest (John Noel, 1924)
The epic of Everest (John Noel, 1924)
The epic of Everest (John Noel, 1924)
The epic of Everest (John Noel, 1924)
The epic of Everest (John Noel, 1924)
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Published by François Massarelli - dans Muet 1924 **